« Utilisateur:Zaran/test » : différence entre les versions

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<poem>
 
:Toutes deux regardaient s'enfuir les hirondelles :
:L'une pâle aux cheveux de jais, et l'autre blonde
:Et rose, et leurs peignoirs légers de vieille blonde
:Vaguement serpentaient, nuages, autour d'elles.
 
:Et toutes deux, avec des langueurs d'asphodèles,
:Tandis qu'au ciel montait la lune molle et ronde,
:Savouraient à longs traits l'émotion profonde
:Du soir et le bonheur triste des cœurs fidèles.
 
:Telles, leurs bras pressant, moites, leurs tailles souples,
:Couple étrange qui prend pitié des autres couples,
:Telles, sur le balcon, rêvaient les jeunes femmes.
 
:Derrière elles, au fond du retrait riche et sombre,
:Emphatique comme un trône de mélodrame
:Et plein d'odeurs, le Lit, défait, s'ouvrait dans l'ombre.
</poem>
</div>
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<poem>
 
:L'une avait quinze ans, l'autre en avait seize ;
:Toutes deux dormaient dans la même chambre
:C'était par un soir très lourd de septembre
:Frêles, des yeux bleus, des rougeurs de fraise.
 
:Chacune a quitté, pour se mettre à l'aise,
:La fine chemise au frais parfum d'ambre,
:La plus jeune étend les bras, et se cambre,
:Et sa sœur, les mains sur ses seins, la baise,
 
:Puis tombe à genoux, puis devient farouche
:Et tumultueuse et folle, et sa bouche
:Plonge sous l'or blond, dans les ombres grises ;
 
:Et l'enfant, pendant ce temps-là, recense
:Sur ses doigts mignons des valses promises.
:Et, rose, sourit avec innocence.
</poem>
</div>
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<poem>
 
:Les longs rideaux de blanche mousseline
:Que la lueur pâle de la veilleuse
:Fait fluer comme une vague opaline
:Dans l'ombre mollement mystérieuse,
 
:Les grands rideaux du grand lit d'Adeline
:Ont entendu, Claire, ta voix rieuse,
:Ta douce voix argentine et câline
:Qu'une autre voix enlace, furieuse.
 
:« Aimons, aimons ! » disaient vos voix mêlées,
:Claire, Adeline, adorables victimes
:Du noble vœu de vos âmes sublimes.
 
:Aimez, aimez ! ô chères Esseulées,
:Puisqu'en ces jours de malheur, vous encore,
:Le glorieux Stigmate vous décore.
</poem>
</div>
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<poem>
 
:Tendre, la jeune femme rousse,
:Que tant d'innocence émoustille,
:Dit à la blonde jeune fille
:Ces mots, tout bas, d'une voix douce :
 
:« Sève qui monte et fleur qui pousse,
:Ton enfance est une charmille :
:Laisse errer mes doigts dans la mousse
:Où le bouton de rose brille,
 
:« Laisse-moi, parmi l'herbe claire,
:Boire les gouttes de rosée
:Dont la fleur tendre est arrosée, –
 
:« Afin que le plaisir, ma chère,
:Illumine ton front candide
:Comme l'aube l'azur timide. »
</poem>
</div>
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<poem>
 
:Et l’enfant répondit, pâmée
:Sous la fourmillante caresse
:De sa pantelante maîtresse :
:« Je me meurs, ô ma bien-aimée !
 
:« Je me meurs : ta gorge enflammée
:Et lourde me soûle et m’oppresse ;
:Ta forte chair d’où sort l’ivresse
:Est étrangement parfumée ;
 
:« Elle a, ta chair, le charme sombre
:Des maturités estivales, —
:Elle en a l’ambre, elle en a l’ombre ;
 
:« Ta voix tonne dans les rafales,
:Et ta chevelure sanglante
:Fuit brusquement dans la nuit lente. »
</poem>
<br /></div>
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<poem>
 
:Furieuse, les yeux caves et les seins roides,
:Sappho, que la langueur de son désir irrite,
:Comme une louve court le long des grèves froides,
 
:Elle songe à Phaon, oublieuse du Rite,
:Et, voyant à ce point ses larmes dédaignées,
:Arrache ses cheveux immenses par poignées ;
 
:Puis elle évoque, en des remords sans accalmies,
:Ces temps où rayonnait, pure, la jeune gloire
:De ses amours chantés en vers que la mémoire
:De l'âme va redire aux vierges endormies :
 
:Et voilà qu'elle abat ses paupières blêmies
:Et saute dans la mer où l'appelle la Moire, -
:Tandis qu'au ciel éclate, incendiant l'eau noire,
:La pâle Séléné qui venge les Amies.
</poem>
</div>
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:::« ''Capellos de Angelos.'' »
:::(Friandise espagnole.)
<poem>
 
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:::« ''Et des châtaignes aussi.'' »
:::(Chanson de Malbrouk.)
<poem>
 
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:Rustique beauté
:Qu’on a dans les coins,
:Tu sens bon les foins,
:La chair et l’été.
 
 
:Tes trente-deux dents
:De jeune animal
:Ne vont point trop mal
:À tes yeux ardents.
 
 
:Ton corps dépravant
:Sous tes habits courts,
:— Retroussés et lourds,
:Tes seins en avant,
 
 
:Tes mollets farauds,
:Ton buste tentant,
:— Gai, comme impudent,
:Ton cul ferme et gros,
 
 
:Nous boutent au sang
:Un feu bête et doux
:Qui nous rend tout fous,
:Croupe, rein et flanc.
 
 
:Le petit vacher
:Tout fier de son cas,
:Le maître et ses gas,
:Les gas du berger,
 
 
:Je meurs si je mens,
:Je les trouve heureux,
:Tous ces culs-terreux,
:D’être tes amants.
<br />
 
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:Vos narines qui vont en l’air,
:Non loin de vos beaux yeux quelconques,
:Sont mignonnes comme ces conques
:Du bord de mer de bains de mer ;
 
 
:Un sourire moins franc qu’aimable
:Découvre de petites dents,
:Diminutifs outrecuidants
:De celles d’un loup de la fable ;
 
 
:Bien en chair, lente avec du chien,
:On remarque votre personne,
:Et votre voix fine résonne
:Non sans des agréments très bien ;
 
 
:De la grâce externe et légère
:Et qui me laissait plutôt coi
:Font de vous un morceau de roi,
:Ô de roi non absolu, chère !
 
 
:Toujours est-il, regret ou non,
:Que je ne sais pourquoi mon âme
:Par ces froids pense à vous, Madame
:De qui je ne sais plus le nom.
<br />
 
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:&nbsp; Dame souris trotte,
:Noire dans le gris du soir,
:&nbsp; Dame souris trotte
:&nbsp; Grise dans le noir.
 
 
:&nbsp; On sonne la cloche,
:Dormez, les bons prisonniers !
:&nbsp; On sonne la cloche :
:&nbsp; Faut que vous dormiez.
 
 
:&nbsp; Pas de mauvais rêve,
:Ne pensez qu’à vos amours.
:&nbsp; Pas de mauvais rêve :
:&nbsp; Les belles toujours !
 
 
:&nbsp; Le grand clair de lune !
:&nbsp; On ronfle ferme à côté.
:Le grand clair de lune
:&nbsp; En réalité !
 
 
:&nbsp; Un nuage passe,
:Il fait noir comme en un four.
:&nbsp; Un nuage passe.
:&nbsp; Tiens, le petit jour !
 
 
:&nbsp; Dame souris trotte,
:Rose dans les rayons bleus.
:&nbsp; Dame souris trotte :
:&nbsp; Debout, paresseux !
<br />
 
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:La cour se fleurit de souci
:&nbsp; &nbsp; Comme le front
:&nbsp; &nbsp; De tous ceux-ci
:&nbsp; &nbsp; Qui vont en rond
:En flageolant sur leur fémur
:&nbsp; &nbsp; Débilité
:&nbsp; &nbsp; Le long du mur
:&nbsp; &nbsp; Fou de clarté.
 
 
:Tournez, Samsons sans Dalila,
:&nbsp; &nbsp; Sans Philistin,
:&nbsp; &nbsp; Tournez bien la
:&nbsp; &nbsp; Meule au destin.
:Vaincu risible de la loi,
:&nbsp; &nbsp; Mouds tour à tour
:&nbsp; &nbsp; Ton cœur, ta foi
:&nbsp; &nbsp; Et ton amour !
 
 
:Ils vont ! et leurs pauvres souliers
:&nbsp; &nbsp; Font un bruit sec,
:&nbsp; &nbsp; Humiliés,
:&nbsp; &nbsp; La pipe au bec.
:Pas un mot ou bien le cachot,
:&nbsp; &nbsp; Pas un soupir.
:&nbsp; &nbsp; Il fait si chaud
:&nbsp; &nbsp; Qu’on croit mourir.
 
 
:J’en suis de ce cirque effaré,
:&nbsp; &nbsp; Soumis d’ailleurs
:&nbsp; &nbsp; Et préparé
:&nbsp; &nbsp; À tous malheurs.
:Et pourquoi si j’ai contristé
:&nbsp; &nbsp; Ton vœu têtu,
:&nbsp; &nbsp; Société,
:&nbsp; &nbsp; Me choierais-tu ?
 
 
:Allons, frères, bons vieux voleurs,
:&nbsp; &nbsp; Doux vagabonds,
:&nbsp; &nbsp; Filous en fleurs,
:&nbsp; &nbsp; Mes chers, mes bons,
:Fumons philosophiquement,
:&nbsp; &nbsp; Promenons-nous
:&nbsp; &nbsp; Paisiblement :
:&nbsp; &nbsp; Rien faire est doux.
<br />
 
Ligne 610 :
 
 
::::''Totus in maligno positus.''
 
 
:Entends les pompes qui font
:&nbsp; &nbsp; Le cri des chats.
:Des sifflets viennent et vont
:&nbsp; &nbsp; Comme en pourchas.
:Ah, dans ces tristes décors
:Les Déjàs sont les Encors !
 
 
:Ô les vagues Angélus !
:&nbsp; &nbsp; (Qui viennent d’où ?)
:Vois s’allumer les Saluts
:&nbsp; &nbsp; Du fond d’un trou.
:Ah, dans ces mornes séjours
:Les Jamais sont les Toujours !
 
 
:Quels rêves épouvantés,
:&nbsp; &nbsp; Vous grands murs blancs !
:Que de sanglots répétés,
:&nbsp; &nbsp; Fous ou dolents !
:Ah, dans ces piteux retraits
:Les Toujours sont les Jamais !
 
 
:Tu meurs doucereusement,
:&nbsp; &nbsp; Obscurément,
:Sans qu’on veille, ô cœur aimant.
:&nbsp; &nbsp; Sans testament !
:Ah, dans ces deuils sans rachats
:Les Encors sont les Déjàs !
<br />
 
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<poem>
 
:Toutes deux regardaient s'enfuir les hirondelles :
:L'une pâle aux cheveux de jais, et l'autre blonde
:Et rose, et leurs peignoirs légers de vieille blonde
:Vaguement serpentaient, nuages, autour d'elles.
 
:Et toutes deux, avec des langueurs d'asphodèles,
:Tandis qu'au ciel montait la lune molle et ronde,
:Savouraient à longs traits l'émotion profonde
:Du soir et le bonheur triste des cœurs fidèles.
 
:Telles, leurs bras pressant, moites, leurs tailles souples,
:Couple étrange qui prend pitié des autres couples,
:Telles, sur le balcon, rêvaient les jeunes femmes.
 
:Derrière elles, au fond du retrait riche et sombre,
:Emphatique comme un trône de mélodrame
:Et plein d'odeurs, le Lit, défait, s'ouvrait dans l'ombre.
 
:L’aile où je suis donnant juste sur une gare,
:J’entends de nuit (mes nuits sont blanches) la bagarre
:Des machines qu’on chauffe et des trains ajustés,
:Et vraiment c’est des bruits de nids répercutés
:À des cieux de fonte et de verre et gras de houille.
:Vous n’imaginez pas comme cela gazouille
:Et comme l’on dirait des efforts d’oiselets
:Vers des vols tout prochains à des cieux violets
:Encore et que le point du jour éclaire à peine.
:Ô ces wagons qui vont dévaler dans la plaine !
</poem>
</div>
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:Las ! je suis à l’Index et dans les dédicaces
:Me voici Paul V… pur et simple. Les audaces
:De mes amis, tant les éditeurs sont des saints,
:Doivent éliminer mon nom de leurs desseins,
:Extraordinaire et saponaire tonnerre
:D’une excommunication que je vénère
:Au point d’en faire des fautes de quantité !
:Vrai, si je n’étais pas (forcément) désisté
:Des choses, j’aimerais, surtout m’étant contraire,
:Cette pudeur du moins si rare de libraire.
<br />
 
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:Ô Belgique qui m’as valu ce dur loisir,
:Merci ! J’ai pu du moins réfléchir et saisir
:Dans le silence doux et blanc de tes cellules
:Les raisons qui fuyaient comme des libellules
:À travers les roseaux bavards d’un monde vain,
:Les raisons de mon être éternel et divin,
:Et les étiqueter comme en un beau musée
:Dans les cases en fin cristal de ma pensée.
:Mais, ô Belgique, assez de ce huis-clos têtu !
:Ouvre enfin, car c’est bon pour une fois, sais-tu !
 
 
::::<small>Bruxelles, août 1873. – Mons, janvier 1875.</small>
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:Je veux, pour te tuer, ô temps qui me dévastes,
:Remonter jusqu’aux jours bleuis des amours chastes
:Et bercer ma luxure et ma honte au bruit doux
:De baisers sur Sa main et non plus dans Leurs cous.
:Le Tibère effrayant que je suis à cette heure,
:Quoi que j’en aie, et que je rie ou que je pleure,
:Qu’il dorme ! pour rêver, loin d’un cruel bonheur,
:Aux tendrons pâlots dont on ménageait l’honneur
:Ès-fêtes, dans, après le bal sur la pelouse,
:Le clair de lune quand le clocher sonnait douze.
<br />
 
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:C’est à cause du clair de la lune
:Que j’assume ce masque nocturne
:Et de Saturne penchant son urne
:Et de ces lunes l’une après l’une.
 
 
:Des romances sans paroles ont,
:D’un accord discord ensemble et frais,
:Agacé ce cœur fadasse exprès,
:Ô le son, le frisson qu’elles ont !
 
 
:Il n’est pas que vous n’ayez fait grâce
:À quelqu’un qui vous jetait l’offense :
:Or, moi, je pardonne à mon enfance
:Revenant fardée et non sans grâce.
 
 
:Je pardonne à ce mensonge-là
:En faveur en somme du plaisir
:Très banal drôlement qu’un loisir
:Douloureux un peu m’inocula.
<br />
 
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:Amour qui ruisselais de flammes et de lait,
:Qu’est devenu ce temps, et comme est-ce qu’elle est,
:La constance sacrée au chrême des promesses ?
:Elle ressemble une putain dont les prouesses
:Empliraient cent bidets de futurs foetus froids ;
:Et le temps a crû mais pire, tels les effrois
:D’un polype grossi d’heure en heure et qui pète.
:Lâches, nous ! de nous être ainsi lâchés !
:&nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; « Arrête !
:Dit quelqu’un de dedans le sein. C’est bien la loi.
:On peut mourir pour telle ou tel, on vit pour soi,
:Même quand on voudrait vivre pour tel ou telle !
:Et puis l’heure sévère, ombre de la mortelle,
:S’en vient déjà couvrir les trois quarts du cadran.
:Il faut, dès ce jourd’hui, renier le tyran
:Plaisir, et se complaire aux prudents hyménées,
:Quittant le souvenir des heures entraînées
:Et des gens. Et voilà la norme et le flambeau.
:Ce sera bien. »
:::L’Amour :
:&nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; « Ce ne serait pas beau. »
<br />
 
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:L’imagination, reine,
:Tient ses ailes étendues,
:Mais la robe qu’elle traîne
:A des lourdeurs éperdues.
 
 
:Cependant que la Pensée,
:Papillon, s’envole et vole,
:Rose et noir clair, élancée
:Hors de la tête frivole.
 
 
:L’Imagination, sise
:En son trône, ce fier siège !
:Assiste, comme indécise,
:À tout ce preste manège,
 
 
:Et le papillon fait rage,
:Monte et descend, plane et vire :
:On dirait dans un naufrage
:Des culbutes du navire.
 
 
:La reine pleure de joie
:Et de peine encore, à cause
:De son cœur qu’un chaud pleur noie,
:Et n’entend goutte à la chose.
 
 
:Psyché Deux pourtant se lasse.
:Son vol est la main plus lente
:Que cent tours de passe-passe
:Ont faite toute tremblante.
 
 
:Hélas, voici l’agonie !
:Qui s’en fût formé l’idée ?
:Et tandis que, bon génie
:Plein d’une douceur lactée,
 
 
:La bestiole céleste
:S’en vient palpiter à terre,
:La Folle-du-Logis reste
:Dans sa gloire solitaire !
<br />
 
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:Deux femmes des mieux m’ont apparu cette nuit.
:Mon rêve était au bal, je vous demande un peu !
:L’une d’entre elles maigre assez, blonde, un œil bleu,
:Un noir et ce regard mécréant qui poursuit.
 
 
:L’autre, brune au regard sournois qui flatte et nuit,
:Seins joyeux d’être vus, dignes d’un demi-dieu !
:Et toutes deux avaient, pour rappeler le jeu
:De la main chaude, sous la traîne qui bruit,
 
 
:Des bas de dos très beaux et d’une gaîté folle
:Auxquels il ne manquait vraiment que la parole,
:Royale arrière-garde aux combats du plaisir.
 
 
:Et ces Dames — scrutez l’armorial de France —
:S’efforçaient d’entamer l’orgueil de mon désir,
:Et n’en revenaient pas de mon indifférence.
 
 
::::<small>Vouziers (Ardennes), 13 avril-23 mai 1885</small>
<br />
 
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:Pour une bonne fois séparons-nous,
:Très chers messieurs et si belles mesdames.
:Assez comme cela d’épithalames,
:Et puis là, nos plaisirs furent trop doux.
 
 
:Nul remords, nul regret vrai, nul désastre !
:C’est effrayant ce que nous nous sentons
:D’affinités avecque les moutons
:Enrubannées du pire poétastre.
 
 
:Nous fûmes trop ridicules un peu
:Avec nos airs de n’y toucher qu’à peine.
:Le Dieu d’amour veut qu’on ait de l’haleine,
:Il a raison ! Et c’est un jeune Dieu.
 
 
:Séparons-nous, je vous le dis encore.
:Que nos cœurs qui furent trop bêlants,
:Dès ce jourd’hui réclament, trop hurlants,
:L’embarquement pour Sodome et Gomorrhe !
<br />
 
Ligne 962 :
 
 
::::<small>Attigny (Ardennes) 31 mai – 1<sup>er</sup> juin 1885.</small>
<br />
</div>
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:La misère et le mauvais œil,
:Soit dit sans le calomnier,
:Ont fait à ce monstre d’orgueil
:Une âme de vieux prisonnier.
 
 
:Oui, jettatore, oui, le dernier
:Et le premier des gueux en deuil
:De l’ombre même d’un denier
:Qu’ils poursuivront jusqu’au cercueil.
 
 
:Son regard mûrit les enfants.
:Il a des refus triomphants.
:Même il est bête à sa façon.
 
 
:Beautés passant, au lieu de sous,
:Faites à ce mauvais garçon
:L’aumône seulement… de vous.
<br />
 
Ligne 1 003 :
 
 
:Rôdeur vanné, ton œil fané
:Tout plein d’un désir satané
:Mais qui n’est pas l’oeil d’un bélître,
:Quand passe quelqu’un de gentil
:Lance un éclair comme une vitre.
 
 
:Ton blaire flaire, âpre et subtil,
:Et l’étamine et le pistil,
:Toute fleur, tout fruit, toute viande,
:Et ta langue d’homme entendu
:Pourlèche ta lèvre friande.
 
 
:Vieux faune en l’air guettant ton dû,
:As-tu vraiment bandé, tendu
:L’arme assez de tes paillardises ?
:L’as-tu, drôle, braquée assez ?
:Ce n’est rien que tu nous le dises.
 
 
:Quoi, malgré ces reins fricassés,
:Ce cœur éreinté, tu ne sais
:Que dévouer à la luxure
:Ton cœur, tes reins, ta poche à fiel,
:Ta rate et toute ta fressure !
 
 
:Sucrés et doux comme le miel,
:Damnants comme le feu du ciel,
:Bleus comme fleur, noirs comme poudre,
:Tu raffoles beaucoup des yeux
:De tout genre en dépit du Foudre.
 
 
:Les nez te plaisent, gracieux
:Ou simplement malicieux,
:Étant la force des visages,
:Étant aussi, suivant des gens,
:Des indices et des présages.
 
 
:Longs baisers plus clairs que des chants,
:Tout petits baisers astringents
:Qu’on dirait qui vous sucent l’âme,
:Bons gros baisers d’enfant, légers
:Baisers danseurs, telle une flamme,
 
 
:Baisers mangeurs, baisers mangés,
:Baisers buveurs, bus, enragés,
:Baisers languides et farouches,
:Ce que t’aimes bien, c’est surtout,
:N’est-ce pas ? les belles boubouches.
 
 
:Les corps enfin sont de ton goût,
:Mieux pourtant couchés que debout,
:Se mouvant sur place qu’en marche,
:Mais de n’importe quel climat,
:Pont-Saint-Esprit ou Pont-de-l’Arche.
 
 
:Pour que ce goût les acclamât
:Minces, grands, d’aspect plutôt mat,
:Faudrait pourtant du jeune en somme :
:Pieds fins et forts, tout légers bras
:Musculeux et les cheveux comme
 
 
:Ça tombe, longs, bouclés ou ras, -
:Sinon pervers et scélérats
:Tout à fait, un peu d’innocence
:En moins, pour toi sauver, du moins,
:Quelque ombre encore de décence ?
 
 
:Nenni dà ! Vous, soyez témoins,
:Dieux la connaissant dans les coins,
:Que ces manières, de parts telles,
:Sont pour s’amuser mieux au fond
:Sans trop muser aux bagatelles.
 
 
:C’est ainsi que les choses vont
:Et que les raillards fieffés font.
:Mais tu te ris de ces morales, -
:Tel un monsieur plus que pressé
:Passe outre aux défenses murales.
 
 
:Et tu réponds, un peu lassé
:De te voir ainsi relancé,
:De ta voix que la soif dégrade
:Mais qui n’est pas d’un marmiteux :
:« Qu’y peux-tu faire, camarade,
 
 
:Si nous sommes cet amiteux ? »
<br />
 
Ligne 1 111 :
 
 
:Aussi, la créature était par trop toujours la même,
:Qui donnait ses baisers comme un enfant donne des noix,
:Indifférente à tout, hormis au prestige suprême
:De la cire à moustache et de l’empois des faux-cols droits.
 
 
:Et j’ai ri, car je tiens la solution du problème :
:Ce pouf était dans l’air dès le principe, je le vois ;
:Quand la chair et le sang, exaspérés d’un long carême,
:Réclamèrent leur dû, — la créature était en bois.
 
 
:C’est le conte d’Hoffmann avec de la bêtise en marge.
:Amis qui m’écoutez, faites votre entendement large,
:Car c’est la vérité que ma morale, et la voici :
 
 
:Si, par malheur, — puisse d’ailleurs l’augure aller au diable ! —
:Quelqu’un de vous devait s’emberlificoter aussi,
:Qu’il réclame un conseil de révision préalable.
<br />
 
Ligne 1 140 :
 
 
:Le pauvre du chemin creux chante et parle.
:Il dit : « Mon nom est Pierre et non pas Charle,
:Et je m'appelle aussi Duchatelet.
:Une fois je vis, moi qu'on croit très laid,
:Passer vraiment une femme très belle.
:(Si je la voyais telle, elle était telle.)
:Nous nous mariâmes au vieux curé.
:On eut tout ce qu'on avait espéré,
:Jusqu'à l'enfant qu'on m'a dit vivre encore.
:Mais elle devint la pire pécore
:Même pas digne de cette chanson,
:Et certain beau soir quitta la maison
:En emportant tout l'argent du ménage
:Dont les trois quarts étaient mon apanage.
:C'était une voleuse, une sans-cœur,
:Et puis, par des fois, je lui faisais peur.
:Elle n'avait pas l'ombre d'une excuse,
:Pas un amant ou par rage ou par ruse.
:Il paraît qu'elle couche depuis peu
:Avec un individu qui tient lieu
:D'époux à cette femme de querelle.
:Faut-il la tuer ou prier pour elle ? »
 
 
:Et le pauvre sait très bien qu'il priera,
:Mais le diable parierait qu'il tuera.
 
 
Ligne 1 174 :
 
 
:L'un toujours vit la vie en rose,
:Jeunesse qui n'en finit plus,
:Seconde enfance moins morose,
:Ni vœux, ni regrets superflus.
:Ignorant tout flux et reflux,
:Ce sage pour qui rien ne bouge
:Règne instinctif : tel un phallus.
:Mais moi je vois la vie en rouge.
 
 
:L'autre ratiocine et glose
:Sur des modes irrésolus,
:Soupesant, pesant chaque chose
:De mains gourdes aux lourds calus.
:Lui faudrait du temps tant et plus
:Pour se risquer hors de son bouge.
:Le monde est gris à ce reclus.
:Mais moi je vois la vie en rouge.
 
 
:Lui, cet autre, alentour il ose
:Jeter des regards bien voulus,
:Mais, sur quoi que son oeil se pose,
:Il s'exaspère où tu te plus,
:Œil des philanthropes joufflus ;
:Tout lui semble noir, vierge ou gouge,
:Les hommes, vins bus, livres lus.
:Mais moi je vois la vie en rouge.
 
 
:::::Envoi
 
 
:Prince et princesse, allez, élus,
:En triomphe par la route où je
:Trime d'ornières en talus.
:Mais moi, je vois la vie en rouge.
 
 
Ligne 1 219 :
 
 
:Ce ne sont pas des mains d'altesse,
:De beau prélat quelque peu saint,
:Pourtant une délicatesse
:Y laisse son galbe succint.
 
 
:Ce ne sont pas des mains d'artiste,
:De poète proprement dit,
:Mais quelque chose comme triste
:En fait comme un groupe en petit ;
 
 
:Car les mains ont leur caractère,
:C'est tout un monde en mouvement
:Où le pouce et l'auriculaire
:Donnent les pôles de l'aimant.
 
 
:Les météores de la tête
:Comme les tempêtes du cœur,
:Tout s'y répète et s'y reflète
:Par un don logique et vainqueur.
 
 
:Ce ne sont pas non plus les palmes
:D'un rural ou d'un faubourien ;
:Encore leurs grandes lignes calmes
:Disent « Travail qui ne doit rien. »
 
 
:Elles sont maigres, longues, grises,
:Phalange large, ongle carré.
:Tels en ont aux vitraux d'églises
:Les saints sous le rinceau doré,
 
 
:Ou tels quelques vieux militaires
:Déshabitués des combats
:Se rappellent leurs longues guerres
:Qu'ils narrent entre haut et bas.
 
 
:Ce soir elles ont, ces mains sèches,
:Sous leurs rares poils hérissés,
:Des airs spécialement rêches,
:Comme en proie à d'âpres pensers.
 
 
:Le noir souci qui les agace,
:Leur quasi-songe aigre les font
:Faire une sinistre grimace
:À leur façon, mains qu'elles sont.
 
 
:J'ai peur à les voir sur la table
:Préméditer là, sous mes yeux,
:Quelque chose de redoutable,
:D'inflexible et de furieux.
 
 
:La main droite est bien à ma droite,
:L'autre à ma gauche, je suis seul.
:Les linges dans la chambre étroite
:Prennent des aspects de linceul,
 
 
:Dehors le vent hurle sans trêve,
:Le soir descend insidieux...
:Ah ! si ce sont des mains de rêve,
:Tant mieux, - ou tant pis, - ou tant mieux.
 
 
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:Les morts que l’on fait saigner dans leur tombe
:&nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; Se vengent toujours.
:Ils ont leur manière, et plaignez qui tombe
:&nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; Sous leurs grands coups sourds.
:Mieux vaut n’avoir jamais connu la vie,
:Mieux vaut la mort lente d’autres suivie,
:Tant le temps est long, tant les coups sont lourds.
 
 
:Les vivants qu’on fait pleurer comme on saigne
:&nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; Se vengent parfois.
:Ceux-là qu’ils ont pris, qu’un chacun les plaigne,
:&nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; Pris entre leurs doigts.
:Mieux vaut un ours et les jeux de sa patte,
:Mieux vaut cent fois le chanvre et sa cravate,
:Mieux vaut l’édredon d’Othello cent fois.
 
 
:Ô toi, persécuter, crains le vampire
:&nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; Et crains l’étrangleur :
:Leur jour de colère apparaîtra pire
:&nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; Que toute douleur.
:Tiens ton âme prête à ce jour ultime
:Qui surprendra l’assassin comme un crime
:Et fondra sur le vol comme un voleur.
<br />
 
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:Le Point du Jour, le point blanc de Paris,
:Le seul point blanc, grâce à tant de bâtisse
:Et neuve et laide et que je t’en ratisse,
:Le Point du Jour aurore des paris !
 
 
:Le bonneteau fleurit « dessur » la berge,
:La bonne tôt s’y déprave, tant pis
:Pour elle et tant mieux pour le birbe gris
:Qui lui du moins la croit encore vierge.
 
 
:Il a raison le vieux, car voyez donc
:Comme est joli toujours le paysage :
:Paris au loin, triste et gai, fol et sage,
:Et le Trocadéro, ce cas, au fond,
 
 
:Puis la verdure et le ciel et les types
:Et la rivière obscène et molle, avec
:Des gens trop beaux, leur cigare à leur bec,
:Épatants ces metteurs-au-vent de tripes !
<br />
 
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:Ce n’est pas Pierrot en herbe
:Non plus que Pierrot en gerbe,
:C’est Pierrot, Pierrot, Pierrot.
:Pierrot gamin, Pierrot gosse,
:Le cerneau hors de la cosse,
:C’est Pierrot, Pierrot, Pierrot !
 
 
:Bien qu’un rien plus haut qu’un mètre,
:Le mignon drôle sait mettre
:Dans ses yeux l’éclair d’acier
:Qui sied au subtil génie
:De sa malice infinie
:De poète-grimacier.
 
 
:Lèvres rouge-de-blessure
:Où sommeille la luxure,
:Face pâle aux rictus fins,
:Longue, très accentuée,
:Qu’on dirait habituée
:À contempler toutes fins,
 
 
:Corps fluet et non pas maigre,
:Voix de fille et non pas aigre,
:Corps d’éphèbe en tout petit,
:Voix de tête, corps en fête,
:Créature toujours prête
:À soûler chaque appétit.
 
 
:Va, frère, va, camarade,
:Fais le diable, bats l’estrade
:Dans ton rêve et sur Paris
:Et par le monde, et sois l’âme
:Vile, haute, noble, infâme
:De nos innocents esprits !
 
 
:Grandis, car c’est la coutume,
:Cube ta riche amertume,
:Exagère ta gaieté,
:Caricature, auréole,
:La grimace et le symbole
:De notre simplicité !
<br />
 
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:Les courses furent intrépides
:(Comme aujourd'hui le repos pèse !)
:Par les steamers et les rapides.
:(Que me veut cet at home obèse ?)
 
 
:Nous allions, - vous en souvient-il,
:Voyageur où ça disparu ? -
:Filant légers dans l'air subtil,
:Deux spectres joyeux, on eût cru !
 
 
:Car les passions satisfaites
:Insolemment outre mesure
:Mettaient dans nos têtes des fêtes
:Et dans nos sens, que tout rassure,
 
 
:Tout, la jeunesse, l'amitié,
:Et nos cœurs, ah ! que dégagés
:Des femmes prises en pitié
:Et du dernier des préjugés,
 
 
:Laissant la crainte de l'orgie
:Et le scrupule au bon ermite,
:Puisque quand la borne est franchie
:Ponsard ne veut plus de limite.
 
 
:Entre autres blâmables excès
:Je crois que nous bûmes de tout,
:Depuis les plus grands vins français
:Jusqu'à ce faro, jusqu'au stout,
 
 
:En passant par les eaux-de-vie
:Qu'on cite comme redoutables,
:L'âme au septième ciel ravie,
:Le corps, plus humble, sous les tables.
 
 
:Des paysages, des cités
:Posaient pour nos yeux jamais las ;
:Nos belles curiosités
:Eussent mangé tous les atlas.
 
 
:Fleuves et monts, bronzes et marbres,
:Les couchants d'or, l'aube magique,
:L'Angleterre, mère des arbres,
:Fille des beffrois, la Belgique,
 
 
:La mer, terrible et douce au point, -
:Brochaient sur le roman très cher
:Que ne discontinuait point
:Notre âme, - et quid de notre chair ?...
 
 
:Le roman de vivre à deux hommes
:Mieux que non pas d'époux modèles,
:Chacun au tas versant des sommes
:De sentiments forts et fidèles.
 
 
:L'envie aux yeux de basilic
:Censurait ce mode d'écot :
:Nous dînions du blâme public
:Et soupions du même fricot.
 
 
:La misère aussi faisait rage
:Par des fois dans le phalanstère :
:On ripostait par le courage,
:La joie et les pommes de terre.
 
 
:Scandaleux sans savoir pourquoi,
:(Peut-être que c'était trop beau)
:Mais notre couple restait coi
:Comme deux bons porte-drapeau,
 
 
:Coi dans l'orgueil d'être plus libres
:Que les plus libres de ce monde,
:Sourd aux gros mots de tous calibres,
:Inaccessible au rire immonde.
 
 
:Nous avions laissé sans émoi
:Tous impédiments dans Paris,
:Lui quelques sots bernés, et moi
:Certaine princesse Souris,
 
 
:Une sotte qui tourna pire...
:Puis soudain tomba notre gloire,
:Tels nous des maréchaux d'empire
:Déchus en brigands de la Loire,
 
 
:Mais déchus volontairement.
:C'était une permission,
:Pour parler militairement,
:Que notre séparation,
 
 
:Permission sous nos semelles,
:Et depuis combien de campagnes !
:Pardonnâtes-vous aux femelles ?
:Moi j'ai peu revu ces compagnes,
 
 
:Assez toutefois pour souffrir.
:Ah, quel cœur faible que mon cœur !
:Mais mieux vaut souffrir que mourir
:Et surtout mourir de langueur.
 
 
:On vous dit mort, vous. Que le Diable
:Emporte avec qui la colporte
:La nouvelle irrémédiable
:Qui vient ainsi battre ma porte !
 
 
:Je n'y veux rien croire. Mort, vous,
:Toi, dieu parmi les demi-dieux !
:Ceux qui le disent sont des fous.
:Mort, mon grand péché radieux,
 
 
:Tout ce passé brûlant encore
:Dans mes veines et ma cervelle
:Et qui rayonne et qui fulgore
:Sur ma ferveur toujours nouvelle !
 
 
:Mort tout ce triomphe inouï
:Retentissant sans frein ni fin
:Sur l'air jamais évanoui
:Que bat mon cœur qui fut divin !
 
 
:Quoi, le miraculeux poème
:Et la toute-philosophie,
:Et ma patrie et ma bohème
:Morts ? Allons donc ! tu vis ma vie !
 
con
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:Il eut des temps quelques argents
:Et régla ses camarades
:D’un sexe ou deux, intelligents
:Ou charmants, ou bien les deux grades,
:Si que dans les esprits malades
:Sa bonne réputation
:Subit que de dégringolades !
:Lucullus ? Non. Trimalcion.
 
 
:Sous ses lambris, c’étaient des chants
:Et des paroles point trop fades.
:Eros et Bacchos indulgents
:Présidaient à ces sérénades
:Qu’accompagnaient des embrassades.
:Puis chœurs et conversation
:Cessaient pour des fins peu maussades.
:Lucullus ? Non. Trimalcion.
 
 
:L’aube pointait et ces méchants
:La saluaient par cent aubades
:Qui réveillaient au loin les gens
:De bien, et par mille rasades.
:Cependant de vagues brigades
:— Zèle ou dénonciation —
:Verbalisaient chez des alcades.
:Lucullus ? Non. Trimalcion.
 
 
::::Envoi
 
 
:Prince, ô très haut marquis de Sade,
:Un souris pour votre scion
:Fier derrière sa palissade.
:Lucullus ? Non. Trimalcion.
<br />
 
Ligne 1 678 :
 
 
:Ô poète, faux pauvre et faux riche, homme vrai,
:Jusqu'en l'extérieur riche et pauvre pas vrai,
:(Dès lors, comment veux-tu qu'on soit sûr de ton cœur ?)
:Tour à tour souple drôle et monsieur somptueux,
:Du vert clair plein d'« espère » au noir componctueux,
:Ton habit a toujours quelque détail blagueur.
 
 
:Un bouton manque. Un fil dépasse. D'où venue
:Cette tache - ah ça, malvenue ou bienvenue ? -
:Qui rit et pleure sur le cheviot et la toile ?
:Nœud noué bien et mal, soulier luisant et terne.
:Bref, un type à se pendre à la Vieille Lanterne
:Comme à marcher, gai proverbe, à la belle étoile.
 
 
:Gueux, mais pas comme ça, l'homme vrai, le seul vrai,
:Poète, va, si ton langage n'est pas vrai,
:Toi l'es, et ton langage, alors ! Tant pis pour ceux
:Qui n'auront pas aimé, fous comme autant de tois,
:La lune pour chauffer les sans femmes ni toits,
:La mort, ah, pour bercer les cœurs malechanceux,
 
 
:Pauvres cœurs mal tombés, trop bons et très fiers, certes
:Car l'ironie éclate aux lèvres belles, certes,
:De vos blessures, cœurs plus blessés qu'une cible,
:Petits sacrés cœurs de Jésus plus lamentables,
:Va, poète, le seul des hommes véritables,
:Meurs sauvé, meurs de faim pourtant le moins possible.
 
 
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:Ma douce main de maîtresse et d’amant
:Passe et rit sur ta chère chair en fête,
:Rit et jouit de ton jouissement.
:Pour la servir tu sais bien qu’elle est faite,
:Et ton beau corps faut que je le dévête
:Pour l’enivrer sans fin d’un art nouveau
:Toujours dans la caresse toujours prête.
:Je suis pareil à la grande Sappho.
 
 
:Laisse ma tête errant et s’abîmant
:À l’aventure, un peu farouche, en quête
:D’ombre et d’odeur et d’un travail charmant
:Vers les saveurs de ta gloire secrète.
:Laisse rôder l’âme de ton poète
:Partout par là, champ ou bois, mont ou vau,
:Comme tu veux et si je le souhaite.
:Je suis pareil à la grande Sappho.
 
 
:Je presse alors tout ton corps goulûment,
:Toute ta chair contre mon corps d’athlète
:Qui se bande et s’amollit par moment,
:Heureux du triomphe et de la défaite
:En ce conflit du cœur et de la tête.
:Pour la stérile étreinte où le cerveau
:Vient faire enfin la nature complète
:Je suis pareil à la grande Sappho.
 
 
::::Envoi
 
 
:Prince ou princesse, honnête ou malhonnête,
:Qui qu’en grogne et quel que soit son niveau,
:Trop su poète ou divin proxénète,
:Je suis pareil à la grande Sappho.
<br />
 
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:Guerrière, militaire et virile en tout point,
:La sainte Chasteté que Dieu voit la première
:De toutes les vertus marchant dans sa lumière
:Après la Charité distante presque point
 
 
:Va d'un pas assuré mieux qu'aucune amazone
:À travers l'aventure et l'erreur du Devoir,
:Ses yeux grands ouverts pleins du dessein de bien voir,
:Son corps robuste et beau digne d'emplir un trône,
 
 
:Son corps robuste et nu balancé noblement,
:Entre une tête haute et des jambes sereines,
:Du port majestueux qui sied aux seules reines,
:Et sa candeur la vêt du plus beau vêtement.
 
 
:Elle sait ce qu'il faut qu'elle sache des choses,
:Entre autres que Jésus a fait l'homme de chair
:Et mis dans notre sang un charme doux-amer
:D'où doivent découler nos naissances moroses,
 
 
:Et que l'amour charnel est bénit en des cas.
:Elle préside alors et sourit à ces fêtes,
:Dévêt la jeune épouse avec ses mains honnêtes
:Et la mène à l'époux par des tours délicats.
 
 
:Elle entre dans leur lit, lève le linge ultime,
:Guide pour le baiser et l'acte et le repos
:Leurs corps voluptueux aux fins de bons propos
:Et désormais va vivre entre eux, leur ange intime.
 
 
:Puis, au-dessus du Couple ou plutôt à côté,
:- Bien agir fait s'unir les vœux et les nivelle -
:Vers le Vierge et la Vierge isolés dans leur belle
:Thébaïde à chacun la sainte Chasteté,
 
 
:Sans quitter les Amants, par un charmant miracle,
:Vole et vient rafraîchir l'Intacte et l'Impollu
:De gais parfums de fleurs comme s'il avait plu
:D'un bon orage sur l'un et l'autre habitacle,
 
 
:Et vêt de chaleur douce au point et de jour clair
:La cellule du Moine et celle de la Nonne,
:Car s'il nous faut souffrir pour que Dieu nous pardonne
:Du moins Dieu veut punir, non torturer la chair.
 
 
:Elle dit à ces chers enfants de l'Innocence :
:Dormez, veillez, priez. Priez surtout, afin
:Que vous n'ayez pas fait tous ces travaux en vain,
:Humilité, douceur et céleste ignorance !
 
 
:Enfin elle va chez la Veuve et chez le Veuf,
:Chez le vieux Débauché, chez l'Amoureuse vieille,
:Et leur tient des discours qui sont une merveille
:Et leur refait, à force d'art, un corps tout neuf.
 
 
:Et quand alors elle a fini son tour du monde,
:Tour du monde ubiquiste, invisible et présent,
:Elle court à son point de départ en faisant
:Tel grand détour, espoir d'espérance profonde ;
 
 
:Et ce point de départ est un lieu bien connu,
:Eden même : là sous le chêne et vers la rose,
:Puisqu'il paraît qu'il n'a pas à faire autre chose,
:Rit et gazouille un beau petit enfant tout nu.
 
 
:::::::Paul Verlaine
:::::::(Mai 1889.)