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AVERTISSEMENT
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<references/>
DE L’ÉDITEUR
 
Lysimaque parut dans le Mercure de France, au mois de décembre 1754
<ref>Il fut d’abord imprimé dans l’Histoire de la Société des sciences et belles-lettres de Nancy, publiée par M. de Solignac.</ref>. En tête de l’article, les éditeurs du journal mirent la note suivante :
 
L’auteur de l’Esprit des lois nous a permis d’imprimer le morceau suivant qu’il a fait pour l’académie de Nancy ; cette fiction est si intéressante et si noble qu’il n’est pas possible de la lire sans aimer et sans admirer le grand prince qui en est l’objet.
 
Ce grand prince, est-il besoin de le dire, était l’ancien roi de Pologne, Stanislas Leczinski, surnommé le Bienfaisant.
 
Montesquieu connaissait le roi Stanislas. Au mois de juin 1747, il avait fait un voyage en Lorraine avec madame de Mirepoix. « J’ai été comblé de bontés et d’honneur à la cour de Lorraine, écrit-il en juillet 1747 ; j’ai passé des moments délicieux avec le roi Stanislas. » A Lunéville, on aimait les lettres ; c’était une bonne fortune que de posséder un homme aussi savant et aussi aimable que l’était Montesquieu. « J’en appelle à tous ceux qui l’ont vu à notre cour, disait, en 1755, le chevalier de Solignac. Ils nous diront que sa physionomie avait toute la naïveté de son âme. Véritablement il étonnait par l’excès de sa franchise, et l’on avait peine à décider si, malgré la vivacité de son esprit, il n’ignorait pas plutôt les artifices qu’il ne dédaignait de s’en servir : doit-on être surpris après cela si sa candeur attirait la confiance ?
<ref>Éloge historique de M. le président de Montesquieu. Nancy, 1755, p. </ref> »
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On voit que Montesquieu se faisait tout à tous. Au besoin même, pour être agréable au roi Stanislas, il devint poète et galant, et fit le portrait de Mme de Mirepoix :
 
La beauté que je chante ignore ses appas.
 
Mortels qui la voyez, dites-lui qu’elle est belle,
 
Naïve, simple, naturelle,
 
Et timide sans embarras, etc.
 
« Le portrait de Mme de Mirepoix, écrivait-il quelques années plus tard à son ami Venuti, a fait à Paris et à Versailles une très-grande fortune ;... vous savez que tout ceci est une badinerie qui fut faite à Lunéville, pour amuser une minute le roi de Pologne. »
 
Stanislas voulut avoir à Nancy une Société royale des sciences et belles-lettres. Tout petit prince a l’ambition d’avoir une académie, et de toutes les ambitions c’est assurément la plus innocente. Montesquieu témoigna le désir d’être reçu des premiers dans cette Société ; et par une ingénieuse flatterie c’est à Stanislas lui-même qu’il s’adressa pour solliciter son entrée à l’Académie :
 
« Sire, il faudra que Votre Majesté ait la bonté de répondre elle-même à son académie du mérite que je puis avoir. Sur son témoignage, il n’y aura personne qui ne m’en croie beaucoup. Votre Majesté voit que je ne perds aucune des occasions qui peuvent un peu m’approcher d’elle, et quand je pense aux grandes qualités de Votre Majesté, mon admiration demande toujours de moi ce que le respect veut me défendre. »
 
A cette aimable lettre le roi de Pologne fit une réponse aussi gracieuse que spirituelle :
 
« Monsieur, je ne puis que bien augurer de ma société littéraire, du moment qu’elle vous inspire le désir d’y être reçu. Un nom aussi distingué que le vôtre dans la république des lettres, un mérite plus grand encore que votre nom, doivent la flatter sans doute, et ce qui la flatte me touche sensiblement. Je viens d’assister à une de ses séances particulières : votre lettre, que j’ai fait lire, a excité une joie qu’elle s’est chargée elle-même de vous exprimer. Elle serait bien plus grande cette joie, si la Société pouvait se promettre de vous posséder de temps en temps. Ce bonheur, dont elle connaîtrait le prix, en serait un pour moi, qui serais véritablement ravi de
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vous revoir à ma cour. Mes sentiments pour vous sont toujours les mêmes, et jamais je ne cesserai d’être bien sincèrement, monsieur, votre bien affectionné.
 
« STANISLAS, roi. »
 
Nommé par acclamation, Montesquieu voulut acquitter une dette de reconnaissance ; il écrivit Lysimaque, et le 4 avril 1751, il l’envoya de Paris à M. de Solignac, secrétaire de la Société littéraire de Nancy, en y joignant la lettre suivante :
 
« Monsieur, je crois ne pouvoir mieux faire mes remercîments à la Société littéraire, qu’en payant le tribut que je lui dois, avant même qu’elle me le demande, et en faisant mon devoir d’académicien au moment de ma nomination. Et comme je fais parler un monarque que ses grandes qualités élevèrent au trône de l’Asie, et à qui ces mêmes qualités firent éprouver de grands revers, je le peins comme le père de la patrie, l’amour et les délices de ses sujets ; j’ai cru que cet ouvrage convenait mieux à votre Société qu’à toute autre. Je vous supplie d’ailleurs de vouloir bien lui marquer mon extrême reconnaissance, etc. »
 
La Société de Nancy ne se méprit point sur l’intention qu’avait eu Montesquieu en choisissant un héros éprouvé par de longues infortunes, et devenu dans ses vieux jours le souverain adoré d’un peuple qu’il rend heureux. « Nous nous rappellerons longtemps avec plaisir les applaudissements que reçut cet ouvrage. Nous crûmes apercevoir dans Lysimaque l’objet continuel de notre admiration et de nos hommages
<ref>Solignac, Éloge de Montesquieu, p. </ref>. » En deux mots, Lysimaque c’était Stanislas.
 
Toutefois on se tromperait beaucoup si l’on cherchait dans Lysimaque des allusions à la vie agitée du roi de Pologne, véritable roman d’aventures, qu’on est tout étonné de rencontrer au XVIIIe siècle. C’est la grandeur morale d’un prince éprouvé par l’infortune qu’a voulu peindre Montesquieu ; c’est par la force du caractère et par la bonté que Lysimaque fait penser à Stanislas.
 
M. Villemain a apprécié avec une grande finesse ces pages exquises :
 
« Ce talent singulier d’expliquer, de peindre et d’imiter l’antiquité ne
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paraîtrait pas tout entier, si l’on oubliait un de ces précieux fragments où l’homme supérieur révèle d’autant mieux sa force qu’il l’a concentré sur un espace plus borné. Montesquieu ne serait pas le peintre de l’antiquité le plus énergique et le plus vrai, s’il n’avait point retracé cette philosophie stoïcienne, la plus haute conception de l’esprit humain, et, parmi les erreurs populaires du paganisme, la seule et véritable religion des grandes âmes. Quand on aura lu l’hymne sublime que Cléanthe le stoïcien adressait à la divinité adorée sous tant de noms divers, au créateur, qui a tout fait dans le monde, excepté le mal qui sort du cœur du méchant ; quand on aura médité dans Platon la résignation du juste condamné ; quand on saura par cœur les pensées d’Épictète et le règne de Marc-Aurèle, on devra s’étonner encore du langage retrouvé par Montesquieu dans l’épisode de Lysimaque. Ce spiritualisme altier, ce mépris de la terre, cet orgueil et cette joie de la douleur qui rendaient les âmes invincibles, qui les rendaient heureuses ; toutes les grandeurs morales luttant contre la puissance, la cruauté d’Alexandre ; Lysimaque, que les dieux préparent pour consoler la terre ; quelle vérité historique, quelle éloquence sans modèle, quels acteurs, et quel intérêt ! Quelques pages ont suffi pour tout dire et tout peindre.
<ref>Villemain, Éloge de Montesquieu. </ref> »
 
Qu’on ne s’étonne pas du goût que Montesquieu avait pour les stoïciens. Chacun de nous ici-bas se fait un idéal de vertu et de grandeur morale. Cet idéal pour l’auteur de Lysimaque, c’était le stoïcisme
<ref>Esprit des lois, XXIV, </ref> ; il en admirait tout, jusqu’à ce mépris de la vie qui mène au suicide. Fort injuste pour le christianisme dans les Lettres persanes, Montesquieu est revenu à une plus juste estime de la religion ; mais Antonin, mais Marc-Aurèle, mais Julien lui-même, ont toujours été à ses yeux les princes les plus dignes de gouverner les hommes. Il n’a jamais pu se faire à cette histoire de la décadence romaine, histoire remplie par les querelles de l’Église et de l’État, par les persécutions des lettres, de la philosophie, de la libre pensée ; il regardait toutes ces disputes théologiques comme le déshonneur d’une nation. De là son goût pour la liberté romaine et pour la philosophie de la Grèce. Sa patrie ce n’était pas Constautinople, c’était Rome, c’était Athènes dans ses beaux jours. « J’ai eu toute ma vie, disait-il, un goût décidé pour les ouvrages des anciens ; j’ai admiré plusieurs critiques faites contre eux, mais j’ai toujours admiré les anciens. J’ai étudié mon goût, et j’ai examiné si ce n’était point un de ces
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goûts malades sur lesquels on ne doit faire aucun fond ; mais plus j’ai examiné, plus j’ai senti que j’avais raison d’avoir senti comme j’ai senti
<ref>Pensées diverses.</ref>. »
 
C’est à ce pur sentiment de l’antiquité que nous devons Lysimaque.
 
Décembre 1875.