« Histoire d’Agathon ou Tableau philosophique des moeurs de la Grèce - Tome 2 » : différence entre les versions

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Ils peuvent bien faire des observations : mais privés de cette espéce d’instinct, de ce sentiment <!--Page 126-->sympathique qui fait que ces derniers se découvrent si subitement & si sûrement, ou, pour mieux dire, privés de la faculté de voir comme les autres, ils ne peuvent jamais, malgré leurs efforts, se mettre à leur place & leur ressembler. Ils restent toujours dans un pays inconnu où leurs pensées & leurs attentes sont trompées à chaque instant par des accidens imprévus ou des changemens inopinés.
 
Agathon, avec tous ses talens, n’en étaitétoit pas moins de cette classe. Il n’est donc pas surprenant que, malgré les profondes méditations qu’il fit sur l’entretien d’Hippias, il ne devina point les pensées dont ce Sage étoit occupé, & qu’il ne sut pas davantage que le mau<!--Page 127-->vais succès de son entreprise & le caprice extraordinaire qui l’avoit fit échouer avoit offensé sa vanité beaucoup plus qu’il ne le faisoit paroître. Hippias, en s’imaginant qu’Agathon fût effectivement ce qu’il sembloit être, le regardoit avec fondement comme une réfutation vivante de son systême. « Comment,» disoit-il, en se parlant à lui-même, circonstance qui lui arrivoit rarement, « j’ai vécu plus de quarante ans dans le monde. J’y ai vu une multitude d’hommes. Je n’en ai pas trouvé un seul qui n’ait applaudi à mes idées sur la nature humaine, & ce jeune homme m’aprendroit à croire à la vertu ?&hellip; Oh ! cela n’est pas possible&hellip; C’est un fanatique ou un hi<!--Page 128-->pocrite&hellip; Quel qu’il soit je prétends le pénétrer&hellip; Il me vient une idée&hellip; Mais&hellip; oui&hellip; elle est excellente&hellip; ce moyen me réussira&hellip; Il ne poura échapper. Il succombera s’il est fanatique & si ce n’est qu’un charlatan il se démasquera. Il a résisté à Cyane. Il en est fier, il en a pris plus d’assurance, qu’importe ? Cela ne prouve encore rien. L’épreuve à laquelle je le destine est bien plus forte&hellip; S’il en triomphe je n’y conçois plus rien. Il faut qu’il soit&hellip; Mais je sçais le parti que j’aurai alors à prendre. Il a eu l’audace de me l’indiquer&hellip; Je chasserai toutes mes esclaves&hellip; Je donnerai mon palais aux Prétres de Cybèle&hellip; Je me reti<!--Page 129-->rerai sur les rives du Gange&hellip; Je me fourerai dans un vieux palmier, & là les yeux fermés & la tête baissée & entre mes genoux, je resterai dans la même posture jusqu’à ce qu’en dépit de mes sens je m’imagine que je n’éxiste plus&hellip;»
 
Ce vœu, sans doute, étoit dur : mais Hippias étoit convaincu qu’il ne seroit point obligé de l’accomplir, & pour ne point perdre de temps, il se prépara dès le même jour à exécuter son dessein.