« Histoire d’Agathon ou Tableau philosophique des moeurs de la Grèce - Tome 2 » : différence entre les versions

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=== CHAPITRE II. Hippias rend visite à une Dame ===
 
LES Dames de Smirne avoient une coutume qui faisoit plus d’hon<!--Page 130-->heur à leur beauté qu’à leur modestie. Elles étoient dans l’habitude de prendre, les après-midi, pendant les mois chauds, des bains rafraichissans, & pour ne point s’y ennuyer, elles recevoient, pendant ce temps la visite des hommes à qui elles avoient accordé une libre entrée dans leurs maisons. Nos Dames aujourd’hui, les admettent à leur toilette : y ont-ils perdu ? Ce nouvel usage, ce semble, vaut bien l’autre. Il y a pourtant cette différence remarquable. C’est qu’à Smirne cette liberté ne s’accordaits’accordoit qu’aux amis dans la rigueur du mot. Les amans en étoient entiérement exclus. Il falloit, du moins, qu’ils fussent tout-à-fait novices. Alors, la nécessité de les instruire, de les en<!--Page 131</small>courager & de vaincre leur timidité, forçoit de passer les bornes prescrites.
 
Hippias jouissoit de ce privilège chez presque toutes les beautés : mais elles ne lui inspiroient pas également le désir d’en faire usage. Il s’étoit fait un choix. Celle qui s’attiroit le plus sa préférence étoit la belle Danaë. Elle tenoit le premier rang dans la classe de ces Dames auxquelles les Grecs donnoient le nom d’''amies'', & qui n’étoient pas moins connues sous le titre de ''Dames de société''. Ces Dames étoient, dans leur sexe, ce que les Sophistes étoient dans le leur. Elles ne jouissoient pas d’une moindre considération. Elles pouvoient se vanter, qu’excepté l’austère vertu, qui fait toujours bande <!--Page 132-->à part, les modèles les plus parfaits de la beauté, les Aspalies, les Leontium, les Phryné<ref group="II">Fameuses Courtisanes.</ref> n’eussent point hésité à se mettre dans leur société. Danaë, de l’aveu de tous les hommes de Smirne, surpassoit en attraits toutes les autres Dames, 1es galantes, les prudes, les vertueuses & les dévotes. Il est vrai que l’histoire ne dit point que les Dames aient confirmé cette opinion par leur suffrage : mais il est certain qu’il n’y en avoit pas une qui ne convînt qu’à l’exception d’une certaine personne qu’elle ne se permettoit jamais de nommer publiquement, la belle Danaë effaçoit autant les autres qu’elle étaitétoit elle-même eclipsée par cette modeste anoni<!--Page 133-->me. Sa gloire étoit effectivement si bien établie de ce côté-là qu’on ne trouvoit rien d’extraordinaire au bruit qui s’étoit répandu que, dans les premieres années de sa jeunesse, elle avoit servi de modèle aux Peintres les plus célebres, & que c’étoit même de là qu’elle avoit obtenu le nom sous lequel elle étoit si connue en Ionie. Elle étoit déja à sa trentieme année ; mais sa beauté y avoit plus gagné que perdu. L’éclat éblouissant de la jeunesse, qui disparoit ordinairement, avec le Printems de la vie, étoit remplacé par mille autres charmes, qui au jugement des connoisseurs, lui donnoient un empire auquel il étoit impossible de résister. Hippias cependant, sous l’égide de l’indifférence <!--Page 134-->dans laquelle le laissoient alors les plus belles femmes, ne craignoit point d’exposer souvent sa vertu à ce danger. C’étoit singulierement à titre d’ami qu’il plaisoit à la belle Danaë : mais, si l’on en croit l’Histoire sécrette, elle ne l’avoit pas autrefois trouvé indigne d’occuper près de sa personne une place plus intéressante, ce qu’elle ne confioit jamais qu’aux hommes les plus aimables. Enfin, c’étoit d’elle qu’Hippias vouloit emprunter le secours, dont il avoit besoin, pour l’exécution du projet qu’il avoit formé contre Agathon. Il vouloit, à quelque prix que ce fût, vaincre cette vertu fanatique qui contrarioit si fort ses opinions. Il se rendit donc chez elle à l’heure <!--Page 135-->ordinaire ; c’est-à-dire pendant qu’elle étoit dans le bain, & que deux jeunes Esclaves plus beaux que l’Amour lui rendoient tous les petits services que cette situation éxigeoit. A peine le vit-elle qu’elle s’apperçut â l’air de son visage, qu’il étoit occupé de quelque chose d’extraordinaire.
 
« Mais qu’as-tu donc Hippias, lui dit-elle, tu parois rêveur.»