« La Colline inspirée/XIV » : différence entre les versions

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= CHAPITRE XIV LA COLLINE RESPIRE =
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Trois mois après la journée de la Pentecôte, qui avait vu l’écrasement des Enfants du Carmel, sur la fin d’une après-midi d’octobre, une ombre se glissait dans Saxon et jusqu’à la maison de Marie-Anne Sellier, une ombre misérable : c’était François, mis en liberté après avoir subi sa peine, François, maigre, efflanqué, demi-fou, qui regagnait son gîte. Chez la veuve compatissante, il retrouva la pauvre sœur Euphrasie, et tous trois, baissant la voix, passèrent la nuit à causer de Léopold qui, depuis Londres, avait enjoint à''' '''son cadet de rentrer sur la sainte colline pour y donner ses soins à la petite communauté.
 
Le grand François qui est revenu ! Cette nouvelle fit une prodigieuse explosion dans tout le village. Les enfants, avertis au sortir de l’école, s’élancèrent joyeusement, leurs sabots à la main, sur les pentes du plateau et attendirent le pauvre homme, là-haut, devant l’église où son premier soin avait été de monter pour y prier et pour s’y déchirer le cœur. Il apparut. Quelle mascarade ! Défense lui avait é
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été signifiée de porter dorénavant le costume ecclésiastique. Il était vêtu d’une longue redingote noire et d’un vieux pantalon, chaussé de gros souliers crevés et coiffé d’un gibus informe. Une abondante chevelure retombait presque sur ses épaules. Son nez s’était allongé, ses joues flétries et creusées, sa haute taille voûtée. Entouré, assailli par cette nuée sans pitié, on eût dit un mannequin des champs qui a cessé d’effrayer les oiseaux. L’Oblat, un peu caché dans le corridor de la cure, comparait ce cortège de carnaval avec les processions que les Baillard menaient jadis sur le plateau, et il admirait la justice de Dieu.
 
Pour le pauvre revenant, ainsi bafoué par des polissons à qui récemment encore il faisait le catéchisme, ce qui lui retourna le cœur, c’est quand il vit la chienne de Léopold, la Mouya, la Meilleure, qui se tenait la queue basse sur le seuil de la cure où, depuis la grande catastrophe, elle avait trouvé sa pâtée. Effrayée par tout ce tapage, la bête n’eut aucun mouvement vers son ancien maître, qui, lui-même, sentant l’impossibilité d’une nouvelle rixe, tâchait de regagner au plus vite sa niche.
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Un jour, en effet, le captif de Londres n’y tient plus. Il veut sortir du dur exil de son âme. Cette ville noire, confuse, inexistante pour lui, cette ville que son regard n’a jamais fixée, où son âme n’a rien puisé, il l’abandonne dans un coup de passion : il court vers sa montagne de Sion, claire, mélodieuse et vraie ; il déserte le lieu stérile et qui jamais ne produira pour lui de feuilles ni de fruits, et d’un tel élan qu’il ne calcule pas et qu’a peine débarqué en France, on l’arrête, on le jette en prison pour qu’il y purge sa condamnation…
 
Une
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Une année encore, une année où il ne voit rien, ne reçoit rien de l’extérieur, où il ne fait que se durcir et se ramasser dans sa pensée comme dans une plus étroite caverne. Mais au sortir de cette prison d’Angers, en 1857, après une année de détention et quatre d’exil, cinq ans après la nuit de tragédie qu’il a passée dans les ruines de la vieille tour, il ne fait qu’une envolée jusqu’à Saxon. Ses deux frères l’y attendent avec Marie-Anne Sellier, avec les sœurs Euphrasie et Quirin, avec quelques fidèles, tout un petit peuple, plein de modestie, de bonne volonté et d’émotion. Le pauvre François, bien changé, bien affaibli, mais tout heureux, le serre dans ses bras. Ce beau jour est son œuvre. Une fois encore, Ariel a ranimé les flammes éteintes dans l’île de Prospéro. Charmant François ! Il a fait l’office du bon chien de berger, au cœur fidèle, resté seul sur le domaine abandonné et qui saisit avec un bond. joyeux le moment de rassembler ses moutons dispersés.
 
La colline de Sion Vaudémont a réellement fasciné les Baillard. Léopold l’a aimée d’un amour qui venait quasi des arrière-fonds de sa nature animale. Quel pouvoir exerçait-elle sur cette âme primitive ? On songe à ce lac bleu