« Histoire d’Agathon ou Tableau philosophique des moeurs de la Grèce - Tome 2 » : différence entre les versions

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=== CHAPITRE III Histoire de la belle Danaë. ===
 
LaLA Dame qu’on vient de voir, inspire sans doute, la curiosité de la mieux connoître. Nous nous prétonsprêtons d’autant plus volontiers à ce désir, que la suite de cette histoire paroît éxiger que l’on sçache bien qui est la belle Danaë.
 
<!--Page 152-->C’étoit une opinion universelle à Smirne, qu’elle étoit fille de la fameuse Aspasie de Milet. Cette beauté célébre après avoir, comme on sçait, porté dans son pays natal, l’art de la galanterie au plus haut degré de perfection qu’il peut atteindre en y joignant le vernis de la Philosophie & le secours des beaux Arts, étoit venue s’établir à Athènes. Elle y avoit fait un usage si prudent de ses charmes, qu’elle étoit devenue la maîtresse absolue de Périclès, ou comme s’exprimoient les poètes comiques de son temps, la Junon de Jupiter Athénien. Il dominoit sur toute la Gréce, & elle dominoit sur lui. On prétendait donc, à Smirne, que la belle Danaë lui devoir le jour : mais la certitude de l’his<!--Page 153-->toire doit l’emporter sur l’opinion publique, sur-tout quand ce sont des historiens recommandables qui donnent un témoignage différent. Danaë, selon tout ce qui est écrit, avoit une autre origine. Elle étoit née dans l’Isle de Scios. Après la mort de ses parens elle vint avec son frére à Athènes ; elle n’avoit alors que quatorze ans. Tous les talens agréables étaient accueillis dans cette Ville. Elle en avoit plusieurs : il n’est pas rare que ce soit souvent là la seule fortune de ceux qui les possédent ; & c’étoit toute la sienne. Elle excelloit principalement dans l’art de la danse, & singulierement dans une espéce de danse Pantomime, qui étoit alors fort en vogue. Elle <!--Page 154-->n’éxigeoit ordinairement qu’une ou deux personnes, qui, par des attitudes & des mouvemens réglés sur la modulation d’une flûte ou d’une lyre, figuroient quelques morceaux de la Mithologie ou de l’histoire des Héros Grecs. Mais cet art étoit si répandu, qu’il pouvoit à peine lui procurer une subsistance difficile. Elle eut recours à sa beauté. Les Artistes d’Athènes se disputerent l’avantage de l’avoir pour modèle. Indépendamment des profits assez raisonnables qu’elle en retiroit, & que cette émulation ne pouvoit qu’augmenter, elle jouissoit de l’honneur d’être souvent placée sur les autels, tantôt en Diane, tantôt en Venus, & de recevoir <!--Page 155-->sous cette forme l’admiration des connoisseurs, & l’adoration du peuple.
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Les Amateurs même ne pénétroient pas dans les ateliers des Artistes, quand ils travailloient ainsi d’après nature. Cependant le jeune Alcibiade, que le hazard favorisa apparament dans cette avanture, y surprit un jour la belle Danaë dans l’attitude de la Danaë d’Acrise. Elle lui parut charmante. Il s’indigna de ce que la vue de tant de beautés était accordée à un homme qui lui étoit inférieur. D’un autre côté, la figure, les manieres, le rang & les richesses de cet aimable séducteur prévinrent si favorablement la jeune Danaë en sa faveur, qu’il n’eut pas beaucoup de peine à la <!--Page 156-->persuader de se mettre sous sa protection. Il la mena chez Aspasie. Sa maison étoit le ''rendez-vous'' des beaux esprits d’Athènes : c’étoit en même temps une école pour les Dames. Les jeunes filles, nées avec des dispositions, y recevoient sous l’inspection d’une maîtresse aussi accomplie, la plus belle éducation, & devenoient bientôt célébres par l’amusement qu’elles procuroient aux grands & aux sages de la République dans leurs heures de recréation. Danaë mit si bien à profit cet heureux évenement, qu’elle obtint l’amitié, & même à la fin, la familiarité d’Aspasie qui, n’étant point de ces ames communes & jalouses, se voyoit reproduite dans cette jeune personne, avec <!--Page 157-->tant de plaisir, qu’elle donna lieu à cette opinion dont nous avons parlé, qu’elle étoit sa mere. Cependant Alcibiade jouissoit seul de cette brillante éducation ; il en dévoroit, pour ainsi dire, tous les progrès. Ils dévinrent si rapides que la belle Danaë s’attira bientôt la reputation d’une seconde Aspasie. Mais ce qui paroîtra, sans doute, fort étrange, c’est qu’avec ce nom, qui sembloit exiger d’elle qu’elle le méritât réellement, elle s’imposa le devoir d’observer envers Alcibiade la fidelité la plus scrupuleuse. Elle étoit en cela d’autant plus étonnante, qu’il s’en falloit beaucoup qu’il ne la payât de retour. L’inconstance étoit en lui un goût bien plus dominant que l’amour que <!--Page 158-->pouvoit lui inspirer la plus belle des femmes. Tout ce que put faire Danaë, fut de se soutenir pendant quelque temps dans la premiere place : mais elle fut enfin obligée de la céder a une autre qui n’avoit pour tout mérite que le charme de la nouveauté. Elle aimoit Alcibiade & vit, sans murmure, la perte de sa prééminence. Enchantée de fon Amant & de ses qualités, elle ne s’étoit jamais souciée de tirer avantage de ses richesses.
C’étoit une opinion universelle à Smirne, qu’elle étoit fille de la fameuse Aspasie de Milet. Cette beauté célébre après avoir, comme on sçait, porté dans son pays natal, l’art de la galanterie au plus haut degré de perfection qu’il peut atteindre en y joignant le vernis de la Phïlosophie & le secours des beaux Arts, étoit venue s’établir à Athènes. Elle y avoit fait un usage si prudent de ses charmes, qu’elle étoit devenue la maitresse absolue de Périclès, ou comme s’exprimoient les poètes corniques de son temps, la Junon de Jupiter Athénien. Il dominoit sur toute la Gréce, & elle dominoit sur lui. On prétendait donc, à Smirne, que la belle Danaë lui devoir le jour : mais la certitude de l’his-
 
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toire doit l’emporter sur l’opinion publique, surtout quand ce sont des historiens recommandables qui donnent un témoignage différent. Danaë, selon tout ce qui est écrit, avait une autre origine. Elle étoit née dans l’Isle de Scias. Après la mort de ses parens elle vint avec son frére à Athènes ; elle n’avait alors que quatorze ans. Tous les talens agréables étaient accueillis dans cette Ville. Elle en avait plusieurs : il n’est pas rare que ce soit souvent là la feule fortune de ceux qui les possédent ; & c’était toute la sienne. Elle excellait principalement dans l’art de la danse, & singulierement dans une espéce de danse Pantomime, qui était alors fort en vogue. Elle
 
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n’éxigeoit ordinairement qu’une ou deux personnes, qui, par des attitudes & des mouvemens réglés sur la modulation d’une flûte ou d’une lyre, figuroient quelques morceaux de la Mithologie ou de l’histoire des Héros Grecs. Mais cet art étoit si répandu, qu’il pouvoit à peine lui procurer une subsistance difficile. Elle eut recours à sa beauté. Les Artistes d’Athènes se disputerent l’avantage de l’avoir pour modèle. Indépendamment des profits assez raisonnables qu’elle en retiroit, & que cette émulation ne pouvoit qu’augmenter, elle jouissoit de l’honneur d’are souvent placée sur lest autels, tantôt en Diane, tantôt en Venus, & de recevoir
 
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sous cette forme l’admiration des connoisseurs, & l’adoration du peuple.
 
Les Amateurs même ne pénétroient pas dans les ateliers des Artistes, quand ils travailloient ains d’après nature. Cependant le jeune Alcibiade, que le hazard favorisa apparament dans cette avanture, y surprit un jour la belle Danaë dans l’attitude de la Danaë d’Acrife. Elle lui parut charmante. Il s’indigna de ce que la vue de tant de beautés était accordée â un homme qui lui étoit inférieur. D’un autre côté, la figure, les manieres, le rang & les richesses de cet aimable iéduaeur prévinrent si fàvorablement la jeune Danaë en sa faveur, qu’il n’eut pas beaucoup de peine à la
 
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persuader de se mettre sous sa protection. Il la mena chez Aspasie. Sa maison étoit le rendez-vous des beaux esprits d’Athènes : c’étoit en nlt°me temps une école pour les Dames. Les jeunes filles, nées avec des dispositions, y recevoient sous l’inspection d’une maitresse aussi accomplie, la plus belle éducation, & devenoient bientôt célébres par l’amusement qu’elles procuroient aux grands & aux luges de la République dans leurs heures de recréation. Danaë mit si bien à profit cet heureux évenement, qu’elle obtint l’amitié, & in me à la fin, la familiarité d’Aspasie qui, n’étant point de ces ames communes & jalouses, se voyoit reproduite dans cette jeune personne, avec
 
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tant de plaisir, qu’elle donna lieu
 
â cette opinion dont nous avons parlé, qu’elle étoit sa mere. Cependant Alcibiade jouissoit seul de cette brillante éducation ; il en dévoroit, pour ainsi dire, tous les progrès. Ils dévinrent si rapides que la belle Danaë s’attira bientôt la reputation d’une seconde Aspasie. Mais ce qui paroîtra, sans doute, fort étrange, c’est qu’avec ce nom, qui sembloit exiger d’elle qu’elle le méritât réellement, elle s’imposa le devoir d’observer envers Alcibiade la fidelité la plus scrupuleuse. Elle étoit en cela d’autant plus étonnante, qu’il s’en falloit beaucoup qu’il ne la payât de retour. L’in-
 
confiance étoit en lui un goût bien plus dominant que l’amour que
 
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pouvoir lui inspirer la plus belle des femmes. Tout ce que put faire Danaë, fut de se soutenir pendant quelque temps dans la premiere place : mais elle fut enfin obligée de la céder a une autre qui n’avoit pour tout mérite que le charme de la nouveauté. Elle aimoit Alcibiade & vit, sans murmure, la perte de sa prééminence. Enchantée de fon Amant & de ses qualités, elle ne s’étoit jamais souciée de tirer avantage de ses richesses.
 
Elle n’auroit enfin eu de lui que le souvenir d’avoir été aimée du plus aimable homme de son temps: mais il étoit aussi fier & aussi généreux, qu’elle étoit desintéressée.