« Histoire d’Agathon ou Tableau philosophique des moeurs de la Grèce - Tome 2 » : différence entre les versions

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Le plaisir, disent-ils, n’est pas un bien, parce qu’il y a des cas où la douleur est un plus grand bien. La douleur n’est pas un mal, <!--Page 15-->parce qu’elle vaut quelquefois mieux que le plaisir. Ces jeux de mots pitoyables sont-ils dignes d’une réponse ?
 
Que seroit une situation marquée par un sentiment complet & perpétuel du plus haut degré de toutes les douleurs possibles ? Elle passeroit, sans doute, pour le plus grand mal ; la douleur est donc un mal. Mais laissons ces insensés se repaître de mots aux-quels ils attachent les idées fausses qui leur plaisent. Si c’est-la une question, la Nature la décide d’une maniére qui ne laisse aucun doute. N’aimeroit-on pas mieux être anéanti, que d’être tourmenté continuellement ? N’aime-t-on pas mieux voir un bel objet qu’un objet dégoutant? Qui est-ce <!--Page 16-->qui n’aime pas mieux le chant du rossignol que le cri du hibou ? Ne préfére-t-on pas une odeur ou un goût délicieux à un goût désagréable? Et le continent Callias, méme, n’aimeroit-i1il pas mieux reposer sur une couche de fleurs entre les bras de quelque belle Nymphe, que dans les bras de l’Idole de bronze, à laquelle la dévotion de quelques peuples de Syrie leur fait, à ce qu’on dit, sacrifier leurs enfans ? Il n’est pas moins certain que la douleur & le plaisir sont tellement incompatibles, qu’un seul nerf, désagréablement affecté, nous rend presque toujours insensibles aux charmes réunis de toutes les voluptés. L’absence de toute espéce de douleur est donc, sans contredit, absolu<!--Page 17-->ment nécessaire à la félicité : mais comme elle n’a rien de positif, elle n’est pas aussi parfaitement un bien qu’un état qui rend capable de jouir. C’est cette jouissance seule qui, par sa durée, produit ce qu’on appelle bonheur.
 
Il est vrai que toutes les espèces de degrés de plaisir ne sont pas également bons. La Nature, seule, a le droit de nous indiquer les plaisirs qu’elle nous a destinés. Quelqu’infini que paroisse, d’abord, le nombre de ces sentimens agréables, il est, pourtant, aisé de voir qu’ils appartiennent tous aux plaisirs des sens ou à ceux de l’imagination, ou à une troisieme classe composée de l’union des deux autres. Les plaisirs de l’imagination sont des souvenirs des plai<!--Page 18-->sirs sensuels qu’on a goûté autrefois, des moyens de nous en rendre la jouissance plus agréable, des fictions, des rêveries flateuses qui consistent ou dans une nouvelle combinaison des idées agréables que les sens nous ont données, ou dans une exhaltation, confusément imaginée, de ces plaisirs que nous avons goûtés. Tous les plaisirs, à proprement parler, sont donc sensuels, puisqu’ils ne peuvent résulter d’aucune autre idée que d’idées sensuelles, soit immédiatement, soit par le moyen de l’imagination.