« Monsieur Parent (recueil, Ollendorff 1886)/L’Épingle » : différence entre les versions
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Je ne dirai ni le nom du pays, ni celui de l’homme. C’était loin, bien loin d’ici, sur une côte fertile et brûlante. Nous suivions, depuis le matin, le rivage couvert de récoltes et la mer bleue couverte de soleil. Des fleurs poussaient tout près des vagues, des vagues légères, si douces, endormantes. Il faisait chaud ; c’était une molle chaleur parfumée de terre grasse, humide et féconde ; on croyait respirer des germes.
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Comme j’approchais, un homme à grande barbe parut sur la porte. L’ayant salué, je lui demandai un asile pour la nuit. Il me tendit la main en souriant.
Il me conduisit dans une chambre, mit à mes ordres un serviteur, avec une aisance parfaite et une bonne grâce familière d’homme du monde ; puis il me quitta en disant :
Nous dînâmes, en effet, en tête à tête, sur une terrasse en face de la mer. Je lui parlai d’abord de ce pays si riche, si lointain, si inconnu ! Il souriait, répondant avec distraction :
Et, tout doucement, nous nous mîmes à parler du monde français, des boulevards et des choses de Paris. Il m’interrogeait en homme qui a connu cela, me citait des noms, tous les noms familiers sur le trottoir du Vaudeville.
Je le regardais avec attention, poursuivi par un vague souvenir. Certes, j’avais vu cette tête-là quelque part ! Mais où ? mais quand ? Il semblait fatigué, bien que vigoureux, triste, bien que résolu. Sa grande barbe blonde tombait sur sa poitrine, et parfois il la prenait près du menton et, la serrant dans sa main refermée, l’y faisait glisser jusqu’au bout. Un peu chauve, il avait des sourcils épais et une forte moustache qui se mêlait aux poils des joues.
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Derrière nous, le soleil s’enfonçait dans la mer, jetant sur la côte un brouillard de feu. Les orangers en fleur exhalaient dans l’air du soir leur arôme violent et délicieux. Lui ne voyait rien que moi, et, le regard fixe, il semblait apercevoir dans mes yeux, apercevoir au fond de mon âme l’image lointaine, aimée et connue du large trottoir ombragé, qui va de la Madeleine à la rue Drouot.
Mais il se tut brusquement. Puis, la voix changée, la figure pâlie soudain, il reprit :
Puis, comme pour changer la marche de son esprit, il se leva.
Et il me précéda dans sa maison.
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Mon hôte sourit :
Je crus, en y entrant, pénétrer dans le magasin d’un brocanteur, tant elle était remplie de choses, de ces choses disparates, bizarres et variées qu’on sent être des souvenirs. Sur les murs deux jolis dessins de peintres connus, des étoffes, des armes, épées et pistolets, puis, juste au milieu du panneau principal, un carré de satin blanc encadré d’or.
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Mon hôte posa sa main sur mon épaule :
Je cherchais une phrase banale ; je finis par prononcer :
Il reprit brusquement :
Nous étions sortis sur le large balcon d’où l’on voyait deux golfes, l’un à droite, et l’autre à gauche, enfermés par de hautes montagnes grises. C’était l’heure crépusculaire où le soleil disparu n’éclaire plus la terre que par les reflets du ciel.
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Il reprit :
Son œil s’était fixé sur le mien, plein d’une angoisse frémissante.
Je souris :
Il hésitait :
Il me prit la main :
Il murmura : « Je l’aime » comme s’il eût dit : « Je vais mourir. » Puis, brusquement :
Il doit exister un amour simple, fait du double élan de deux cœurs et de deux âmes ; mais il existe assurément un amour atroce, cruellement torturant, fait de l’invincible enlacement de deux êtres disparates qui se détestent en s’adorant.
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Vous la connaissez ? Elle a en elle quelque chose d’irrésistible ! Quoi ? Je ne sais pas. Sont-ce ces yeux gris dont le regard entre comme une vrille et reste en vous comme le crochet d’une flèche ? C’est plutôt ce sourire doux, indifférent et séduisant, qui reste sur sa face à la façon d’un masque. Sa grâce lente pénètre peu à peu, se dégage d’elle comme un parfum, de sa taille longue, à peine balancée quand elle passe, car elle semble glisser plutôt que marcher, de sa voix un peu traînante, jolie, et qui semble être la musique de son sourire, de son geste aussi, de son geste toujours modéré, toujours juste et qui grise l’œil tant il est harmonieux. Pendant trois ans, je n’ai vu qu’elle sur la terre ! Comme j’ai souffert ! Car elle me trompait avec tout le monde ! Pourquoi ? Pour rien, pour tromper. Et quand je l’avais appris, quand je la traitais de fille et de gueuse, elle avouait tranquillement : « Est-ce que nous sommes mariés ? » disait-elle.
Depuis que je suis ici, j’ai tant songé à elle que j’ai fini par la comprendre : cette fille-là, c’est Manon Lescaut revenue. C’est Manon qui ne pourrait pas aimer sans tromper, Manon pour qui l’amour, le plaisir et l’argent ne font qu’un. Il se tut. Puis, après quelques minutes :
Et tenez, quand je sortais avec elle, elle posait son œil sur tous les hommes d’une telle façon, qu’elle semblait se donner à chacun, d’un seul regard. Cela m’exaspérait et m’attachait à elle davantage, cependant. Cette créature, rien qu’en passant dans la rue, appartenait à tout le monde, malgré moi, malgré elle, par le fait de sa nature même, bien qu’elle eût l’allure modeste et douce. Comprenez-vous ?
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Je lui dis :
Il répondit :
Je demandai : – Mais ensuite ?▼
– Ensuite, je ne sais pas. Ce sera fini ! Je lui demanderai peut-être de me prendre comme valet de chambre.▼
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