« Monsieur Parent (recueil, Ollendorff 1886)/Le Baptême » : différence entre les versions

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Et le vieux médecin de marine, ayant tendu son petit verre, regarda monter jusqu’aux bords le joli liquide aux reflets dorés.
 
Puis il l’éleva à la hauteur de l’oeill’œil, fit passer dedans la clarté de la lampe, le flaira, en aspira quelques gouttes qu’il promena longtemps sur sa langue et sur la chair humide et délicate du palais, puis il dit :
 
 
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Entrez dans ces chaumières. Jamais vous ne trouverez le père. Et si vous demandez à la femme ce qu’est devenu son homme, elle tendra les bras sur la mer sombre qui grogne et crache sa salive blanche le long du rivage. Il est resté dedans un soir qu’il avait bu un peu trop. Et le fils aîné aussi. Elle a encore quatre garçons, quatre grands gars blonds et forts. A bientôt leur tour.
 
J’habitais donc une maison de campagne près de Pont-l’Abbé. J’étais là, seul avec mon domestique, un ancien marin, et une famille bretonne qui gardait la propriété en mon absence. Elle se composait de trois personnes, deux soeurssœurs et un homme qui avait épousé l’une d’elles, et qui cultivait mon jardin.
 
Or, cette année-là, vers la Noël, la compagne de mon jardinier accoucha d’un garçon.
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La cérémonie fut fixée au deux janvier. Depuis huit jours la terre était couverte de neige, d’un immense tapis livide et dur qui paraissait illimité sur ce pays plat et bas. La mer semblait noire, au loin derrière la plaine blanche ; et on la voyait s’agiter, hausser son dos, rouler ses vagues, comme si elle eût voulu se jeter sur sa pâle voisine, qui avait l’air d’être morte, elle si calme, si morne, si froide.
 
A neuf heures du matin, le père Kérandec arriva devant ma porte avec sa belle-soeursœur, la grande Kermagan, et la garde qui portait l’enfant roulé dans une couverture.
 
Et nous voilà partis vers l’église. Il faisait un froid à fendre les dolmens, un de ces froids déchirants qui cassent la peau et font souffrir horriblement de leur brûlure de glace. Moi je pensais au pauvre petit être qu’on portait devant nous, et je me disais que cette race bretonne était de fer, vraiment, pour que ses enfants fussent capables, dès leur naissance, de supporter de pareilles promenades.
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La porte enfin s’ouvrit. Nous entrâmes. Mais l’enfant devait rester nu pendant toute la cérémonie.
 
Elle fut interminable. Le prêtre ânonnait les syllabes latines qui tombaient de sa bouche, scandées à contresens. Il marchait avec lenteur, avec une lenteur de tortue sacrée ; et son surplis blanc me glaçait le coeurcœur, comme une autre neige dont il se fût enveloppé pour faire souffrir, au nom d’un Dieu inclément et barbare, cette larve humaine que torturait le froid.
 
Le baptême enfin fut achevé selon les rites, et je vis la garde rouler de nouveau dans la longue couverture l’enfant glacé qui gémissait d’une voix aiguë et douloureuse.
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Et je lui donnai quelques conseils pour éviter, s’il en était temps encore, une fluxion de poitrine.
 
L’homme promit d’exécuter mes recommandations, et il s’en alla avec sa belle-soeursœur et la garde. Je suivis le prêtre dans la sacristie.
 
Quand j’eus signé, il me réclama cinq francs pour les frais.
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La querelle fut longue, je finis par payer.
 
A peine rentrée chez moi, je voulus savoir si rien de fâcheux n’était survenu. Je courus chez Kérandec, mais le père, la belle-soeursœur et la garde n’étaient pas encore revenus.
 
L’accouchée, restée toute seule, grelottait de froid dans son lit, et elle avait faim, n’ayant rien mangé depuis la veille.