« La Case de l’oncle Tom/Ch XIV » : différence entre les versions

Contenu supprimé Contenu ajouté
YannBot (discussion | contributions)
m Correction des redirects après renommage
Phe-bot (discussion | contributions)
m match et typographie
Ligne 1 :
{{Navigateur|[[La Case de l’oncle Tom/Ch XIII|Chapitre XIII]]|[[La Case de l’oncle Tom]]|[[La Case de l’oncle Tom/Ch XV|Chapitre XV]]}}
{{textquality|100%}}
 
<div class="text">
[[en:Uncle Tom's Cabin/Chapter XIV]]
 
==[[Page:Beecher Stowe - La Case de l’oncle Tom, Sw Belloc, 1878.djvu/197]]==
 
 
{{Navigateur|[[La Case de l’oncle Tom/Ch XIII|Chapitre XIII]]|[[La Case de l’oncle Tom]]|[[La Case de l’oncle Tom/Ch XV|Chapitre XV]]}}
 
 
Ligne 10 ⟶ 12 :
 
 
Une scène de sérénité et de paix s’offre maintenant à nous. Entrons dans cette propre et spacieuse cuisine, au plancher jaune, uni, brillant, où l’on n’aperçoit pas un atome de poussière. Un poêle de fonte, d’un noir lustré, sert à la fois de calorifère et de fourneau. Des rangées d’assiettes d’étain, reluisent comme de l’argent, stimulent l’appétit et réveillent la mémoire de l’estomac. D’antiques et solides chaises vertes, en bois, garnissent les murailles. Au milieu de la pièce sont deux berceuses{{refl|1}}<ref> ''Rocking-chair''. Sorte de chaise à bascule, très en usage chez les Américains, et à laquelle on imprime, en s’y asseyant, un mouvement d’escarpolette.</ref> ; l’une petite, étroite, à fond de canne, garnie d’un coussin fait de pièces de rapport, mosaïque d’étoffes à couleurs tranchantes ; l’autre, grande, maternelle, vous invitant à bras ouverts, vous sollicitant de ses moelleux coussins, — vraiment confortable, persuasive, plus hospitalière, en sa rusticité, qu’une douzaine de fauteuils de salon en velours ou en brocatelle. Dans la première, se
==[[Page:Beecher Stowe - La Case de l’oncle Tom, Sw Belloc, 1878.djvu/198]]==
balance doucement notre ancienne amie Éliza, appliquée à un délicat travail de couture. C’est bien elle. mais plus pâle et plus maigre que dans sa petite chambre du Kentucky. L’ombre de ses longs cils, le contour de sa jolie bouche, trahissent une douleur profonde, mais contenue. Il est aisé de voir que le cœur de la jeune femme a mûri sous la rude discipline de la souffrance ; et lorsque, de temps à autre, elle lève ses grands yeux noirs pour surveiller les jeux de son Henri, qui, pareil à un papillon des tropiques, voltige çà et là, on y lit une fermeté, une décision, qu’on y eut vainement cherché en des jours plus heureux.
 
À ses cotés, une femme est assise : elle tient sur ses genoux une brillante casserole de métal, où elle range avec méthode des fruits secs. Elle peut avoir de cinquante-cinq à soixante ans, mais sa figure est de celles que le temps n’effleure que pour les embellir et les épurer. Son bonnet de crêpe lisse, d’un blanc de neige, taillé sur le strict patron quaker, son simple fichu de mousseline blanche, croisé sur sa poitrine en plis réguliers, sa robe et son châle gris, indiquent tout de suite à quelle communion elle appartient. Ses joues rondes et rosées ont encore, comme dans la jeunesse, le soyeux duvet de la pêche. Ses cheveux, légèrement argentés par l’âge, se séparent sur un front placide, où la vie n’a laissé qu’une empreinte, « paix sur la terre, et bon vouloir au prochain ; » au-dessous brillent deux grands yeux bruns, honnêtes, limpides, affectueux : il suffit de les regarder en face pour lire jusqu’au fond du meilleur, du plus loyal cœur qui ait jamais battu dans le sein d’une femme. On a tant et tant célébré la beauté des jeunes filles, peut-être se trouvera-t-il un poète sensible à la beauté des vieilles ? Qu’il s’inspire de notre bonne amie, Rachel Halliday, telle qu’elle est là, devant nous, assise dans sa berceuse ! Ladite berceuse, par suite peut-être d’un rhume attrapé dans sa jeunesse, d’une disposition
==[[Page:Beecher Stowe - La Case de l’oncle Tom, Sw Belloc, 1878.djvu/199]]==
asthmatique ou nerveuse, avait contracté l’habitude de geindre ; en sorte qu’elle accompagnait chaque mouvement de va et vient d’une plainte dolente, qui eut été intolérable de la part de tout autre siège. Mais le vieux Siméon Halliday déclarait aimer cette musique, et ne s’en pouvoir passer. Les enfants, aussi, n’eussent voulu pour rien au monde que la berceuse de la mère cessât de crier. Pourquoi ? Parce que, depuis vingt ans et plus, ce bruit se mêlait aux affectueuses paroles, aux douces remontrances, aux caresses maternelles. Que de maux de tête, que de peines de cœur, s’étaient assoupis à ce son ! Que de questions, spirituelles et temporelles, avaient été résolues autour de ce fauteuil ! que de chagrins apaisés ! et tout cela par une bonne et tendre femme : Dieu la bénisse !
 
« Ainsi tu persistes à vouloir aller au Canada, Éliza{{refl|2}}<ref> Les quakers ou ''amis'' regardent tous les hommes comme frère, et tutoient même les étrangers.</ref> ? dit Rachel en continuant le triage de ses fruits.
 
— Oui, madame, reprit Éliza d’une voix ferme : il faut que j’aille plus avant ; je n’ose m’arrêter.
Ligne 28 ⟶ 34 :
— Oh ! merci, mais… Éliza désigna du doigt le petit Henri, — je ne peux pas dormir en paix ; je ne puis prendre aucun repos : la nuit dernière encore j’ai rêvé que je voyais cet homme entrer dans la cour, dit-elle en frissonnant.
 
Rachel s’essuya les yeux : « Pauvre enfant ! ne t’alarme pas ainsi ! le Seigneur n’a pas permis qu’un seul fugitif
==[[Page:Beecher Stowe - La Case de l’oncle Tom, Sw Belloc, 1878.djvu/200]]==
fût jamais enlevé de notre village : ton fils ne sera pas le premier, j’espère.
 
Ici la porte s’ouvrit, et une petite femme, rondelette comme une pelote, appétissante et colorée comme une pomme, se montra sur le seuil. De même que Rachel, elle était vêtue de gris, et un fichu de mousseline se croisait sur son sein rebondi.
Ligne 44 ⟶ 52 :
— Oh ! il vient ; mais ta Marie l’a attrapé au passage, et s’est sauvée avec lui dans la grange pour le montrer aux enfants. »
==[[Page:Beecher Stowe - La Case de l’oncle Tom, Sw Belloc, 1878.djvu/201]]==
 
À ce moment la porte s’ouvrit, et Marie, honnête jeune fille, au teint rosé, aux yeux bruns comme ceux de sa mère, fit son entrée avec le poupon.
 
Ligne 60 ⟶ 70 :
— Oh ! elle va mieux, répliqua Ruth. Je suis allée la voir ce matin ; j’ai fait le lit et rangé la maison. Lia Hills y a passé l’après-midi : elle a fait du pain et des galettes pour plusieurs jours ; j’ai promis d’y retourner ce soir, afin de lever un peu Abigaïl,
==[[Page:Beecher Stowe - La Case de l’oncle Tom, Sw Belloc, 1878.djvu/202]]==
 
— Moi, j’irai demain faire les nettoyages, et voir au linge à raccommoder, dit Rachel.
 
Ligne 92 ⟶ 104 :
— En es-tu bien sûr, père ? dit Rachel, le visage rayonnant de joie.
 
==[[Page:Beecher Stowe - La Case de l’oncle Tom, Sw Belloc, 1878.djvu/203]]==
 
— Très-sûr. Pierre est descendu hier avec le chariot à la station d’en bas ; il y a trouvé une vieille femme et deux hommes, dont l’un a dit se nommer Georges Harris, et, d’après ce qu’il a conté de son histoire, c’est lui, j’en suis certain : un beau et brave garçon ! — Le dirons-nous tout de suite à sa femme ?
 
Ligne 112 ⟶ 127 :
Rachel rentra dans la cuisine, où Éliza cousait ; et, ouvrant la porte d’une petite pièce voisine, elle lui dit de sa voix la plus douce : « Viens par ici, ma fille, j’ai des nouvelles à te donner. »
 
==[[Page:Beecher Stowe - La Case de l’oncle Tom, Sw Belloc, 1878.djvu/204]]==
 
Éliza rougit, se leva tremblante d’inquiétude, et regarda son fils.
 
Ligne 126 ⟶ 144 :
— Ce soir ! balbutia Élira, ce soir ! » Mais les mots n’avaient plus de sens. Son esprit n’était que trouble et confusion : tout se perdait dans un brouillard.
 
Quand elle rouvrit les yeux, elle était dans un bon lit, bien couchée, bien couverte. La petite Ruth lui faisait respirer du camphre et lui en frottait les mains. Elle ressentait une vague et délicieuse langueur, comme si, longtemps écrasée sous un lourd fardeau, elle en était délivrée. L’excessive tension de ses nerfs, qui n’avait pas cessé depuis la première heure de sa fuite, céda enfin : un profond sentiment de paix et de sécurité se répandit en elle. Les yeux grands ouverts, elle suivait, comme en un paisible rêve, les mouvements de ceux qui l’entouraient. Elle vit s’ouvrir la porte qui communiquait avec la cuisine ; elle vit la table mise pour le souper, avec sa nappe blanche ; elle entendit le chant de la théière ; elle vit Ruth passer et repasser, avec des assiettes de friandises,
==[[Page:Beecher Stowe - La Case de l’oncle Tom, Sw Belloc, 1878.djvu/205]]==
s’arrêter pour donner un biscuit à Henri, le caresser, rouler sur ses doigts blancs les longs cheveux noirs et bouclés de l’enfant. Elle vit Rachel, la digne et vénérée matrone, s’approcher de temps en temps du lit pour relever l’oreiller, arranger les draps, et d’une façon ou d’une autre épancher sa bienveillance ; il lui semblait que, de ces grands yeux bruns et limpides, un rayon de soleil descendait sur elle, et lui réchauffait le cœur. Elle vit entrer le mari de Ruth ; — elle vit la jeune femme courir à lui, et lui parler tout bas avec vivacité, en montrant d’un geste expressif la chambre à coucher. Elle la vit assise avec son poupon dans ses bras. Elle les vit tous à table, et le petit Henri hissé sur une grande chaise, et abrité sous les larges ailes de Rachel Halliday. Un doux murmure de causeries, un petit cliquetis de cuillères, le bruit harmonieux des tasses et des soucoupes, tout se fondit en une rêverie délicieuse, et Éliza dormit, comme elle n’avait pas dormi depuis l’heure terrible où elle avait pris son enfant, et s’était enfuie avec lui, par une nuit étoilée et glaciale.
 
Elle rêva d’un beau pays, — d’une terre qui lui semblait le séjour du repos, de rives vertes, d’îles riantes, d’eaux qui scintillaient au soleil ; et là, dans une maison, que de douces voix lui disaient être la sienne, elle voyait son enfant jouer, libre et heureux. Elle entendit le pas de son mari ; elle le sentit s’approcher ; il l’entoura de ses bras ; ses larmes inondèrent sa figure. Elle s’éveilla ! Ce n’était pas un rêve ! Le soleil était couché depuis longtemps. Son fils dormait à ses côtés ; une chandelle éclairait obscurément la chambre, et à son chevet sanglotait son mari.
Ligne 136 ⟶ 156 :
 
 
Le lendemain, le jour se leva joyeux sur la maison des quakers. La mère, debout à l’aube, entourée d’actifs garçons et filles, que nous n’avons pas eu le temps de présenter hier au lecteur, et qui tous, obéissant aux affectueux
==[[Page:Beecher Stowe - La Case de l’oncle Tom, Sw Belloc, 1878.djvu/206]]==
appels de Rachel : « Tu feras bien ; » ou plus doucement encore : « Ne ferais-tu pas mieux ? » s’affairaient à la gronde œuvre du déjeuner ; car un déjeuner, dans les fertiles vallées d’Indiana, est chose multiple, compliquée ; et, comme à la cueille des feuilles de roses, et à la taille des buissons du paradis terrestre, la main de la mère seule n’y saurait suffire. Tandis que John courait à la source puiser de l’eau, que Siméon, deuxième du nom, passait au crible la farine de maïs, que Marie était en train de moudre le café, Rachel s’occupait doucement et tranquillement à découper le poulet, à pétrir les biscuits, répandant, comme le soleil, partout et sur tous, sa chaude et radieuse lumière. — Si le zèle intempestif des jeunes travailleurs menaçait d’amener quelque collision, un doux : « Allons ! allons ! » ou bien : « À ta place je ne le ferais pas, » suffisait pour tout apaiser. Les poètes ont célébré la ceinture de Vénus, qui tournait les têtes de génération en génération : j’aimerais mieux, pour ma part, la ceinture de Rachel, qui empêchait les têtes de tourner, et mettait tout le monde d’accord. Elle irait décidément mieux à nos temps modernes.
 
Pendant tous ces apprêts, Siméon premier, debout devant un miroir, ses manches de chemises retroussées, procédait à l’opération anti-patriarcale de se raser. Tout se passait dans la grande cuisine, d’une façon si amicale, si paisible, si harmonieuse, chacun paraissait tellement se complaire à sa besogne, il régnait partout une atmosphère de confiance mutuelle et de fraternité si grande, que les couteaux et les fourchettes semblaient glisser d’eux-mêmes sur la table, et que le poulet et le jambon sifflotaient dans la poêle, comme enchantés de faire leur partie dans le concert. Lorsque Georges, Éliza et le petit Henri entrèrent, ils furent si chaudement accueillis, qu’il n’est pas étonnant que tout cet ensemble leur parut un rêve.
 
==[[Page:Beecher Stowe - La Case de l’oncle Tom, Sw Belloc, 1878.djvu/207]]==
 
Enfin on se mit à déjeuner, tandis que Marie, debout près du fourneau, surveillait la cuisson des galettes, qui, dès qu’elles atteignaient à la perfection du beau brun doré, passaient du gril sur les assiettes.
Ligne 156 ⟶ 180 :
— Oh ! mère est en état de tout conduire, dit le jeune garçon ; mais n’est-ce pas une honte de faire de pareilles lois ?
 
— Ne parle pas mal de ceux qui te gouvernent, Siméon,
==[[Page:Beecher Stowe - La Case de l’oncle Tom, Sw Belloc, 1878.djvu/208]]==
reprit gravement le père. Le Seigneur ne nous accorde les biens terrestres qu’afin d’en user avec justice et charité. Si pour cela nos gouvernants exigent de nous la dîme, nous devons la leur payer.
 
— Je n’en hais pas moins ces vieux propriétaires d’esclaves ! dit le garçon, aussi anti-chrétien que peut l’être un réformateur moderne.
Ligne 168 ⟶ 194 :
— Ne crains rien, Georges. Pourquoi donc serions-nous ici-bas ? Si nous n’acceptions quelque ennui pour servir une bonne cause, nous ne serions pas dignes de porter le nom d’amis.
 
— Mais, pour ''moi ! ''… je ne puis m’y résigner ! dit Georges.
 
— Ne te trouble pas, ami Georges. Ce n’est pas pour toi, mais pour Dieu et pour le prochain. Maintenant, il te faut dormir tranquille. Ce soir, à dix heures, Phinéas Fletcher te conduira en avant, jusqu’à la prochaine station, — toi et ceux qui t’accompagnent. Les traqueurs te suivent de près : il ne faut pas nous attarder.
Ligne 175 ⟶ 201 :
 
— Parce que de jour tu es en sûreté ici ; il n’y a personne dans la colonie qui ne soit un Ami, et tous veillent. D’ailleurs, il est plus sûr de voyager la nuit. »
 
 
-----
:{{refa|1}} ''Rocking-chair''. Sorte de chaise à bascule, très en usage chez les Américains, et à laquelle on imprime, en s’y asseyant, un mouvement d’escarpolette.
:{{refa|2}} Les quakers ou ''amis'' regardent tous les hommes comme frère, et tutoient même les étrangers.
 
 
{{Navigateur|[[La Case de l’oncle Tom/Ch XIII|Chapitre XIII]]|[[La Case de l’oncle Tom]]|[[La Case de l’oncle Tom/Ch XV|Chapitre XV]]}}
 
</div>
 
[[en:Uncle Tom's Cabin/Chapter XIV]]