« Une Crise ministérielle en Espagne » : différence entre les versions

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{{journal|Une Crise ministérielle en Espagne|[[Charles de Mazade]]|[[Revue des Deux Mondes]] T.55, 1865}}
 
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L’Espagne vient de traverser encore une fois une de ces bourrasques qui sont toujours imprévues, et qu’il faut toujours prévoir principalement quand tout semble calme à la surface. Rien n’est trompeur et dangereux au-delà des Pyrénées comme l’apparence du calme, comme un vote de confiance des chambres ou des élections donnant au gouvernement qui les fait une écrasante majorité. C’est presque toujours d’un mauvais augure. On a vu à Madrid des ministères mourir sur le coup d’un vote parlementaire qui avait la prétention de les aider à vivre; on en a vu périr pour avoir trop réussi au scrutin d’une élection générale, et je me souviens encore de ce mot spirituel que me disait un jour Donoso Cortès dans une de ces situations où l’on avait été trop heureux : « Comment voulez-vous que ce ministère résiste à cette majorité? » On a vu aussi des cabinets tomber sans raison ou pour des raisons qu’on ne disait pas, tant il est vrai que la politique en Espagne côtoie toujours des écueils invisibles, quand elle ne finit pas par tourner à la comédie au détriment du pays, du régime constitutionnel et des hommes mêmes qui se trouvent mêlés à ces crises ! Il est arrivé un peu de tout cela récemment. Le ministère du général Narvaez s’était formé, il y a trois mois à peine, après une série de cabinets qui n’ont fait que passer depuis un an. Il avait, en naissant, l’apparence d’un pouvoir plus sérieusement constitué, fort de sa composition même et de la difficulté d’arriver à d’autres combinaisons. Il s’annonçait au début comme un gouvernement libéral décidé à détendre un peu la situation du pays, à relever la politique, les finances de l’Espagne. Il avait ses élections comme d’autres, et plus que d’autres II avait réussi au point de n’avoir plus probablement devant lui que l’embarras, d’une majorité trop docile. Il touchait enfin à l’ouverture des chambres. C’est juste le moment où il a sombré tout à coup comme dans un de ces ''typhons'' de la mer des Indes où les navires se perdent quelquefois enveloppés par la tempête. Le ''typhon'' espagnol n’a pas été tout à fait aussi redoutable, il est vrai. Le ministère Narvaez s’est relevé après un naufrage qui n’a duré que quelques jours ; il n’a pas moins disparu un instant, et entre sa chute et sa reconstitution s’est reproduite toute une crise intime du pouvoir aux mille et une péripéties.
 
L’Espagne vient de traverser encore une fois une de ces bourrasques qui sont toujours imprévues, et qu’il faut toujours prévoir principalement quand tout semble calme à la surface. Rien n’est trompeur et dangereux au-delà des Pyrénées comme l’apparence du calme, comme un vote de confiance des chambres ou des élections donnant au gouvernement qui les fait une écrasante majorité. C’est presque toujours d’un mauvais augure. On a vu à Madrid des ministères mourir sur le coup d’un vote parlementaire qui avait la prétention de les aider à vivre ; on en a vu périr pour avoir trop réussi au scrutin d’une élection générale, et je me souviens encore de ce mot spirituel que me disait un jour Donoso Cortès dans une de ces situations où l’on avait été trop heureux : « Comment voulez-vous que ce ministère résiste à cette majorité ? » On a vu aussi des cabinets tomber sans raison ou pour des raisons qu’on ne disait pas, tant il est vrai que la politique en Espagne côtoie toujours des écueils invisibles, quand elle ne finit pas par tourner à la comédie au détriment du pays, du régime constitutionnel et des hommes mêmes qui se trouvent mêlés à ces crises ! Il est arrivé un peu de tout cela récemment. Le ministère du général Narvaez s’était formé, il y a trois mois à peine, après une série de cabinets qui n’ont fait que passer depuis un an. Il avait, en naissant, l’apparence d’un pouvoir plus sérieusement constitué, fort de sa composition même et de la difficulté d’arriver à d’autres combinaisons. Il s’annonçait au début comme un gouvernement libéral décidé à détendre un peu la situation du pays, à relever la politique, les finances de l’Espagne. Il avait ses élections comme d’autres, et plus que d’autres II avait réussi au point de n’avoir plus probablement devant lui que l’embarras, d’une majorité trop docile. Il touchait enfin à l’ouverture des chambres. C’est juste le moment où il a sombré tout à coup comme dans un de ces ''typhons'' de la mer des Indes où les navires se perdent quelquefois enveloppés par la tempête. Le ''typhon'' espagnol n’a pas été tout à fait aussi redoutable, il est vrai. Le ministère Narvaez s’est relevé après un naufrage qui n’a duré que quelques jours ; il n’a pas moins disparu un instant, et entre sa chute et sa reconstitution s’est reproduite toute une crise intime du pouvoir aux mille et une péripéties.
Pourquoi le ministère du général Narvaez est-il tombé et comment s’est-il relevé après une succession de tentatives inutiles pour arriver à la forma-
 
Pourquoi le ministère du général Narvaez est-il tombé et comment s’est-il relevé après une succession de tentatives inutiles pour arriver à la forma-formation
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tion d’un autre cabinet ? Que dans ces imbroglios périodiques de la politique espagnole des influences fort peu avouées, encore moins constitutionnelles, s’agitent et se croisent en tous sens, que ces influences se défendent quand on veut les attaquer, c’est une assez vieille histoire, qui n’est après tout que le côté secondaire de la situation de la Péninsule. C’est certainement un phénomène curieux que depuis vingt ans, dans toutes les confusions de la vie publique espagnole, on entende sans cesse murmurer le nom d’une religieuse devenue un personnage soutenant ou paralysant des ministères. Il ne faut pas cependant qu’on s’y méprenne au-delà des Pyrénées : ces influences ne seraient pas si fortes, si les hommes et les partis ne se diminuaient pas eux-mêmes, et cette crise nouvelle, qui a tenu pendant quelques jours Madrid en suspens, ne serait peut-être pas survenue, si le ministère ne s’était trouvé affaibli justement à l’heure où il avait à faire les plus graves propositions, où il avait à prendre un parti dans les questions les plus délicates. Lorsque le cabinet du général Narvaez arrivait au pouvoir il y a trois mois, toute sa force, indépendamment de la notoriété et de l’habileté de ses membres, était dans les promesses libérales qu’il faisait. Il avait à prouver, — c’était son programme et son unique raison d’être, — que la meilleure manière d’être aujourd’hui un intelligent et prévoyant conservateur, c’est de commencer par être un bon libéral, et en effet ses premiers actes étaient la traduction de cette pensée. Il laissait une certaine latitude dans les élections, il rendait la parole aux journaux. L’expérience n’était point si désastreuse, puisque le gouvernement lui-même constatait la parfaite tranquillité du pays dans ces conditions nouvelles. L’abstention des progressistes pouvait passer pour une abdication au moins autant que pour une menace.
 
Qu’arrivait-il cependant ? Les élections étaient à peine achevées que le ministre de l’intérieur, M. Gonzalez Bravo, lançait une circulaire où perçait déjà un tout autre esprit. Par une singulière logique, au moment où on constatait les heureux effets d’une politique de conciliation et de libéralisme, au moment où on venait de frapper la loi sur la presse d’une sorte de désaveu par une large amnistie, en allant jusqu’à restituer les amendes infligées depuis plusieurs années, on invitait les gouverneurs des provinces à user de toute la puissance répressive de cette même loi pour voir ce qu’elle pouvait produire. C’était peut-être pour satisfaire quelques modérés furieux et consternés ; le cabinet ne semblait pas moins reculer devant le programme qui faisait sa force, et bientôt il s’affaiblissait encore plus par la brusque retraite du ministre des affaires étrangères, M. Llorente, très décidément opposé à toute velléité de réaction ; il s’affaiblissait doublement en perdant un de ses membres les plus habiles, les plus éclairés, un de ceux qui représentaient dans le gouvernement des idées plus libérales, et parce que cette retraite devenait le signe visible d’une lutte entre deux tendances contraires dans l’intérieur du cabinet. Il en est résulté que le jour où le ministère a voulu proposer des mesures d’une certaine gra-gravité,
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vité, il a manqué de l’autorité nécessaire pour les faire prévaloir. Il est arrivé en désarroi auprès de la reine, et au lieu d’être maître de la situation sous tous les rapports, comme il le croyait, il s’est vu tout à coup arrêté sur la question de Saint-Domingue, qu’il proposait de trancher en se retirant de cette ruineuse et mortelle entreprise, où les hommes vont mourir sans gloire, où les finances espagnoles s’épuisent sans compensation possible.
 
C’est là précisément que commençait cette crise, qui est devenue pendant quelques jours un véritable imbroglio, comme il n’y en a guère qu’en Espagne. Qui allait recueillir ce pouvoir tombé en déshérence par suite de la retraite du général Narvaez et de ses collègues à l’ouverture du parlement ? A ne considérer d’ailleurs que la question même qui était la cause ou le prétexte de cette subite dissolution ministérielle, il y avait assurément de quoi réfléchir un peu. Il ne s’agissait de rien moins que de décider si on aurait le courage politique d’abandonner Saint-Domingue, au risque de froisser l’orgueil espagnol, ou si on persisterait plus que jamais dans cette guerre ingrate, au risque d’envoyer une armée nouvelle mourir de la fièvre et de se trouver un jour ou l’autre dans les plus désagréables rapports avec l’Angleterre, qui semble disposée à reconnaître les insurgés dominicains comme belligérans. On s’est adressé un peu à tout le monde, à toutes les nuances du parti modéré. On a d’abord appelé le général Pavia, marquis de Novalichès, qui, n’ayant point été encore président du conseil, est naturellement tout disposé à le devenir, lui aussi, et le général Pavia, tout comme un autre, a fait son ministère, — un ministère assez bizarrement composé, qui en avait bien au moins pour un mois de vie ! — Cette expérience, du reste, lui a été épargnée. Lorsque le général Pavia est allé au palais avec sa liste toute prête, il s’est trouvé que la chose n’était plus du tout aussi simple qu’elle le paraissait. La reine a voulu tout au moins y songer. L’heure du général Pavia était déjà passée. Est venu ensuite M. Isturiz, vieillard fort respectable et parfaitement impuissant, qui a été bien souvent ministre, et qui ne pouvait le redevenir cette fois que pour frayer de nouveau la route au général O’Donnell. Avec M. Isturiz reparaissait le grand ministre des finances M. Salaverria, et, chose curieuse comme symptôme, le ministre des affaires étrangères dans cette combinaison était M. Salvador Bermudez de Castro, qui est encore, si je ne me trompe, ambassadeur accrédité auprès du roi François II de Naples, qui a été fait prince napolitain de Santa-Lucia de la main de ce souverain sans couronne. M. Isturiz en a été pour sa combinaison tout comme le général Pavia, bien qu’on l’eût peut-être préféré un instant. Le vieux marquis de Miraflorès a été aussi appelé. On s’est adressé à bien d’autres encore, et à ce propos on ne peut vraiment qu’admirer combien il y a de ressources en Espagne, combien il peut y avoir de présidens du conseil dans un parti à Madrid. Il n’est question ici, bien entendu, que de ceux qui viennent d’être essayés, car pour les autres, pour ceux qui l’ont été déjà ou qui espèrent le deve-devenir,
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vité, il a manqué de l’autorité nécessaire pour les faire prévaloir. Il est arrivé en désarroi auprès de la reine, et au lieu d’être maître de la situation sous tous les rapports, comme il le croyait, il s’est vu tout à coup arrêté sur la question de Saint-Domingue, qu’il proposait de trancher en se retirant de cette ruineuse et mortelle entreprise, où les hommes vont mourir sans gloire, où les finances espagnoles s’épuisent sans compensation possible.
nir, il en foisonne. Le parti modéré ne se composera plus bientôt que de présidens du conseil, ce qui ne prouve pas précisément sa puissance.
 
Pendant quelques jours, il y a eu des collections de ministres tout prêts à revêtir l’uniforme et attendant l’heure de se rendre au palais pour prêter serment, une heure qui n’est jamais venue, et au milieu de tout cela se reproduisait dans le public cette scène toujours curieuse à Madrid : — y a-t-il un ministère ? où en est la crise ? qui s’en va et qui arrive ? — Parmi les employés, sans cesse menacés à chaque changement de cabinet, c’est à qui s’informera et cherchera d’où vient le vent. Tout le monde est affairé, et personne ne fait rien. Par malheur, les crises ministérielles ont quelquefois des effets plus sérieux, et c’est ce qu’on a vu récemment à Madrid. Tout s’est subitement arrêté. Les négociations commerciales se sont trouvées paralysées. Tous les jours, il y avait foule à la Banque pour échanger les billets contre de l’argent, et dans le monde du négoce on refusait le papier de la Banque pour n’avoir pas à faire les appoints en numéraire. Une chose à remarquer du reste dans cette crise, c’est l’attitude parfaitement digne et réservée de l’ancien cabinet : il s’est tenu à l’écart de tout et n’a cherché à rien empêcher. L’un de ses membres, le général Lersundi, a été plusieurs fois appelé, consulté par la reine, qui connaît son dévouement, et, sans accepter aucune mission officielle, il a su, dit-on, allier à l’inébranlable fidélité du soldat une respectueuse indépendance de langage.
C’est là précisément que commençait cette crise, qui est devenue pendant quelques jours un véritable imbroglio, comme il n’y en a guère qu’en Espagne. Qui allait recueillir ce pouvoir tombé en déshérence par suite de la retraite du général Narvaez et de ses collègues à l’ouverture du parlement? A ne considérer d’ailleurs que la question même qui était la cause ou le prétexte de cette subite dissolution ministérielle, il y avait assurément de quoi réfléchir un peu. Il ne s’agissait de rien moins que de décider si on aurait le courage politique d’abandonner Saint-Domingue, au risque de froisser l’orgueil espagnol, ou si on persisterait plus que jamais dans cette guerre ingrate, au risque d’envoyer une armée nouvelle mourir de la fièvre et de se trouver un jour ou l’autre dans les plus désagréables rapports avec l’Angleterre, qui semble disposée à reconnaître les insurgés dominicains comme belligérans. On s’est adressé un peu à tout le monde, à toutes les nuances du parti modéré. On a d’abord appelé le général Pavia, marquis de Novalichès, qui, n’ayant point été encore président du conseil, est naturellement tout disposé à le devenir, lui aussi, et le général Pavia, tout comme un autre, a fait son ministère, — un ministère assez bizarrement composé, qui en avait bien au moins pour un mois de vie ! — Cette expérience, du reste, lui a été épargnée. Lorsque le général Pavia est allé au palais avec sa liste toute prête, il s’est trouvé que la chose n’était plus du tout aussi simple qu’elle le paraissait. La reine a voulu tout au moins y songer. L’heure du général Pavia était déjà passée. Est venu ensuite M. Isturiz, vieillard fort respectable et parfaitement impuissant, qui a été bien souvent ministre, et qui ne pouvait le redevenir cette fois que pour frayer de nouveau la route au général O’Donnell. Avec M. Isturiz reparaissait le grand ministre des finances M. Salaverria, et, chose curieuse comme symptôme, le ministre des affaires étrangères dans cette combinaison était M. Salvador Bermudez de Castro, qui est encore, si je ne me trompe, ambassadeur accrédité auprès du roi François II de Naples, qui a été fait prince napolitain de Santa-Lucia de la main de ce souverain sans couronne. M. Isturiz en a été pour sa combinaison tout comme le général Pavia, bien qu’on l’eût peut-être préféré un instant. Le vieux marquis de Miraflorès a été aussi appelé. On s’est adressé à bien d’autres encore, et à ce propos on ne peut vraiment qu’admirer combien il y a de ressources en Espagne, combien il peut y avoir de présidens du conseil dans un parti à Madrid. Il n’est question ici, bien entendu, que de ceux qui viennent d’être essayés, car pour les autres, pour ceux qui l’ont été déjà ou qui espèrent le deve-
 
Enfin, de guerre lasse, après tous les essais et toutes les combinaisons qui ont rempli ces quelques jours, c’est le cabinet Narvaez tout entier, moins M. Llorente, qui est rentré au pouvoir ou plutôt qui y est resté, puisque sa démission n’avait point encore été acceptée, et de fait c’était encore le meilleur dénoûment, le seul possible peut-être. Pouvait-on s’adresser aux progressistes ? Ce n’est pas le programme du parti progressiste qui est fort à redouter, c’est sa faiblesse, son incohérence ; il est au moins aussi divisé que le parti modéré, sans avoir l’esprit politique et les habitudes de gouvernement que gardent après tout les conservateurs : imaginez de faire vivre ensemble le duc de la Victoire, M. Olozaga et le général Prim, ou prenez une de ces nuances sans l’autre ! La reine pouvait-elle se. tourner encore une fois vers le général O’Donnell ? Mais c’est le duc de Tetuan qui a commencé l’affaire de Saint-Domingue, qui a laissé les finances espagnoles dans le piteux état où elles sont, et qui de plus, d’après une opinion générale, est l’allié de toutes les influences cléricales dont on se plaint. On pouvait encore moins s’adresser à la fraction absolutiste du parti modéré ; c’eût été peut-être jouer trop gros jeu. Quant à toutes ces nuances intermédiaires et flottantes successivement essayées, c’était évidemment ne rien faire. Il était temps d’ailleurs de prendre un parti, puisque c’était le 22 décembre que devaient se réunir les chambres, qui ont été effectivement ouvertes ce jour-là.
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nir, il en foisonne. Le parti modéré ne se composera plus bientôt que de présidens du conseil, ce qui ne prouve pas précisément sa puissance.
 
Pendant quelques jours, il y a eu des collections de ministres tout prêts à revêtir l’uniforme et attendant l’heure de se rendre au palais pour prêter serment, une heure qui n’est jamais venue, et au milieu de tout cela se reproduisait dans le public cette scène toujours curieuse à Madrid : — y a-t-il un ministère? où en est la crise? qui s’en va et qui arrive? — Parmi les employés, sans cesse menacés à chaque changement de cabinet, c’est à qui s’informera et cherchera d’où vient le vent. Tout le monde est affairé, et personne ne fait rien. Par malheur, les crises ministérielles ont quelquefois des effets plus sérieux, et c’est ce qu’on a vu récemment à Madrid. Tout s’est subitement arrêté. Les négociations commerciales se sont trouvées paralysées. Tous les jours, il y avait foule à la Banque pour échanger les billets contre de l’argent, et dans le monde du négoce on refusait le papier de la Banque pour n’avoir pas à faire les appoints en numéraire. Une chose à remarquer du reste dans cette crise, c’est l’attitude parfaitement digne et réservée de l’ancien cabinet : il s’est tenu à l’écart de tout et n’a cherché à rien empêcher. L’un de ses membres, le général Lersundi, a été plusieurs fois appelé, consulté par la reine, qui connaît son dévouement, et, sans accepter aucune mission officielle, il a su, dit-on, allier à l’inébranlable fidélité du soldat une respectueuse indépendance de langage.
 
Enfin, de guerre lasse, après tous les essais et toutes les combinaisons qui ont rempli ces quelques jours, c’est le cabinet Narvaez tout entier, moins M. Llorente, qui est rentré au pouvoir ou plutôt qui y est resté, puisque sa démission n’avait point encore été acceptée, et de fait c’était encore le meilleur dénoûment, le seul possible peut-être. Pouvait-on s’adresser aux progressistes? Ce n’est pas le programme du parti progressiste qui est fort à redouter, c’est sa faiblesse, son incohérence; il est au moins aussi divisé que le parti modéré, sans avoir l’esprit politique et les habitudes de gouvernement que gardent après tout les conservateurs : imaginez de faire vivre ensemble le duc de la Victoire, M. Olozaga et le général Prim, ou prenez une de ces nuances sans l’autre! La reine pouvait-elle se. tourner encore une fois vers le général O’Donnell? Mais c’est le duc de Tetuan qui a commencé l’affaire de Saint-Domingue, qui a laissé les finances espagnoles dans le piteux état où elles sont, et qui de plus, d’après une opinion générale, est l’allié de toutes les influences cléricales dont on se plaint. On pouvait encore moins s’adresser à la fraction absolutiste du parti modéré ; c’eût été peut-être jouer trop gros jeu. Quant à toutes ces nuances intermédiaires et flottantes successivement essayées, c’était évidemment ne rien faire. Il était temps d’ailleurs de prendre un parti, puisque c’était le 22 décembre que devaient se réunir les chambres, qui ont été effectivement ouvertes ce jour-là.
 
Voilà donc le ministère Narvaez ramené au pouvoir par la bourrasque
 
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qui a failli l’emporter. Il n’y a pas à se dissimuler pourtant qu’il triomphe moins par sa propre force que par l’impossibilité d’arriver à autre chose, et que cette situation nouvelle, qui a l’apparence d’un succès politique et personnel pour lui, cache bien des épines, bien des difficultés. En réalité, même après s’être dénouée heureusement, cette crise n’est peut-être pas ce qu’on pourrait appeler une crise de santé ; elle a surtout ce dangereux caractère de laisser voir certaines faiblesses dans le cabinet, des conflits de tendances, une volonté hésitante et paralysée là où l’on s’était plu d’abord à supposer la résolution d’une pensée nette et fixe. La preuve la plus sensible de cet embarras intime, c’est le discours mis dans la bouche de la reine à l’inauguration des chambres, c’est-à-dire après la crise. Ce discours, si bien intentionné qu’il soit, n’est point certainement l’expression d’une politique bien arrêtée. La grande affaire du moment, la question de Saint-Domingue, le discours royal la traite par sous-entendu, en laissant pressentir une loi qui viendra proposer sans doute quelque mesure héroïque. La querelle avec le Pérou est présentée comme pouvant se dénouer par la paix, ce qui mettra sûrement l’Espagne à l’abri d’une grande faute. L’Italie ?... Oh ! pour l’Italie, le gouvernement espagnol aura une opinion quand tout sera fini, et alors il se souviendra de son respect filial pour le saint-siège. Le pape ne pourra qu’être sensible à cette généreuse attention, et l’Italie, qui déjà s’inquiète peu d’être reconnue ou de n’être pas reconnue par l’Espagne, s’en inquiétera vraisemblablement moins encore quand tout sera fini. AÀ l’intérieur, le discours royal laisse voir des intentions plus que des résolutions. Il annonce encore une fois une loi sur la presse et une loi pour garantir l’ordre public. En un mot, on le sent à son allure, le cabinet est incontestablement embarrassé.
 
Or, s’il veut faire quelque chose aujourd’hui, et il a beaucoup à faire, ce qui lui serait le plus nécessaire avant tout, ce serait une volonté très ferme et le prestige d’une situation entière. Pour proposer, pour faire accepter une mesure de prévoyance supérieure, comme l’abandon de Saint-Domingue, il faut une grande autorité morale que rien ne soit venu affaiblir. Dans les finances, le cabinet Narvaez a tout à faire, mais il ne peut rien faire qu’avec de la sécurité, avec une situation sûre, avec une bonne politique en un mot, et il ne peut y avoir aujourd’hui de bonne et sûre politique que par le libéralisme. Tant que le ministère n’en sera pas là, il en sera aux expédiens qui sont encore maintenant sa seule ressource. Il fera des emprunts plus ou moins détournés à gros intérêts, il se procurera de l’argent dont ceux qui le lui prêtent se paieront par des spéculations. Il arrivera ainsi à suffire au service du semestre de la dette ; mais combien de temps pourra-t-il vivre à l’aide de ces négociations onéreuses nouées tantôt avec les uns, tantôt avec les autres ? Pour réorganiser les finances comme pour régler toutes les questions extérieures et intérieures qui sont aujourd’hui l’embarras de l’Espagne, le ministère Narvaez a besoin évidemment de se retremper en quelque sorte, de s’affermir de nou-nouveau,
qui a failli l’emporter. Il n’y a pas à se dissimuler pourtant qu’il triomphe moins par sa propre force que par l’impossibilité d’arriver à autre chose, et que cette situation nouvelle, qui a l’apparence d’un succès politique et personnel pour lui, cache bien des épines, bien des difficultés. En réalité, même après s’être dénouée heureusement, cette crise n’est peut-être pas ce qu’on pourrait appeler une crise de santé; elle a surtout ce dangereux caractère de laisser voir certaines faiblesses dans le cabinet, des conflits de tendances, une volonté hésitante et paralysée là où l’on s’était plu d’abord à supposer la résolution d’une pensée nette et fixe. La preuve la plus sensible de cet embarras intime, c’est le discours mis dans la bouche de la reine à l’inauguration des chambres, c’est-à-dire après la crise. Ce discours, si bien intentionné qu’il soit, n’est point certainement l’expression d’une politique bien arrêtée. La grande affaire du moment, la question de Saint-Domingue, le discours royal la traite par sous-entendu, en laissant pressentir une loi qui viendra proposer sans doute quelque mesure héroïque. La querelle avec le Pérou est présentée comme pouvant se dénouer par la paix, ce qui mettra sûrement l’Espagne à l’abri d’une grande faute. L’Italie?... Oh! pour l’Italie, le gouvernement espagnol aura une opinion quand tout sera fini, et alors il se souviendra de son respect filial pour le saint-siège. Le pape ne pourra qu’être sensible à cette généreuse attention, et l’Italie, qui déjà s’inquiète peu d’être reconnue ou de n’être pas reconnue par l’Espagne, s’en inquiétera vraisemblablement moins encore quand tout sera fini. A l’intérieur, le discours royal laisse voir des intentions plus que des résolutions. Il annonce encore une fois une loi sur la presse et une loi pour garantir l’ordre public. En un mot, on le sent à son allure, le cabinet est incontestablement embarrassé.
 
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Or, s’il veut faire quelque chose aujourd’hui, et il a beaucoup à faire, ce qui lui serait le plus nécessaire avant tout, ce serait une volonté très ferme et le prestige d’une situation entière. Pour proposer, pour faire accepter une mesure de prévoyance supérieure, comme l’abandon de Saint-Domingue, il faut une grande autorité morale que rien ne soit venu affaiblir. Dans les finances, le cabinet Narvaez a tout à faire, mais il ne peut rien faire qu’avec de la sécurité, avec une situation sûre, avec une bonne politique en un mot, et il ne peut y avoir aujourd’hui de bonne et sûre politique que par le libéralisme. Tant que le ministère n’en sera pas là, il en sera aux expédiens qui sont encore maintenant sa seule ressource. Il fera des emprunts plus ou moins détournés à gros intérêts, il se procurera de l’argent dont ceux qui le lui prêtent se paieront par des spéculations. Il arrivera ainsi à suffire au service du semestre de la dette; mais combien de temps pourra-t-il vivre à l’aide de ces négociations onéreuses nouées tantôt avec les uns, tantôt avec les autres? Pour réorganiser les finances comme pour régler toutes les questions extérieures et intérieures qui sont aujourd’hui l’embarras de l’Espagne, le ministère Narvaez a besoin évidemment de se retremper en quelque sorte, de s’affermir de nou-
veau, de faire acte d’autorité morale et de résolution, de reprendre enfin le programme qu’il avait semblé s’approprier à son origine, le programme d’une politique largement libérale pratiquée par des conservateurs intelligens. Ce n’est pas seulement sa grande et efficace ressource pour résoudre les sérieuses difficultés de toute sorte qui lui ont été léguées, c’est sa force unique contre toutes les influences irrégulières, et c’est aussi le seul moyen qu’il ait de servir la reine elle-même. S’il ne fait pas cela, il pourra vivre encore. c’est bien possible ; mais il ne sera qu’un ministère de plus parmi tous les ministères qui encombrent l’histoire de l’Espagne nouvelle, et qui ont passé sans lui donner ni la liberté, ni la sécurité, ni même la prospérité matérielle, qui est l’œuvre de tout le monde, excepté du gouvernement.
 
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veau, de faire acte d’autorité morale et de résolution, de reprendre enfin le programme qu’il avait semblé s’approprier à son origine, le programme d’une politique largement libérale pratiquée par des conservateurs intelligens. Ce n’est pas seulement sa grande et efficace ressource pour résoudre les sérieuses difficultés de toute sorte qui lui ont été léguées, c’est sa force unique contre toutes les influences irrégulières, et c’est aussi le seul moyen qu’il ait de servir la reine elle-même. S’il ne fait pas cela, il pourra vivre encore. c’est bien possible; mais il ne sera qu’un ministère de plus parmi tous les ministères qui encombrent l’histoire de l’Espagne nouvelle, et qui ont passé sans lui donner ni la liberté, ni la sécurité, ni même la prospérité matérielle, qui est l’œuvre de tout le monde, excepté du gouvernement.
 
 
CH. DE MAZADE.
 
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