« Essais et Notices — La Reine Anne de Bretagne » : différence entre les versions

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===''Les contes de Perrault'' illustrés par Gustave Doré. <ref>Paris, Didot et Hetzel, 1862. </ref>===
 
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Les contes de Perrault ont eu depuis deux siècles une quantité de bonnes fortunes, qui auraient sans doute fort étonné, s’il avait pu les prévoir, l’auteur modeste et ingénieux auquel nous devons la très habile et cependant très naïve rédaction de ces charmans récits. Leur première et leur plus grande bonne fortune a été l’adoption qu’en a faite l’inventif écrivain qui leur a donné son nom. Orphelins de la tradition, enfans déclassés et sans asile de l’inspiration chevaleresque ou de la poésie populaire, ils ont été
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recueillis an moment où ils couraient risque de se perdre pour toujours dans un monde qui devenait de moins en mois rêveur et naïf, et introduits dans le milieu de la bourgeoisie française. Admis au foyer de Perrault, choyés et caressés par lui, décemment revêtus de l’honnête et simple habit des classes moyennes de l’ancienne France, ils ont fait leur chemin dans le monde. Ils ont été adoptés à la suite du bon Perrault par toutes les classes et par tous les âges, car ce qui donne à ces contes leur rare mérite et leur confère le droit de cité dans le monde supérieur de l’art, c’est qu’ils ne s’adressent pas seulement à une classe de la société ou à un âge des la vie. Populaires ou chevaleresques par l’origine, ils sont bourgeois par le langage et la moralité. L’enfant s’amuse de ces contes et y laisse jouer son imagination qui s’essaie, le jeune homme y cherche un miroir pour ses rêveries, l’homme fait y vérifie ses expériences, ''le vieillard'' s’y souvient. Cependant, bien que ce livre s’adresse à tous les âges, nul n’aurait jamais songé à le donner en cadeau d’étrennes à d’autres personnes que des enfans ou quelques rares adolescens naïfs, s’il en reste encore. Les enfans sont maintenant si précoces ! Il vient d’obtenir cette dernière bonne fortune. Les contes de Perrault, grâce à un éditeur intelligent et hardi, sont devenus aujourd’hui un très beau livre, qu’on peut offrir en cadeau à tout le monde, et que les parens peut envier à leurs enfans. Tout est excellent dans cette nouvelle édition, papier, impression et correction typographique. L’éditeur, par un raffinement de goût, a fait imprimer ce volume eu caractères du XVIIe siècle, comme pour joindre le charme de l’archaïsme à la somptuosité moderne, et conserver à ces charmans récits le cachet de leur origine sous le magnifique accoutrement dont il les a revêtus. L’écrivain qui, sous le nom de Stahl ; s’est chargé d’introduire ces vieux contes auprès du public moderne, l’a fait dans une préface qui est en heureuse harmonie avec le genre de littérature qu’il voulait recommander. M. Gustave Doré s’est chargé des illustrations. Nous avons dit ici même, à l’occasion de ''l’Enfer'' de Danse, tout le bien que nous pension des dessins du jeune artiste, l’œuvre la plus parfaite à notre avis qui soit sortie de sa main. Il a restitué à chacun de ses héros son origine véritable et raconté par le crayon son histoire dans le style qui lui convient. Les dessins qui représentent l’histoire du petit Chaperon-Rouge ont toute la grâce rustique d’un récit villageois, et ceux qui racontent l’histoire de la Barbe-Bleue toute la dure magnificence de la vie féodale à l’aurore de la renaissance. Il est vraiment difficile de faire un choix parmi tant de poétique compositions : , arrêtez cependant vos yeux sur celles qui racontent les histoires du ''Petit Poucet'', de ''la Belle au bois dormant'' et de ''Peau d’Ane''. Tous les clairs de lune de la féérie brillent dans les dessins qui illustrent les aventure de la filleule de la fée des lilas ; le château de la Belle au bois dormant pourrait servir de décor aux plus poétiques de contes allemands, et l’heureux Petit Poucet, à qui jusqu’aujourd’hui les modestes taillis de la France avaient suffi pour l’égarer, a obtenu l’insigne honneur d’errer avec ses frères dans des paysages grandioses et sauvages, tout comme s’il était Siegfried l’invincible et non pas le fils du pauvre bûcheron.
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EMILE MONTEGUT
 
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===La reine Anne de Bretagne <ref>''Vie de la reine Anne de Bretagne, femme des rois de France Charles VIII et Louis XII, suivie de lettres inédites et de documens originaux'', par M. Le Roux de Lincy ; 4 vol., Paris, Curmer, 1861. — Ces volâmes, brillant spécimen d’élégance typographique, sont sortis des presses justement célèbres d’un artiste lyonnais, M. L. Perrin. </ref>===
 
Il y a bien des sortes d’érudition, la grande et la petite, la pédante et la frivole ; il y a l’érudition conquérante et l’érudition inutile, il y a encore celle qui éclaire les questions et celle qui les embrouille, celle qui attire le lecteur et celle qui le met en fuite : la plus aimable à notre avis, c’est l’érudition, discrète, mesurée, sans prétention, qui ne vient pas bouleverser tout, mais se propose seulement de vous introduire comme par la main dans l’intimité d’un monde disparu, M. Le Roux de Lincy a depuis longtemps fait ses preuves en ce genre d’études précises et de restitutions intéressantes : le moyen âge, et surtout la période intermédiaire qui sépare le moyen âge encore vivant de la renaissance déjà victorieuse, ont été pour lui l’objet des plus patientes recherches. Aussi, quand un habile éditeur entreprit de reproduire le magnifique volume des ''Heures d’Anne de Bretagne'', et qu’il voulut publier à cette occasion l’histoire de la princesse qui inspira ce chef-d’œuvre, il pensa tout naturellement à M. Le Roux de Lincy ; le modeste écrivain qui a peint d’une main respectueuse les femmes de l’ancienne France était préparé mieux que personne à nous introduire familièrement auprès de la duchesse Anne. Tel est en effet le charme du savant livre où l’on vient de raconter la vie d’Anne de Bretagne ; c’est une histoire familière. L’auteur a recherché avec le soin le plus scrupuleux tout ce qui intéresse
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son héroïne ; il sait quelle fut son éducation, il connaît ses goûts, ses occupations, ses divertissemens ; il la suit dans les diverses phases de sa vie, il l’accompagne dans toutes les villes où elle établit sa cour ; il ne nous laisse ignorer aucun des personnages qui l’entourent, gentilshommes ou demoiselles d’honneur. Comment elle protège les arts, quels livres elle lit de préférence, de quelle manière elle fait l’aumône, si elle aime le luxe, quelle sorte de luxe et quelles sommes elle y consacre, nous apprenons tout, cela comme si un témoin eût pris la plume pour nous raconter ces choses intimes au jour le jour.
 
Ce n’est pas que l’histoire soit négligée pour la biographie ; les faits généraux, les événemens politiques ne sauraient être laissés dans l’ombre, quand il s’agit d’une princesse mariée à deux rois de France, et qui, par ce double mariage, a consolidé si heureusement l’unité de la monarchie française. Il est visible cependant que le biographe se sent plus à l’aise chaque fois qu’il parle de la vie quotidienne d’Anne de Bretagne, et que c’est bien la l’originalité de son travail. L’ouvrage est divisé en cinq livres : le premier, consacré à l’enfance de la duchesse, à son éducation, à son mariage, nous conduit jusqu’à la mort de son mari, le roi Charles VIII ; le second nous montre la veuve du roi vivant à Paris, puis en Bretagne, et replacée enfin sur le trône à côté de son second époux, Louis XII ; les trois autres, c’est-à-dire la grande moitié de cette biographie si complète, s’occupent exclusivement de la vie privée de la reine et de la femme. Raconter des événemens qui se trouvent dans toutes les histoires, ce n’est pas une tâche à dédaigner sans doute, quand on peut la rajeunir par la nouveauté des vues et l’intérêt du récit ; le biographe d’Anne de Bretagne s’est proposé un autre but, et de la première à la dernière page de son livre il est resté fidèle à sa pensée ; il a voulu mettre sous nos yeux le détail d’une existence souveraine dans cette période si curieuse qu’illuminent les premiers rayons de la renaissance.
 
Il y a, je le crois bien, un peu trop de ces menus détails, de ces notes de dépenses, dont le scrupuleux investigateur est si friand. Quand la jeune reine, âgée de quinze ans, quitte la Bretagne pour se rendre en France avec Charles VIII, M. Le Roux de Lincy nous fait la description complète de ses équipages de route ; il entre à tout propos dans des comptes de ménage qui paraissent quelquefois bien longs. N’oubliez pas Cependant que le fidèle biographe n’obéit pas toujours aux entraînemens d’une érudition minutieuse, mais aux convenances et même aux nécessités de son sujet. Nous sommes à la fin du XVe siècle, au moment où le soleil de l’Italie va projeter ses rayons sur l’Europe ; le goût des arts, du luxe, des beaux meubles, des riches étoiles va s’associer joyeusement à la renaissance des lettres et au réveil de la pensée. Rappelez-vous le grave. Comynes ébloui par les merveilles de Venise. J’avais bien raison de dire que M. Le Roux de Lincy devient, presque sans y penser, le contemporain des âges qu’il étudie. Ces
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élégances qui enchantaient les hommes du XVe siècle, et dont ils ont tenu note si exactement, lui aussi, il en subit le charme. Partager, comme il le fait, la naïve admiration des sujets de la reine Anne, n’est-ce pas reproduire tout un aspect de l’époque ?
 
La reine n’a pas encore seize ans ; ce goût des belles étoffes, si vif chez la jeune femme, ce sera bientôt le goût des chefs-d’œuvre de l’art. Poètes, savans, peintres, sculpteurs, miniaturistes, orfèvres, ciseleurs, vont former un noble cortège autour d’elle. Si la sœur de François Ier, quelques années plus tard, est la reine des beaux esprits et des libres penseurs, la femme de Charles VIII et de Louis XII n’est-elle pas véritablement la reine de la renaissance dans cette période que remplissent les guerres d’Italie et qui précède la révolution de Luther ? Et pourtant cette reine de la renaissance, comme je ne crains pas de la nommer, est en même temps une figure du moyen âge par la grâce, la douceur, la piété candide, la vertu naïve et efficace. On ne la connaissait que d’une manière un peu vague et surtout au point de vue politique ; on la connaîtra désormais dans sa vie de chaque jour, dans le gouvernement de sa maison, dans l’action bienfaisante qu’elle exerçait autour d’elle ; on la verra vivre et on l’aimera. Sévère sans pédantisme, elle tient école de grâce et de vertu. Pour exciter l’émulation parmi ses filles d’honneur, elle a fondé un ordre de chevalerie dont elle ne décore que les plus dignes. Le signe de l’ordre est un collier enrichi de pierres : précieuses en forme de cordelière ; elle les « admonestoit ainsi, dit le chroniqueur Hilarion de Coste, de vivre chastement et saintement et avoir toujours en mémoire les cordes et les liens de Jésus-Christ. » Et avec quel soin elle s’occupe de leur avenir ! quelle sollicitude pour les marier ! Une mère n’aurait pas plus de scrupules et de dévouement. Pendant la guerre d’Italie, elle veut doter trois de ses filles d’honneur ; mais elle n’a pas sous la main la somme dont elle a besoin. Que faire ? Elle l’emprunte aux banquiers de Lyon, n’hésitant pas à leur donner en gage ''une grosse pointe de diamant à facettes'', l’un des plus riches trésors de son royal écrin. Anne s’acquit bientôt une grande réputation par toute l’Europe pour le soin qu’elle consacrait à l’éducation des jeunes filles nobles. On vit plus d’un souverain, soit pour lui-même, soit pour les seigneurs de sa cour, demander à la reine-duchesse la main d’une de ses belles élèves. Un jour ce fut un roi de Pologne et de Hongrie, une autre fois ce fut un roi d’Espagne. Cette biographie de la duchesse Anne est ainsi une page curieuse de l’histoire de la civilisation en France, de l’histoire des mœurs, des arts, des lettres, au moment de nos premiers rapports avec la renaissance italienne.
 
 
SAINT-RENE TAILLANDIER.