« Journal du voyage de Montaigne » : différence entre les versions

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même famille, & du Verdier a grand soin d'en faire la distinction.
F I N.
VOYAGE
 
D E
VOYAGE DE MICHEL DE MONTAIGNE EN ALLEMAGNE ET EN ITALIE.
MICHEL DE MONTAIGNE
 
EN ALLEMAGNE ET EN ITALIE.
 
48 MONSIEUR48MONSIEUR DE MONTAIGNE depescha Monsieur de Mattecoulon en poste avec ledit
escuyer, pour visiter ledit Conte, & trouva, que ses playes n’estoint pas mortelles. Audit Beaumont,
M. d’Estissac se mesla à la trope pour faire même voyage, accompaigné d’un jantil’home, d’un
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hauteur d’un homme.
De Meaux où nous disnames le mardy nous vinsmes coucher à
 
CHARLY, sept lieues. Le mercredy après disner vinsmes coucher à
48 IL MANQUE deux pages du Manuscrit formant le premier feuillet, qui paroît avoir été déchiré fort anciennement, puisque le
livre a été trouvé en cet état. On ne sait point quel est le Comte que Montaigne envoya visiter, ni l’accident qui causa ses blessures;
mais on ne se permettra point la moindre conjecture sur un fait étranger à l’Auteur.
 
DORMANS, sept lieues. Le landemein qui fut jeudi matin vinsmes disner à
 
ESPRENAI, cinq lieues. Où estans arrivés, MM. d’Estissac & de Montaigne s’en allarent à la
messe comme c’estoit leur coutume, en l’eglise Nostre Dame ; & parce que ledit seigr. de
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instruit & en peut instruire les gentil’hommes qui s’en enquerroint. Nous partimes de là le vendredy
matin & vinsmes à
 
CHAALONS, sept lieues. Et y logeasmes à la Couronne qui est un beau logis, & y sert-on en
vesselle d’argeant, & la pluspart des lits & couvertes sont de soie. Les communs battimens de toute
cette contrée sont de croye, coupée à petites pieces quarrées, de demi pied ou environ & d’autres de
terre en gason de mesme forme. Le lendemein nous en partimes après disner, & vinsmes coucher à
 
VITRI LE FRANÇOIS, sept lieues. C’est une petite ville assise sur la riviere de Marne, battie
depuis trente-cinq ou quarante ans, au lieu de l’autre Vitry qui fut bruslé. Ell’a encore sa premiere
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est très-certin, & ainsi tesmoigné à M. de Montaigne par les plus apparens officiers de la ville. Delà
nous partismes dimenche matin après desjeuné, & vinsmes d’une trete à
 
BAR, neuf lieues. Où M. de Montaigne avoit esté autresfois, & n’y trouva de remarquable de
nouveau que la despense estrange qu’un particulier prestre & doyen de là a employé & continue
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il veut faire un colliege, & est après à le doter & mettre en trein à ses despens. De Bar, où nous
disnames le lundi matin, nous nous en vinsmes coucher à
 
MANNESE, quatre lieues. Petit village où M. de Montaigne fut arresté, à cause de sa colicque,
qui fut aussi cause qu’il laissa le dessein qu’il avoit aussi faict de voir Toul, Metz, Nancy, Jouinville
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les beings de Plombieres en diligence. De Mannese, nous partismes mardi, au matin & vinsmes
disner à
 
VAUCOULEUR, une lieue. Et passames le long de la riviere de Meuse dans un village nommé.
 
DONREMY, sur Meuse, à trois lieues dudit Vaucouleur. D’où estoit natifve cette fameuse
pucelle d’Orléans, qui se nommoit Jeane Day ou Dallis. Ses descendans furent annoblis par faveur
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d’une vigne qu’on nomme, l’abre de la Pucelle, qui n’a nulle autre chose à remarquer. Nous
vinsmes ce soir coucher à
 
NEUFCASTEAU, cinq lieues. Où en l’église des Cordeliers il y a force tumbes anciennes de
trois ou quatre cens ans de la noblesse du païs, desqueles toutes les inscriptions sont en ce lengage :
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bénéfices. Elles font au demeurant le service divin coimme ailleurs. La plus grand part y finissent
leurs jours & ne veulent changer de condition. Delà nous vinsmes soupper à
 
ESPINÉ, cinq lieuës. C’est une belle petite ville sur la riviere de la Moselle où l’entrée nous fût
refusée d’autant que nous avions passé à Neufchasteau, où la peste avoit été il n’y a pas
long-temps. Lendemain matin nous vinsmes disner à
 
PLOMMIERES, quatre lieues. Depuis Bar-le-Duc les lieues reprennent la mesure de Guascogne,
& vont s’allongeant vers l’Allemagne, jusques à les doubler & tripler enfin. Nous y entrasmes le
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& après avoir suivi un très plesant vallon entre ces collines, passames le Tibre à Corde, où il se voit
encore des grosses piles de pierre, reliques du pont qu’Auguste y avoit faict faire pour atacher le
païs des Sabins, qui est celui vers lequel nous passames, aveq celui des Falisques, qui est de l’autre
païs des
part. Nous rancontrâmes après Otricoli, petite villette apartenant au Cardinal di Peruggi. Au davant
de cete ville, il se voit en une belle assiete, des ruines grandes & importantes ; le païs montueus &
infinimant plesant, presante un prospect de region toute bossée, mais très fertile partout & fort
peuplée. Sur ce chemin se rancontre un escrit, où le Pape dict avoir faict & dressé ce chemin, qu’il
nome viam Boncompaignon, de son nom. Cet usage de mettre enisi par escrit & laisser
tesmouignage de tels ouvrages, qui se voit en Italie & Allemaigne, et un fort bon eguillon ; & tel qui
ne se soucie pas du publiq, sera acheminé par cet esperance de reputation, de faire quelque chose
de bon. De vrai, ce chemin étoit plus la pluspart mal aisé, & a presant on l’a randu accessible aus
coches mesmes jusques à Lorette. Nous vinmes coucher à
NARNI, dix milles, Narnia en latin. Petite ville de l’Eglise, assise sur le haut d’un rochier, au
pied duquel roule la riviere Negra, Nar en latin ; & d’une part ladite ville regarde une très plesante
plene où ladicte riviere se joue & s’enveloppe estrangement. Il y a en la place une très-belle
fontene. Je vis le dôme, & y remercai cela que la tapisserie qui y est, a les escrits & rimes Françoises
de notre langage antien. Je ne sçeus aprendre d’où cela venoit ; bien aprins je du peuple
qu’ils ont de tout tamps grand’inclination à notre faveur. Ladicte tapisserie est figurée de la passion,
& tient tout l’un costé de la nef. Parceque Pline dict qu’en ce lieu là se treuve certeine terre qui
s’amollit par la chaleur & se seche par les pluies, je m’en enquis aus habitans qui n’en sçavent rien.
Ils ont a un mille près de là, des eaus fredes qui font mesme effaict des nôtres chaudes ; les malades
s’en servent ; mais elles sont peu fameuses. Le logis, selon la forme d’Italie, est des bons, si est-ce
que nous n’y avions pouint de chandelle, eins par tout de la lumiere à huile. Le 21, bon matin, nous
descendismes en une très plesante vallée où court ladicte riviere Negra, laquele riviere nous
passâmes sur un pont aus portes de Tarni que nous traversames, & sur la place vismes une colonne
fort antique qui est encore sur ses pieds. Je n’y aperçus nulle inscription, mais à côte il y a la statue
d’un Lion relevée, audessous de laquelle il y a en vieilles lettres une dédicace à Neptune, & encore
ledict Neptunius insculpé en mabre à tout son equipage. En cete mesme place il y a une inscription,
qu’ils ont relevée en lieu eminant, à un A. Pompeius A. F. Les habitans de cete ville, qui se nome
Interamnia, pour la riviere de Negra qui la presse d’un côté & un autre ruisseau par l’autre, ont erigé
une statue pour les services qu’il a faict à ce peuple ; la statue n’y est pas, mais je jugeai la vieillesse
de cet escrit, par la forme d’escrire en diptonge periculeis & mots semblables. C’est une belle
villete (Narni) en singulieremant plesante assiete. A son cul d’où nous venions, ell’a la pleine très
fertile de cete valée, & au delà, les coteaus les plus cultivés, habités. Et entr’autres choses, pleins de
tant d’oliviers, qu’il n’est rien de plus beau à voir, attandu que parmi ces couteaus, il y a
quelquefois des montaignes bien hautes qui se voient jusques sur la sime labourées & fertiles de
toutes sortes de fruis. J’avois bien fort ma cholique, qui m’avoit tenu 24 heures, & étoit lors sur son
dernier effort ; je ne lessai pourtant de m’agreer de la beauté de ce lieu là. Delà nous nous
engajames un peu plus avant en l’Appennin, & trouvasmes que c’est à la vérité une belle grande &
noble reparation, que de ce nouveau chemin que le Pape y a dressé, & de grande despanse &
commodité. Le peuple voisin a été contreint à le bâtir ; mais il ne se pleint pas tant de cela que de
ce que sans aucune recompanse, où il s’est trouvé des terres labourables, vergiers, & choses
samblables, on n’a rien espargné pour cete esplanade. Nous vismes à nostre mein droite une tête de
colline plesante, sesie d’une petite villette. Le peuple la nome Colle Scipoli : ils disent que c’est antienemant
Castrum Scipionis. Les autres montaignes sont plus hautes, seches & pierreuses, entre
lesquelles & la route d’un torrant d’hyver, nous nous randismes à
SPOLETO, dix-huit milles. Ville fameuse & commode, assise parmi ces montaignes, & au bas.
Nous fumes contreins d’y montrer notre bollette, non pour la peste qui n’estoit lors en nulle part
d’Italie, mais pour la creinte en quoi il sont d’un Petrino, leur citoïen, qui est le plus noble bani
volur d’Italie, & duquel il y a plus de fameus exploits, duquel ils creignent & les villes d’alentour
d’être surpris. Cete contrée est semée de plusieurs tavernes ; & où il n’y a pouint d’habitation, ils
font des ramées où il y a des tables couvertes & des eufs cuits & du fromage & du vin. Ils n’y ont
pouint de burre & servent tout fricassé de huille. Au partir de là, ce mesme jour après disner, nous
nous trouvasmes dans la vallée de Spoleto, qui est la plus bele pleine entre les montaignes qu’il est
possible de voir, large de deus grandes lieues de Gascouigne. Nous descouvrions plusieurs
habitations sur les croupes voisines. Le chemin de cette pleine et de la suite de ce chemin que je
vien de dire du Pape, droit à la ligne, come une carriere faicte à poste. Nous laissâmes force villes
d’une part & d’autre ; entr’autres sur la mein droite, la ville de Trevi. Servius dict sur Virgile, que
c’est Oliviferæque Mutiscæ, de quoi il parle Liv. 7. Autres le nient & argumantent au contrere ;
tant-y-a que c’est une ville pratiquée sur une haute montaigne & d’un endret étandue tout le long de
sa pante jusques à mi montaigne. C’est une très-plesante assiete, que cete montaigne chargée
d’oliviers tout au tour. Ce chemin là nouveau, & redressé depuis trois ans, qui est le plus beau qui se
puisse voir, nous nous randismes au soir à
FOLIGNI douze milles. Ville bele, assise sur cet pleine qui me represanta à l’arrivée le plan de
Sainte-Foi, quoiqu’il soit beaucoup plus riche & la vile beaucoup plus bele & peuplée sans
compareson. Il y a une petite riviere ou ruisseau qui se nome Topino. Cete ville s’apelloit
antienemant Fulignium, autres Fulcinia, bastie au lieu de Forum Flaminium. Les hosteleries de cete
route, où la pluspart, sont comparables aux Françoises, sauf que les chevaus n’y treuvent guiere que
du soin à manger. Ils servent le poisson mariné & n’en ont guiere de frais. Ils servent des feves
crues par toute l’Italie, & des pois & des amandes vertes, & ne font guiere cuire les artichaux. Leurs
aires sont pavés de carreau. Ils atachent leurs beufs par le muffle, à tout un fer qui leur perce
l’entredeus des naseaus come des buffles. Les mulets de bagage, de quoi ils ont foison & fort beaus,
n’ont leurs pieds de davant ferrés à notre mode, einsi d’un fer ront, s’entretenant tout au tour du
pied, & plus grand que le pied. On y rancontre en divers lieus les Moines qui donent l’eau benite
aus passans, & en atandent l’aumône ; & plusieurs enfans qui demandent l’aumône, prometant de
dire toute leur disene de pati-nôtres, qu’ils montrent en leurs meins, pour celui qui la leur aura
baillée. Les vins n’y sont guere bons. Landemein matin, aïant laissé cete bele pleine, nous nous
rejetâmes au chemin de la montaigne, où nous retrouvions force beles pleines, tantost à la teste,
tantost au pied du mont. Mais sur le comancemant de cete matinée, nous eusmes quelque tamps un
très-bel object de mille diverses collines, revetues de toutes pars de très-beaus ombrages de toute
sorte de fruitiers & des plus beaus bleds qu’il est possible, souvant en lieu si coupé & præcipitus,
que c’étoit miracle que sulemant les chevaus puissent avoir accès. Les plus beaus vallons, un
nombre infini de ruisseaus, tant de maisons & villages par-ci par-là, qu’il me resouvenoit des
avenues de Florance, sauf que ici il n’y a nul palais ny maison d’apparance ; & là le terrein est sec
& sterile pour la pluspart, là ou en ces collines il n’y a pas un pousse de terre inutile. Il est vrai que
la seson du printamps les favorisoit. Souvant, bien louin au-dessus de nos testes, nous voions un
beau vilage ; & sous nos pieds, come aus Antipodes, un’autre aiant chacun plusieurs commodités &
diverses : cela mesme n’y done pas mauvès lustre, que parmi ces montaignes si fertiles l’Apennin
montre ses testes refrouignées & inaccessibles, d’où on voit rouller plusieurs torrans, que aïant
perdu cete premiere furie, se randent là tost-après dans ces valons des ruisseaus très-plesans &
très-dous. Parmi ces bosses, on descouvre & au haut & au bas plusieurs riches pleines, grandes par
fois à perdre de veue par certein biaiz du prospect. Il ne me samble pas que nulle peinture puisse
represanter un si riche païsage. De-là nous trouvions le visage de notre chemin, tantost d’une façon,
tantost d’un’autre, mais tousiours la voïe très-aisée ; & nous randismes à disner à
LA MUCCIA, vingt milles. Petite villote assise sur le fluve de Chiento. De-là nous suivismes
un chemin bas & aisé au travers ces mons, & parceque j’avoi donné un soufflet à notre vetturin, qui
est un grand excès selon l’usage du païs, temouin le vetturin qui tua le Prince de Trésignano, ne me
voiant plus suivre audict vetturin, & en étant tout à part moi un peu en humur, qu’il fit des
informations ou autres choses, je m’arretai contre mon dessein (qui étoit d’aler à Tolentino) à
souper à
VALCHIMARA, huit milles. Petit village, & la poste, sur ladicte riviere de Chiento. Le
Dimanche landemein, nous suivimes tousiours ce valon entre des montaignes cultivées & fertiles
jusques à Tolentino, petite villete, au travers de laquele nous passames & rancontrames après le païs
qui s’applanissoit, & n’avions plus à nos flancs que des petites cropes fort accessibles, raportant
cete contrée fort à l’Agenois, où il est le plus beau le long de la Garonne ; sauf que, come en
Souisse, il ne s’y voit nul chateau ou maison de gentilhome, mais plusieurs villages, ou villes sur les
côteaus. Tout cela fut, suivant le Chiento, un très-beau chemin, & sur la fin, pavé de brique, par où
nous nous randismes à disner à
MACERATA, dix-huit milles. Belle ville de la grandur de Libourne, assise sur un haut en
forme aprochant du ront, & se haussant de toutes pars egalemant vers son vantre. Il n’y a pas
beaucoup de bastimans beaus. J’y remercai un Palais de pierre de taille, tout taillé par le dehors en
pouinte de diamans carrée ; come le Palais du Cardinal d’Este à Ferrare cete forme de constructure
est plesante à la veue. L’antrée de cete ville, c’est une porte neufve, où il y a descrit : Porta Boncompaigno,
en lettres d’or ; c’est de la suite des chemins que ce Pape a redressés. C’est ici le siege
du Legat pour le païs de la Marque. On vous presante en ces routes la cuiton du cru, quand ils
offrent leurs vins : car ils en font cuire & bouillir jusques au dechet de la moitié, pour le randre
meilleur. Nous santions bien que nous etions au chemin de Lorette, tant les chemins etoint pleins
d’alans & venans ; & plusieurs, non homes particuliers sulemant, mais compaignies de personnes
riches faisant le voïage à pied, vestus en pelerins, & aucunes avec un’enseigne & puis un crucifix
qui marchoit davant & eus vetus d’une livrée. Après disner, nous suivismes un païs commun,
tranchant tantost des pleines & aucunes rivieres, & puis aucunes collines aisées, mais le tout
très-fertile & le chemin pour la pluspart pavé de carreau couché de pouinte. Nous passames la ville
de Recanati, qui est une longue ville assise en un haut, & etandue suivant les plis & contours de sa
colline ; & nous randismes au soir à
LORETTE, quinze milles. C’est un petit village clos de murailles, & fortifié pour l’incursion
des Turcs, assis sur un plant un peu relevé, regardant une très-bele pleine, & de bien près la mer
Adriatique ou golfe de Venise ; si qu’ils disent que, quant il fait beau, ils descouvrent au delà du
golphe les montaignes de l’Esclavonie : c’est enfin une très-bele assiete. Il n’y a quasi autres
habitans que ceus du service de cete devotion, come hostes plusieurs, (& si les logis y sont assés
mal propres), & plusieurs marchans, sçavoir est, vandurs de cire, d’images, de pastenostres, agnus
Dei, de Salvators, & teles danrées, de quoi ils ont un grand nombre de beles boutiques & richemant
fournies. J’y lessai près de 50 bons escus pour ma part. Les Prestres, jans d’Eglise, & Colliege de
Jesuites, tout cela est rassemblé en un grand Palais qui n’est pas antien, où loge aussi un
Gouverneur, home d’Eglise, à qui on s’adresse pour toutes choses, sous l’authorité du Legat & du
Pape. Le lieu de la devotion, c’est une petite maisonete fort vieille & chetifve, bastie de brique, plus
longue que large. A sa teste, on a faict un moïen, lequel moïen a à chaque costé, une porte de fer : à
l’entredus une grille de fer : tout cela grossier, vieil, & sans aucun appareil de richesse. Cete grille
tient la largeur d’une porte à l’autre ; au travers d’icelle, on voit jusques au bout de cete logette, &
ce bout, qui est environ la cinquieme partie de la grandur de cete logette, qu’on renferme, c’est le
lieu de la principale relligion. Là se voit au haut du mur, l’image Notre Dame, faicte, disent-ils, de
bois ; tout le reste est si fort pavé de voeux riches de tant de lieus & princes, qu’il n’y a jusques à
terre pas un pousse vuide, & qui ne soit couvert de quelque lame d’or ou d’arjant. J’y peus trouver à
toute peine place, & avec beaucoup de faveur, pour y loger un tableau dans lequel il y a quatre
figures d’arjant attachées: cele de Notre-Dame, la miéne, cele de ma fame, cele de ma fille. Au
pieds de la miéne, il a insculpé sur l’arjant : Michael Montanus, Gallus Vasco, Eques Regij Ordinis
1581 ; à cele de ma fame, Francisca Cassaniana uxor ; à cele de ma fille, Leonora Montana filia
unica ; & sont toutes de ranc à genous dans ce tableau, & la Notre Dame au haut au devant. Il y a
un’autre antrée en cete chapelle que par les deus portes de quoi j’ai parlé, laquelle antrée respont au
dehors. Entrant donc par là en cete chapelle, mon tableau est logé à mein gauche contre la porte qui
est à ce couin, & je l’y ai laissé très curieusemant ataché & cloué. J’y avois faict mettre une
chenette & un aneau d’arjant, pour par icelui le pandre à quelque clou ; mais ils amarent mieus
l’atacher tout à faict. En ce petit lieu est la cheminée de cete logette, laquelle vous voiés en
retroussant certeins vieus pansiles qui la couvrent. Il est permis à peu d’y entrer ; voire par
l’escriteau de devant la porte, qui est de metal très-richemant labouré, & encore y a-t-il une grille de
fer audavant cete porte, la defance y est que, sans le congé du Gouvernur, nul n’y entre. Entr’autres
choses, pour la rarité, on y avoit laissé parmi d’autres presans riches, le cierge qu’un Turc
frechemant y avoit envoïé, s’étant voué à cette Nostre-Dame, estant en quelque extreme necessité,
& se voulant eider de toutes sortes de cordes. L’autre part de cete casete, & la plus grande sert de
chapelle, qui n’a nulle lumiere du jour, & a son Autel audessous de la grille contre ce moïen duquel
j’ai parlé. En cete chapelle, il n’y a nul ornemant, ni banc, ny accoudoir, ny peinture ou tapisserie au
mur ; car de foi mesmes il sert de reliquere. On n’y peut porter nulle espée, ny armes, & n’y a nul
ordre ny respect de grandur. Nous fismes en cete chapelle-là nos Pasques, ce qui ne se permet pas à
tous ; car il y a lieu destiné pour cet effaict, à cause de la grand’presse d’homes qui ordineremant y
communient. Il y a tant de ceus qui vont à toutes heures en cete chapelle, qu’il faut de bon’heure
mettre ordre qu’on y face place. Un Jésuite Allemand m’y dît la messe, & dona à communier. Il est
défendu au peuple de rien esgratigner de ce mur ; & s’il etoit permis d’en amporter, il n’y en auroit
pas pour trois jours. Ce lieu est plein d’infinis miracles, de quoi je me raporte aus Livres ; mais il y
en a plusieurs & fort recens de ce qui est mésavenu à ceus qui par devotion avoint amporté quelque
chose de ce batimant, voire par la permission du Pape ; & un petit lopin de brique qui en avoit été
osté lors du concile de Trante, y a été raporté. Cete casete est recouverte & appuiée par le dehors en
carré, du plus riche bastimant, le plus labouré & du plus beau mabre qui se peut voir ; & se voit peu
de pieces plus rares & excellantes. Tout autour & audessus de ce carré, est une belle grande Eglise,
force beles chapelles tout au tour, tumbeaus, & entr’autres celui du Cardinal d’Amboise, que M. le
Cardinal d’Armaignac y a mis. Ce petit carré est come le Coeur des autres Eglises ; toutefois il y a
un coeur mais c’est dans une encouignure. Toute cete grande Eglise est couverte de tableaus,
peintures, & histoires. Nous y vismes plusieurs riches ornemans, & m’étonai qu’il ne s’y en voïoit
encore plus, veu le nom fameus si antienemant de cete Eglise. Je croi qu’ils refondent les choses
antienes, & s’en servent à autres usages. Ils estiment les aumones en arjant monoïé à dix mille
escus. Il y a là plus d’apparance de relligion qu’en nul autre lieu que j’aïe veu. Ce qui s’y perd, je
dis de l’arjant ou autre chose, digne, non d’être relevée sulemant, mais desrobée, pour les jans de ce
metier, celui qui le treuve, le met en certein lieu publique & destiné à cela ; & reprant là, quiconque
le veut reprandre, sans connoissance de cause. Il y avoit, quand j’y etois, plusieurs teles choses,
patenostres, mouchoirs, bourses sans aveu, qui etoint au premier occupant. Ce que vous achetés
pour le service de l’Eglise & pour y laisser, nul artisan ne veut rien de sa façon, pour, disent-ils,
avoir part à la grâce : vous ne païés que l’arjant ou le bois, d’aumone & de liberalité bien, mais en
verité ils le refusent. Les jans d’Eglise, les plus officieus qu’il est possible à toutes choses, pour la
confesse, pour la communion, & pour nulle autre chose, ils ne prennent rien. Il est ordinere de doner
à qui vous voudrés d’entre eus de l’arjant, pour le distribuer aus pauvres en vostre nom, quand vous
serés parti. Come j’étois en ce sacrere, voilà arriver un home qui offre au premier Prestre rancontré,
une coupe d’arjant en disant en avoir faict veu ; & parceque il l’avoit faict de la despanse de douse
escus, à quoi le calice ne revenoit pas, il paya soudein le surplus audict Prestre, qui pleidoit du
païemant & de la monnoïe, comme de chose due très-exactemant, pour eider à la parfaicte &
consciantieuse execution de sa promesse ; cela faict, il fit entrer cet home en ce sacrere, offir
lui-mesme ce calice à Nostre-Dame, & y faire une courte oreson, & l’arjant le jeta au tronc
commun. Ces examples, ils les voient tous les jours, & y sont assés nonchalans. A peine est reçu à
doner qui veut, au moins c’est faveur d’être accepté. J’y arretai Lundi, Mardi & Mercredi matin ;
après la messe j’en partimes. Mais, pour dire un mot de l’experience de ce lieu, où je me plus fort, il
y avoit en mesme tamps là Michel Marteau, seigneur de la Chapelle, Parisien, june home très riche,
avcq grand trein. Je me fis fort particulieremant & curieusemant reciter & à lui & à aucuns de sa
suite, l’evenemant de la guerison d’une jambe qu’il disoit avoir eüe de ce lieu ; il n’est possible de
mieus ny plus exactemant former l’effaict d’un miracle. Tous les Chirurgiens de Paris & d’Italie s’y
étoint faillis. Il y avoit despandu plus de trois mille escus : son genou enflé, inutile, &
très-dolureus, il y avoit plus de trois ans, plus mal, plus rouge, enflammé, & enflé, jusques à lui
doner la fievre ; en ce mesme instant, tous autres médicamans & secours abandonés, il y avoit
plusieurs jours ; dormant, tout à coup, il songe qu’il est gueri, & lui samble voir un escler ; il
s’eveille, crie qu’il est gueri, apele ses jans, se leve, se promene, ce qu’il n’avoit faict onques depuis
son mal ; son genou désenfle, la peau fletrie tout autour du genou & come morte, lui tousiours
despuis, en amandant, sans null’autre sorte d’eide. Et lors il étoit en cet etat d’entiere guerison, etant
revenu à Lorette ; car c’étoit d’un autre voïage d’un mois ou deus auparavant qu’il étoit gueri &
avoit eté cepandant à Rome aveq nous. De sa bouche & de tous les siens, il ne s’en peut tirer pour
certein que cela. Le miracle du transport de cete maisonete, qu’ils tienent être celle là propre où en
Nasaret nasquit Jesus-Christ, & son remuemant premieremant en Esclavonie, & depuis près d’ici, &
enfin ici, est attaché à de grosses tables de mabre en l’Eglise le long des piliers, en langage Italien,
Esclavon, François, Alemant, Espaignol. Il y a au Coeur, un’anseigne de nos Rois pandue, & non les
armes d’autre Roy. Ils disent qu’ils y voient souvant les Esclavons à grans tropes venir à cete
devotion, aveq des cris, d’aussi loin qu’ils descouvrent l’Eglise de la mer en hors, & puis sur les
lieus tant de protestations & promesses à Nostre-Dame, pour retourner à eus ; tant de regrets de loi
avoir doné occasion de les abandoner, que c’est merveille. Je m’informai que de Lorette, il se peut
aler le long de la marine, en huit petites journées, à Naples, voiage que je desire de faire. Il faut
passer à Pescare & à la cita de Chiete, où il y a un Procaccio qui part tous les Dimanches pour
Naples. Je offris à plusieurs Prestres de l’arjant ; la pluspart s’obstina à le refuser, & ceus qui en
acceptarent, ce fut à toutes les difficultés du monde. Ils tienent là & gardent leur grein dans des
caves, sous la rue. Ce fut le 25 d’Avril que j’offris mon veu. A venir de Rome à Lorette, auquel
chemin nous fumes quatre jours & demi, il me couta six écus de monnoïe, qui sont 50 sols piece,
pour cheval, & celui qui nous louoit les chevaus les nourrissoit & nous. Ce marché est incommode,
d’autant qu’ils hastent vos journées, à cause de la despanse qu’ils font, & puis vous font treter le
plus escharsemant qu’ils peuvent. Le 26, j’allai voir le Port, à trois milles delà, qui est beau, & y a
un fort qui despant de la communauté de Ricanate. Don Luca-Giovanni Benefìciale, & Giovanni--
Gregorio da Cailli, Custode de la Secrestia, me donnarent leurs noms, affin que, si j’avois affaire
d’eus ou pur moi ou pour autrui, je leur escrivisse : ceus-là me firent force courtoisies. Le premier
comande à cete petite chapelle, & ne vousit rien prandre de moi. Je leur suis obligé des effaictes &
courtoisies qu’ils m’ont faictes de parole. Ledict Mercredi après disner, je suivis un païs fertile,
descouvert, & d’une forme meslée, & me randis à souper à
ANCONA, quinze milles. C’est la maitresse ville de la Marque : la Marque etoit aus latins
Picoenum. Elle est fort peuplée & notammant de Grecs, Turcs, & Esclavons, fort marchande, bien
bastie ; costoiée de deus grandes butes qui se jetent dans la mer, en l’une desqueles est un grand fort
par où nous arrivasmes. En l’autre qui est fort voisin, il y a un’Eglise entre ces deus butes, & sur les
pandans d’icelles, tant d’une part que d’autre, est plantée cete ville : mais le principal est assis au
fons du vallon & le long de la mer, où est un très-beau port, où il se voit encores un grand arc à
l’honur de l’Amperur Trajan, de sa feme, & de sa seur. Ils disent que souvant en huit, dix, ou douse
heures, on trajecte en Esclavonie. Je croi que pour six escus ou un peu plus, j’eusse treuvé une barque
qui m’eût mené à Venise. Je donai 33 pistolets pour le louage de huit chevaus jusques à
Lucques, qui sont environ huit journées. Doit le vetturin nourrir les chevaus, & au cas que j’y sois
quatre ou cinq jours plus que de huit, j’ai les chevaus, sans autre chose que de paier les despans des
chevaus & garçons. Cete contrée est pleine de chiens couchans excellans, & pour six escus il s’y en
trouveroit à vandre. Il ne fut jamais tant mangé de cailles, mais bien maigres. J’arrestai le 27
jusques après disner, pour voir la beauté & assiete de cete ville : à St. Creaco, qui est l’Eglise de
l’une des deus butes, il y a plus de reliques de nom, qu’en Eglise du monde, lesqueles nous furent
montrées. Nous averasmes que les cailles passent deça de la Sclavonie a grand foison, & que toutes
les nuits on tand des rets au bord de deça & les apele-t-on à tout cete leur voix contrefaicte, & les
rapele-t-on du haut de l’air où elles sont sur leur passage ; & disent que sur le mois de Septambre
elles repassent la mer en Sclavonie. J’ouis la nuit un coup de canon de la Brusse, au roiaume &
audelà de Naples. Il y a de lieuë en lieuë une tour ; la premiere qui descouvre une fuste de Corsere,
faict signal à tout du feu à la seconde vedette ; d’une tele vitesse qu’ils ont trouvé qu’en une heure
du bout de l’Italie l’avertissemant court jusques à Venise. Ancone s’apeloit einsin antienemant du
mot grec, pour l’encouignure que la mer faict en ce lieu ; car ses deus cornes s’avancent & font un
pli enfoncé, où est la ville converte par le davant de ces deus testes & de la mer, & encore par
derriere d’une haute bute, où autrefois il y avoit un fort. Il y a encores une Eglise Grecque, & sur la
porte, en une vieille pierre, quelques lettres que je pense Sclavones. Les fames sont ici
communemant beles, & plusieurs homes honêtes & bons artisans. Après disner, nous suivismes la
rive de la mer qui est plus douce & aisée que la nôtre de l’Ocean, & cultivée jusques tout jouignant
de l’eau, & vinmes coucher à
SENIGAGLIA, vint milles. Bele petite ville, assise en une très-bele pleine tout jouignant la mer,
& y faict un beau port ; car une riviere descendant des mons la lave d’un costé. Ils en font un canal
garni & revestu de gros pans d’une part & d’autre, là ou les bateaus se metent à l’abri & en est l’entrée
close. Je n’y vis nulle antiquité ; aussi logeames-nous hors la ville, en une belle hostelerie qui
est la seule de ce lieu. On l’apeloit antienemant Senogallia, de nos ancetres qui s’y plantarent,
quand Camillus les eut batus ; elle est de la juridiction du Duc d’Urbin. Je ne me trouvois guiere
bien. Le jour que je partis de Rome, M. d’Ossat se promenant aveq moi, je vousis saluer un autre
jantilhome : ce fut d’une tele indiscretion, que de mon pousse droit j’allai blesser le couin de mon
euil droit, si que le sang en sortit soudein, & j’y ai eu longtamps une rougeur extreme ; lors elle se
guerissoit, Erat tunc dolor ad unguem sinistrum. J’obliois à dire, qu’à Ancone, en l’Eglise de St.
Creaco, il y a une tumbe basse d’une Antonia Rocamoro, patre, matre, Valletta, Galla, Aquitana,
Paciocco Urbinati, Lusitano nupta, qui est enterrée depuis dix ou douze ans. Nous en partismes bon
matin, & suivismes la marine par un très-plesant chemin jouignant nostre disnée ; nous passames la
riviere Metro, Metaurus, sur un grand pont de bois, & disnames à
FANO, quinze milles. Petite ville en une bele & très-fertile pleine, jouignant la mer, assés mal
bastie, bien close. Nous y fumes très-bien tretés de pein, de vin & de poisson ; le logis n’y vaut
guiere. Ell’a cela sur les autres villes de cete coste, come Senigaglia, Pesaro, & autres, qu’elle a
abondance d’eaus douces, plusieurs fontenes publiques & puis particulieres, là où les autres ont à
chercher leur eau jusques à la montaigne. Nous y vismes un grand arc antien, où il y a
un’inscription sous le nom d’Auguste, qui muros dederat. Elle s’apelloit Fanum, & étoit Fanum
Fortunæ. Quasi en toute l’Italie, on tamise (la farine) à tout des roues, où un Boulanger fait plus de
besouigne en un’heure que nous en quatre. Il se treuve quasi à toutes les hosteleries, des rimeurs,
qui sont sur le champ des rimes accommodées aus assistans. Les instrumans sont en toutes les
boutiques jusques aus ravaudurs des carrefours des rues. Cete ville est fameuse sur toutes celes
d’Italie : de belles fames nous n’en vismes nulle, que très-ledes ; & à moi qui m’en enquis à un
honête-home de la ville, il me dit que le siecle en estoit passé. On païe en cete route environ dix
sous pour table, vint sous par jour pour home, le cheval pour le louage & despans environ 30 s.
Cete ville est de l’Eglise. Nous laissames sur cete mesme voïe de la Marine, à voir un peu plus
outre, Pesaro, qui est une bele ville & digne d’être veuë, & puis Rimini, & puis cet’antiene Ravenne
; & notammant à Pesaro, un beau bastimant d’étrange assiete que faict faire le Duc d’Urbin, à ce
qu’on m’a dict : c’est le chemin de Venise contre bas. Nous laissames la Marine & primes à mein
gauche, suivant une large pleine au travers de laquele passe Metaurus. On descouvre partout d’une
part & d’autre des très beaus couteaus, & ne retire pas mal le visage de cete contrée à la pleine de
Blaignac à Castillon. En cete pleine de l’autre part de cete riviere, fut donée la bataille de Salinator
& Claudius-Nero, contre Asdrubal, où il fut tué. A l’antrée des montaignes qui se rancontrent au
bout de cete pleine, tout sur l’antrée se treuve
FOSSOMBRUNE quinze milles, appartenant au Duc d’Urbin : ville assise contre la pante d’une
montaigne, aïant sur le bas une ou deus beles rues fort droites, égales & bien logées ; toutefois ils
disent que ceus de Fano sont beaucoup plus riches qu’eus. Là il y a sur la place un gros piédestal de
mabre, aveq une fort grande inscription, qui est du tamps de Trajan, à l’honur d’un particulier
habitant de ce lieu, & un’autre contre le mur qui ne porte nulle enseigne du tamps. C’etoit
antienemant Forum Sempronij ; mais ils tienent que leur premiere ville étoit plus avant vers la
pleine & que les ruines y sont encores en bien plus bele assiete. Cete vile a un pont de pierre, pour
passer le Metaurus, per viam Flaminiam. Parceque j’y arrivai de bon’heure, (car les milles sont
petites & nos journées n’étoint que de sept ou huit heures à chevaucher), je parlai à plusieurs
honetes jans qui me contarent ce qu’ils savoint de leur ville & environs. Nous vismes là un jardin du
Cardinal d’Urbin, & force pieds de vigne entés d’autre vigne. J’entretins un bon home faisur de
Livres, nomé Vincentius Castellani, qui est de là. J’en partis landemein matin, & après trois milles
de chemin, je me jetai à gauche & passai sur un pont la Cardiana, le fluve qui se mesle à Metaurus,
& fis trois milles le long de aucunes montaignes & rochiers sauvages, par un chemin etroit & un
peu mal aisé, au bout duquel nous vismes un passage de bien 50 pas de long, qui a été pratiqué au
travers de l’un de ces haus rochiers ; & parceque c’est une grande besouigne, Auguste qui y mit la
mein le premier, il y avoit un’inscription en son nom que le tamps a effacée, & s’en voit encores
un’autre à l’autre bout, à l’honur de Vespasien. Autour de là il se voit tout plein de grans ouvrages
des bastimans du fons de l’eau, qui est d’une extreme hautur, au dessous du chemin, des rochiers
coupés & aplanis d’une espessur infinie, & le long de tout ce chemin qui est via Flaminia, par où on
va à Rome, des traces de leur gros pavé qui est enterré pour la pluspart, & leur chemin qui avoit 40
pieds de large n’en a plus que quatre. Je m’étois détourné pour voir cela & repassai sur mes pas,
pour reprandre mon chemin que je suivis par le bas d’aucunes montaignes accessibles & fertiles.
Sur la fin de notre trete, nous comançames à monter & à descendre, & vinmes à
URBIN, seize milles. Ville de peu d’excellence, sur le haut d’une montaigne de moïene hautur,
mais se couchant de toutes parts selon les pantes du lieu, de façon qu’elle n’a rien d’esgal, & partout
il y a à monter & à descendre. Le marché y estoit, car c’étoit Sammedi. Nous y vismes le Palais qui
est fort fameus pour sa béauté : c’est une grand’masse, car elle prant jusques au pied du mont. La
veue s’étand à mille autres montaignes voisines, & n’a pas beaucoup de grace. Come tout ce
bastimant n’a rien de fort agreable ny dedans ny autour, n’aïant qu’un petit jardinet de 25 pas ou
environ. Ils disent qu’il y a autant de chambres que de jours dans l’an ; de vrai, il y ‘en a fort grand
nombre, & à la mode de Tivoli & autres Palais d’Italie. Vous voiés au travers d’une porte, souvant
20 autres portes qui se suivent d’un sans, & autant par l’autre sans, ou plus. Il y avoit quelque chose
d’antien, mais le principal fut basti en 1476, par Frederic Maria de la Rovere, qui ha leans plusieurs
titres & grandurs de ses charges & exploits de guerre ; de quoi ses murailles sont fort chargées, &
d’une inscription qui dict que c’est la plus bele maison du monde. Ell’est de brique, toute faicte à
voutes, sans aucun planchier, come la pluspart des bastimans d’Italie. Cetui-ci est son arriere neveu
; c’est une race de bons Princes & qui sont eimés de leurs sujets. Ils sont de pere en fis tous jans de
lettres, & ont en ce Palais une bele Librairie ; la clef ne se treuva pas. Ils ont l’inclination
Espaignole. Les armes du Roy d’Espaigne se voient en ranc de faveur, de l’ordre d’Engleterre & de
la Toison, & rien du nôtre. Ils produisent eus mesmes, en peinture, le premier Duc d’Urbin, june
home qui fut tué par ses sujets pour son injustice : il n’etoit pas de cete race. Cetui-ci a épousé la sur
de M. de Ferrare, plus vieille que lui de dix ans. Ils sont mal ensamble & séparés, rien que pour la
jalousie d’elle, à ce qu’ils disent. Einsin, outre l’eage d’elle qui est de 45 ans, ils ont peu
d’esperance d’enfans, qui rejetera, disent-ils, cete duché à l’Eglise, & en sont en peine. Je vis là,
l’effigie au naturel de Picus Mirandula. Un visage blanc, très-beau, sans barbe, de la façon de 17 ou
18 ans, le nés longuet, les yeus dous, le visage maigrelet, le poil blon, qui lui bat jusques sur les
espaules, & un estrange accoutremant. Ils ont en beaucoup de lieus d’Italie cete façon de faire des
vis, voire fort droites & etroites, qu’à cheval vous pouvés monter à la sime ; cela est aussi ici avec
du carreau mis de pouinte. C’est un lieu, disent-ils, froit, & le Duc faict ordinere d’y estre sulemant
l’esté ; pour prouvoir à cela, en deus de leurs chambres, il s’y voit d’autres chambres carrées en un
couin, fermées, de toutes pars, sauf quelque vitre qui reçoit le jour de la chambre ; au dedans de ces
retranchemans est le lit du maistre. Après disner je me destourné encores de cinq milles, pour voir
un lieu que le peuple de tout tamps apele Sepulchro d’Asdrubale, sur une colline fort haute qu’ils
noment Monte deci. Il y a là quatre ou cinq mechantes maisonetes & une Eglisete, & se voit aussi
un bastimant de grosse brique ou carreau, rond de 25 pas environ, & haut de 25 pieds. Tout au tour
il y a des accoudoirs, de mesme brique de trois en trois pas. Ie ne sçai comant les massons apelent
ces pieces, qu’ils font pour soutenir come des becs. On monta au dessus, car il n’y a null’entrée par
le bas. On y trouva une voute, rien dedans, nulle pierre de taille, rien d’escrit ; des habitans disent
qu’il y avoit un mabre, où il y avoit quelques marques, mais que de notre eage il a été pris. D’où ce
nom lui a été mis, je ne sçai, & je ne crois guiere que ce soit vraïmant ce qu’ils disent. Bien est-il
certein qu’il fut defaict, & tué assés près de là. Nous suivismes après un chemin fort montueus, &
qui devint fangeus pour une sole heure qu’il avoit pleu, & repassames Metaurus à gué, come ce
n’est qu’un torrant qui ne porte pouint de bateau, lequel nous avions passé un’autrefois depuis la
disnée, & nous randismes sur la fin de la journée par un chemin bas & aisé à
CASTEL DURANTE, quinze milles. Villete assise en la pleine, le long de Metaurus, apartenant
au duc d’Urbin. Le peuple y faisoit fus de joïe & feste de la naissance d’un fils masle, à la
Princesse de Besigna, sur de leur Duc. Nos vetturins déselent leurs chevaus à mesure qu’ils les
débrident, en quelqu’etat qu’ils soint, & les font boire sans aucune distinction. Nous bevions ici des
vins sophistiqués, & à Urbin, pour les adoucir ....50. Le Dimanche matin nous vinmes le long d’une
pleine assés fertile & les couteaus d’autour, & passames premieremant une petite bele vile, S.
Angelo, apartenant audit Duc, le long de Metaurus, aïant des avenues fort beles. Nous y trouvasmes
en la ville des petites reines du micareme parceque c’étoit la veille du premier jour de Mai. De là
suivant cete pleine nous traversames encores une autre villete de mesme jurisdiction, nomée
Marcatello, & par un chemin qui comançoit deja à santir la montaigne de l’Apennin, vinmes diner à
BORGO-A-PASCI, dix milles. Petit village & chetif logis pour une soupée, sur l’encouignure
des mons. Après disner nous suivismes premieremant une petite route sauvage & pierreuse, & puis
vinmes à monter un haut mont de deus milles de montée, & quatre milles de pante ; le chemin
escailleus & ennuïeus : mais non effroïable ny dangereus, les præcipices n’estant pas coupés si droit
que la veue n’aïe ou se soutenir. Nous suivismes le Metaurus jusques à son gite, qui est en ce mont ;
einsi nous avons veu sa naissance & sa fin, l’aïant veu tumber en la mer à Senogallia. A la descente
de ce mont, il se presantoit à nous une très belle & grande pleine, dans laquele court le Tibre qui
n’est qu’à 8 milles ou environ de sa naissance, & d’autres monts audelà : prospet representant assés
celui qui s’offre en la Limaigne d’Auvergne, à ceus qui descendent le Pui de Domme à Clermont.
Sur le haut de nostre mont se finit la Jurisdiction du Duc d’Urbin, & comance cele du Duc de
Florance & cele du Pape à mein gauche. Nous vinmes souper à
BORGO S. SEPOLCHRO, treize milles. Petite ville en cete pleine, n’aiant nulle singularité,
audict Duc de Florance ; nous en partimes le premier jour de May. A un mille de cete ville,
passames sur un pont de pierre la riviere du Tibre, qui a encores là ses eaus cleres & belles, qui est
signe que cete colur sale & rousse, Flavum Tiberim, qu’on lui voit à Rome, se prant du meslange de
quelqu’autre riviere. Nous traversames cete pleine de quatre milles, & à la premiere colline
trouvames une villete à la teste. Plusieurs filles & là & ailleurs sur le chemin, se metoint au devant
de nous, & nous sesissoint les brides des chevaus, & là en chantant certeine chanson pour cet
effaict, demandoint quelque liberalité pour la feste du jour. De cete colline, nous nous ravalames en
une fondriere fort pierreuse, qui nous dura longtamps le long du canal d’un torrant, & puis eusmes à
monter une montaigne sterile & fort pierreuse, de trois milles à monter & descendre, d’où nous
descouvrimes une autre grande pleine, dans laquele nous passames la riviere de Chiasso, sur un
pont de pierre, & après la riviere d’Arno, sur un fort grand & beau pont de pierre, au deça duquel
nous logeames à
50 Il manque ici quelque chose
PONTE BORIANO, petite maisonete, dix-huit milles. Mauvés logis, come sont les trois
præcedans, & la pluspart de cete route. Ce seroit grand folie de mener par ici des bons chevaus, car
il n’y a pouint de souin. Après disner, nous suivismes une longue pleine toute fendue de horribles
crevasses que les eaus y font d’une estrange façon, & croi qu’il y faict bien led en hiver ; mais aussi
est-on après à rabiller le chemin. Nous laissames sur nostre mein gauche, bien près de la disnée, la
ville d’Arezzo, dans cete mesme pleine, à deus milles de nous ou environ. Il samble toutefois que
son assiete soit un peu relevée. Nous passames sur un beau pont de pierre de grande hautur la
riviere de Ambra, & nous randismes à souper à
LAVENELLE, dix milles. L’hostellerie est audeça dudict village d’un mille ou environ, & est
fameuse ; (aussi) la tient-on la meilleure de Thoscane & a-t-on raison ; car à la raison des
hosteleries d’Italie, elle est des meilleures. On en faict si grand feste, qu’on dict que la noblesse du
païs s’y assamble souvant, come chés le More, à Paris ; ou Guillot, à Amians. Ils y servent des
assietes d’estein, qui est une grande rarité. C’est une maison sule, en très bele assiete, d’une pleine
qui a la source d’une fonteine à son service. Nous en partismes au matin, & suivismes un très beau
chemin & droit en cete pleine, & y passames au travers quatre villetes ou bourgs fermés,
Mantenarca, S. Giovanni, Fligline & Anchisa & vinmes disner à
PIANDELLA FONTE, douze milles. Assés mauvés logis, où est aussi une fonteine un peu au
dessus ledict bourg d’Anchisa, assis au val d’Arno, de quoi parle Petrarca, lequel on tient nai dudict
lieu Anchisa, au moins d’une maison voisine d’un mille, de laquelle on ne treuve plus les ruines que
bien chetifves ; toutefois ils en remerquent la place. On semoit là lors des melons parmi les autres
qui y etoint deja semés, & les esperoit-on recueillir en Aoust. Cete matinée j’eus une pesantur de
teste & trouble de veue come de mes antienes migrenes, que je n’avois santi il y avoit dix ans. Cete
valée où nous passames, a eté autrefois toute en marès, & tient Livius, que Annibal fut contreint de
les passer sur un Elefant, & pour la mauvese seson y perdit un euil. C’est de vrai un lieu fort plat &
bas, & fort sujet au cours de l’Arne. Là je ne vousis pas disner, & m’en repantis ; car cela m’eût
eidé à vomir, qui est ma plus prompte guerison : autremant je porte cete poisantur de teste un jour &
deus, come il m’avint. Alors, nous trouvions ce chemin plein du peuple du païs, portant diverses
sortes de vivres à Florance. Nous arrivasmes à
FLORANCE, douze milles, par l’un des quatre pons de pierre qui y sont sur l’Arne.
Landemein, après avoir ouï la messe, nous en partismes, & biaisant un peu le droit chemin, allames
pour voir Castello, de quoi j’ai parlé ailleurs ; mais parceque les filles du Duc y etoint, & sur cete
mesme heure aloint par le jardin ouïr la messe, on nous pria de vouloir atandre, ce que je ne vousis
pas faire. Nous rancontrions en chemin force prossessions ; la baniere va devant, les fames après, la
pluspart fort belles, a tout des chapeaus de paille, qui se font plus excellans en cete contrée qu’en
lieu du monde, & bien vetues pour fames de village, les mules & escarpins blancs. Après les fames,
marche le Curé, & après lui les masles. Nous avions veu le jour avant une prossession de Moines,
qui avoint quasi tous de ces chapeaus de paille. Nous suivismes une très bele pleine fort large, & à
dire le vrai, je fus quasi contreint de confesser que ny Orleans, ny Tours, ny Paris, mesmes en leurs
environs, ne sont accompaignés d’un si grand nombre de maisons & villages, & si louin que
Florance : quant à beles maisons & Palais, cela est hors de doubte. Le long de cete route, nous nous
randismes à disner à
PRATO, petite ville, dix milles, audict Duc, assise sur la riviere de Bisanzo, laquelle nous
passames sur un pont de pierre à la porte de ladicte ville. Il n’est nulle region si bien accommodée,
entr’autres choses, de pons & si bien estoffés ; aussi le long des chemins partout on rancontre des
grosses pierres de taille, sur lesqueles est escrit ce que chaque contrée doit rabiller de chemin, & en
respondre. Nous vismes là au Palais dudict lieu les armes & nom du Legat du Prat, qu’ils disent être
oriunde de là. Sur la porte de ce Palais et une grande statue coronée, tenant le monde en sa mein, &
à ses pieds, Rex Robertus. Ils disent là que cete ville a été autreffois à nous ; les flurs de lis y sont
partout : mais la ville de soi porte de gueules semé de flurs de lis d’or. Le dome y est beau & enrichi
de beaucoup de mabre blanc & noir. Au partir de là, nous prismes un’autre traverse de bien 4 milles
de destour, pour aler al Poggio, maison de quoi ils font grand feste apartenant au Duc, assis sur le
fluve Umbrone ; la forme de ce bastimant est le modele de Pratolino. C’est merveille, qu’en si petite
masse il y puisse tenir çant très beles chambres. J’y vis entr’autres choses des lits grand nombre de
tres-bele etoffe, & de nul pris : ce sont de ces petites etoffes bigarrées, qui ne sont que de leine fort
fine, & les doublent de tafetas à quatre fils de mesme colur de l’estoffe. Nous y vismes le cabinet
des distiloirs du Duc & son ouvroir du tour, & autres instrumans : car il est grand mechanique. Delà
par un chemin très droit & le païs extrememant fertile, le chemin clos d’abres, ratachés de vignes
qui faict la haie, chose de grande beauté, nous nous randismes à souper à
PISTOIE, quatorze milles. Grande ville sur la riviere d’Umbrone ; les rues fort larges, pavées
come Florance, Prato, Lucques, & autres, de grandes plaques de Pierre fort larges. J’obliois à dire
que des salles de Poggio, on voit Florance, Prato & Pistoïa, de la table : le Duc etoit lors à Pratolino.
Audict Pistoïe, il y a fort peu de peuple, les Eglises belles, & plusieurs belles maisons. Je m’enquis
de la vante des chapeaus de paille, qu’on fit 15 s. Il me samble qu’ils vaudroint bien autant de
francs en France. Auprès de cette ville & en son territoire, fut ancienemant deffaict Catilina. Il y a à
Poggio, de la tapisserie represantant toute sorte de chasses ; je remercai entr’autres une pante de la
chasse des Autruches, qu’ils font suivre à gens de cheval & enferrer à tout des Javelots. Les Latins
apelent Pistoïa, Pistorium ; elle est au Duc de Florance. Ils disent que les brigues antienes des
maisons de Cancellieri & Pansadissi, qui ont eté autrefois, l’ont einsi randue come inhabitée, de
maniere qu’ils ne content que huit mille ames en tout ; & Lucques qui n’est pas plus grande, fait
vint & cinq mille habitans & plus. Messer Tadeo Rospiglioni, qui avoit eu de Rome lettre de
recommandation en ma faveur, de Giovanni Franchini, me pria à disner le landemein, & tous les
autres qui etions de compaignie. Le Palais fort paré, le service un peu farouche pour l’ordre des
mets, peu de viande, peu de valets ; le vin servi encores après le repas, comme en Allemaigne. Nous
vismes les Eglises : à l’élevation, on y sonnoit en la maitresse Eglise les trompettes. Il y avoit parmi
les enfans de ceurs des Prestres revestus, qui sonnoint des saquebutes. Cete poure ville se païe de la
libéralité perdue sur cete veine image de sa forme antiene. Ils ont neuf premiers & un Gonfalonier
qu’ils elisent de deus en deus mois. Ceus-ci ont en charge la police, sont nourris du Duc, com’ils
étoint antienemant du Publiq, logés au Palais, & n’en sortent jamais guiere que tous ensamble, y
etant perpetuelemant enfermés. Le Gonfalonier marche devant le Potesta que le Duc y envoïe,
lequel Potesta en effaict a toute puissance ; & ne salue ledict Gonfalonier personne, contrefaisant
une petite roïauté imaginere. J’avois pitié de les voir se paitre de cete singerie, & cependant le
Grand-Duc a accreu les subsides des dix pars sur les antiens. La pluspart des grans jardins d’Italie
nourrissent l’herbe aus maistresses allées & la fauchent. Environ ce tamps-là comançoint à murir les
serises ; & sur le chemin de Pistoïe à Luques, nous trouvions des jans de village qui nous
presentoint des bouquets de freses à vandre. Nous en partismes Jeudi, jour de l’Ascension après
disner, & suivismes premieremant un tamps cete pleine, & puis un chemin un peu montueus, &
après une très-belle & large pleine. Parmi les champs de bled, ils ont force abres bien rangés, & ces
abres couverts & ratachés de vigne de l’un à l’autre : ces champs samblent être des jardins. Les
montaignes qui se voïent en cete route sont fort couvertes d’abres, & principalemant d’oliviers,
chataigniers, & muriers pour leurs vers à soïe. Dans cete pleine se rancontre.
LUCQUES, vint milles. Ville d’un tiers plus petite que Bourdeaus, libre, sauf que pour sa
foiblesse elle s’est jettée sous la protection de l’Ampereur & maison d’Austriche. Elle est bien close
& flanquée ; les fossés peu enfoncés, où il court un petit canal d’eaus, & pleins d’herbes vertes,
plats & larges par le fons. Tout au tour du mur, sur le terre-plein de dedans, il y a deux ou trois
rancs d’abres plantés qui servent d’ombrage, & disent-ils de fascines à la nécessité. Par le dehors
vous ne voyés qu’une forest qui cache les maisons. Ils font tousiours garde de trois cens soldats
etrangiers. La ville fort peuplée, & notammant d’artisans de soïe ; les rues étroites, mais belles, &
quasi partout des belles & grandes maisons. Ils passent au travers un petit canal de la riviere
Cerchio ; ils batissent un Palais de cent trente mille escus de despanse, qui est bien avansé. Ils disent
avoir six vins mille ames de sujets, sans la ville. Ils ont quelques Chatelets, mais nulle ville en leur
subjection. Leurs Jantilshommes & jans de guerre font tous estat de marchandises : Les Buonvisi y
sont les plus riches. Les Estrangiers n’y entrent que par une porte où il y a une grosse Garde. C’est
l’une des plus plesantes assietes de ville que je vis jamais, environnée de deus grans lieus de pleine,
belle par excellance au plus étroit, & puis de belles montaignes & collines, où pour la pluspart ils se
sont logés aus champs. Les vins y sont mediocremant bons ; la cherté à vint sols par jour ; les
hosteleries à la mode du païs, assés chetives. Je receus force courtoisies de plusieurs particuliers, &
vins & fruits & offres d’arjant. J’y fus Vandredi, Sammedi & en partis le Dimanche après disner,
pour autrui, non pas pour moi qui etois à jun. Les collines les plus voisines de la ville sont garnies
de tout plein de maisons plesantes, fort espais ; la plus part du chemin fut par un chemin bas, assés
aisé entre des montaignes, quasi toutes fort ombragées & habitables partout le long de la riviere de
Cerchio. Nous passames plusieurs villages & deus fort bourgs Reci & Borgo, & au-deça ladicte
riviere que nous avions à notre mein droite, sur un pont de hautur inusitée, ambrassant d’un
surarceau une grande largeur de ladicte riviere, & de cette façon de pons nous en vismes trois ou
quarre. Nous vinmes sur les deus heures après midi au
BEIN DELLA VILLA, seize milles. C’est un païs tout montueus. Audavant du bein, le long de
la riviere, il y a une pleine de trois ou quatre çans pas, audessus de laquele le bein est relevé le long
de la côte d’une montaigne médiocre, & relevé environ come la fontaine de Banieres, où l’on boit
près de la ville. Le Site où est le bein a quelque chose de plein, où sont trante ou quarante maisons
très-bien accommodées pour ce service, les chambres jolies, toutes particulieres, & libres qui veut,
à-tout un retret (chacune) & ont un’entrée pour s’entreatacher, & un autre pour se particulariser. Je
les reconnus quasi toutes avant que de faire marché, & m’aretai à la plus belle, notammant pour le
prospect qui regarde (au moins la chambre que je choisis) tout ce petit fons, & la riviere de la lima,
& les montaignes qui couvrent ledict fons, toutes bien cultivées & vertes jusques à la sime, peuplées
de chataigniers & oliviers, & ailleurs de vignes qu’ils plantent autour des montaignes, & les enceignent
en forme de cercles & de degrés. Le bort du degré vers le dehors un peu relevé, c’est vigne ;
l’enfonceure de ce degré, c’est bled. De ma chambre j’avois toute la nuit bien doucemant le bruit de
cette riviere. Entre ces maisons est une place à se proumener, ouverte d’un costé en forme de
terrasse, par laquele vous regardés ce petit plein sous l’allée d’une treille publique, & voiés le long
de la riviere dans ce petit plein, à deus cens pas, sous vous, un beau petit village qui sert aussi à ces
beins, quand il y a presse. La pluspart des maisons neufves, un beau chemin pour y aler, & une belle
place audict village. La pluspart des habitans de ce lieu se tienent là l’hiver, & y ont leurs boutiques,
notammant d’apotiquerie ; car quasi tous sont Apotiqueres. Mon hôte se nome le Capitene Paulini,
& en est un. Il me donna une salle, trois chambres, une cuisine & encore un’apant pour nos jans, &
là dedans huit lits, dans les deus desquels il y avoit pavillon ; fournissoit de sel, serviete le jour, à
trois jours une nape, tous utansiles de fer à la cuisine, & chandeliers, pour unse escus, qui sont
quelques sous plus que dix pistolets pour quinze jours. Les pots, les plats, assietes qui sont de terre,
nous les achetions, & verres & couteaus ; la viande s’y treuve autant qu’on veut, veau & chevreau ;
non guiere autre chose. A chaque logis on offre de vous faire la despanse, & croi qu’à vint sous par
home on l’aroit par jour ; & si vous la voulés faire, vous trouvés en chaque logis quelque home ou
fame capable de faire la cuisine. Le vin n’y est guiere bon ; mais qui veut en fait porter ou de Pescia
ou de Lucques. J’arrivai là le premier, sauf deus Jantilhomes Bolonois qui n’avoint pas grand trein ;
einsi j’eus à choisir &, à ce qu’ils disent, meilleur marché que je n’eusse eu en la presse, qu’ils
disent y être fort grande ; mais leur usage est de ne comancer qu’en Juin, & y durer jusques en
Septambre : car en Octobre ils le quittent & s’y fait des assamblées souvant pour la sule recreation ;
ce qui se faict plustot, come nous en trouvasmes qui s’en retournoint y aïant deja été un mois, ou en
Octobre, est extraordinere. Il y a en ce lieu une maison beaucoup plus magnifique que les autres des
Sieurs Buonvisi, & certes fort belle ; ils la noment le Palais. Elle a une fontene belle & vive dans la
salle, & plusieurs autres commodités. Elle me fut offerte, au moins un appartement de quatre
chambres que je voulois, & tout, si j’en eusse eu besouin. Les quatre chambres meublées come
dessus, ils me les eussent laissées pour vint escus du païs pour quinse jours ; j’en vousis doner un
escu par jour pour la consideration du tamps & pris, qui change. Mon hoste n’est obligé à
notre marché que pour le mois de May ; il le faudra refaire, si j’y veus plus arrester. Il y a ici de
quoi boire & aussi de quoi se beigner. Un bein couvert, vouté, & assés obscur, large come la moitié
de ma salle de Montaigne. Il y a aussi certein esgout qu’ils noment la Doccia ; ce sont des tuïeaus
par lesquels on reçoit l’eau chaude en diverses parties du cors & notamment à la teste, par des
canaus qui descendent sur vous sans cesse, & vous vienent batre la partie, l’echauffent, & puis l’eau
se reçoit par un canal de bois, come celui des buandieres, le long duquel elle s’écoule. Il y a un
autre bein vouté de mesme & obscur pour les fames : le tout d’une fonteine de laquelle on boit,
assés mal plaisammant assise, dans une enfonceure où il faut descendre quelques dégrés.
Le Lundi huit de Mai au matin, je pris à grande difficulté de la casse que mon hoste me presenta,
non pas de la grace de celui de Rome, & la pris de mes meins. Je disnai deus heures après, & ne
peus achever mon disner ; son operation me fit randre ce que j’en avois pris, & me fit vomir encores
despuis. J’en fis trois ou quatre selles avec grand dolur de vantre, à cause de sa vantosité qui me
tourmenta près de vint-quatre heures, & me suis promis de n’en prandre plus. J’eimerois mieus un
accès de cholique, aiant mon vantre einsin esmeu, mon gout altéré, ma santé troublée de cette casse
: car j’étois venu là en bon estat, en maniere que le Dimanche après souper, qui étoit le sul repas que
j’eusse faict ce jour, j’alai fort alegremant voir le bein de Corsena, qui est à un bon demi mille de là,
à l’autre visage de cete mesme montaigne, qu’il faut monter & devaler après, environ à mesme
hautur que les beins de deça. Cet autre bein est plus fameus pour le bein & la Doccia ; car le nostre
n’a nul service receu communéemant ny par les Medecins ny par l’usage, que le boire ; & dict-on
que l’autre est plus antienemant conu. Toutefois pour avoir cete vieillesse qui va jusques au siecles
des Romeins, il n’y a nulle trace d’antiquité ny en l’un ny en l’autre. Il y a là trois ou quatre grans
beins voutés, sauf un trou sur le milieu de la voute, com’un soupirail ; ils sont obscurs & mal
plaisans. Il y a un’autre fonteine chaude à deus ou trois çans pas de là un peu plus haut en ce mesme
mont, qui se nome de Saint Jan, & là on y a faict une loge à trois beins aussi couverts ; nulle maison
voisine, mais il y a de quoi y loger un materas pour y reposer quelque heure du jour. A Corsena, on
ne boit du tout pouint. Au demeurant, ils diverisifient l’operation de ses eaus qui refreche qui
eschauffe, qui pour telle maladie, qui pour telle autre, & là-dessus mille miracles ; mais en somme,
il n’y a nulle sorte de mal qui n’y treuve sa guerison. Il y a un beau logis à plusieurs chambres, &
une vintene d’autres non guiere beaus. Il n’y a nulle compareson en cela de leur commodité à la
nostre, ny de la beauté de la veue, quoiqu’ils aïent nostre riviere à leurs pieds & que leur veue
s’étande plus longue dans un vallon, & si sont beaucoup plus chers. Plusieurs boivent ici, & puis se
vont beigner là. Pour cet’heure Corsena a la reputation. Le Mardi, neuf de Mai 1581, bon matin,
avant le soleil levé, j’alai boire du surjon mesme de notre fonteine chaude, & en beus sept verres
tout de suite, qui tienent trois livres & demie : ils mesurent einsi. Je croi que ce seroit à douze, notre
carton. C’est un’eau chaude fort moderéemant, come celle d’Aigues-Caudes ou Barbotan, aïant
moins de gout & saveur que nulle autre que j’aïe jamais beu. Je n’y peus apercevoir que sa tiedur, &
un peu de douceur. Pour ce jour elle ne me fit null’operation, & si fus cinq heures despuis boire
jusques au disner, & n’en randis une sule goute. Aucuns disoint que j’en avois pris trop peu : car là
ils en ordonent un fiasque : sont deus boccals qui sont huit livres, sese ou dix sept verres des miens.
Moi je pense qu’elle me trouva si vuide à-cause de ma medecine, qu’elle trouva place à me servir
d’alimant. Ce mesme jour je fus visité d’un jantil home Boulonois, Colonel de douse çans homes de
pied, aus gages de cete seigneurie, qui se tient à quatre milles des beins ; & me vint faire plusieurs
offres, & fut aveq moi environ deus heures ; comanda à mon hoste & autres du lieu de me favoriser
de leur puissance. Cete seigneurie a cete regle de se servir d’Officiers etrangiers, & leur done un
Colonel à leur comander : qui a plus grande, qui moindre charge. Les Colonels sont païés ; les
Capitaines qui sont des habitans du païs ne le sont qu’en guerre, & comandent aus compaignies
particulieres lors du besouin. Mon Colonel avoit sese escus par mois de gages, & n’a charge que de
se tenir prest. Ils vivent plus sous regle en ces beins ici qu’aus nostres, & junent fort, notammant du
boire. Je m’y trouvois mieus logé qu’en nuls autres beins, fut-ce à Banieres. Le sit du païs est bien
aussi beau à Banieres, mais en nuls autres beins ; les lieus à se beigner à Bade surpassent en
magnificence & commodité tous les autres de beaucoup ; le logis de Bade comparable à tout autre,
sauf le prospet d’ici. Mercredi bon matin, je rebeus de cet’eau, & etant en grand peine du peu d’operation
que j’en avoi senti le jour avant ; car j’avoi bien faict une selle soudein après l’avoir prise,
mais je randois cela à la medecine du jour præcedant, n’aiant faict pas une goute d’eau qui retirât à
celle du bein. J’en prins le Mecredi, sept verres mesurés à la livre, qui fut pour le moins double de
ce que j’en avois pris pour l’autre jour, & croi que je n’en ai jamais tant pris en un coup. J’en santis
un grand desir de suer, auquel je ne vousis nullemant eider, aïant souvant oui dire que ce n’etoit pas
l’effaict qu’il me faloit ; &, come le premier jour, me contins en ma chambre, tantost me
promenant, tantost en repos. L’eau s’achemina plus par le derriere, & me fit faire plusieurs selles
lâches & cleres, sans aucun effort. Je tien qu’il me fit mal de prandre cete purgation de casse, car
l’eau trouvant nature acheminée par le derriere & provoquée, suivit ce trein-la ; là où je l’eusse,
à-cause de mes reins, plus desirée par le devant ; & suis d’opinion, au premiers beins que je pranderai,
de sulemant me preparer aveq quelque june le jour avant. Aussi crois-je que cet’eau soit fort
lâche & de peu d’operation, & par conséquant sûre & pouint de hasard : les aprantis & delicats y
seront bons. On les prant pour refreschir le foïe, & oster les rougeurs de visage : ce que je remerque
curieusemant pour le service que je dois à une très vertueuse Dame de France. De l’eau de Saint
Jan, on s’en sert fort aus fars, car ell’est extrememant huileuse. Je voïois qu’on en emportoit à
pleins barrils aus païs etrangiers, & de cele que je beuvois encore plus, à force asnes & mulets, pour
Reggio, Modène, la Lombardie, pour le boire. Aucuns la prenent ici dans le lit, & leur principal
ordre est de tenir l’estomac & les pieds chaus, & ne se branler guieres. Les voisins la font porter à
trois ou quatre milles à leurs maisons. Pour montrer qu’elle n’est pas fort apéritive, ils ont en usage
de faire aporter de l’eau d’un bein près de Pistoïe, qui a le goust acre & très chaude en son nid ; &
tienent les Apotiqueres d’ici pour en boire avant celle d’ici, un verre, & tienent qu’elle achemine
cete ci, etant active & apéritive. Le segond jour je rendis de l’eau blanche, mais non sans quelque
altération de colur, com’ailleurs, & fis force sable ; mais il etoit acheminé par la casse. J’appris là
un accidant mémorable. Un habitant du lieu, soldat qui vit encore, nomé Giuseppe, & comande à
l’une des galeres des Genevois en forçat, de qui je vis plusieurs parans proches, etant à la guerre sur
mer, fut pris par les Turcs. Pour se mettre en liberté, il se fit Turc, (& de cete condition il y en a
plusieurs, & notammant des montaignes voisines de ce lieu, encore vivans), fut circuncis, se maria
là. Estant venu piller cete coste, il s’elouigna tant de sa retrete que le voilà, aveq quelques autres
Turcs, attrapé par le Peuple qui s’etoit soublevé. Il s’avise soudein de dire qu’il s’estoit venu randre
à esciant, qu’il estoit Chrétien, fut mis en liberté quelques jours après, vint en ce lieu, & en la
maison qui est vis à vis de cele où je loge : il entre, il rancontre sa mere. Elle lui demande rudemant
qui il etoit, ce qu’il vouloit : car il avoit encore ses vestemans de Matelot, & étoit estrange de le voir
là. Enfin il se faict conètre : car il etoit perdu despuis dix ou douse ans, ambrasse sa mere. Elle aïant
faict un cri, tumbe toute éperdue, & est jusques au landemein qu’on n’y conessoit quasi pouint de
vie, & en étoint les Medecins du tout désesperés. Elle se revint enfin & ne vescut guiere depuis,
jugeant chacun que cete secousse lui acoursit la vie. Nostre Giuseppe fut festoïé d’un checun, receu
en l’Eglise à abjurer son erreur, reçeut le Sacremant de l’Eveque de Lucques, & plusieurs autres
serimonies : mais ce n’etoit que baïes. Il étoit Turc dans son ceur, & pour s’y en retourner, se
desrobe d’ici, va à Venise, se remesle aus Turs, reprenant son voïage. Le voilà retumbé entre nos
meins, & parceque c’est un home de force inusitée & soldat fort entandu en la Marine, les Genevois
le gardent encore, & s’en servent, bien ataché & garroté. Cete Nation a force soldats qui sont tous
enregistrés, des habitans du païs, pour le service de la seigneurie. Les Colonels n’ont autre charge
que de les exercer souvant, faire tirer, escarmoucher, & teles choses, & sont tous du païs. Ils n’ont
nuls gages, mais ils peuvent porter armes, mailles, harquebouses, & ce qui leur plait ; & puis ne
peuvent étre sesis au cors pour aucun debte, & à la guerre reçoivent païe. Parmi eus sont les
Capitenes, Anseignes, Sarjans. Il n’y a que le Colonel qui doit estre de nécessité étrangier & païé.
Le Colonel del Borgo, celui qui m’étoit venu visiter le jour avant, m’envoïa dudict lieu (qui est à
quatre milles du bein) un home, avec sese citrons & sese artichaus. La douceur & foiblesse de
cet’eau s’argumante encore de ce que elle se tourne si facilemant en alimant ; car elle se teint & se
cuit soudein, & ne done pouint ces pouintures des autres à l’appetit d’uriner, come je vis par mon
experiance & d’autres en mesme tamps. Encore que je fusse plesammant & très commodemant
logé, & à l’envi de mon logis de Rome, si n’avois-je ny chassis ny cheminée, & encore moins vitres
en ma chambre. Cela montre qu’ils n’ont pas en Italie les orages si frequans que nous ; car cela, de
n’avoir autres fenetres que de bois quasi en toutes les maisons, ce seroit une incommodité insupportable
: outre ce, j’étois couché très-bien. Leurs lits, ce sont petits mechans treteaus sur
lesquels ils jetent des esses, selon la longur & largeur du lit ; là dessus une paillasse, un materas, &
vous voilà logé très bien, si vous avés un pavillon. Et pour faire que vos treteaus & esses ne
paroissent, trois remedes : l’un d’avoir des bandes, de mesme que le pavillon, come j’avois à
Rome ; l’autre, que votre pavillon soit assés long pour pandre jusques à terre, & couvrir tout, ce qui
est le meillur ; le tiers, que la couverte qui se ratache par les couins avec des boutons, pande jusques
à terre, qui soit de quelque legere etoffe, come de suteine blanche, aïant audessous un’autre
couverte pour le chaut. Au moins j’aprans pour mon trein cet’epargne pour tout le commun de chés
moi, & n’ai que faire de chalits. On y est fort bien, & puis c’est une recette contre les punèses. Le
mesme jour, après disner, je me beignai, contre les regles de cete contrée, où on dict que l’une
operation ampeche l’autre ; & les veulent distinguer, boire tout de suite, & puis beigner tout de
suite. Ils boivent huit jour, & beignent trante : boire en ce bein & beigner en l’autre. Le bein est
très-dous & plesant ; j’y fus demi heure, & ne m’esmeut qu’un peu de sueur : c’etoit sur l’heure de
souper. Je me cochai au partir delà, & soupai d’une salade de citron sucrée, sans boire ; car ce jour
je ne beus pas une livre, & croi, qui eût tout conté jusques au landemein, que j’avoi randu par ce
moien à peu près l’eau que j’avoi prise. C’est une sotte costume de conter ce qu’on pisse. Je ne me
trouvais pas mal, eins gaillard, come aus autres beins ; & si etois en grand peine de voir que mon
eau ne se randoit pas, & à l’advanture m’en etoit il autant advenu ailleurs. Mais ici de cela, ils font
un accidant mortel, & dès le premier jour si vous faillés à randre les deus pars au moins, ils vous
conseillent d’abandoner le boire, ou prandre medecine. Moi, si je juge bien de ces eaus, elles ne
sont ny pour nuire beaucoup, ny pour servir : ce n’est que lâcheté & foiblesse, & est à craindre
qu’elles eschauffent plus les reins qu’elles ne les purgent ; & croi qu’il me faut des eaus plus
chaudes & apéritives. Le Jeudi matin j’en rebus cinq livres, creignant d’en estre mal servi & ne les
vuider. Elles me firent faire une selle, uriner fort peu, & ce mesme matin escrivant à M. Ossat, je
tumbe en un pansemant si pénible de M. de la Boétie, & y fus si longtamps, sans me raviser, que
cela me fit grand mal. Le lit de cet’eau est tout rouge & rouillé, & le canal par où elle passe : cela,
meslé à son insipidité, me faict crère qu’il y a bien du fer, & qu’elle resserre. Je ne randis le Jeudi,
en cinq heures que j’atandis à disner, que la cinquiesme partie de ce que j’avois beu. La vaine chose
que c’est que la medecine. Je disois par rancontre, que me rapantois de m’estre tant purgé, & que
cela faisoit que l’eau me trouvant vuide, servoit d’alimans & s’arretoit. Je vien de voir un Medecin
imprimé parlant de ces eaus, nomé Donati, qui dit qu’il conseille de peu disner, & mieus souper.
Come je continuai landemein à boire, je croi que ma conjecture lui sert : son compaignon Franciotti,
est au contrere, come en plusieurs autres choses. Je santois ce jour là quelques poisanteurs de reins
que je creignois que les eaus mesmes me causassent, & qu’elles s’y croupissent : si est-ce qu’à
conter tout ce que je randois en 24 heures, j’arrivois à mon pouint à peu près, atandu le peu que je
beuvois aus repas. Vandredi je ne beus pas, & au lieu de boire, m’alai beigner au matin & m’y laver
la teste, contre l’opinion commune du lieu. C’est un usage du païs d’eider leur eau par quelque
drogue meslée, come de sucre candi, ou manne, ou plus forte medecine, encore qu’ils meslent au
premier verre de leur eau & le plus ordineremant, de l’eau del Testuccio, que je tâtai : elle est salée.
J’ai quelque soupçon que les Apotiqueres, au lieu de l’envoïer querir près de Pistoïe où ils disent
qu’elle est, sophistiquent quelque eau naturelle : car je lui trouvai la saveur extraordinaire, outre la
salure. Ils la font rechaufer & en boivent au comancemant un, deus, ou trois verres. J’en ai veu boire
en ma presance, sans aucun effaict. Autres mettent du sel dans l’eau au premier & second verre ou
plus. Ils y estiment la sueur quasi mortelle, & le dormir, aïant beu. Je santois grand action de cet’eau
vers la sueur.
ASSAGGIAMO di parlar un poco questa altra lingua, massime essendo in queste contrade dove mi
pare sentire il più perfetto favellare della Toscana, particolarmente tra li paesani ché non l’hanno
mescolato & alterato con li vicini. Il Sabbato la mattina a bona ora andai a tor l’acqua di Bernabò.
Questa è una fontana fra le altre di questo monte : & è maraviglia come ne ha tante e calde, e
fredde. Non è troppo alto. Ha forse tre miglia di circuito. Non si beve che della nostra fontana principale,
e di questa altra che s’usa pochi anni fa. Un Bernabò leproso avendo assaggiato & acque, e
bagni di tutte le altre fontane, si risolse a questa abbandonato : dove guarì. Di là è venuta in credito.
Non ci è case intorno, e solamente una piccola coperta, e sedie di pietra intorno al canale : il quale
essendo di ferro, e messo là poco fa, è la più parte mangiato di sotto. Si dice, ch’è la forza
dell’acqua che lo consuma ; & è molto verisimile. Questa acqua è un poco più caldetta che l’altra, e,
per l’opinione publica, più grave, e violenta. Ha un poco più d’odore di sulfine, ma tuttavia poco : e
dove cade, imbianca il loco di colore di cenere come le nostre, ma poco. Discosta del mio
alloggiamento un miglio poco manco, girando il piede della montagna, suo sito è più basso assai
che tutte le altre calde. E circa una lancia, o due, del fiume, ne tolsi cinque libre con qualche disagio
perchè non stava troppo bene della persona questa mattina. Il giorno innanzi avea fatto un grande
esercizio di tre miglia circa di poi pranzo al caldo, e di poi cenare. Sentii l’effetto di questa acqua di
qual cosa più gagliardo ; cominciai a smaltirla fra una mezz’ora. Presi una gran svolta come di due
miglia per tornare a casa. Non so se questo esercizio estraordinario mi portasse giovamento, perchè
gli altri giorni tornava subito alla mia stanza acciocché l’aria mattutina non mi freddasse : e le case
non sono trenta passi discoste del fonte. La prima acqua che buttai fuora, fu naturale con arenella
assai : le altre albe, e crude. Flati infiniti. Circa la terza libra ch’io smaltii, cominiciò di ripigliare
non so che di rosso. Più della metà aveva messa giù innanzi il desinare. Voltante questa montagna
di tutti versi trovai molte polle di fontane calde. Et oltre a questo dicono ancora li contadini, ch’in
certi lochi l’inverno si vede, ch’ella fuma : argomento che ce n’e ancora d’altre. Mi paiono a me
quasi calde a un modo, senza odore, senza sapore, senza fumo al paragone delle nostre. Viddi un
altro loco a Corsenna più basso assai che li bagni, dove sono gran numero d’altre doccie più
comode che le altre. Dicono essi, che sono piú fontane che fanno questi canali ; che sono otto, o dieci
; & hanno in capo un scritto di diversi nomi a ogni canale, la Saporita, la Dolce, la Innamorata, la
Corona, la Disperata &c., accennando gli effetti loro. A la verità sono certi canali più caldi l’un che
l’altro.
Le montagne d’intorno sono quasi tutte fertili di grano, & uva. E dove cinquanta anni per
l’addietro erano piene di boschi, e di castagne, poche montagne pelate si vedono con la neve al
capo, ma discoste assai. Il popolo mangia pane di legna : così dicono in proverbio pane di castagne,
ch’è loro principale ricolta : & è fatto come quel che si domanda in Francia pein d’espisse. Di bode
e biscie, non ne vidi mai tante. E per paura delle biscie li ragazzi non hanno l’ardire più volte di
ricogliere le fragole : che ce ne fa grandissima abondanzia nella montagna, e fra le siepi.
Alcuni a ogni bicchiere d’acqua pigliano tre, o quattro grani di coriandro confetto per far
sventare. La domenica di Pasqua 14 di maggio presi dell’acqua di Bernabò cinque libre e più,
perchè il vetro mio capiva più d’una libra. Le quattro principali Feste dell’anno le chiamano Pasqua.
Buttai assai d’arenella la prima volta : & avanti che fusseno due ore, avea smaltito più di dui terzi
dell’acqua secondo che l’aveva presa con voglia d’orinare & appetito usato alli altri bagni. Mi tenne
il corpo lubrico : e mi scaricai di quella banda assaissimo. La libra d’Italia non è che di 12 oncie.
Si vive qui a bonissimo mercato. La libra di carne di vitella bonissima, e tenerissima, circa tre
soldi Franzesi. Ci fa assai trutte, ma piccole. Ci sono buoni artigiani a far parasoli : e se ne porta di
quì per tutto. Il paese è montuoso : e si trova poche strade pari. Tuttavia ce ne sono d’assai piacevoli
: e fino alli viali della montagna sono la più parte lastricati. Feci dopo pranzo un ballo di contadine,
e ci ballai ancor`io per non parer troppo ristretto. In certi lochi d’Italia, come in tutta la Toscana, &
Urbino, fanno le donne gl’inchini alla Francese delli ginocchi. Darente del canale di questa fontana
della villa c’è un marmo quadro che ci è stato messo sono giusto 100 anni queste cal. di Maggio,
dove sono scritte le virtù di questo fonte. La lascio perché si trova questa scritta in assai libri
stampati dove si parla de’ bagni di Lucca. A tutti li bagni si ritrovano assai orioli per il servizio
comune. Ne aveva sempre due su la mia tavola, che mi furono prestati. Questa sera non mangiai
altro che tre fette di pane arrostite con buturo e succara senza bere. Lunedì giudicando, che questa
acqua avesse abbastanza aprito la strada, ritornai a ripigliare quella della fontana ordinaria, e ne
presi cinque libre. Non mi mosse a sudore come avea usato fare. La prima volta ch’io smaltiva
l’acqua, buttava delle arenella che parevano in fatti pietre spezzate. Questa acqua mi parse, a
comparazione di quella di Bernabó, come fredda ; conciosiacosachè quella di Bernabó abbia una
caldezza molto moderata, e non arrivi di gran lunga a quelle di Plomieres né all’ordinaria di
Banieres. Fece buon effetto d’ambedue le bande : è così fu la mia ventura di non credere questi
Medici ch’ordinavano d’abbandonare il bere subito ch’il primo giorno non succedeva. Il Martedì 16
di Maggio, come è l’usanza di queste bande (e mi piace) intermessi il bere : e stetti al bagno un’ora
e più, sotto la polla, perché mi pare l’acqua fredda in altri lochi. Ebbi paura (sentendo durar tuttavia
questi venti nel ventricolo, & intestino, senza dolore, e pochi al stomaco) che l’acqua ne desse
particulare causa : per questo l’intermissi. Mi piacque molto il bagno sì che mi ci fussi volentieri
addormentato. Non mi mosse il sudore, sì bene il corpo. M’asciugai bene, e stetti un pezzo nel letto.
Si fanno le rassegne de i soldati d’ogni Vicariato ogni mese. Il Colonnello, nostro uomo, dal
quale riceveva un mondo di cortesie, fece la sua. Erano 200 soldati piquieri & harquebusieri. Li fece
combattere. Sono troppo pratichi per paesani. Ma questo è il suo principale carico di tenerli in
ordine, & insegnare la disciplina militare. Il popolo fra se è tutto diviso in la parte Francese, e
Spagnola : e tuttavia si fanno questioni d’importanza in questa briga. Di questo fanno publica dimostrazione.
Le donne e gli uomini di nostra parte portano li mazzi di fiori sur l’orecchia dritta, la
berretta, fiocchi di capelli, & ogni tal cosa : gli Spagnuoli dall’altra banda. Questi contadini, & le
lor donne, sono vestiti da gentiluomini. Non si vede contadina che non porti le scarpe bianche, le
calzette di filo belle, il grembiale d’ermesino di qualche colore : e ballano, fanno capriole e
molinetti molto bene. Quando si dice il Principe in questa Signoria s’intende il Consiglio de’ 120.
Il Colonnello non può pigliar moglie senza licenzia del Principe, e l’ha con grande difficultà
perchè non vogliono, che faccia amici, e parentadi nella patria : e non può ancora comprar nissuna
possessione. Nissun soldato parte della patria senza licenza : e ce ne sono molti mendicanti per
povertà, in quelle montagne ; e del guadagno comprano le arme loro.
Mercordì fui al bagno, e ci stetti più d’un’ora, sudai là un poco, mi bagnai la testa. Si vede là,
che l’uso Todesco è comodo l’invernata a scaldar panni, & ogni cosa, a queste loro stufe, perchè il
bagnaiuolo nostro tenendo un poco di carbone sotto un focone, & alzandogli la bocca con un
mattone acciocché riceva l’aria per nutrire il fuoco, scalda benissimo, e subito, li panni, anzi più
comodamente ch’il fuoco nostro. Il focone è un bacino nostro.
Qui si domandano bambe le zitelle, e giovani da marito : e putti li ragazzi fin alla barba.
Il Gobbia fui un poco più sollecito, e presi il bagno più per tempo, sudai un poco al bagno, bagnai
la testa sotto la polla. Sentiva le forze un poco indebolite del bagno, un poco di gravezza ai reni,
buttando tuttavia le arenelle come del bere, e delle flegma assai. Anzi mi pareva, che faccessino il
medesimo effetto che bevute. Continuai Venerdì. Ogni giorno si vendeva infinite some di questo
fonte, e dell’altro di Corsenna, per diverse parti d’Italia. Mi pareva, che questi bagni mi
rischiarassino il viso. Era travagliato sempre da questi flati circa il pettignone senza dolore, e per
quello buttava nell’orine molta schiuma, e bulle che non si sfacevano di molto tempo. Qualche volta
ancora de i peli negri, pochi. Mi sono accorto altre volte, ne che buttava assai. Per ordinario faceva
l’orine torbide e cariche di roba. Sopra il suolo suo aveva l’orina del strutto. Questa nazione non ha
il nostro costume di mangiar tanta carne. Non si vende altro che carne ordinaria. Non ne fanno
appena il prezzo. Un levoratto bellissimo in questa stagione mi fu venduto alla prima parola, come
di dire, sei soldi nostri. Non se ne caccia, non se ne porta, perché nissun li compra.
Il Sabbato perché faceva un tempo torbido, e vento tal che si sentiva il difetto di pannate, e vetri,
mi stetti cheto senza bagnare, e senza bere. In questo vedeva un grand’effetto di queste acque, ch’il
Fratello mio che mai non s’era accorto di far arenella né da se, né nelli altri bagni dove aveva bevuto
con esso me, ne buttava qui tuttavia infinite. La Domenica mattina mi bagnai, non la testa : e
feci dipoi pranzo un ballo a premi publici, come si usa di fare a questi bagni : e volsi dare il
principio di questo anno. Prima, cinque, o sei giorni innanzi, feci publicare per tutti i lochi vicini la
festa. Il giorno innanzi mandai particolarmente a invitare tutti li Gentiluomini, e Signore, che si
trovavano all’uno e l’altro bagno. Gli faceva invitar io al ballo, e poi alla cena. Mandai a Lucca per
li premi. L’uso è, che se ne danno più, per non parer scegliere una sola donna fra tutte, per schifare
e gelosia ; e sospetto. Ce n’è sempre otto, o dieci per le donne : per gli uomini due, o tre. Fui
richiesto da molte di non scordare chi se stessa, chi la nipote, chi la figliuola. Gli giorni innanzi
Messer Giovanni da Vincenzo Saminiati, secondo che gliene avea scritto, molto mio amico, mi fece
portar di Lucca una cintura di corame, & una berretta di panno nero per gli uomini. Per le donne dui
grembiali di tafetas, l’uno verde, l’altro pavonazzo (perché bisogna avvertire, che ci sia sempre
qualche premio più onorevole per favorir una o due che volete) due grembiali di buratto, 4 carte di
spille, 4 paia di scarpette (ma di queste ne diedi uno a una bella giovane fuora del ballo) un paro di
pianelle (il quale giunsi a un paro di scarpette, e ne feci di questi dui uno solo premio), 3 reti di
cristallo, e 3 intrecciature, che facevano tre premi ; 4 vezzetti. Furono premi 19 per le donne. Venne
tutto a sei scudi poco più. Ebbi cinque fiffari. Gli dava a mangiare tutto il giorno, & un scudo a tutti
: che fu la mia ventura, perché non lo fanno a questo prezzo. Questi premi s’appiccano a un certo
cerchio molto adornato d’ogni banda, e si mettono alla vista del mondo.
Cominciammo noi il ballo con le vicine alla piazza : e temeva al principo, che restassimo soli.
Fra poco giunse gran compagnia di tutte le bande, e particolarmente parecchi Gentiluomini di
questa Signoria, e Gentildonne, le quali io ricevetti, & intrattenni secondo la mia possa. Tanto è, che
mi parve, che ne restassino satisfatti. Perché faceva un poco caldo, adammo alla sala del palazzo di
Buonvisi molto convenevole. Come il giorno cominciò a calare sulle 22 m’indrizzai alle
Gentildonne di più importanza : e dicendo, che non mi bastava l’ingegno, e l’ardire di giudicar di
tante bellezze, e grazia, e buon modi ch’io vedeva a quelle giovani, le pregava, pigliassino questo
carico di giudicare esse, e premiare la compagnia secondo i meriti. Fummo là su le cerimonie
perché esse rifiutavano questo carico che pigliavano a troppa cortesia. In fine ci mescolai questa
condizione, che se lor piacesse ricevermi ancora di consiglio loro, ne diria la mia opinione. Per
effeto fu, ch’i’andava scegliendo con gli occhi or questa, or quella : dove non mancai a aver certo
rispetto alla bellezza, e vaghezza proponendo, che la grazia del ballo non dipendeva solamente del
movimento de’ piedi, ma ancora del gesto, e grazia di tutta la persona e piacevolezza, e garbo. Gli
presenti furono così distribuiti, chi più, chi manco, secondo il valore, questa Signora offerendoli alle
ballatrici da parte mia, & io al contrario rimettendo a Lei questo obbligo tutto. Andò la cosa assai
ordinatamente, e regolatamente : fuora che una di queste rifiutò il premio. Ben mi mandò pregare,
che io lo dessi per amor suo a un’altra : e questo non lo comportai. Questa non era delle piú
favorite. Si chiamava una per una dal suo loco, e veniva a trovare questa Signora, e me, ch’eramo a
sedere darente l’un l’altro. Io dava il presente che mi pareva, alla Signora, basciandolo : e Lei
pigliandolo lo dava alla Giovane dicendole con buon modo : ecco il Signor Cavaliere che vi fa
questo bel presente : ringrazia. Anzi n’avete l’obbligo a sua Signoria che vi ha indicato degna di
premiarvi fra tante altre. Ben mi rincresce, che non sia il presente più degno di tale virtù vostra :
diceva, secondochè erano. Fu d’un tratto fatto il medesimo alli uomini. Non si mettono in questo
conto li Gentiluomini, nè Gentildonne, conciosiachè abbino parte della danza. Alla verità è bella
cosa, e rara a noi altri Francesi, di veder queste contadine tanto garbate vestite da Signore ballar
tanto bene : & a gara di nostre Gentildonne, le più rare in questa virtù, ballano altro. Invitai tutti alla
cena, perché li banchetti in Italia non è altro ch’un ben leggiero pasto di Francia. Parecchi pezzi di
vitella, e qualche paro di pollastri, è tutto. Ci stettero a cena il Colonnello di questo Vicariato Sig.
Francesco Gambarini Gentiluomo Bolognese, mio come fratello : un Gentiluomo Francese, non
altri. Fuora che feci mettere a tavola Divizia. Questa è una povera contadina vicina duo miglia de i
bagni, che non ha, né il marito, altro modo di vivere che del travaglio di lor proprie mani, brutta,
dell’età di 37 anni. La gola gonfiata. Non sa né scrivere, né leggere. Ma nella sua tenera età avendo
in casa del patre un zio che leggeva tuttavia in sua presenzia l’Ariosto, & altri poeti, si trovò il suo
animo tanto nato alla poesia, che non solamente fa versi d’una prontezza la più mirabile che si
possa, ma ancora ci mescola le favole antiche, nomi delli Dei, paesi, scienzie, uomini clari, come se
fusse allevata alli studi. Mi diede molti versi in favor mio. A dir il vero non sono altro che versi, e
rime. La favella elegante, e speditissima. La compagnia del ballo fu di cento persone forestiere, e
più, con questo che il tempo fusse incomodo : che allora si fa la ricolta grande e principale di tutto
l’anno, di seta : & in quei giorni s’affaticano senza rispetto di festa nissuna a coglier mattina e sera
le foglie di mori per loro bigatti e frugelli : & a questo lavoro s’adoprano tutte queste giovani.
Il Lunedì la mattina fui al bagno un poco più tardi perché mi feci radere, e tosare. Mi bagnai la
testa, e la docciai più d’un quarto d’ora sotto la gran polla.
Del mio ballo fu tra li altri il Signor Vicario che tiene la ragione. Si domanda un Magistrato
semestre, che la Signoria manda a ogni Vicariato per indicar delle cause civili in prima instanzia, e
definisce a certa piccola somma. C’è un altro Officiero per le cause criminali. A costui diedi ad
intendere, che mi pareva ragionevole, che la Signoria mettesse qualche regola (il che sarebbe molto
facile : e line diedi gli modi che mi parevano più a proposto) che un numero infinito di mercanti,
che vengono quà a pigliar di queste acque, e le portano per tutta l’Italia, portassino fede di quanta
acqua si caricano, per levarli l’occasione di far qualche furfanteria. Di che gli dava una esperienzia
mia, ch’era tale. Uno di questi mulattieri venne a mio oste uomo privato, e lo pregò darli una scritta
per testimonio che lui portava via 24 some di questa acqua : e non ne aveva che quattro. L’oste al
principio lo rifiutò per questo : ma l’Altro soggiunse, che fra quattro o sei giorni era per tornare a
cercarne venti some. Diceva io, che questo mulattiere non era tornato. Ricevette molto bene questo
mio avviso il Signor Vicario ; ma s’ingegnò, quanto poté, a sapere chi era questo testimonio, e chi
era il mulattiere, qual forma, qual cavalli. Né l’uno né l’altro mai non li volsi dire, mai. Li dissi
ancora, ch’io voleva dar principio a questo costume che si vede in tutti li bagni famosi d’Europa,
che le persone di qualche grado ci lasciano le arme loro, pegno dell’obbligo c’hanno a queste acque
: del che Lui me ne ringraziò molto per la Signoria. In questi giorni si cominciava in qualche lochi
a segare il fieno. Il Martedì stetti al bagno due ore, e m’adocciai la testa un quarto d’ora poco più.
Ci venne ai bagni in questi giorni un Cremonese mercante abitante in Roma. Pativa di molte
infirmità estraordinarie. Parlava tuttavia, andava, e, da quel che si vedeva, assai allegro della vita. Il
principal difetto era alla testa : per la debolezza della quale dice, ch’avea in modo persa la memoria,
che mangiando mai non si ricordava di quel che li era stato messo innanzi alla tavola. Se partiva di
casa per andar per qualche suo servizio, dieci volte bisognava, che tornasse a casa a domandar dove
era per andare. Il Pater noster a pena lo poteva finire : dal fine veniva cento volte al principio, non
s’avvedendo mai al fine, ch’avesse cominciato, né al ricominciare, ch’avesse finito. Era stato sordo,
cieco ; e patito dolor di denti. Sentiva tanto calore alle reni, che bisognava, che ci avesse sempre un
pezzo di piombo intorno. Viveva sotto la regola de i Medici con una religiosissima osservanzia già
più anni. Era cosa piacevole di veder le diverse ordinazioni de i Medici di diverse parti d’Italia tanto
contrari, e particolarmente sul fatto di questi bagni, e doccie : che di venti consulte non ci erano
due d’accordo, anzi accusavano, e dannavano l’una l’altra quasi tutte d’omicidio. Pativa costui un
accidente per la cosa de i venti mirabile, cioè che li uscivano con tanta furia gli flati per le orecchie,
che il più delle volte non lo lasciavano dormire. Anzi quando sbadacciava sentiva sentiva subito
uscire venti grandissimi per le orecchie. Diceva, per avviare il ventre, ch’il migliore rimedio che
avesse, era di metter quattro coriandri confetti grossi un poco nella bocca, e poi avendoli bagnati e
levigati un poco, metterli nel buso : e che facevano un apparentissimo, e subito effetto. A lui vidi il
primo di questi cappelli grandi fatti di piume di pavone, coperti di tafetaso leggiero il buso del capo,
alto d’un gran palmo, e grosso : e là dentro una scuffia di ermesino secondo la grandezza della testa
acciocch’il sole non penetri ; e le ale intorno d’un piede e mezzo di larghezza, in iscambio de’
nostri parasoli che a la verità danno fastidio a portarli a cavallo.
Perché mi son altre volte pentito di non aver più minutamente scritto sul suggetto delli altri
bagni, per pigliar regola & essempio ai seguenti ; questa volta mi voglio stendere, e slargare. Il
Mercordì andai al bagno. Sentii un calore nel corpo, e sudore oltra il solito, un poco di debolezza,
siccità, & asprezza nella bocca, e non so che stordimento all’uscire del bagno, come m’accadeva a
tutti li altri per la caldezza delle acque Plomieres, Banieres, Preissac. A quelle di Barbotan, & a
questo, no, se no questo Mercordì ; sia che ci era andato molto più per tempo che li altri giorni, non
avendo ancora scaricato il corpo, sia che trovai l’acqua assai più calda del solito. Ci fui una ora e
mezza, e circa un quarto d’ora m’adocciai la testa. Faceva molte cose contra la regola comune.
D’addocciarmi nel bagno, perché l’uso è di fare particolarmente l’uno, e poi l’altro. D’addocciarmi
di quest’acqua, dove pochi sono che non vadano alle doccie dell’altro bagno, e là ne pigliano di
questa polla, o quella, chi prima, chi seconda, chi terza, secondo la prescritta de’ Medici. Di bere, e
poi bagnare, e poi bere, mescolando così li giorni l’un fra l’altro, dove gli altri bevono certi giorni, e
poi d’un tratto si mettono in bagno. Di non osservar il spazio del tempo, perché li altri bevono dieci
giorni al più, e bagnano 25 giorni al manco di mano in mano. Di bagnarmi una sola volta il giorno,
dove si bagna sempre due volte. D’addocciarmi così poco tempo, dove si sta sempre una ora al
manco la mattina, e la sera il medesimo. Quanto al chericare che si fa da tutti, e poi si mette su
questo loco un pezzettin di rasa con certe reti che la fermano su la testa, la mia testa leva non ne
avea bisogno.
Questo medesimo giorno la mattina venne a visitarmi il Signor Vicario delli principali
Gentiluomi di questa Signoria, venendo appunto delli altri bagni dove alloggiava. Fra l’altre cose mi
narrò una mirabile istoria di se stesso, che la puntura d’un scargioffolo al polpastrello del pollice
certi anni fa l’avea messo prima in tal termine, che fu per morirne d’un crudelissimo mancamento
d’animo ; e di là cascò in tal miseria, che fu cinque mesi al letto senza moversi, stando
continuamente sopra li reni, li quali sì essendo scaldati di questo oltra modo, partorirono il calculo
del quale ha patito assai, più d’un anno, e di coliche. In fine il Padre suo Governator di Velitri li
mandò certa pietra verde che li era venuta nelle mani per il mezzo d’un Frate ch’era stato in India.
La quale pietra mentre l’ha avuta addosso, non ha mai sentito né dolore, né corso d’arenella. Et in
questo stato era dipoi dui anni. Quanto alla puntura li era rimasto il dito, e quasi tutta la mano,
inutile, e ancora il braccio tanto indebolito, ch’ogni anno vienne a i bagni di Corsenna per adocciarsi
questo braccio & mano, come faceva allora.
Il Comune qui è molto povero. Mangiavano in questi tempi delle more verdi, le quali
coglievano delli arbori che spogliavano della fronde per gli bigatti.
Perchè era rimaso dubbioso il mercato dell’affitto della casa per il mese di Giugno, volsi
chiarirmene con l’oste, il quale sentendo come io era richiesto da tutti sui vicini, e particolarmente
dal patrone del palazzo de’ Bonvisi che me l’avea offerto a un scudo d’oro per giorno, risolse di
lasciarmelo quanto mi pateria a ragione di 25 scudi d’oro per mese cominciando questo patto il
primo di Giugno, e fin la il primo mercato. Questo loco è pienissimo d’invidi fra li abitatori, e d’inimicizie
occulte mortali conciò che siano tutti parenti. Mi diceva qui una donna questo proverbio :
Chi vuol, che la sua donna impregni
Mandila al bagno, e non ci vegni.
Questo nella mia casa fra l’altre cose m’era assai grato, che per una via pari mi veniva del bagno
al letto, e corta di 30 passi. Mi dispiaceva di veder questi mori spogliarsi di fronde, e far a mezza
state viso d’invernata. Le arenelle ch’io buttava continuamente, mi parevano assai più rozze che del
solito, e mi lasciavano non so che puntura al cazzo.
Ogni giorno si vedeva d’ogni banda portar a questo loco saggi di diversi vini in piccoli fiaschetti
acciò che a chi piacesse delli forestieri ch’erano quá, ne mandasse a recare & erano pochissimi
buoni vini ; leggieri, aggretti, e crudi bianchi, o veramente grossi, aspri, rozzi, se non chi mandasse
à Lucca, o a Pescia per il Trevisano bianco, forte maturo, e non per questo troppo delicato.
Il Giovedì, festa del Corpus Domini, presi il bagno un’ora e più, temperato ; ci sudai pochissimo,
e n’uscii senza alterazione alcuna : m’adocciai la testa mezzo quarto d’ora, & al ritorno al letto
m’addormentai un pezzo. A questo bagnare, & adocciare, pigliava più di pacere che altramente.
Sentiva nelle mani, & altre parti del corpo, della bruzzura, e m’accorgeva di piú, che delli paesani di
qua ce n’erano molti rognosi, e putti che pativano del latine. Si fa qui come altrove, che quel che
cerchiamo noi con tanta difficultà, l’hanno gli paesani in dispregio : e ne vidi assai, che mai non
avevano gustate queste acque, e ne facevano cattivo indizio. Con questo ci sono pochi vecchi. Con
le flegma ch’io buttava nell’orina (quel che mi accade di continuo) si vedevano delle arenella
inviluppate, e sospese. Mi pareva sentire questo effetto del bagno quando sotto poneva il pettignone
alla polla, che mi spingeva fuora i venti. E di certo ho sentito subito, e chiaramente, scemare il
sonaglio mio dritto se per caso l’aveva qualche volta gonfiato, come assai volte m’avviene. Di
questo conchiudo quasi, che questa gonfiatura si faccia per mezzo dei flati che si rinchiudono. Il
Venerdì mi bagnai al solito, & adocciai la testa un pezzetto più. La quantità estraordinaria ch’io
buttava d’arenella di continuo, mi faceva dubitare, che potesse essere stata rinchiusa nelle reni
perchè sene fusse fatto, chi la ristringesse, una grossa palla : e che più presto fusse che l’acqua la
facesse concepire, e di mano in mano partorire. Il Sabbato mi bagnai due ore, & adocciai piú d’un
quarto. La Domenica stetti cheto. Al qual giorno un Gentiluomo Bolognese faceva la festa d’un
altro ballo. Il mancamento d’oriuoli ch’è in questo loco, & in la piú parte d’Italia, mi pareva molto
discomodo. Al bagno c’e una Madonna, e questi versi :
AUSPICIO fac, Diva, tuo, quicumque lavacrum
Ingreditur, sospes ac bonus hinc abeat.
Non si può assai lodare e per la bellezza, e per l’utile, questo modo di cultivare le montagne fin
alla cima, facendoci in forma di scaloni delli cerchi intorno d’esse, e l’alto di quelli scaloni adesso
appoggiandolo di pietre, adesso con altri ripari, se la terra di se non stà soda ; il piano del scalone,
come si riscontra più largo, o più stretto, empiendolo di grano ; e lestremo del piano verso la valle,
cioè il giro, e l’orlo, aggirandolo di vigna ; e dove (come verso le crime) non si può ritrovar, né fare
piano, mettendoci tutto vigne.
A questo ballo una donna si messe a ballare avendo sur la testa una anguistara piena d’acqua ; e
tenendola soda, e ferma, non mancò di molti movimenti gagliardi.
Si stupivano i medici di vedere la piú parte di nostri Francesi bere la mattina, e poi bagnarsi il
medesimo giorno. Lunedì la mattina stetti al bagno due ore. Non mi ci adocciai perché presi tre
libre d’acqua per capricio, la quale mi mosse del corpo. Bagnava gli occhi ogni mattina, tenendoli
aperti nell’acqua. Non ne sentiva effetto né d’un verso, né d’altro. Queste tre libre d’acqua credo
che le smaltii al bagno dove pisciai assai volte, e poi sudai un poco più del solito, e per il secesso.
Sentendomi gli giorni passati il corpo stitico fuora dell’ordinario usava delli sopraddetti grani di
coriandro confetto, li quali mi scacciavano molte ventosità donde era pienissimo, roba poco. Con
questo che io mi purgassi mirabilmente i reni, non lasciava di sentirci qualche punture : giudicava,
che fusseno più presto ventosità che altro. Martedì stetti due ore al bagno, m’adocciai mezza ora,
non bevvi. Mercordì stetti una ora e mezza al bagno, m’adocciai mezza ora circa.
Fin adesso a dir la verità, di quella poca pratica, e domestichezza ch’io aveva con questa gente,
non scorgeva questi miracoli d’ingegni e discorsi che gliele dà la fama. Non ci vedeva veruna
facultà straordinaria : anzi maravigliarsi e far troppo conto di queste piccole forze nostre. In modo
che questo giorno avendo certi Medici a fare una consulta importante per un Signore giovane
Signor Paolo de Cesis (nipote del Cardinal de Cesis) ch’era in questi bagni ; da parte sua mi
vennero a pregare, che piacesse d’intendere le loro opinioni e controversie, perché lui era risoluto di
stare del tutto al giudizio mio. Me ne rideva fra me stesso. M’accaddero assai di simili altre cose
qui, & in Roma.
Sentivami ancora tal volta abbagliar gli occhi quando mi affaticava o a leggere, o a fissarli
incontra a qualche obietto splendente e chiaro : e n’era in gran travaglio d’animo sentendo
continuarmi questo difetto dal giorno che mi pigliò la migrena ultimamente presso a Firenze : cioè
una gravezza di testa sur la fronte senza dolore, un certo annuvolar degli occhi che non mi curtava
la vista, ma non so come me la turbava alle volte. Di poi la migrena ci era ricascato due o tre volte :
& in questi dì si fermava più, lasciandomi pure al restante le azioni libere. Ma dipoi questo
addocciarmi la testa mi ripigliava ogni giorno : e cominciai, di avere li occhi bagnati, come
anticamente, senza dolore e rossore : come ancora questo patire della testa erano più di dieci anni
che non l’avea sentito fino a questa migrena.
Temendo anco, che quest’acqua non m’indebolisse la testa, per questo il Giovedì non volsi
adocciarmi e mi bagnai una ora.
Il Venerdì, il Sabbato, la Domenica feci pausa a tutta sorte di cura per rispetto di questo, e che mi
trovava assai men allegro della vita, scacciando sempre arenella in furia : ma la testa sempre ad un
modo non si saldava in suo bono stato. A certe ore sentiva lì questa alterazione ch’era augmentata
del travaglio della fantasia.
Il Lunedì la mattina bevvi in 13 bicchieri 6 libre e mezza d’acqua della fontana ordinaria. Ne
smaltii circa 3 libre di bianca, e cruda, innanzi il pasto ; il resto poco poco. Questo mal di testo con
cio che non fusse continuo, né molto molesto, m’impeggiorava assai la carnagione. Non ci sentiva
difetto o debolezza, come anticamente alle volte, ma solamente peso su li occhi con un poco di vista
turbida. Questo giorno cominciarono al nostro piano a tagliare la segola.
Il Martedì al far del giorno andai alla fontana di Bernabò, e ci bevvi 9 libre in sei volte. Pioveva
un poco. Sudai un poco. Mi mosse il corpo, e lavò gagliardamente le budella. Per questo non possi
giudicare quanto ne avea reso. Orinai poco, ma in due ore avea pigliato colore.
Si tiene qui a dozzina sei scudi d’oro, poco più, per mese uno alloggiato in camera particulare,
comoda quanto volete : un servitore altrettanto. Chi non servitore, sarà ancor servito dall’oste di più
cose a mangiare convenevolmente.
Innanzi che passasse il giorno naturale la smaltii tutta, e più che non avea bevuto di tutto sorte di
bevanda. Non bevvi ch’una voltetta per pasto mezza libra. Cenava poco.
Il Mercordì piovoso presi 7 libre in 7 volte dell’ordinaria, e le smaltii, e quel ch’io avea bevuto
di più.
Il Giobbia ne presi 9 libre, cioè d’un tiro prima 7, e poi avendo cominciato di smaltirla ne
mandai a cercare altre due libre. La smaltii per ogni banda. Beveva pochissimo al pasto.
Venerdì, e Sabbato, feci il medefimo. Domenica mi stetti cheto.
Lunedì presi 7 bicchieri, 7 libre. Buttava sempre arenella ma un poco manco che del bagno, del
quale in questo effetto viddi ancora l’essempio in assai d’altri in un medesimo tempo. Questo dì
sentii un dolore al pettignone come del cascar di pietre, e ne feci una picciola.
Il Martedì una altra. E posso dire quasi affermatamente essermi accorto, che questa acqua ha
forza di spezzarle, perché d’alcune al calare ne sentiva la grossezza ; e poi le buttava in pezzi più
minuti. Questo Martedì ne bevvi 8 libre in 8 volte.
Se Calvino avesse saputo, che gli Frati Predicatori di quì si nominavano Ministri, senza dubbio
avesse dato altro titolo alli suoi.
Mercordì presi 8 libre, 8 bicchieri. La smaltiva quasi sempre, fino alla mezza parte, cruda e
naturale in tre ore, poi qualche mezza libra di rossa e tinta ; il resto di poi pasto, e la notte.
In questa stagione si radunava la gente al bagno. E di quelli essempi ch’io vedeva, & opinione
delli Medici, medesimamente del Donato scrittore di queste acque, io non avea fatto grande errore
di bagnarmi la testa in questo bagno, perché ancora usano, essendo al bagno, d’adocciarsi il
stomaco con una lunga canna, attaccandola d’una banda alla polla, e dell’ altra al corpo dentro il
bagno, e poiché d’ordinario si pigliava la doccia per la testa di questa istessa acqua : e quel dì che si
pigliava, si bagnavano. Così per aver io mescolato l’uno & l’altro insieme, non potti far grande
errore, o in cambio della canna d’aver presa l’acqua del proprio canale della fontana. E forse ch’io
ho mancato in questo di non continuarla. E quel sentimento ch’io n’ho fin adesso, par essere, c’ho
mosso gli umori, i quali col tempo si fussero scacciati, e purgati. Colui permetteva, ch’in un
medesimo giorno si bevesse, e bagnasse. Et io mi pento di non aver preso l’ardire, come ne aveva
voglia, e con qualche discorso, di berla nel bagno la mattina. Bernabó la lodava molto, ma con
queste ragioni & argomenti medicinali. L’effetto di queste acque sopra dell’arenella che continuava
in me tuttavia, non si vedeva in parecchi altri liberi di questa infermità. Il che dico per non
risolvermi, ch’elle producessero l’arenella che buttano fuora.
Giovedì la mattina fui al bagno una ora senza bagnar la testa, e innanzi il giorno, per aver il
primo loco. Di quello, credo, e dell’aver poi dormito al letto, mi sentii male, la bocca asciutta e
sitibonda, e caldo in modo che la sera andando al letto bevvi dui grandi bicchieri di quest’acqua
rinfrescata. Del che non ne sentii altra mutazione.
Il Venerdì stetti cheto. Il ministro Frate di S. Francesco (così chiamano li Provinciali) valente
uomo, e cortese, & erudito, che era al bagno con molti altri Frati di diversa sorte, mi mandò un bel
presente di vino bonissimo, massepanni, & altre cose da mangiare.
Il Sabbato non mi curai, andai a desinare a Menalsio, villaggio bello e grande alla cima dell’una
di queste montagne. Portai del pesce, e fui ricevuto in casa d’un soldato ricco che ha molto
viaggiato in Francia & altri lochi, e preso moglie, & arricchito in Fiandra. Signor Santo si domanda.
Sono là infiniti soldati contadini, bella chiesa, e pochi che non abbino viaggiato molto, divisissimi
in queste parti di Spagna, e Francia. Senza avvedermene messi un fiore all’orecchia manca. Lo
pigliavano a ingiuria li Francesini. Di poi pranzo salii al Forte, ch’è un loco munito di mura grandi
alla cima giusto del colle ertissimo, ma per tutto cultivatissimo. E quì per li balzi strabocchevoli, per
li dirupi, lochi ripidi, e scoscesi colli, si trova non solamente vigna, e gran, ma prato ancora : e non
hanno erba nè piano. Mi calai poi per un altro verso del monte, dritto.
La Domenica la mattina, andai al bagno con parecchi altri Gentiluomini. Ci stetti mezza ora. Mi
venne dal Sig. Ludovico Pinitesi un bel presente d’un caval carico di frutti bellissimi, e fra gli altri
de i fichi primi ; de i quali non cen’era ancora visti al bagno, e dodici fiaschi di vino suavissimo. Et
in medesimo tempo il sopraddetto Frate altre sorte di frutti in grande quantità : che ne poteva ancora
io usar liberalità a i paesani.
Di poi pranzo fu il ballo, dove si radunarono parecchi Gentildonne ben vestite, ma di bellezza
comune, con ciò che fusson belle di Lucca.
La sera mi mandò il Sig. Ludovico di Ferrari Cremonese, molto mio conoscente, un presente di
scatole di cotognaro bonissimo, e muschiato, e certi limoni, e delli melaranci di grandezza
estraordinaria.
La notte mi prese un pocco innanzi il far del giorno il grancio alla polpa della gamba dritta con
grandissimo dolore non continuo, ma vicendevole. Stetti in questo disagio una mezza ora. Non era
molto tempo che n’avea sentito, ma mi passò in un baleno.
Il Lunedì andai al bagno, e ci fui una ora, il stomaco sotto la polla. Mi pizzicava sempre un poco
questa vena della gamba.
Giusto ora cominciammo a sentir li caldi, e le cicale, niente di più ch’in Francia : e fin adesso mi
parevano le stagioni più fresche ch’in casa mia.
Le nazioni libere non hanno la distinzione delli gradi delle persone come le altre : e fino alli
infimi hanno non so che di signorile à’ lor modi. Domandando l’elemosina mescolanci sempre
qualche parola d’autorità : Datemi l’elemosina : volete? Datemi l’elemosina, sapete. Come dice
quest’altro in Roma : Fate bene per voi.
Il Martedì stetti al bagno una ora.
Il Mercordì 21 di Giugno a buona ora mi partii della villa avendo ricevuto della compagnia che
ci era di donne & uomini, prendendo congedo, tutte le significazioni d’amorevolezza che potevo
desiderare. Me ne venni per montagne erte, ma piacevoli pure, e coperte, a
PESCIA, 12 miglia, piccolo castello sopra il fiume Pescia del Fiorentino. Belle case, strade
aperte, vini famosi del Trebbiano ; sito fra oliveti foltissimi ; la gente affezionatissima alla Francia :
e per questo dicono, che porta la lor città per arme un Delfino.
Dipoi pranzo riscontrammo una bella pianura molto popolata di castella, e case. E per una mia
trascuratezza mi scordai, come era il mio proposito, e disegno risoluto, diveder il Monte Catino
dove è l’acqua salata e calda del Tettuccio, la quale lasciai un miglio discosto della mia, strada a
man dritta circa sette miglia di Pescia, e non me n’avvidi che non fussi quasi giunto a
PISTOIA, 11 miglia. Fui alloggiato fuora la città, dove venne a visitarmi il Figliuolo del
Ruspiglioni. Chi va per l’Italia con altri cavalli che di vettura non intende ben le cose sue. E di
cambiarli di luoco in luoco mi pare più comodo, che di mettersi in mano di vetturini per lungo
viaggio.
Di Pistoia a Firenze, che sono 20 miglia, non costano i cavalli che 4 iuilli.
Di là passando per la città di Prato venni a desinare a Castello in una osteria dirimpetto al palazo
del Granduca, dove fummo di poi desinare a considerare più minutamente quello giardino. E
m’avvenne là come in più altre cose : l’immaginazione trapassava l’effetto. L’avea visto l’invernata
ignudo, e spogliato. Giudicava della sua bellezza futura nella più dolce stagione più che non mi
parve al vero.
CASTELLO, 17 miglia. Dipoi desinare venni a
FIRENZE, 3 miglia. Il Venerdì viddi le publiche processioni, e il Granduca in cocchio. Tra
l’altra pompa ci vedeva un carro in faccione di teatro dorato di sopra, où erano quattro Fanciullini,
& un Frate vestito, e che rappresentava S. Francesco, dritto, tenendo le mani come si vede dipinto,
una corona sul cucullo : o Frate, o uomo travestito da Frate con una barba posticcia. Ci erano alcuni
fanciulli della città armati, e fra loro uno per S. Giorgio. Li venne incontra alla piazza un gran drago
assai goffamente appoggiato, e portato d’ uomini, buttando foco per la bocca con rumore. Il
fanciullo li dava della lancia, e della spada, e lo scannava.
Fui accarezzato d’un Gondi, ch’abita a Lione : il quale mi mandò vini bonissimi, cioè
Trebisiano.
Faceva un caldo da stupire li medesimi paesani.
Quella matina al spuntar del giorno ebbi la colica al lato dritto. M’afflisse tre ore circa. Mangiai
allora il primo pepone. Delli cetrioli, mandole, se ne mangiava in Firenze del principio di Giugno.
In su le 23 si fece il corso delli cocchi in una grande e bella piazza intornata d’ogni banda di belle
case, quadrata, più lunga che larga. A ognun capo della lunghezza fu messa un’aguglia di legno
quadrata, e dall’una all’altra attaccato un lungo fune acciò non si potesse traversare la piazza : &
alcuni danno di traverso per stroppare la detta canape. Tutti gli balconi carichi di donne, & in un
palazzo il Granduca, la Moglie, e sua corte. Il popolo il lungo della piazza, e su certi palchi, come
io ancora. Correvano a gara cinque cocchi vuoti. E della sorte presero tutti il luogo ad un lato
dell’una piramide. E si diceva d’alcuni, ch’il più discosto avevano il vantaggio per dar più
comodamente il giro. Partirono al suono delle trombe. Il terzo giro intorno la piramide donde si
prende il corso, è quel che dà la vittoria. Quel del Granduca mantenne sempre il vantaggio fin alla
terza volta. A questa il cocchio del Strozzi ch’era sempre stato il secondo, affrettandosi più che del
solito a freno sciolto, e stringendosi, messe in dubbio le vittoria. M’avveddi, ch’il silenzio si ruppe
dal popolo quando videro avvicinarsi Strozzi, e con gridi, e con applauso darli tutto il favore che si
poteva alla vista del Principe. E poi quando venne questa disputa e litigio a essere giudicato fra certi
Gentiluomini, gli Strozzeschi rimettendo all’opinione del popolo assistente ; del popolo si alzava
subito un crido uguale, e consentimento publico al Strozzi, il quale in fine lo ebbe, contra la ragione
al parer mio.
Valerà il palio cento scudi. Mi piacque questo spettacolo più che nessun altro che avessi visto in
Italia, per la sembianza di questo corso antico.
Perché quel giorno era la vigilia di S. Giovanni furono messi certi piccoli fochi alla cima del
Duomo in giro a due, o tre gradi, donde si lanciavano raggi in aria. Si dice ch’in Italia non è uso
come in Francia, di far fuochi di S. Giovanni.
Il Sabbato S. Giovanni : ch’è la festa principale di Firenze, e la più celebrata in maniera che fin
alle zitelle si vedono quella festa al publico : e non ci vidi pure gran bellezza. La mattina alla piazza
del palazzo il Granduca comparse su uno palco il lungo delle mura del palazzo (sotto un cielo)
ornate di ricchissimi tapeti, lui avendo a lato il Nunzio del Papa a man sinistra, e molto più di là
l’Imbasciadore di Ferrara. Là li passavano innanzi tutte le sue Terre e Castella, secondo ch’erano
chiamare d’un araldo. Come per Siena si presentò un Giovane vestito di velluto bianco e nero, portando
alla mano certo gran vaso argenteo, e la figura della Lupa Sanese. Fece costui sempre in
questo modo una proferta al Granduca, ed orazione piccola. Quando ebbe finito costui, secondo
ch’erano nominati venivano innanzi certi Ragazzi mal vestiti su cattivissimi cavalli, e mule,
portando quì una coppa d’argento, quì una bandiera rotta e ruinata. Questi in gran numero
passavano il lungo via senza far motto, senza rispetto, e senza cerimonia in foggia di burla più
ch’altramente, & erano le Castella e Luochi particolari dipendenti del Stato di Siena. Ogni anno si
rinova questo per forma.
Passò ancora là un carro, e una piramide quadrata di segno, grande, portando intorno certi gradi
delli Putti vestiti chi d’un modo, chi d’un altro, da Angeli, o Santi : & alla cima che veniva d’altezza
a pari delle più alte case, un S. Giovanni, uomo travestito a suo modo, legato a un pezzo di ferro.
Seguivano questo carro gli Officieri, e particolarmente quelli della zecca.
Marciava all’estremo un altro carro, sul quale erano certi Giovani che portavano tre palii per li
corsi diversi, avendo a canto i cavalli barberi ch’erano per correre a gara quel giorno, e i garzoni
che li dovevano cavalcare con le insegne de i Padroni, che sono Signori de’ primi. Li cavalli
piccioli, e belli.
Non mi pareva il caldo più violento ch’in Francia. Tuttavia per schifarlo in queste stanze di
osteria, era sforzato di domire la notte su la tavola della sala, mettendovi materassi, & lenzuola ;
non ci ritrovando a locare nissun alloggiamento comodo, perchè questa città non è buona a’
forestieri ; e per schifare ancora gli cimici, di che sono gli letti infestatissimi.
Non c’è quantità di pesci, e non si mangia di trote, & altri pesci, che di fuora, e marinati. Viddi,
ch’il Granduca mandava a Giovan Mariano Milanese alloggiato in la medesima osteria dove io era,
un presente di vino, pane, frutti, pesci : ma gli pesci vivi piccoli dentro gli rinfrescatori di terra.
Aveva io tutto il giorno la bocca arida & asciutta, & un’alterazione non di sete, ma di caldezza
interna quale ho sentita altre volte ai caldi nostri. Non mangiava altro che frutti, e insalate con
zucchero. In fine non stava bene.
Quelli diporti che si pigliano al fresco in Francia di poi la cena, qui innanzi. E nelli più lunghi
giorni cenano spesso di notte. Fra le sette, & otto, la mattina si fa il giorno.
Dipoi pranzo si corse il palio de i barbi. Lo vinse il cavallo del Cardinale de’ Medicis. Vale
questo palio ¤51 200. E’ cosa poco dilettevole, perchè, essendo su la strada, non vedete altro che
passar in furia questi cavalli.
La Domenica viddi il palazzo de’ Pitti, e fra l’altre cose una mula in marmo rappresentando
un’altra mula ancora viva, per li lunghi servizi c’ha fatto a menar roba per questa fabbrica. Questo
dicono i versi latini. Al palazzo vimmo quella Chimera c’ha fra le spalle una testa (con le corna &
orecchie) che nasce, & il corpo di foggia d’uno piccolo leone.
Il Sabbato era il palazzo del Granduca aperto, e pieno di contadini, ai quali era aperta ogni cosa
: e la gran sala piena di diversi balli chi di quà, chi di la. Questa sorte di gente credo, che fusse
qualche immagine della libertà perduta che si rinfreschi a questa Festa pincipale della Città.
Il Lunedi fui a desinare in casa del Signor Silvio Piccolomini molto conosciuto per la sua virtù,
& in particolare per la scienzia della scherma. Ci furono messi innanzi molti discorsi, essendoci
buona compagnia d’altri Gentiluomini. Dispargia lui del tutto l’arte di schermare delli maestri
Italiani, del Veniziano, di Bologna, Patinostraro, & altri. Et in questo loda solamente un suo criado
ch’è a Brescia dove insegna a certi Gentiluomini questa arte. Dice, che non ci è regola, né arte in
l’insegnare volgare : e particolarmente accusa l’uso di spinger la spada innanzi, e metterla in possa
del nimico ; e poi, la botta passata, di rifar un altro assalto, e fermarsi ; perché dice, che questo è del
tutto diverso di quel che si vede per esperienza delli combattenti. Lui era in termine di far stampar
un libro di questo suggetto. Quanto al fatto di guerra, spregia assai l’artiglieria : e in questo mi
piacque molto. Loda il libro della Guerra di Machiavelli, e segue le sue opinioni. Dice, che di
questa sorte d’uomini che provvedono al fortificare, il più eccellente che sia, si trova adesso in
Firenze al servizio del Granduca simo.
Si costuma quì di metter neve nelli bicchieri di vino. Ne metteva poco io non stando troppo
bene della persona, avendo assai volte dolor di fianchi, e scacciando tuttavia arenella incredibile ;
51 Nel M S. c’è un segno che significa scudi.
oltre a questo non potendo riaver la testa, e rimetterla al suo primo stato. Stordimento, e non so che
gravezza sugli occhi, la fronte, le guancie, denti, naso, e parte d’innanzi. Mi messi in fantasia che
fussero gli vini bianchi dolci e fumosi, perché quella volta che mi riprese prima la migrena ne avea
bevuti gran quantità di Trebisiano, scaldato del viaggiare, e della stagione, e la dolcezza d’esso non
stancando la sete.
In fine confessai, ch’è ragione, che Firenze si dica la bella.
Quel giorno andai solo per mio diporto a veder le donne che si lasciano veder à chi vuole. Viddi
le più famose : niente di raro. Gli alloggiamenti raunati in un particolare della città, e per questo
spregievoli, oltra ciò cattivi, e che non si fanno in nissun modo a quelli delle puttane Romane, o
Veneziane : nè anco esse in bellezza, o grazia, o gravità. Se alcuna vuole starsi fuora di questi limiti,
bisogna che sia di poco conto, e faccia qualche mestiere per celarsi.
Viddi le bottheghe di filattieri di seta con certi instrumenti, gli quali spingendo in giro una sola
donna, fa d’un tratto torcere, e voltare cinquecento fusi.
Martedì la mattina spinsi fuora una pietrella rossa.
Mercordì viddi la cassina del Granduca. E quel che mi parve più importante è una rocca in forma
di piramide, composta e fabbricata di tutte le sorte di miniere naturali, d’ogn’una un pezzo, radunate
insieme. Buttava poi acqua questa rocca, con la quale si verranno là dentro movere molti corpi,
molini d’acqua, e di vento campanette Chiese, soldati di guardia, animali, caccie, e mille tal cose.
Giovedì non volsi restar a vedere correre un altro palio ai cavalli. Andai dipoi desinare a
Prattalino, il qual rividdi molto minutamente. Et essendo pergato dal Casiero del Palazzo di dire la
mia sentenzia di quelle bellezze, e di Tivoli, ni discorsi non comparando questi luoghi in generale,
ma parte per parte, con le diverse considerazioni dell’un & dell’ altro, essendo vicendevolmente
vittore ora questo or quello.
Venerdì alla bottega di Giunti comprai un mazzo di Commedie, undeci in numero, e certi altri
libretti. E ci viddi il testamento di Boccaccio stampato con certi discorsi fatti sul Decamerone.
Questo testamento mostra una mirabile povertà e bassezza di fortuna di questo grand’Uomo.
Lascia delle lenzuola, e poi certe particelle di letti a sue parenti, e sorelle. Gli libri a un certo Frate,
al quale oridina, che gli comunichi a chiunque gliene richiederà. Fin a’ vasi, e mobili vilissimi gli
mette in conto. Ordina delle Messe, e sepoltura. C’è stampato come s’è ritrovato di carta pergamena
molto guasta, e ruinata.
Come le puttane Romane, e Veneziane si fanno alle finestre per i loro amanti, così queste alle
porte delle lor case, dove si stanno al publico alle ore comode ; e là le vedete, chi con più, chi con
manco compagnia, a ragionare, e a cantare nella strada, ne’ circoli.
La Domenica 2 di Luglio partii di Firenze di poi desinare, & avendo varcato l’Arno sul ponte, lo
lasciammo alla man dritta seguendo il suo corso tuttavia. Passassimo delle belle pianure fertili, nelle
quali sono le più famose peponaie di Toscana. E non sono maturi gli buoni melloni che sul 15 di
Luglio. E particolarmente si nomina il loco dove si fanno li più eccellenti, Legnaia, a 3 miglia di
quà Firenze .
Andassimo una strada la più parte piana e fertile, e per tutto popolatissima di case, castellucci,
villaggi quasi continui.
Attraversassimo fra le altre una bellissima Terra nominata Empoli. Il suono di questa voce ha
non so che d’antico. Il suono piacevolissimo. Non ci riconobbi nessun vestigio d’antichità fuora che
un ponte ruinato vicino sur la strada, c’ha non so che di vecchiaia.
Considerai tre cose : di veder la gente di queste bande lavorare chi a batter grano, o acconciarlo, chi
a cucire, a filare, la festa di Domenica. La seconda di veder questi contadini il liuto in mano, e fin
alle pastorelle l’Ariosto in bocca. Questo si vede per tutta Italia. La terza di veder come lasciano sul
campo dieci, e quindeci e più giorni il grano segato, senza paura del vicino. Sul buio giunsimo a
SCALA, 20 miglia, alloggiamento solo, assai buono. Non cenai ; e dormii poco, molestato d’un
dolor di denti sulla destra, il quale molte volte sentiva col mio mal di testa. Mi fatigava più nel
mangiare, non potendo toccar nulla senza dolore grandissimo.
La mattina del Lunedì 3 di Luglio seguitassimo la strada piana il lungo d’Arno, e sul fine una
pianura ubertosa di biade. Capitassimo sul meriggio a
PISA, 20 miglia, Città al Duca di Firenze, posta in questo piano su l’Arno che li passa per mezzo,
e di là a sei miglia si diffonde nel mare, e porta alla detta Città parecchi sorte di navili.
Cessava in quel tempo la scuola, come è il costume tre mesi del grande caldo.
Ci riscontrassimo la compagnia delli Disiosi, di Commedianti, buonissima.
Perché non mi satisfece l’osteria, presi a pigione una casa con quattro stanze, una sala. Aveva
l’oste a far la cucina, e dar mobili. Bella casa. Il tutto per otto scudi il mese. Perché quel ch’aveva
promesso per il servigio di tavola di toaillie, e serviette, era troppo scarso (atteso ch’in Italia s’usa
pochissimo di muitar serviette che quando si muta la toaillia; e la toaillia, due volte la settimana)
lasciavamo gli servitori far per loro le spese : noi all’osteria a 4 iulli ogni giorno.
La casa era in un bellissimo sito, e veduta piacevole, riguardando il canale per il quale passa
l’Arno, e traversa la Terra.
Questo fosso è molto largo, e lungo più di 500 passi, inchinato e piegato un poco, facendo una
piacevole vista, scoprendo più agevolmente per questa sua curvità l’un capo, e l’altro di questo
canale, con tre ponti che là varcano l’Arno pieno di vascelli, e di mercanzie. L’una e l’altra proda di
questo canale edificate di belle mura coll’appoggiarsi alla cima, come il canale delli Augustini in
Parigi. Di poi all’una, e l’altra banda, larghe strade : & all’orlo delle strade un ordine di case. Era
posta là la nostra.
Mercordì 5 di Luglio viddi il Duomo dove fu il palazzo d’Adriano Imperatore. Ci sono infinite
colonne di marmo diverse ; diversi lavori, e forme ; porte bellissime di metallo. E’ ornata di diverse
spoglie di Grecia, e d’Egitto, & edificata di ruine antiche, di modo che si vedono delle scritte a
rovescio, altre mezzo tagliate, ed in certi luoghi caratteri sconosciuti, che dicono essere gli antichi
Toscani.
Viddi il campanile d’una forma estraordinaria inchinato di sette braccia come quell’altro di
Bologna, & altri, intorniato di pilastri per tutto, e di corridori aperti.
Viddi la chiesa S. Giovanni vicina, ricchissima anche lei d’opere famose di scultura, e pittura.
Fra gli altri d’un pulpito di marmo con spessissime figure tanto rare, che questo Lorenzo
ch’ammazzò il Duca Alessandro, si dice che levò le teste d’alcune di queste statuette, e ne fece
presente alla Reina. La forma della Chiesa assomiglia la Rotonda di Roma.
Il Figliuolo naturale del detto Duca vive qui : e lo viddi vecchio. Vive comodamente della
liberalità del Duca, e non li cale d’altro. Ci sono cacciagione, e pescagioni bellissime. A questo
s’occupa.
Di sante reliquie, e di opere rare, e marmi, e pietre di rarità, grandezza, e lavoro mirabile, qui se
ne trova quanto in nissuna altra città d’Italia.
Mi piacque sopra modo l’edificio del cimiterio che domando Camposanto di grandezza inusitata,
quadro, 300 passi di lunghezza, e 100 di larghezza. Coridore d’intorno intorno, largo di 40 passi,
coperto di piombo, lastricato di marmo. Le mura piene di pitture antiche. Fra l’altre di Gondi
Fiorentino, autore di questa casa.
Gli nobili di questa Città sotto questo corridore al coperto avevano gli sepolcri loro. Ci sono gli
nomi & arme delle famiglie fin a 400 : delle quali non ne sono appena adesso 4 casate restate delle
guerre, e ruine di questa antichissima città : del popolo così poco è abitata, e posseduta di forestieri.
Di queste nobili famiglie ce ne sono parecchi di Marchesi, Conti, e Grandi in altre bande della
Cristianità o si sono traslate.
Al mezzo di questo edificio è un luogo scoperto dove si seppellisce di continuo. Si dice
affermatamente da tutti, che gli corpi che vi si mettono, in otto ore gonfiano in modo che se ne
vede alzar il terreno ; le otto di poi scema, e cala ; le ultime otto si consuma la carne in modo,
ch’innanzi le 24 non ci è più che le ossa ignude. Questo miracolo è simile a quell’altro del cimitero
di Roma, dove se si mette un corpo d’un Romano, la terra lo spinge subito fuora. Questo luogo è
lastricato di sotto di marmo come il corridore, e gli è messa di sopra la terra della altezza d’un
braccio, o due. Dicono, che fu portata di Gerusalemme questa terra, perché furono gli Pisani con
grande armata a quella impresa. Con licenza del Vescovo si piglia un poco di questa terra, e se ne
sparge nelli altri sepolcri con questa opinione che gli corpi abbino a consumare spacciatamente.
Parve verisimile, perché in un cimiterio di così fatta Città si vedono rarissime ossa, e quasi nulle, e
nessun loco dove si raccoglino, e riserrino come in altre Città.
Le montagne vicine producono bellissimi marmi, de’ quali ha questa Città molti nobili artefici.
In quel tempo lavoravano per il Re di Fez in Barberia una ricchissima opera d’un teatro ch’egli
disegna con 50 grandissime colonne di marmo.
In questa Città si vede in luoghi infiniti le arme nostre, & una colonna ch’il Re Carlo 8 diede al
Duomo. Et in una casa al muro verso la strada è rappresentato il detto Re al naturale in ginocchione
innanzi alla Madonna, la quale pare, che li dia consiglio. Dice la scritta, che cenando il detto Re in
questa casa per sorte gli cascó nell’animo di dare la libertà antica a’ Pisani vincendo in questo la
grandezza d’Alessandro. Gli titoli del detto Re ci sono, di Gerusalemme, di Sicilia ec. Le parole che
toccano questo parte della libertà data, guaste a posta & a mezzo scancellate. Altre case private
hanno ancora queste arme in fregio per la nobiltà che il Re gli diede.
Non ci sono molti vestigi d’edifici antichi. Ci è una ruina di mattoni bella, dove fu il Palazzo di
Nerone, e ne ritiene il nome : e una Chiesa di S. Michele ; che fu di Marte.
Giovedì ch’era Festa di S. Pietro, dicono, ch’anticamente era lor costume ch’il Vescovo andava
alla Chiesa S. Pietro a 4 miglia fuora della Città in processione, e di là al mare, dove gettava un
anello, e sposava il mare, essendo questa Città potentissima in la marina. Adesso ci va un mastro di
scuola solo. Ma gli Preti in processione vanno a questa Chiesa, dove sono gran perdonanze. Dice la
bolla del Papa di 400 anni poco manco (pigliandone fede d’un libro di piú di 1200) che fu edificata
questa Chiesa di S. Pietro : e che S. Clemente facendo l’ufficio su una tavola di marmo, li cascarono
sopra tre gocciole di sangue del naso del detto Santo. Queste goccie si vedono come impresse di tre
giorni in qua.
Gli Genovesi ruppero questa tavola, e portarono via una di queste gocce. Per questo gli Pisani
levarono il restante della detta tavola dalla detta Chiesa, e portarono nella Città loro. Ma ogni anno
si riporta con processione al suo loco al detto giorno S. Pietro. Il popolo ci va tutta la notte in
barche.
Al Venerdì 7 di Luglio di buona ora andai a veder le cascine di Don Pietro di Medici, discoste di
due miglia della Terra. Egli ha là un mondo di possessioni che tiene da per se mettendoci di 5 in 5
anni nuovi lavoratori con pigliarne la metà dei frutti. Terreno abondantissimo di grano. Pasture
dove tiene d’ogni sorte d’animali. Scavalcai per veder il particolare della casa. Ci soro gran numero
di persone che travagliono a far ricotte, buturo, casci, e diversi instrumenti per questa opera.
Di là seguendo il piano capitai alla spiaggia del mar Tirreno d’una banda scorgendo l’Erici a
man dritta, dall’altra Livorno più vicino, castello posto nel mare. Di là si scuoprono a chiaro l’isola
Gorgona ; e più oltra Capraia, e più oltra Corsica. Diedi la volta a man manca il lungo della ripa fin
che giunsimo la bocca d’Arno d’un’entrata malagevole alli navigli attesochè di diversi fiumicelli
che concorrono all’Arno, si porta terra e fango che si ferma, & innalza la detta bocca. Ci comprai
del pesce che mandai poi alle donne commedianti. Il lungo di quel fiume si vedono parecchi
macchie di tamarisci. Il Sabbato ne comprai un barile sei giuli, il quale feci cerchiare d’ariento. Ci
andò all’aurefice 3 scudi. Comprai di più una canna d’India a appoggiare, sei giuli. Un vasetto, &
un bicchiere di noce d’India, che fa il medesimo effetto per la milza, e per la gravella, che il
tamarisco, 8 giuli.
L’artista uomo ingegnoso, e famoso da far belli instrumenti di matematica, m’insegnò, che tutti
arbori portano tanti cerchi e giri, quanti anni hanno durato : e me lo fece vedere in tutti quelli
ch’aveva nella bottega sua, essendo legnaiuolo. E la parte che riguarda il settentrione, è più stretta
& ha gli circoli più serrati e densi, che l’altra. Per questo si dà vanto, qualche segno che gli sia
portato, di giudicare quanti anni avesse l’arbore, & in qual sito stasse.
Durava fatica in questo tempo della testa che mi stava sempre d’un modo ; con una tal
stitichezza che non moveva il corpo senza arte e soccorso di confetti, soccorso debole. Dei reni bene
secondo.
Questa città era poco fa vituperata di cattiva aria. Ma avendo Cosimo Duca asseccati gli paduli
che le sono d’ognintorno, stà bene. Et era cattiva a tal modo, che quando volevano confinare
qualcuno, e levarlo via, lo confinavano in Pisa dove in pochi mesi la forniva.
Questo loco non fa pernici con questo che gli Principi ci hanno messo ogni cura.
Mi venne a visitare in casa parecchi volte Girolamo Borro Medico dottor della Sapienzia. Et
essendo io andato a visitarlo il 14 di Luglio mi fece presente del suo libro del flusso e riflusso del
mare in lingua volgare : e mi fece vedere un altro libro Latino ch’avea fatto de i morbi de i corpi.
Quel medesimo giorno vicino a casa mia scamparono dell’arsenale 21 schiavi Turchi avendo
trovata una fregata colla sua guarnigione, che il Sig. Alessandro di Piombino avea lasciata, essendo
ito alla pescagione.
Tranne l’Arno, e questo suo attraversala con bellissimo modo, queste chiese, e vestigi antichi, e
lavori particolari ; Pisa ha poco di nobile, e piacevole. Pare una solitudine. E in questo, e forma
d’edifici, & grandezza sua, e larghezza di strade, si confà assai con Pistoia. Ha un estremo difetto
d’acque cattive, e c’hanno tutte del paduloso.
Uomini poverissimi, e non manco altieri inimici, e poco cortesi ai forestieri, e particolarmente a’
forestieri dopo la morte d’un Vescovo loro, Pietro Paulo Borbonico, che si dice di casa de i nostri
Principi, e ce n’è di questi una casata.
Costui era tanto amorevole a nostra Nazione, e tanto liberale, che aveva messo ordine, che non
ci capitasse nissun Francese, che subito non li fusse menato in casa. Ha lasciato della sua bona vita,
e liberalità, onoratissima memoria ai Pisani. Sono cinque, o sei anni solamente, che morì.
Il 17 di luglio mi messi con 25 altri, a un scudo per uno, a giocare alla riffa certa roba del
Fargnocola di questi Commedianti. Prima si fa alla sorte a chi tocca di giocar primo, e poi secondo,
fin all’ ultimo. Si segue questo ordine. Di poi essendo diverse cose a giocare, ne fecero due parti
uguali. L’una guadagnava chi faceva più punti, l’altra chi ne faceva manco. Toccò a me di giocar il
secondo.
Il 18 alla Chiesa di S. Francesco fra li Preti del Duomo, e gli Frati nacque un garbuglio grande.
Un gentiluomo Pisano essendo seppellito alla soppradetta chiesa il giorno innanzi, volevano gli
Preti dir la messa. Ci vennero con li ferramenti & apparecchi loro. Cotesti allegavano l’antico
costume e privilegio loro. Li Frati al contrario, che toccava a loro, non ad altri, dir la messa in
chiesa loro. Volse un Prete pigliare il marmo accostatosi al grande altare. Un Frate si sforzò a
levarlo via. Al qual Frate il Vicario patrone di questa chiesa di Preti diede un schiaffo. Di là in là, di
mano in mano la cosa passò con pugni, con bastonate, candelieri, torchi, e simil cose : tutto fu
adoprato. Fu il fine, che non fu detta la messa da nissuna parte. Fu questa stizza e tenzone di gran
scandalo. Subito che ne fu sparsa la nuova ci andai : e mi venne ragguagliata ogni cosa.
Al 22 a l’alba arrivarono tre legni di Corsari Turcheschi al lito vicino, e levarono via quindeci, o
venti prigioni pescatori, e poveri pastori.
Il dolor di testa alle volte mi tralasciava per cinque, sei, e più giorni : ma non me ne poteva
riavere affatto.
Mi venne un capriccio d’imparare con studi & arte, la lingua Fiorentina. Ci metteva assai tempo,
e sollecitudine : ma me ne veniva fatto pochissimo utile.
Si sentì in quella stagione una caldura vie più maggiore che non si sentiva comunemente.
Al 12 andai altresì a visitar fuori di Lucca la villa del Sig. Benedetto Buonvisi, piacevole
mezzanamente. Fra l’altre cose ci viddi la forma di certi boschettucci che fanno in lochi erti. Nel
spazio di 50 passi circa, piantano albori diversi, di quelli che tutto l’anno stanno verdi. Questo loco
circondano di fossi piccoli, e ci fanno dentro certi vialuzzi coperti. Al mezzo un loco per il uccellaio
: il quale con un fischio d’argento, e nume di tordi presi a posta, e attaccati, avendo disposto d’ogni
canto parecchi panie vescate, a certa stagione dell’anno, come di dire verso il Novembre, farà una
mattina presa di 200 tordi : e questo non si fa, ch’a certa contrada a certo lato della città.
Al 13 la Domenica io partii di Lucca avendo ordinato, che si offrisse al detto M. Ludovico
Pinitesi per rispetto della casa sua ¤ 15. Il qual conto tornava a un scudo ogni giorno. Di che restò
satisfattissimo.
Fummo quel giorno a visitare moltissime ville delli Gentiluomini Lucchesi, pulite, gentili, e
belle. Hanno acqua assaissima, ma posticcia, cioè non viva, non naturale, o continua.
È maraviglia di veder tanta rarità di fontane in un loco così montuoso. Tirano certe acque di rivi,
e per bellezza le acconciano in modo di fonti con vasi, grotte, & altri lavori di tal servizio.
Venimmo a cena quella sera in una villa del detto M. Ludovico avendo sempre in compagnia
nostra M. Orazio suo figliuolo. Il quale ci ricevette molto comodamente in questa villa, e ci diede
una buonissima cena di notte sotto un gran portico molto fresco, aperto d’ogni banda : e poi ci
messe a dormire in bone stanze appartate, con panni di lino bianchissimi, e netti, come li avevamo
goduti a Lucca nella casa del patre.
Lunedì a buon’ora partimmo di là. E nella strada senza scavalcare essendo un pezzo fermati a
visitare la villa del Vescovo il quale ci era (e fummo molto accarezzati dagli uomini suoi, & invitati
a restar là a desinare) venimmo a desinare a
BAGNI DELLA VILLA, 15miglia. Furono grandi le accoglienze e carezze le quali io ebbi di
tutta questa gente. Da vero si pareva, ch’io fussi ritornato in casa mia. Mi remissi in quella
medesima stanza ch’io aveva da prima, al prezzo di 20 scudi al mese, e quelle stesse condizioni.
Martedì 15 d’Agosto a buona ora andai al bagno, e ci stetti poco manco d’una ora. Lo ritrovai più
presto freddo che altramente. Non mi mosse punto a sudare. Giunti a questi bagni non sano
solamente, ma si può dire allegramente d’ogni parte. Dopo avermi bagnato resi le orine torbide ; e
la sera avendo camminato un buon pezzo per strade alpestre, e non speditevoli, le resi affatto
sanguinose : e sentii al letto non so che alterazione ai reni.
Al 16 seguitai il bagnare, e fui al bagno delle donne dove non era ancora stato, per stare
appartatamente, e solo. Lo riscontrai troppo caldo ; o che lo fosse da vero, o veramente che li pori
essendo aperti per la bagnatura del giorno innanzi, m’avessino agevolito a scaldarmi. Tanto è che ci
stetti una ora il piú, e sudai mezzanamente. Le orine le faceva naturali. Di sabbio nulla. Dopo
pranzo mi vennero ancora le orine torbide, e rosse : & al tramontar del sole sanguinose.
Al 17 m’abbattei in quell’istesso bagno più temperato. Sudai pochissimo. Le orine torbidette con
un poco di sabbio. Il colore di certa pallidezza gialla.
Al 18 stetti au suddetto bagno due ore. Sentii non so che gravezza di reni. Aveva il corpo lubrico
ragionevolmente. Sin dal primo giorno mi sentii pregno di ventosità, e gorgogliare di budella.
Questo effetto lo credo facilmente proprio a queste acque perché all’altra bagnatura m’avviddi
molto chiaro, che mi recaron le ventosità a questo modo.
Al 19 andai al bagno un po’ più tardi per dar loco a una donna Lucchese che si volse bagnare, e
si bagnò innanzi: essendo osservata, e ragionevole questa regola, che le donne godano il bagno loro
a sua posta. Ci stetti due ore altresì.
Mi ci venne un poco di gravezza di testa, la quale parecchi giorni s’era mantenuto in bonissimo
stato. Le orine sempre torbide, ma in diverse guise, e portavano via delle arenella assai. Scorgeva
altresì non so che movimenti ai reni. E s’io dirittamente sento, questi Bagni possono molto intorno a
questo particolare : e non solamente dilatano, & aprono i passi, & i condotti, anzi di più spingono la
materia, la dissipano, e dileguano. Buttava arenella le quali parevano proprio pietre allora spezzate,
e disfatte.
La notte sentii al lato manco un principio di colica assai violento, e pungente, il quale mi
straccinò un buon pezzo, e tuttavia non ebbe il progresso ordinario : non pervenne al ventre, al
pettignone : e finì in modo che mi lasciò credere, che fusse ventosità.
Al 20 fui due ore al bagno. Mi diedero tutto quel giorno gran noia, e disagio grande le ventosità
al basso del ventre. Buttava di continuo le orine molto torbide, rosse, e spesse con qualche poco
d’arenella. Sentiva la testa. Andava del corpo più presto oltra il solito che altramente.
Non si osservano qui le Feste con quella religione che le osserviamo noi, massimamente la
Domenica. Fanno le donne la più parte de i loro lavori dopo pranzo.
Al 21 seguitai la mia bagnatura. Dapoi essermi bagnato mi dolevano i reni assai. Orinava molto
torbido. Buttava arenella, ma poche. Il dolore ch’io pativa allora ai reni, secondo giudicava, fu
causato dalle ventosità le quali si rimenavano d’ogni verso. Della torbolanza delle orine indovinai la
scesa di qualche pietra grossa. Indovinai troppo bene. Avendo fatta la mattina questa scritta, subito
dopo pranzo venni a essere molto travagliato de’ dolor colici. E per non starmi troppo neghittoso mi
si attaccò una giunta d’un dolore acutissimo ai denti della guancia manca, non ancora sentito. Non
potendo comportare questo disagio, dopo due o tre ore mi metti al letto, dove in poco tempo mi si
levò questo dolore della guancia.
L’altro stracciandomi tuttavia, e sentendo ultimamente (per vederlo movere di loco in loco, &
occupare diverse parti della personna) che fussero più presto ventosità che piettra, fui sforzato a
domandar d’un serviziale ; il quale sul buio mi fu attaccato molto comodamente, d’oglio,
camomillo, & anisi, e non altro, dall’ordine del speziale solo. Mene servì il Capitan Paulino con tal
arte, che sentendo le ventosità che spingevano all’incontro, si posava, e tirava indietro ; e poi pian
piano seguitava, a tanto che senza fastidio veruno lo pigliai intero. Non fu bisogno, che lui mi
ricordasse di servarlo quanto io potessi, perché non mi diede nessuna voglia d’andar del corpo. Sino
a tre ore mi stetti così, e poi da me stesso m’ingegnai di buttarlo. Essendo fuora del letto presi un
boccone di massepano a gran pena, e quattro gocciole di vino. Ritornato al letto, e un poco
addormentato, mi venne voglia d’andare al destro : e fino al giorno ne andai quattro volte, avendo
sempre qualche parte del detto cristiero che non era resa.
La mattina mi sentii alleggerito molto, avendo sgombrato ventosità infinite. Mi restai con
stracchezza assai, ma di dolore nulla. Desinai un poco senza appetito, bevvi senza gusto con ciò
fusse ch’io mi sentissi assetato assai. Dappoi aver desinato mi si attaccò ancora una volta questo
travaglio della guancia manca, del quale patii assaissimo per infino dell’ora del desinare a quella
della cena. Tenendo per certo, che queste ventosità mi fussino causate del bagno, lo lasciai stare.
Passai la notte con buon sonno.
La mattina mi ritrovai al destare, lasso, & affannato, la bocca asciutta, con asprezza, e mal
gusto, e il fiato come se avessi avuto la febbre. Non sentiva nulla che mi dolesse, ma continuava
sempre mai questo orinare estraordinario, e torbidissimo, recando seco tuttavia sabbio & arenella
rossa non in molta quantità.
Al 24 la mattina buttai una pietra la quale si fermò al canale. Mi stetti perfino di quella ora a
quella del desinare, senza orinare, acciò me ne venisse gran voglia. Allora non senza disagio, e
sangue, & innanzi, e dopo, la buttai, grande e lunga come una nocciola di pino, ma all’un capo
grossa a pari d’una fava, avendo a dire il vero la forma d’un cazzo affatto affatto. Fu mia grande
ventura di poterla spinger fuora. Non ne ho mai messo che stesse a petto di questa in grandezza.
Aveva troppo veracemente indovinato della qualità delle mie orine questo successo. Verrò quel che
n’è da seguire.
Sarà troppo grande dappocaggine, & ischifiltà la mia se tutto dì ritrovadomi in caso di morte a
questo modo, e facendolami più presso ogni ora, non m’ingegni sì ch’io la possa di leggieri
sopportare quanto prima io ne sia sopraggiunto. Et in questo mezzo fia senno il pigliarsi
allegramente il bene ch’a Dio piacerà di mandarci. Non c’è altra medicina, altra regola, o scienzia a
schifare gli mali chenti e quali d’ogni canto, e ad ogni ora soprastanno l’uomo, che risolversi a
umanamente sofferirgli, o animosamente e spacciatamente finirgli.
Al 25 d’Agosto riprese l’orina il suo colore, & io mi ritrovai della persona al stato da prima.
Senza che spesse volte e dì, e notte, pativa della gota manca, ma era un certo dolore che non si
fermava punto. Mi ricorda avermi dato noia cotesto, male altre volte in casa mia.
Al Sabato 26 fui al bagno una ora la mattina.
Al 27 dopo desinare fui crudelmente travagliato d’un dolore di denti cocentissimo si che ne
mandai per il Medico, il quale venuto, e considerato ogni cosa, e spezialmente che in sua presenzia
mi passò il dolore, giudicò, che non avesse corpo questa deflussione, se no molto sottile, e che
fussero ventosità e stati i quali del stomaco montassino a la testa, e mescolati con un poco d’umore
mi dessino questo disagio. Il che mi parse molto assomigliante al vero, considerato, ch’io avea
patito di simili accidenti in altri lochi della persona.
Lunedì 28 d’Agosto a l’alba andai a bere alla fontana di Bernabò, e ne bevvi 7 libre, 4 oncie, a
12 oncie la libra. Mi fece andar del corpo una volta. Ne buttai poco manco di metà, innanzi pranzo.
Evidentemente sentiva, che mi mandava vapori alla testa, e l’aggravava.
Martedì 29 bevvi della fontana ordinaria 9 bicchieri, i quali capivano una libra uno, una oncia
manco. Di subitamente mi sentii la testa. È vero, a dirla, come ella stà, che di se stessa stava male, e
non s’era mai ben riavuta del mal stare ove casco alla prima bagnatura. Più di rado la sentiva, & un
po’ po’ d’un altro modo, perché non mi indebolivano, o abbagliavano gli occhi, d’un mese avanti.
Pativa più indrio ; e mai alla testa che non passasse di subito il male alla guancia manca, toccandola
tutta, denti sin a i bassi, l’orecchio, parte del naso. Il dolore breve, ma il più delle volte molto
cocente, il quale spessissime fiate il giorno, e la notte, mi ripigliava. Tal era in quella stagione il star
della mia testa.
Ben credo, che i fumi di questa acqua tanto per il beveraggio, quanto per la bagnatura (con ciò
sia cosa che più per quello che per questa) siano nocivissimi alla testa, & affermatamente si può dire
di più al stomaco. E per questo si usa da costoro comunemente delle medicine per provedere a
questo caso.
Resi, mettendo in conto quel ch’io beveva a tavola (il che era molto poco, e manco d’una libra)
in tutto il giorno fino all’altro domane, l’acqua, una libra manco. Dopo desinare sul tramontar del
sole andai al bagno, e ci stetti 3 quarti di ora. Sudai un poco.
Al Mezzedima 30 d’Agosto bevvi 9 bicchieri, 18 oncia. Ne resi la metà innanzi pranzo.
Il Giovedì tralasciai il bere, & andai la mattina a cavallo a veder Controne, Comune molto
popoloso in queste montagne. Ci sono molte belle e fertili pianure, e pascoli al colmo d’esse
montagne. Ha questo Comune parecchi villette, allogiamenti di pietra comodi. I tetti loro coperti di
pietra. Feci una gran girandola intorno a questi monti innanzi tornar a casa.
Non mi piaceva quel smaltire dell’acqua presa ultimamente. Per questo feci pensiero di smettere
il berne. E non mi piaceva perché non tornava, e non scontrava il conto dell’orinare di quel dì col
bere. Bisognava, che mifussino rimasti dentro più di tre bicchieri della acqua del bagno. Senza che
mi sopravvenne una stitichezza del corpo, avuto riguardo al mio ordinario.
Venerdì primo di Settembre 1581 mi bagnai una hora la mattina. Sudai alquanto al bagno, e ci
buttai con l’orina dell’arenella rossa con assai quantità. Bevendo, non ne avea buttato nulla, o poca.
La testa stava sempre ad un modo, cioè cattivo. Cominciava a stentare in questi bagni. E se fussero
venute nove di Francia, le quali aspettava essendo suto 4 mesi senza riceverne, era per partire alla
bella prima, e per andare più presto fornir la cura d’autunno a qual si voglia altri bagni.
Andando verso Roma mi venivano riscontrati poco discosto della maestra strada i bagni Bagno
acqua, quelli di Siena, e di Viterbo. Andando verso Venezia, quelli di Bologna, e poi quelli di
Padoa.
Feci fare le mie arme in Pisa dorate, e di bei colori, e vivi, per un scudo e mezzo di Francia ; e
poi al bagno impastarle (perché erano in tela) su una tavola ; e questa tavola la feci chiodare molto
molto sollecitamente al muro della camera dove io stava, con quel patto, che si tenessino date alla
camera, non al capitan Paulino padrone d’essa, e che in ogni modo non ne fussino spiccate che che
dovesse accadere della casa per di quì innanzi. E così mi fu promesso, e giorato da lui.
La Domenica al 3 di Settembre fui a bagnarmi, e ci stetti una ora, e un po’ più. Ne sentii quantita
di ventosità, ma senza dolore.
La notte, e la mattina del Lunedì 4, fui crudelmente travagliato di dolor di denti : e continuai a
dubitare non fusse qualche dente guasto. Masticava mastice la mattina senza pro veruno. Della
alterazione che mi menava questo cocentissimo male, ne seguiva ancora la stitichezza del corpo. Per
la quale non ardiva ripigliare il beveraggio del bagno : & in questo modo faceva pochissima cura. In
su l’ora di desinare, e tre, o quattro ore dopo desinare, mi diede pace. Sulle venti mi si attaccò con
tanta furia alla testa, & ambedue le guancie, ch’io non mi poteva reggere in piedi. Per la acutezza
del dolore mi veniva voglia di vomitare. Era quando tutto in sudore, quando raffreddato. Questo
sentire, che m’assalisse d’ogni lato, mi dava à credere, che non fosse il male causato del vizio d’un
dente. Perchè in questo, ch’il lato manco fusse assai più tormentato, nondimeno ambedune le
tempie, e il mento, e fino alle spalle, & alla gola, d’ogni verso sentiva alle volte grandissimo dolore
: sì che trapassai la più crudelle, notte ch’io mi ricorda, avere mai passata. Era veramente rabbia, e
furore.
Mandai la notte per un speziale il quale mi diede dell’acqua vita a metter sur lato il quale più
mi tormentava. Ne ricevetti un soccorso mirabile, perché in quell’istesso instante ch’io l’ebbi messa
nella bocca, mi s’appagò tutto il dolore. Ma di subito ch’io la aveva spruzzata, mi ripigliava come
prima : in modo che continuamente aveva il bicchiere alla bocca. Non poteva conservarla nella
bocca perché per la stracchezza di subito ch’il dolore mi lasciava, il sonno forte mi veniva ; e
venendomi il sonno, mi cascava qualche goccia di quest’acqua nella gola, e così bisognava, ch’io la
spruzzassi. In sul far del giorno mi passò il dolore.
Fui visitato il Martedì mattina al letto da tutti i Gentiluomini i quali erano al bagno. Mi feci
attaccare alla tempia del lato manco un empiastretto di mastice sul polso. Quel giorno sentii poco
dolore. La notte mi metterono della stoppa calda sur la guancia, e la parte stanca della testa. Dormii
senza dolore : ma il sonno torbido.
Mezzedima sentiva tuttavia dolore al dente, & occhio manco. Con lo orinare buttava delle
arenella ma non in quella grande quantita che le buttava la prima volta ch’io ci fui. Ne buttava certi
granelli sodi, come di miglio, e rossi.
Al Giovedì 7 Settembre la mattina fui un’ora al bagno grande.
Quella istessa mattina mi diedero nelle mani per la via di Roma lettere del signor du Tausin
scritte a Bordea al 2 d’Agosto, per le quali m’avvisa, ch’il giorno innanzi, d’un publico
consentimento io era suto creato Governatore di quella città : e mi confortava d’accettare questo
carico per l’amor di quella Patria.
La Domenica 10 Settembre mi bagnai la mattina un’ora al bagno delle donne : & essendo un po’
caldo, ci sudai alquanto.
Dopo desinare andai solo a cavallo a vedere certi altri lochi vicini, & una villetta la quale si
noma Gragnaiola, e sta in la cima d’un monte de’ più alti di quelle bande. Passando più là su quelle
cime mi paravano le più belle, e fertili, e piacevoli piaggie abitate che si possino vedere.
Essendo a ragionare con i paesani, & avendo io addomandato a uno uomo molto attempato, se
essi usavano i nostri bagni, mi rispose, che lor accadeva quel ch’interviene a quelli che stanno
vicino alla Madonna di Loreto, che rade volte ci vanno in pellegrinaggio : e che l’operazione delli
bagni non si vede che in favore delli forestieri, e lontani. Tuttavia che li rincresceva assai quello che
dopo certi anni si accorgesse, li bagni essere più nocivi che giovevoli a chi li usava. Diceve di
questo essera la causa tale. Che con ciò sia cosa che a i tempi passati non ci fusse un solo speziale in
queste bande, e non si vedesse nissun medico, che di rado ; ora si vedeva il contrario : avendo questi
tali, riguardando all’utile loro, sparso questa usanza, che non valevano i bagni a chi non pigliasse,
non solamente e dopo, e prima, delle medicine, ma di più a chi non le mescolasse con la operazione
dell’acqua del bagno : la quale non facilmente consentivano che fusse presa pura. Di questo diceva
seguire questo chiarissimo effetto, che più gente morisse, che non guarisse di questi bagni. E teneva
per certo, ch’in poco tempo era per venire in cattivo concetto, & in disdetto al mondo.
Lunedì 11 di Settembre, buttai la mattina buona quantità d’arenella, e la piú parte in forma di
miglio, soda, rossa di sopra, di dentro bigia.
Al 12 di Settembre 1581 partimmo de i bagni della Villa la mattina a bona ora, e venimmo desinare
a
LUCCA, 14 miglia. Cominciavano in quei giorni a cogliersi l’uva. La Festa di Santa Croce è
delle principali della Città : e si dà intorno a quella otto giorni libertà a chi vuole, bandito per conto
di debito civile, di tornare a casa sua sicuramente per darli commodità d’attendere alla divozione.
Non ho trovato in Italia un solo buono barbiere a tosarmi la barba, & il pelo.
Al Mezzedima la sera fummo a udir le vespere al Duomo, dove fu il concorso di tutta la Città, e
processioni. Si vedeva scoperta la reliquia del Volto Santo, la quale è di grandissima venerazione
fra essi, conciosia cosa ch’è antichissima, e nobile di parecchi miracoli. Per il servizio della quale
s’è edificato il Domo : sì che la picciola cappella dove si tiene questa reliquia stà ancora al mezzo di
quella grande Chiesa in loco sconcio, e contra ogni regola d’architettura. Quando furono fornite le
vespere si mosse tutta la pompa a un’altra Chiesa, la quale ai tempi passati era il Duomo.
Giovedì udii la messa nel Coro del detto Duomo dove erano tutti gli Ufficiali della Signoria. Si
dilettano in Lucca molto di musica : e comunemente cantano tutti. Si vede pure, che hanno
pochissime bone voci. Fu cantato a questa messa con ogni sforzo : e non ci fu pure gran cose.
Avevano fatto a posta un grande altare molto alto, di legno e carta, ricoperto d’immagini, e grandi
candellieri d’argento, e di più vasellamenti d’argento, posti in tal guisa : un bacile al mezzo, &
intorno quattro piatti ; e guarnito in questa maniera del piè fino al capo che rendeva una forma
ragguardevole e bella.
Ogni volta che dice la messa il Vescovo, come egli quel giorno la diceva, sul punto ch’egli dice
Gloria in excelsis s’attacca il fuoco a certo mazzo di stoppe ; il quale s’appicca a una graticola di
ferro pendente nel mezzo della Chiesa per cotale servigio.
Già era in quelle contrade la stagione molto raffreddata & umida.
Al Venerdì 15 di Settembre mi venne quasi un flusso d’orina cioè ch’io orinava presso a due
volte più che non aveva bevuto. Se m’era rimasta nel corpo qualche parte dell’acqua del bagno,
credo che la buttassi.
Al Sabbatto mattina resi una pietrella aspra senza difficultà niuna. L’aveva la notte sentita un
po’ sul pettignone, e capo della verga.
La Domenica 18 di Settembre si fece la ceremonia del mutamento del Gonfaloniere della Città.
Io fui a vederla al palazzo. Si lavora quasi senza rispetto della Domenica, e ci sono assai botteghe
aperte.
Al Mezzedima 20 di Settembre dopo desinare partii di Lucca, avendo prima fatto acconciar due
balle di robe per mandar in Francia.
Seguitassimo una strada speditevole e piana. La contrada sterile a modo delle Lome di
Gascogna. Passammo sopra un ponte fatto dal Duca Cosimo, un rio grande. In quel luogo sono
mulini a far ferro, del Granduca, e bello alloggiamento. Ci sono ancora tre peschiere, o lochi
appartati a modo di stagnetti rinchiusi, e lastricati di sotto di mattoni ne i quali si conserva un
numero infinito d’anguille, le quali compariscono facilmente, essendoci poca acqua. Varcammo poi
l’Arno a Fucecchio, e capitammo al buio alla
SCALA 20 miglia. Di Scala partii al spuntar del sole. Passai un cammino bello, e quasi pari. Il
paese montuoso di montagne piccole, e fertilissime come le montagne Francesche.
Passammo per il mezzo di Castel Fiorentino, piccola Terra chiusa di mura ; e poi al piede e
darente a Certaldo patria del Boccacio, Castello bello sopra un colle. Venimmo a desinare a
POGGIBONZI 18 miglia, una Terra piccola. Di là a cena a
SIENA 12 miglia. A me pare, che fusse più freddo il cielo in questa stagione in Italia, ch’in
Francia.
La piazza di Siena è la più bella che si vedda in nissuna altra Città. Si dice in quella ogni giorno
la messa in un altare al publico, al quale d’ogni intorno riguardano le case, e botteghe, in modo che
gli artefici, e tutto questo popolo, senza abbandonare le loro faccende, e partirsi del loco loro, la
possono sentire. E quando si fa l’elevazione, si fa tocca una trombetta acciò ch’ognuno avvertisca.
Al 23 di Settembre la Domenica dopo desinare partimmo di Siena. Et avendo seguito una
strada speditevole, comechè un poco inuguale (quel paese essendo montuoso di colline fertili, e
monti non alpestri) giunsimo a
S. CHIRICO 20 miglia, un castelluccio. Alloggiassimo fuora delle mura. Il cavallo della soma
essendo giaciuto in un fiumicello che passammo a guado, ruinò tutte le mie robe, e particolarmente i
libri : e bisognò del tempo a asciugarle. Stavano sui colli di man stanca vicini Montepulciano,
Moncello, Castiglioncello.
Lunedì a buona ora andai a vedere un bagno discosto di due miglia, il quale bagno si domanda
Pignone, del nome d’un Castelluccio chegli è darente. Il bagno è posto in un loco un po’ alto : al
piede del quale passa il fiume Urcia. In questo loco ci sono una dodicina di casette, o in quel torno,
poco comode, e disgustevoli, poste intorno. Non pare altro che una pidocchieria. Un gran stagno
intornato di mura, e scaloni, dove vedono bollire nel mezzo parecchi polle di questa acqua calda. La
quale non avendo odore di zolfo, poco fumo, e la sua fece rossa, pare essere più tosto ferruminea
che altramente. Non se ne beve. La lunghezza di questo stagno è di sessanta passi, la larghezza di
trenta cinque. Ci sono in certi lochi intorno desso stagno lochi appartati, coperti, quattro o cinque,
dove è uso di bagnarsi. Questo bagno è assai nobile.
Non si beve di questa acqua, ma sì bene di quella di S. Cassiano, la quale ha più grido, vicino
del detto S. Chierico 18 miglia verso Roma a man stanca della strada maestra.
Considerando la pulitezza di questi Vasellamenti di terra, che paiono di porcellana sì sono
bianchi e netti, e tanto a buon mercato, che veramente mi paiono più gustevoli per lo mangiare, che
il stagno di Francia, massimamente brutto come si trova alle osterie.
A questi giorni mi sentiva un po’ della testa, del che avea pensato dovere essere a pieno
liberato. E sì, come prima, mi veniva intorno agli occhi, & alla fronte, & alle altre parti d’innanzi
della testa, gravezze, debolezze, turbolenze : del che sentiva un grande travaglio d’animo. Martedì
venimmo a desinare a
LA PAGLIA 13 miglia, a dormire a
S. LORENZO 16 miglia : cattivi alberghi. Le vindegne si cominciavano a fare in quelle bande.
Mercordì la mattina nacque una questione tra nostri uomini con gli Vetturini di Siena i quali
considerato ch’eramo stati in viaggio più dell’ordinario, toccando loro di far le spese a i cavalli,
dicevano non voler pagare la spesa di quella sera. Fu a tanto la cosa, che bisognò parlarne al
Governatore, il quale avendomi udito, me la diede vinta, e messe in prigione l’uno de i Vetturini.
Diceva io, che la cascata del cavallo nell’acqua, della quale aveva ruinata la più parte della mia
roba, era stata causa del nostro indugiare.
Vicino alla strada maestra, discosto di qualche passi a man dritta a sei miglia di Montefiascone,
o in quel torno, c’e un bagno nomato …. posto in una grandissima pianura. Et a tre miglia, o
quattro, del monte piú vicino fa un piccolo lago : all’un termine del quale si vede una grossa polla
bollir gagliardamente, e buttar acqua da abbruciare. Puzza assai al solfo, e fa una schiuma, e fece
bianca. Di questa polla d’una banda nasce un condotto, il quale mena l’acqua a duo bagni che sono
in una casa vicino. La qual casa è sola con assai stanzette, ma cattive. Non credo, che ci sia gran
calca. Se ne beve sette giorni dieci libre per volta : ma bisogna lasciare l’acqua un po’ rinfrescare
prima, per levarli quel calore, come si fa al bagno di Preissac. Il bagno si prende altrettanto. Questa
casa, & il bagno, è del dominio di certa Chiesa. S’affitta cinquanta scudi. Ma oltra questo utile delli
ammalati che ci vanno alla primavera, colui il quale la tiene a pigione, vende certo fango che si tira
del detto lago : il qual fango serve a’ cristiani, disfacendolo con oglio caldo per le rogne ; o vero
alle pecore rognose, e cani, disfacendolo con acqua. Quello fango, quando lo vende in terra a some
2 giuli la soma : quando in palle secche a sette quattrini per una. Ci riscontrammo assaissimi cani
del Cardinal Farnese, li quali erano menati là per farli bagnare. Circa tre miglia di là giunsimo a
VITERBO 16 miglia. Era tal ora, che bisognò fare tutto una del pranzo e della cena. Era io
allora molto roco, e raffreddato ; & avea dormito vestito su una tavola a S. Lorenzo per rispetto de
cimici : quel che non m’era accaduto ch’a Firenze ; & in quel loco. A Viterbo mangiai certa sorte
di ghiandegensole nomate. Se ne trova in assaissimi lochi d’Italia. Sono gustevoli. Ci sono ancora
tanti stornelli, che per un baiocco ne avete uno.
Giovedì 28 di Settembre la mattina andai a vedere certi altri bagni vicini di quella Terra, posti
nel piano, assai discosto e lontano del monte. Prima si vedono edifici in duo diversi lochi, dove
erano bagni, non è molto tempo, i quali per trascuraggine sono persi. Esala tuttavia il terreno un
puzzore grande. C’è più là una casettuccia, nella quale sta una polla piccinina d’acqua calda a dare
un laghetto a bagnarci. Questa acqua non ha odore. Un gusto insipido. Calda mezzanamente.
Giudicai che avesse molto del ferro. Di questa se ne beve. Più là è il Palazzo che si dice del Papa,
perché si tiene, ch’il Papa Nicolò lo fece, o rifece. Al basso di quel Palazzo, e nel terreno in sito
molto basso, sono tre polle diverse d’acque calde. L’una delle quali è per servizio di beveraggio.
Quella è d’un calore mezzano, e temperato. Puzzore niuno, o odore. Nel sapore ha un poco di punta,
e d’acume. Credo, che tenga molto del nitro. Era ito con intento di berne tre giorni. Se ne beve
come in altri lochi, quanto alla quantità. Si passeggia poi : e si loda il sudore.
Questa acqua ha grandissimo grido, e se ne porta via con some per tutta l’Italia : & a questa dà il
Medico, il quale ha universalmente scritto de i bagni, il vantaggio sopra tutte l’acque d’Italia per il
bere. Particolarmente se le attribuisce grande virtù per le cose de i reni. Si beve piú ordinariamente
in Maggio. Mi diede cattivo augurio il leggere la scritta contra il muro, d’uno che bestemmiava i
Medici d’averlo mandato là, e che s’era molto impeggiorato. Di più, che il bagnaiolo diceva, la
stagione esser troppo tarda ; e mi confortava freddamente berne.
Non c’è ch’uno alloggiamento, ma grande & onestamente comodo, discosto di Viterbo d’un
miglio, e mezzo. Io ci andai a piedi. Ci sono tre o quattro bagni di diversi effetti : e di più, loco per
le doccie. Fanno queste acque una schiuma bianchissima, la quale si fitta facilmente, e stà soda
come ghiaccio, facendo una crosta dura sopra l’acqua. Tutto il loco si vede imbianchito, &
incrostato a questo modo. Metteteci un panno lino, in un subito lo vedete carico di questa schiuma,
e sodo come se fusse assiderato. Di questa cosa si nettano utilmente li denti, e se ne manda via, e
vende. Masticando questa fece non si vede sapore che di terra o sabbio. Si dice, che questa è
materia del marmo. Chi sa fusse per impetrarsi ancora nelli reni? Si dice tuttavia, che quella acqua
che si porta in fiaschi, non fa niuna fece, e si mantiene purissima, e chiara. Credo, che se ne possa
bere a piacere, e che riceva qualche guasto di quella punta per agevolire il berne.
Di là al ritorno andai in questo medesimo piano, il quale ha una lunghezza grande, e larghezza
di otto miglia, a vedere il loco dove gli abitatori di Viterbo (fra i quali non è nissuno Gentiluomo, e
sono tutti lavoratori, e mercatanti) radunano i lini, e la canape : delle quali cose fanno grande arte.
Gli uomini fanno questo lavoro. Non è da donne fra loro. Ce n’era quantità grande, e di lavoratori
intorno a un certo lago d’acqua medesimamente calda, e bollente d’ogni stagione. Il quale lago
dicono non aver fondo : del quale si tirano poi altri laghetti tiepidi dove si mette a bagnare la
canape, & il lino.
Tornato a casa, fatto questa gita andando a piè, e tornando a cavallo, buttai una piccola pietra
rossa, e soda, grossa come un grosso grano di frumento. La scesa della quale avea il giorno innanzi
sentita un po’ in sul pettignone. Si fermò al passaggio. Per amor di agevolirle l’uscita fa bene di
ferrare il passo all’orina, e stringere il cazzo alquanto acciocch’esca poi più gagliardamente.
M’apparò questa ricetta il Signor di Langon a Arsac.
Il Sabbato, Festa di S. Michele, dopo desinare andai alla Madonna del Cerquio discosta della
città d’un miglio. Si va per una grande strada molto bella, pari e dritta, guarnita d’alberi d’un
termine e dall’ altro, fatta studiosamente dal Papa Farnese. La Chiesa è bella, piena di gran
religione, e di voti infiniti. Porta la scritta latina, che fa cento anni, o in quel torno, essendo un uomo
assalito da alcuni ladri, e mezzo morto, ricorse a una quercia, nella quale era questa immagine della
Madonna ; alla quale fatto le sue preghiere, per miracolo fu invisibile a i ladri : e così scampò un
pericolo evidentissimo. Di questo miracolo nacque la particolar devozione alla Madonna. Fu a torno
della quercia édificata questa bellissima Chiesa. Ora si vede il tronco della quercia tagliato da basso,
e la parte dove è posta l’immagine attaccata al muro, & i rami intorno tagliati.
Al Sabbato ultimo di Settembre la mattina io mi partii di Viterbo, e presi la strada di Bagnaio,
loco del Cardinal Gimbaro molto ornato, e ben acconcio fra l’altre cose di fontane. Et in questa
parte pare, che non solamente pareggi, ma vinca e Pratolino, e Tivoli. Prima ha l’acqua di fontana
viva, che non ha Tivoli ; e tanto abbondevole (che non ha Pratolino) ch’ella basta a infiniti disegni.
Il medesimo Messer Tomaso da Siena, il quale ha condotto l’opera di Tivoli, o la principale, è
ancora conduttore di questa la quale non è fornita : e così aggiungendo sempre nuove invenzioni
alle vecchie, ha posto in questo suo ultimo lavoro assai più d’arte, di bellezza, e leggiadria. Tra
mille altre membra di questo eccellente corpo si vede una piramide alta, la quale butta acqua in
assaissimi modi diversi : questa monta, questa cala. A torno a questa piramide sono quattro laghetti
belli, chiari, netti, gonfi d’acqua. Nel mezzo di ciascuno una navicella di pietra con due
archibuggieri, i quali tirano acqua, e la balestrano contra la piramide : & un trombetto in ciascuna
che tira ancora lui acqua. E si va a torno questi laghi e piramide per bellissimi viali con appoggi di
bella pietra lavorati molto artificiosamente. Ad altri piacquero piú altre parti. Il Palazzo piccolo, ma
pulito, e piacevole. Certo, s’io me ne intendo, porta questo loco di gran lunga il pregio dell’uso, e
servizio delle acque. Lui non ci era. Ma essendo Francesco di core, come egli, ci fu fatta da i suoi
tutta la cortesia & amorevolezza che si può richiedere.
Di là seguendo la dritta strada incappassimo a Caprarola Palazzo del Cardinal Farnese : il quale
è di grandissimo grido in Italia. Non ne ho visto in Italia nissuno che li stia a petto. Ha un gran fosso
d’attorno intagliato nel tufo. L’edificio di sopra alla foggia d’un terrazzo : non si vedono le tegole.
La forma cincangola, ma la quale pare quadratissima agli occhi. Dentro pure è tonda perfettamente
con larghi corridori à torno, voltati tutti, e dipinti d’ogni parte. Le stanze quadre tutte. L’edificio
molto grande. Sale bellissime. Fra le quali ce n’è una mirabile ; nella quale alla volta di sopra,
(perché l’edifizio è voltato per tutto), si vede il globo celeste con tutte le figure. A torno alle mura il
globo terrestre, le regioni, e la cosmographia, pinta ogni cosa molto riccamente sul moro istesso. In
diversi altri luochi si vedono dipinte le piú nobili azioni di Papa Paolo 3, e Casa Farnese. Le persone
ritratte sì al vivo, che, dove il nostro Contestabile, o la Regina Madre, o i suoi figliuoli Carlo,
Enrico, e Duca d’Alanzone, e Regina di Navarra, si vedono ritratti, subito sono riconosciuti di chi li
ha visti. Simigliantemente il Re Francesco, Enrico II, Pietro Strozzi, & altri. In una medesima sala a
i duo termini si vedono le effigie del Re Enrico II d’una banda, & al loco più onorevole ; sotto la
quale lo dice la scritta Conservatore di Casa Farnese ; all’altra si vede il Re Filippo, la cui scritta
dice, Per li molti beni da Lui ricevuti. Ci sono anche fuora parecchi cose ragguardevoli e belle. Fra
le altre una gotta la quale spruzzando l’acqua in un laghetto con arte fa parere & alla vista, & al
suono, la scesa della pioggia naturalissima. Il sito sterile, & alpestro. E li bisogna tirare l’acqua
delle sue fontane fino di Viterbo a otto miglia discosto.
Di lá seguitando una strada pari, & una grande pianura, ci abbattemmo a grandissimi prati, in
mezzo de i quali in certi lochi e senza erba, si vede bollire delle polle d’acqua fredda pure, ma
puzzolente al zolfo in modo di molto lontano se ne scorge l’odore. Venimmo a dormire a
MONTEROSSI, 23 miglia. Domenica primo d’Ottobre a
ROMA, 22 miglia. Si sentiva quella stagione un grandissimo freddo, & un vento di tramontana
agghiacciato. Lunedì, & alcuni giorni seguenti, io mi sentiva il stomaco indigesto. E per questa
occasione feci alcuni pasti appartato per mangiare manco : & ebbi lubrichezza del corpo : in modo
che mi sentiva assai allegro della persona, fuori che della testa la quale non si riaveva mai del tutto.
Il dì ch’io giunsi a Roma ricevetti le lettere delli Giurati di Bordeaux, i quali mi scrivevano
molto cortesemente della elezione ch’avevano fatta di me per Governatore della lor Città : e mi
pregavano molto d’andardi a trovare.
La Domenica alli 8 d’Ottobre 1581 andai a vedere ne i termi di Diocleziano in sul Monte
Cavallo un Italiano il quale essendo suto molto tempo schiavo de i Turchi aveva imparato mille rare
cose nel cavalcare ; come, che correndo a tutta briglia si stava dritto in piè sulla sella, e gittava con
ogni forza un dardo, e poi d’un tratto si calava nella sella. Correndo in furia, e tenendo d’una mano
all’arcione, scendeva del cavallo, toccando del piè dritto a terra, il mancino tenendo nella staffa : e
più volte scendeva, e saliva sulla sella a questo modo. Faceva parrecchi giri del corpo sulla sella
correndo sempre. Tirava d’un arco Turchesco dinanzi, e di dietro con grande agevolezza.
Appogiando la testa, e la spalla sul collo del cavallo, e stando i piè in su dritto, dava carriera al
cavallo. Avendo una mazza in mano, la gittava in l’aria, e ripigliava correndo. Essendo in piede
sulla sella, una lancia in mano dritto dava in un guanto, e l’infilava, come si corre all’anello. A piedi
girava una piqua intorno al collo dinanzi, e dietro, avendola prima spinta forte con la mano.
Al 10 d’Ottobre, l’Ambasciatore di Francia mi mandò dopo desinare un staffiero per dirmi, che
veniva a pigliarmi nel suo cocchio, s’io voleva ; per menarmi a vedere gli moboli del Cardinale
Ursino, i quali si vendevano, perché Lui era morto questa state in Napoli : & avea lasciato erede
delli suoi beni grandissimi una sua Nipote bambina. Fra le altre cose rade ci era una coperta di
taffettà frodata di piuma di cigno. Di queste pelli di cigni intere colla piuma se ne vede assai in
Siena e tutte acconcie non me ne fu domandato altro che uno scudo e mezzo. Sono grandi come una
pelle di castrato : e poche basterebbono a fare una coperta a questo modo. Vidi ancora un ovo di
autrucilo lavorato intorno, e tutto pinto di belle pitture. Di più una cassetta quadra a metter gioie,
nella quale ce n’era qualche quantità : ma essendo la cassa molto artatamente d’ogni banda acconcia
di spere, come s’apriva la cassa, pareva che d’ogni lato, e di sopra, e di basso, fosse molto più larga,
e cupa, e che ci fussino dieci volte più di gioie che non ci erano, una medesima cosa vedendosi più
volte per il riverbero delle spere, delle quali spere malagevolmente si poteva scorgere.
Il Giovedì 12 d’Ottobre il Cardinal di Sans mi menò in cocchio solo seco a veder S. Giovanni, e
Paolo, Chiesa della quale lui è Padrone : & è di quei Frati che fanno acque e profumi, de i quali ho
parlato di sopra ; posta sopra il monte Celio. E pare, che quella altura di sito sia come fatta ad arte,
essendo tutta quanta di sotto voltata con grandi corridori, e sale sotterra. Si dice, che fusse là il Foro
Ostilio. I giardini e vigne di questi Frati sono posti in una bellissima veduta donde si scuopre la
vecchia, e nuova Roma, loco per la sua altezza diripita, e cupa, appartato, e inaccessibile quasi
d’ogni parte. Quel medesimo dì diedi una cassetta di legno ben assettata a un conduttore a mandarla
a Milano : nella qual strada i mulattieri ordinariamente stanno 20 giorni. Pesava tutta la roba 150
libre, e si paga 4 baiocchi per libra, i quali tornano a 2 soldi Franceschi. Ci erano dentro molte robe
di pregio, massimamente una collana d’Agnus Dei bellissima, e la quale non aveva la sua pari in
Roma, fatta a posta per l’Imbasciatore dell’Imperatrice, il quale la avea fatta benedire al Papa con
un Cavalliere.
La Domenica 15 d’Ottobre la mattina io partii di Roma, e ci lasciai il mio Fratello con 43 scudi
d’oro, con i quali si risolveva di poter star là, & imparar la scherma per il tempo di cinque mesi.
Avea innanzi ch’io partissi, affittato una camerina polita per 20 giuli il mese. Mi fecero compagna
fino alla prima posta i Signori d’Estissac, di Montu, Baron di Chase, Morens, & altri parecchi. E
senza ch’io partii più per tempo per levar l’occasione di dar questa noia a questi Gentiluomini, ce
n’erano assai d’altri in procinto per venire, i quali avevano già affittati i cavalli, come i Signori di
Bellai, d’Ambres, d’Alegra, & altri. Venni a dormire a
RONCIGLIONE, 30 miglia, avendo locato fino a Lucca i cavalli a 20 giuli per uno, facendo il
vetturino le spese a i detti cavalli da per se.
Lunedi la mattina stupiva di sentire un freddo tanto acuto, che mai mi pareva aver sentito
stagione tanto fredda, e di vedere in quelle bande le vendemmie, e ricolta del vino non ancora
fornita. Venni a desinare a Viterbo, ove mi messi addosso le pellicie, e tutti i miei ferramenti dell’
inverno ; di là a cenare a
S. LORENZO, 29 miglia. Di là venni a dormire a
S. CHIRICO, 32 miglia. Tutte queste strade sono state assettate uguanno per ordine del Duca di
Toscana : la quale opera è molto bella, e profittevole al servigio publico. Dio glielo rimeriti, perché
le vie difficillime sono per questo mezzo speditevoli e commode come le vie d’una Città. Era cosa
stupenda di sentire il numero infinito di gente che andava a Roma. Si vedeva per questo conto, che i
cavalli da vettura per andare a Roma erano fuora d’ogni pregio di carestia : e quei di ritorno di
Roma si lasciavano per nonnulla. Presso di Siena, come in infiniti altri luoghi, si trova un ponte
doppio, cioè ponte sopra il quale passa un’altra acqua con un canale. Giunsimo la sera a
SIENA, 20 miglia. Quella notte mi sentii circa due ore della colica : e mi parse sentire la scesa
della pietra. Il Giovedì a buona ora mi venne a trovare Guglielmo Felice Ebreo medico, il quale mi
diede un gran discorso dell’ordine del mio vivere sopra il suggetto delle reni, & arenella. In quel
punto mi partii di Siena : e mi represe la colica, la quale mi durò tre, o quattro ore. Al capo delle
quali m’accorsi chiaramente con un grandissimo dolore del pettignone, del cazzo, e del culo, che la
pietra era cascata. Venni a cena a
PONTEALCE, 28 miglia. Buttai là una pietra più grossa ch’un grano di miglio con alcune
arenella rosse, senza dolore, o difficoltà al passare. Ne partii Venerdì la mattina, e nella strada mi
fermai a
ALTOPASCIO, 16 miglia. Stetti là una ora per far mangiare la biada alle bestie : dove senza
gran fastidio buttai con assai sabbio una pietra lunga, parte soda, parte molle, della grandezza d’un
grosso grano, e più. Riscontrammo nella strada parecchi contadini i quali coglievano le fronde delle
vigne, la quale guardano per darne l’inverno alle bestie, altri che coglievano la felce per farne
lattume. Vemmo a dormire a
LUCCA, 8 miglia. Fui là visitato da parecchi Gentiluomini, & artigiani. Il Sabbato 21
d’Ottobre alla mattina mi si spinse fuora un altra pietra, la quale si fermó un pezzo nel canale, ma
n’uscì pure senza dolore, e difficultà. Questa era più tosto tonda che altramente, dura, e massiccia,
aspera pure, e rozza, bianca dentro, e rossa di sopra, assai più grande ch’un grano. In quel mentre
buttai tuttavia arenella. Di qui si vede, che di se stessa la natura si scaria alcune delle volte ; e si
sente come un flusso di questa roba. Ringraziato sia Iddio, ch’esce fuora senza dolore
d’importanza, e non disturba le azioni.
Dopo aver mangiato un’uva (perchè in questo viaggio mangiava, pochissimo la mattina, o
nonnulla), mi partii di Lucca senza aspettare certi Gentiluomini i quali si mettevano in ordine per
venirmi ad accompagnare. Feci una bella strada, la più parte piana, avendo della man dritta gli
monticelli carichi d’infiniti oliveti, alla manca paduli, e d’arente il mare.
Riscontrai in un loco del Stato di Lucca un instrumento il quale è mezzo ruinato per la
trascuraggine de i detti Signori : e fa questo difetto gran danno alle campagne d’intorno. Questo
instrumento era fatto per il servizio d’asseccar le terre in questi paduli, e renderle fertili. S’era tirato
un gran fosso, al capo del quale tre rote, le quali si movevano di continuo per il mezzo d’un rivo
d’acqua viva, il quale veniva cascando della montagna in su queste ruote, le quali con certi vasi
attaccati ad esse tiravano d’una banda l’acqua del detto fosso e dell’altra banda la versavano dentro
un altro fosso a canale più alto : il qual fosso fatto a posta, e guarnito di muro d’ogni banda portava
questa acqua nel mare. Si asseccava cosi tutto il paese d’intorno.
Passai nel mezzo di Pietra Santa Castello del Duca di Firenza assai grande, & popolato di case,
vuoto tuttavia di persone, perciocchè, a quel che si dice, l’aria ci è tanto cattiva che non si può stare,
e morono la più parte, o stentano. Venimmo a cena a
MASSA DI CARRARA, 22 miglia : Terra la quale è al Principe di Massa di Casa Cibo. Si vede
un Castello bello alla cima d’un monticello. Sul mezzo del detto monticello, intorno al detto
Castello e di sotto di esso, sono le strade, e le case intorniate di buone mura. E piú basso fuora le
dette mura, sta un Borgo grande al piano, intorniato d’altre mura nuove. Il loco è bello, belle strade,
belle case, e pitturate. Era sforzato di bere vini nuovi ; e non se ne beve altri in quelle bande : i quali
con certi legni, e ghiara d’uova, si fanno tanto chiari che non ci manca nulla del colore de i vecchi,
ma hanno non so che sapore non naturale.
La Domenica 22 di Ottobre seguitai prima una strada molto piana, avendo sempre il mare
Tirreno su la man manca vicino d’una archibugiata. Et in quella strada fra noi, & il mare vimmo una
ruina non molto grande, la quale gli paesani dicono essere stata una grande Città nomata Luna.
Vimmo poi a Sarrezana, Terra della Signoria di Genoa : e si vede la loro insegna, la quale è un
S. Giorgio a cavallo. Tiene là una guardia di soldati Svizzeri, essendo Terra la quale è suta altre
volte del Duca di Firenze. E se non s’intermettesse il Principe di Massa fra loro, non si dubita, che
Pietra Santa, e Sarrezana, frontiere dell’un Stato, e dell’altro, non fussino di continuo alle mani.
Passato Sarrezana (dove fummo sforzati pagare 4 giuli per una posta per cavallo, e dove si
faceva una grande allegrezza d’artiglieria per il passaggio di Don Gioan de Medici Fratello naturale
del Duca di Firenze, il quale tornava di Genoa dell’Imperatrice, dove era ito da parte del detto
Fratello, come parecchi altri Principi d’Italia erano ancora loro andati ; e fra li altri si faceva gran
grido della sontuosità del Duca di Ferrara, il quale venne a riscontrarla a Padoa con 400 carrozze
avendo domandato licenzia alla Signoria di Vinezia d’andare nelle loro Terre con seicento cavalli,
alla quale richiesta Essi aveano fatto risposta, che li concedevano di venire con certo numero
alquanto minore : Lui messe tutta sua gente in carrozze, e così li menó tutti, ma diminuì il numero
de i cavalli. Questo Principe Don Gianni lo iscontrai nelle via, giovane assai bello di persona,
accompagnato di 20 uomini ben in arnese, ma su cavalli di vettura, il quale andare non disdice
punto in Italia né anco a’ Principi) passato Sarezzana lasciammo a man stanca la strada di Genoa.
Per andare a Milano c’e poca differenza di passar per Genoa, o per l’altra via, e torna a uno.
Desiderava veder quella Città, e l’Imperatrice che ci era. Mi disturbò, che per andarci sono due
strade, l’una lunga di tre giornate di Sarrezana, la quale ha 40 miglia di cattivissima, &
alpestrissima via di sassi, e precipizi, e male osterie : poco si bazzica quella via ; l’altra è per Lerici
discosto tre miglia di Sarrezana, dove si mette per mare, e si passa dodici ore in Genoa. Io non
sopportando l’acqua per il difetto del stomaco, e non tanto sospettando il disagio di quella strada,
quanto il tentare d’alloaggiamenti per la gran calca ch’era in Genoa ; e di più, che si diceva, che la
strada di Genoa a Milano non era troppo sicura di ladri ; e non avendo altro in testa che il mio
ritorno ; mi risolsi di lasciar Genoa da parte, e seguii la strada a man dritta fra molte montagne,
tenendo sempre il fondo, e vallone, il lungo del fiume Magra. Et avendola a man stanca passammo
adesso per il Stato di Genoa, adesso del Duca di Firenze, adesso de i Signori di Casa Malespina. In
fine per una via comodamente bona fuori qualche passi scoscesi è diripiti giunsimo a dormire a
PONTREMOLI, 30 miglia, Cittá molto lunga, popolata d’antichi edifizi non molto belli. Ci
sono alcune ruine, e si dice che si nomava delli antichi Appua. È adesso del Stato di Milano : e
ultimamente la godevano quei di Casa Fiesca. A tavola mi fu data la prima cosa il cacio, come si fa
verso Milano, e contrade d’intorno Piacenza. Mi furono date, secondo l’uso di Genoa, delle olive
senza anima acconcie con oglio, & aceto, in forma d’insalata buonissime. Il sito d’essa Cittá è fra le
montagne, & al piede d’esse. Si dava a lavar le mani un bacile pieno d’acqua posta sopra un
scannetto. Bisognava, che si lavasse ognuno le mani con esso l’acqua.
Me ne partii Lunedì 23 la mattina ; e salii, all’uscir di casa, l’Apennino alto assai, ma la strada
punto difficile, né pericolosa. Stettimo tutto il dì salendo, e calando montagne alpestre la più parte, e
poco fertili. Venimmo la sera a dormire a
FORNOVO nel Stato del Conte di S. Secondo, 30 miglia. Mi fu piacere di vidermi uscito delle
mani di quei furfanti della montagna : dei i quali s’usa tutta la crudeltà a’ viandanti sulla spesa del
mangiare, e locare cavalli, che si possa immaginare. Mi fu là messo a tavola diverse sorte
d’intingoletti in forma di mostarda buonissimi di diverse sorte. Era l’una di quelle fatta di mele
cotonie. Si sente in quelle bande estrema carestia di cavalli a vettura. Sete in mano di gente senza
regola, e senza fede verso i forestieri. Altri pagavano duo giuli per cavallo per posta : a me ne
domandavano tre, e quattro, e cinque giuli per posta, in modo ch’ogni giorno andava più d’un
scudo a logar un cavallo, perchè oltra di questo contavano due poste dove non ne era che una.
Era là discosto di Parma due poste : e di Parma c’era fino a Piacenza quella medesima strada la
quale era di Fornovo, in modo che non si slungava la via che di due poste. Non ci volsi andare per
non disturbare il mio viaggio, avendo dismesso ogni altro intento. Questo loco é una piccola Villa
di sei, o sette casette, posta sopra un piano il lungo della fiumara Taro, mi pare che si nomi. La
quale seguitammo Martedì la mattina un pezzo venendo a desinare a
BORGO S. DONI, 12 miglia, Casteluccio, il quale il Duca di Parma comincia d’intorniare di
mura belle, e ben fornite di fianchi. Si messe là a tavola della mostarda fatta di mele, e di naranchie,
tagliate a pezzi in forma di codogniaco mezzo cotto.
Di là lasciando a man dritta Cremona a medesima distanza che Piacenza, seguitando una
bellissima strada pari & in un paese dove fin all’orizzonte non si vede montagna, nè inegualità ; il
terreno fertilissimo, mutando di posta in posta cavalli, i quali due poste io menai al galoppo, per
sentir le forze de i lombi : e non ci trovai nè mal, nè stracchezza : l’orina naturale.
Vicino a Piacenza ci sono due colonne grandi, l’una d’un lato della strada, l’altra dell’altra,
circa quaranta passi di larghezza fra le due. A piede delle quali colonne è scritto in Latino, che si
proibisce di edificare, piantare arbori, e vigne fra essi. Non so se voglia conservare la
larghezza della strada solamente, o veramente, che di esse colonne fino alla città, la quale n’è
distante di mezzo miglio, si voglia conservar la spianura scoperta come ella si vede. Venimmo a
dormire a
PIACENZA, 20 miglia, Città via assai grande. Essendoci giunto assai di bon’ora la voltai
d’ogni banda tre ore. Strade fangose non lastricate, piccole case. E nella piazza, dove è la sua
grandezza, c’è il Pallazzo della Giustizia, e le prigioni, & il concorso di tutti i Cittadini quì intorno,
guarnito di botteghe da nessun conto.
Viddi il Castello, il quale è nelle mani del Re Filippo, il quale ci ha guardia di 300 Spagnuoli
mal pagati, a quel ch’io intesi d’essi. La Diana la mattina e la sera si sona con quelli instrumenti che
noi nomamo haubois, & essi fiffari : e si sona una hora. Ci è gran gente là dentro, e belle pezze
d’artigliera. Il Duca di Parma non ci va mai. Lui a parte sua è alloggiato (& in quel tempo era nella
Città) nella Cittadella, la quale è un Castello in un altro loco : e mai non va a questo Castello che
tiene il Re Filippo. In fine io non ci viddi nulla degno d’esser veduto, che il novo edificio di S.
Augustino, edificato per di quel che il Re Filippo ci ha messo in iscambio d’una altra Chiesa di S.
Augustino della quale Lui ha fatto questo Castello : ch’egli tiene parte della rendita della Chiesa
stessa. La Chiesa resta a fare, & ha un bel principio. Ma le abitazioni de i Frati, i quali sono 70 di
numero, & i chiostri doppi, sono forniti. Questo edificio mi pare in corridori, dormitori, cantine, &
altra faccenda, il più suntuoso e magnifico che io abbia visto in niun altro loco, se ben mi ricordo,
per servigio di Chiesa. Mettono a tavola il sale in mazza ; il formaggio un gran pezza senza piatto.
Il Duca di Parma aspettava in Piacenza la venuta del Figliuolo primogenito dell’Arciduca
d’Austria, il quale Figliuolo io viddi à Isprug ; e adesso si diceva, che andasse a Roma per essere
coronato Re de’ Romani. Si porge l’acqua alle mani : & a mescolarla col vino con un cocchiaro
grande d’ottone. Il formaggio che si mangia là, è del tutto simile a quelli Piacentini che si vendono
per tutto. Piacenza è dritto la mezza strada di Roma a Lione. Avea, per farla più dritta verso
Milano, a andare a dormire a
MARIGNANO, 30 miglia : e di là a Milano ne sono dieci. Slungai di dieci miglia il viaggio per
veder Pavia. Partii a bona ora il Mercordì 25 d’Ottobre seguitando una bella strada, nella quale
orinai una pietrella molle, e sabbio assai. Passammo nel mezzo un Castelluccio del Conte
Santafiore. Sul fine della via varcassimo il Po sopra un catafalco posto sopra due barche con una
loggietta condotto con una longa fune appoggiata in diversi lochi sopra alcune barchetelle poste per
ordine nel fiume. Vicino a quel loco si mescola il Tesino al Po. Giunsimo a bona ora a
PAVIA, 30 miglia piccole. Subito mi messi a veder le cose principali della Città, il ponte sopra
il Tesino, le Chiese del Duomo, Carmini, S. Tomaso, S. Agostino, nella quale è l’arca d’Augustino,
ricco sepolcro di marmo bianco con molte statue. In una certa piazza della Città si vede una colonna
di mattoni, sopra la quale è una effigie, la quale pare ritratta di quell’Antonino Pio ch’è a cavallo
innanzi al Campidoglio.
Questa e più piccola, e non ha alcuna parità di bellezza. Ma quel che mi mette più in dubbio è
questa statua ha delle staffe, & una sella con arcioni dinanzi, e dietro, dove l’altra non ha questo, e
confà di tanto meglio con l’opinione de i dotti, che le staffe, e selle, a questo modo, sono trovate
dapoi. Qualche ignorante scultore forse ha pensato, che questo ci mancasse. Viddi oltra, quel
principio d’edificio del Cardinal Borromeo per il servizio delli Scolari.
La Città è grande & onestamente bella, popolata comodamente, e non ci manca artigiani d’assai
sorte. Poche belle case ci sono. E quella dove fu i giorni passati alloggiata l’Imperatrice, è poca
cosa. Viddi le arme di Francia, ma erano scancellati i gigli. In fine non ci e cosa niuna rara. Si
danno per quelle bande i cavalli a duo giuli per posta. La meglio osteria, o, a dir meglio, il meglio
albergo dove io avessi albergo di Roma fin qui, fu la posta di Piacenza : e credo la meglio d’Italia,
di quella di Verona in poi. La più cattiva di questo viaggio fu il Falcone di Pavia. Quì si paga, & in
Milano, la legna a partito : e si manca materassi a i letti.
Partii di Pavia il Giobbia 26 Ottobre. Pigliai a man dritta la strada mezzo miglio discosta della -
dritta per veder il loco dove dicono esser stato il fracasso dell’armata del Re Francesco, il quale è un
loco piano : e per veder anco la Chartrosa la quale con ragione ha il grido d’una bellissima Chiesa.
La facciata dell’intrata tutta di marmo con infiniti lavori, è cosa veramente da stupirne. C’è di più,
un ornamento d’Altare d’avorio, nel quale è scolpito il Vecchio e Novo Testamento. C’è oltra di
questo il sepolcro di marmo di Gian Galeazzo Visconti Fondatore della Chiesa : e poi il Coro, &
ornamenti del grande altare, & il chiostro d’una grandezza inusitata, e bellissimo. Queste son le più
belle cose. La casa è grandissima d’intorno, e fa vista non solamente in grandezza, e quantità di
diversi edifici, ma più in numero di gente, servitori, cavalli, cocchi, manovali, & artigiani, d’una
Corte d’un grandissimo Principe. Si lavora di continuo con spesa incredibile, la quale fanno i Patri
delle lor intrate. Il sito è nel mezzo d’un prato bellissimo. Di là venimmo in
MILANO, 20 miglia. Questa Città è la più popolata d’Italia, grande, e piena d’ogni sorte
d’artigiani, e di mercanzia : non dissimiglia troppo a Parigi, & ha molto la vista di Città Francese.
Le mancano i palazzi di Roma, Napoli, Genoa, Firenze : ma di grandezza le vince tutte, e di calca di
gente arriva a Venezia. Al Venerdì 7 Ottobre andai vedere il Castello per di fuora, e lo girai quasi
tutto. E un grandissimo edificio, e di mirabile fortezza. Ci è la guardia almeno di 700 Spagnuoli,
benissimo guarnita d’artiglierie, e ci facevano ancora d’ogni intorno alcuni ripari. Quel giorno mi
fermai là per la grandissima pioggia che ci sopraggiunse. Fin allora ci avea il tempo, e la via, molto
favorevolmente servito. Al Sabbato 28 d’Ottobre partii di Milano la mattina. Mi messi in una via
piana e bella ; e con ciò fosse cosa che piovesse di continuo, e che fusse la via piena d’acqua, non ci
era fango, inteso che il paese è arenoso. Venni a desinare a
BUFFALORA, 18 miglia. Varcammo là sul ponte il fiume Naville stretto, ma fondo in modo
che porta a Milano grosse barche. E un poco più in quà passammo a barche il Tesin, e venimmo
dormire a
NOVARRA, 12 miglia, Città piccola, e poco piacevole, posta in un piano. Intorno d’essa
vigne, e boschetti, e terreno fertile. Di là partimmo la mattina, e venimmo a stare un pezzo, per far
mangiar le bestie, a
VERCEL, 10 miglia, Città del Duca di Savoia ancora essa in piano, e lungo della zesa fiume, il
quale varcammo in barca. Il detto ha fatto in quel luogo edificar in gran fretta, & un mondo di
gente, una Fortezza bellina a quel ch’io potti scorgere di fuori : e ne ha messo in suspetto i
Spagnuoli vicini a quelle bande. Di là passammo per mezzo di S. German, e poi di S. Giaco piccole
Castella. E seguendo sempre un bel piano, fertile massimamente di noci (perché in quelle contrade
non sono olive, né altro oglio, che di noce) venimmo a dormire a
LIVORNO, 20 miglia, Villetta dove sono assai case. Partimmo Lunedì a buona ora, e seguendo
un cammin piano, venimmo a desinar a
CHIVAS, 10 miglia, & di là varcando assaissime fiumare con barche, & a guado, venimmo a
TURINO, 10 miglia. Ci potevamo venire a desinare facilmente. Piccola Città in un sito molto
acquoso, non molto ben edificato, né piacevole con questo che per mezzo delle vie corra un
fiumicello per nettarle delle lordure.
Diedi a Turino cinque scudi, e mezzo, per cavallo, a servirmene fin a Lione, sei giornate, le spese a
fare da per loro. Qui si parla ordinariamente Francese ; e paiono tutti molto divoti alla Francia. La
lingua popolesca è una lingua la quale non ha quasi altro che la pronunzia Italiana : il restante sono
parole delle nostre. Ne partimmo al Martedì ultimo d’ottobre, e venimmo il lungo d’una via pari a
desinare a
S. AMBROGIO, 2 poste. Di là seguendo un piano stretto fra le montagne, a domire a
SUSA, 2 poste, Castelluccio popolato d’assai di case. Io sentiva lì un gran dolore al ginocchio
dritto, il qual dolore mi avea durato assai giorni, ma andava tuttavia augumentando. Le osterie sono
lì meglio che in altri loci d’Italia, buoni vini, pane cattivo, molto a mangiare, albergatori cortesi, e
per tutta Savoia. Alla festa di tutti i Santi avendo udita la messa venni alla
NOVALESE, una posta. Locai lì 8 marroni i quali mi portassero in sedia fin alla cima di Mon
Senis, e poi al calare di l’altra mi ramassassero.
Montaigne continue ici son Journal en sa Langue naturelle.
Ici on parle Francès ; einsi je quite ce langage étrangier, duquel je me sers bien facilemant,
mais bien mal assûréemant, n’aïant eu loisir, pour être tousiours en compaignie de François, de faire
nul apprentissage qui vaille. Je passai la montée du Mont-senis moitié à cheval, moitié sur une
chese portée par quatre hommes, & autres qui les refrechissoient. Ils me portoient sur leurs épaules.
La montée est de deus heures, pierreuse & mal aisée à chevaus qui n’y sont acostumés, mais
autremant sans hasard & difficulté car la montaigne se haussant tousiours en son espessur, vous n’y
voyés nul praecipice ni dangier que de broncher. Sous vous, au dessus du mont, il y a une plaine de
deus lieues, plusieurs maisonetes, lacs & fontenes, & la poste : point d’abres, oui bien de l’herbe &
des prés qui servent en la douce saison. Lors tout étoit couvert de nege. La descente est d’une lieue
coupée & droite, où je me fis ramasser à mes mesmes Marrons, & de tout leur service à huit, je
donai deux escus. Toutefois le sul ramasser ne coute qu’un teston, c’est un pesant badinage, mais
sans hasard aucun & sans grand esperit : nous disnâmes à
LANEBOURG, deux postes, qui est un village au pied de la montaigne, où est la Savoie, &
vinmes coucher à deux lieues, à un petit vilage. Partout là il y a force truites, & vins vieus &
nouveaus excellans. De là nous vinmes, par un chemin montueus & pierreus, disner à
S. MICHEL, cinq lieues, village où est la poste. De là vinsmes au giste, bien tard & bien
mouillé, à
LA CHAMBRE, cinq lieues, petite Ville d’où tirent leur titre les Marquis de la Chambre. Le
Vandredi, 3 de Novambre, vinmes disner à
AIGUEBELLE, quatre liues, Bourg fermé, & au giste à
MONTMELLIAN, quatre lieues, Ville & Fort, lequel tient le dessus d’une petite croupe qui
s’éleve au milieu de la plaine entre ces hautes montaignes ; assise ladicte Ville, audessous du dict
Fort, sur la riviere d’Isère qui passe à Grenoble, à sept lieues dudict lieu. Je santois là évidammant
l’excellance des huiles d’Italie : car celes de deça commancoint à me faire mal à l’estomac, là où les
autres jamais ne me revenoint à la bouche. Vinmes disner à
CHAMBERI, deux lieues, Ville principale de Savoie, petite, belle & marchande, plantée entre
les mons, mais en un lieu où ils se reculent fort & font une bien grande plaine. De là nous vinmes
passer le Mont du Chat, haut, roide & piereus, mais nullemant dangereus ou mal aisé, au pied
duquel se siet un grand lac, & le long d’icelui un Château nomé Bordeau, où se font des espées de
grand bruit ; & au giste à
HYENE, quatre lieues, petit Bourg. Le Dimanche matin nous passâmes le Rosne que nous
avions à notre mein droite, après avoir passé sur icelui un petit Fort que le Duc de Savoie y a basti
entre des rochers qui se serrent bien fort ; & le long de l’un d’iceux y a un petit chemin étroit au
bout duquel est ledict Fort, non guiere différant de Chiusa, que les Vénitiens ont planté au bout des
montaignes du Tirol. De là continuant tousiours le fond entre les montaignes, vinmes d’une trete à
S. RAMBERT, sept lieues, petite vilete audict vallon. La pluspart des Villes de Savoie ont un
ruisseau qui les lave par le milieu ; & les deux costés jusques audict ruisseau où sont les rues, sont
couverts de grans otervans, en maniere que vous y êtes à couvert & à sec en tout tamps ; il est vrai
que les boutiques en sont plus obscures. Le Lundi six de Novambre, nous partismes au matin de S.
Rambert, auquel lieu le sieur Francesco Cenami, Banquier de Lyon, qui y étoit retiré pour la peste,
m’envoïa de son vin & son neveu, aveq plusieurs très-honnestes complimans. Je partis de là Lundi
bon matin, & après estre enfin sorti tout-à-faict des montaignes, comançai d’antrer aus plaines à la
Francèse. Là je passai en bateau la riviere d’Ain, au pont de Chesai, & m’en vins d’une trete à
MONLOEL, six lieues, petite Ville de grand passage appartenante à Monsieur de Savoie, & la
derniere des sienes. Le Mardi après-dîner, je prins la poste & vins coucher
LYON, deux postes, trois lieues. La Ville me pleut beaucoup à la voir. Le Vandredi j’achetai
de Joseph de la Sone, trois courtaus neufs par le billot deux cens escus ; & le jour avant avois acheté
de Milesieu un cheval de pas de cinquante escus, & un autre courtaut trente trois. Le Samedi, jour
de S. Martin, j’eus au matin grand mal d’estomac, & me tins au lit jusques après midi qu’il me print
un flux de ventre ; je ne disnai point & soupai fort peu. Le Dimanche douze de Novambre, le sieur
Alberto Giachinotti Florentin, qui me fit plusieurs autres courtoisies, me dona à disner en sa
maison, & m’offrit à prester de l’argent, n’aïant eu connoissance de moi que lors. Le Mercredi 15
de Novambre 1581, je partis de Lyon après disner, & par un chemin montueus vins coucher à
BORDELIERE, cinq lieues, village où il n’y a que deus maisons. De là le Jeudi matin, fimes
un beau chemin plein, & sur le milieu d’icelui près de Fur, petite vilette, passâmes à bateau la
riviere de Loire, & nous randismes d’une trete à
L’HOSPITAL, huit lieues, petit bourg clos. De là, vandredi matin, suivismes un chemin
montueus, en tamps aspre de nèges, & d’un vant cruel, contre lequel nous venions & nous
randismes à
TIERS, six lieues ; petite Ville sur la riviere d’Allier fort marchande, bien bâtie & peuplée. Ils
font principalemant trafiq de papier, & sont renomés d’ouvrages de couteaus & cartes à jouer. Elle
est également distante de Lyon, de St Flour, de Moulins & du Puy. Plus je m’approchois de chés
moi, plus la longur du chemin me sambloit ennuïeuse ; & de vrai, au conte des journées, je n’avois
été à mi chemin de Rome à ma maison, qu’à Chamberi pour le plus. Cette vile est des terres de la
maison de . . . apartenant à M. de Montpansier. J’y fus voir faire les cartes chés Palmier. Il y a
autant d’ouvriers & de façon à cela qu’à une autre bone besouigne. Les cartes ne se vandent qu’un
sol les comunes, & les fines deux carolus. Samedi nous suivismes la plaine de la Limaigne grasse ;
& après avoir passé à bateau la Doare & puis l’Allier, vinmes coucher au
PONT DU CHATEAU, quatre lieues. La peste a fort persécuté ce lieu-là, & en ouis plusieurs
histoires notables. La maison du Seigneur, qui est le manoir paternel du Viconte de Canillac, fut
brûlée ainsi qu’on la vouloit purifier à tout du feu. Ledict sieur envoïa vers moi un de ses jans, aveq
plusieurs offres verbales, & me fit prier d’escrire à M. de Foix pour la recomandation de son fils
qu’il venoit d’envoïer à Rome. Le Dimanche 19 de Novambre, je vins disner à
CLERMONT, deus lieues, & y arrêtai en faveur de mes jeunes chevaux. Lundi 20, je partis au
matin, & sur le haut du Pui de Doume, randis une pierre assés grande, de forme large & plate, qui
étoit au passage despuis le matin, & l’avois santie le jour auparavant, seulemant au bout de la verge
; & comme elle vousit choir en la vessie, la santis aussi un peu aus reins. Elle n’étoit ni molle ni
dure. Je passai à Pongibaut, où j’alai saluer en passant Madame de la Fayette, & fus une
demie-heure en sa salle. Cete maison n’a pas tant de beauté que de nom ; l’assiete en est leide
plustost qu’autremant ; le jardin petit, quarré, où les allées sont relevées de bien 4 ou 5 pieds : les
carreaus sont en fons, où il y a force fruitiers & peu d’herbes, les côtés desdicts carreaus einsin
enfoncés, revetus de pierre de taille. Il faisoit tant de nège, & le temps si aspre de vant froit, qu’on
ne voïoit rien du païs. Je vins coucher à
PONT-A-MUR, sept lieues, petit village. Monsieur & Madame du Lude étoint à deus lieues de
là. Je vins landemain coucher à
PONT-SARRANT, petit village, six lieues. Ce chemin est garni de chetifves hostelleries
jusques à Limoges, où toutes fois il n’y a faute de vins passables. Il n’y passe que Muletiers &
Messagiers qui courent à Lyon. Ma teste n’étoit pas bien ; & si les orages & vans frédureus &
pluies y nuisent, je lui en donois son soul en ces routes-là, où ils disent l’hiver estre plus aspre qu’en
lieu de France. Le Mercredi 22 de Novambre de fort mauvais tamps, je partis de là, & aïant passé le
long de Feletin, petite Ville qui samble estre bien bastie, situé en un fons tout entourné de haus
costaus, & étoit encore demi déserte pour la peste passée, je vins coucher à
CHASTEIN, cinq lieues, petit méchant village. Je beus là du vin nouveau & non purifié, à faute
du vin vieus. Le Jeudi 23 aïant tousiours ma teste en cet estat, & le tamps rude, je vins coucher à
AUBIAC, cinq lieues, petit village qui est à Monsieur de Lausun. De là je m’en vins coucher
landemain à
LIMOGES, six lieues, où j’arrêtai tout le Samedi, & y achetai un mulet quatre vingt dix
écus-sol, & païai pour charge de mulet de Lyon là, cinq escus, aïant esté trompé en cela de 4 livres ;
car toutes les autres charges ne coutarent que trois escus & deus tiers d’escu. De Limoges à
Bourdeaus on païe un escu pour çant. Le Dimanche 26 de Novambre, je partis après disner de
Limoges, & vins coucher aus
CARS, cinq lieues, où il n’y avoit que Madame des Cars. Le Lundi vins coucher à
TIVIE, six lieues. Le Mardi coucher à
PERIGUS, cinq lieues. Le Mercredi coucher à
MAURIAC, cinq lieues. Le Jeudi jour de St. André, dernier Novambre, coucher à
MONTAIGNE, sept lieues : d’où j’étois partis le 22 de Juin 1580 pour aller à la Fere. Par-einsin
avoit duré mon voyage 17 mois 8 jours.
FIN
"ESSAYONS de parler un peu cette autre langue, me trouvant sur-tout dans cette contrée où il me
paroît qu’on parle le langage le plus pur de la Toscane, particulierement parmi ceux du païs qui ne
l’ont point corrompue par le mêlange des patois voisins. Le Samedi matin de bonne heure, j’allai
prendre les eaux de Barnabé ; c’est une des fontaines de cette montagne, & l’on est étonné de la
quantité d’eaux chaudes & froides qu’on y voit. La montagne n’est point trop élevée, & peut avoir
trois milles de circuit. On n’y boit que de l’eau de notre fontaine principale, & de cette autre qui
n’est en vogue que depuis peu d’années. Un lépreux nommé Barnabé, ayant essayé des eaux & des
bains de toutes les autres fontaines, se détermina pour celle ci, s’y abandonna & y fut guéri. C’est sa
guérison qui a fait la réputation de cette eau. Il n’y a point de maisons à l’entour, excepté seulement
une petite loge couverte, & des sieges de pierre autour du canal, qui étant de fer, quoique placé là
récemment, est déja presque tout rongé en dessous. On dit que c’est la force de l’eau qui le détruit,
ce qui est fort vraisemblable. Cette eau est un peu plus chaude que l’autre, & selon l’opinion
commune, plus pesante encore & plus violente ; elle sent un peu plus le souffre, mais néantmoins
foiblement. L’endroit où elle tombe est teint d’une couleur de cendre comme les nôtres, mais peu
sensible ; elle est eloignée de mon logis de près d’un mille, en tournant au pied de la montagne, &
située beaucoup plus bas que toutes les autres eaux chaudes. Sa distance de la riviere, est d’environ
une ou deux piques. J’en pris cinq livres avec quelque mal-aise, parce que ce matin je ne me portois
pas trop bien. Le jour d’auparavant j’avois fait une promenade d’environ trois milles après mon
diner, pendant la chaleur, & je sentis après le souper un peu plus fortement l’effet de cette eau. Je
commençai à la digérer dans l’espace d’une demi-heure. Je fis un grand détour d’environ deux
milles, pour m’en retourner au logis. Je ne sais pas si cet exercice extraordinaire me fit grand bien ;
car les autres jours je m’en retournois tout de suite à ma chambre, afin que l’air du matin ne pût me
refroidir, les maisons n’étant point à trente pas de la fontaine. La premiere eau que je rendis fut
naturelle, avec beaucoup de sable : les autres étoient blanches & crues. J’eus beaucoup de vents.
Quand j’eus rendu a peu près la troisieme livre, mon urine commençoit à prendre une couleur rouge
; avant le disner j’en avois évacué plus de la moitié. En faisant le tour de la montagne de toutes
parts, je trouvai plusieurs sources chaudes. Les paysans disent de plus qu’on y voit pendant l’hiver,
en divers endroits, des évaporations qui prouvent qu’il y en a beaucoup d’autres. Elles me
paroissent à moi comme chaudes & en quelque façon sans odeur, sans saveur, sans fumée, en comparaison
des nôtres. Je vis a Corsenne un autre endroit beaucoup plus bas que les bains, où sont en
quantité d’autres petits canaux plus commodes que les autres. Ils disent ici qu’il y a plusieurs
fontaines, au nombre de huit ou dix, qui forment ces canaux. A la tête de chacun, est inscrit un nom
différent, qui annonce leurs divers effets : comme la Savoureuse, la Douce, l’Amoureuse, la
Couronne ou la Couronnée, la Désespérée, &c. A la vérité il y a certains canaux plus chauds les uns
que les autres.
Les montagnes des environs sont presque toutes fertiles en bled & en vignes : au lieu qu’il n’y
avoit, il y a cinquante ans, que des bois & des châtaignes. On voit encore un petit nombre de
montagnes pelées & dont la cime est couverte de neige, mais elles sont assez éloignées de là. Le
peuple mange du pain de bois : c’est ainsi qu’ils nomment, par forme de proverbe, le pain de
châtaigne qui est leur principale récolte ; & il est fait comme celui qu’on nomme en France pain
d’épice. Je n’ai jamais tant vu de serpents & de crapauds. Les enfans n’osent même assez souvent
aller cueillir les fraises dont il y a grande abondance sur la montagne & dans les buissons, de peur
des serpents.
Plusieurs Buveurs d’eau, à chaque verre, prennent trois ou quatre grains de coriandre pour
chasser les vents. Le dimanche de Pâques, 14 de mai, je pris cinq livres & plus de l’eau de Barnabé,
parce que mon verre en contenoit plus d’une livre. Ils donnent ici le nom de Pâques aux quatre
principales fêtes de l’année. Je rendis beaucoup de sable la premiere fois ; & avant qu’il fut deux
heures, j’avois évacué plus des deux tiers de l’eau, suivant que je l’avois prise, avec l’envie d’uriner
& avec les dispositions que j’apportois ordinairement aux autres bains. Elle me tenoit le verre libre,
& passoit très bien. La livre d’Italie n’est que de douze onces.
On vit ici à très bon marché. La livre de veau, très-bon & très tendre, coûte environ trois fois de
France. Il y a beaucoup de truites, mais de petite espece. On y voit de bons ouvriers en parasols, &
l’on en porte, de cette fabrique partout. Toute cette contrée est montueuse & l’on y voit peu de chemins
unis ; cependant il s’en trouve de fort agréables, & jusqu’aux petites rues de la montagne, la
plûpart sont pavées. Je donnai après dîner un bal de Païsannes, & j’y dansai moi-même pour ne pas
paroître trop réservé. Dans certains lieux de l’Italie, comme en Toscane & dans le duché d’Urbin,
les femmes font la révérence à la Françoise, en pliant les genoux. Près du canal de la fontaine la
plus voisine du bourg, est un marbre quarré, qu’on y a posé il y a précisément cent dix ans, le
premier jour de Mai, & sur lequel les propriétés de cette fontaine, sont inscrites & gravées. Je ne
rapporte pointe l’inscription, parce qu’elle se trouve dans plusieurs Livres imprimés où il est parlé
des bains de Luques. A tous les bains, on trouve de petites horloges pour l’usage commun ; j’en
avois toujours deux sur ma table qu’on m’avoit prétées. Le soir je ne mangeai que trois tranches de
pain roties avec du beurre & du sucre, sans boire. Le Lundi, comme je jugeai que cette eau avoit
assez ouvert la voie, je repris de celle de la fontaine ordinaire, & j’en avalai cinq livres; elle ne me
provoqua point de sueur, comme elle faisoit ordinairement. La premiere fois que j’urinois, je
rendois du sable qui paroissoit être en effet des fragmens de pierre. Cette eau me sembloit presque
froide en comparaison de celle de Barnabé, quoique celle-ci ait une chaleur fort modérée & bien
éloignée de celle des eaux de Plombieres & de Bagnieres. Elle fit un bon effet des deux côtés ; ainsi
je fus heureux de ne pas croire ces Médecins qui ordonnent d’abandonner la boisson, lorsqu’elle ne
réussit pas dès le premier jour. Le Mardi 16 de Mai, comme c’est l’usage du païs, conforme à mon
goût, je discontinuai de boire, & je restai plus d’une heure dans le bain sous la source même, parce
qu’ailleurs l’eau me paroissoit trop froide. Enfin, comme je sentois toujours des vents dans le
bas-ventre & dans les intestins, quoique sans douleur & sans qu’il y en eût dans mon estomach,
j’appréhendai que l’eau n’en fût particulierement la cause, & je discontinuai d’en boire. Mais je me
plaisois si fort dans le bain, que je m’y serois endormi volontiers. Il ne me fit pas suer, mais il me
tint le corps libre ; je m’essuyai bien, je gardai le lit quelque tems.
Tous les mois on fait la revue de soldats de chaque vicariat. Mon Colonel, de qui je recevois des
politesses infinies, fit la sienne. Il y avoit deux cens piquiers & arquebusiers ; il les fit manoeuvrer
les uns contre les autres, &, pour des paysans, ils entendent assez bien les évolutions : mais son
principal emploi, est de les tenir en bon ordre, & de leur enseigner la discipline militaire. Le peuple
est ici divisé en deux partis, l’un François & l’autre Espagnol. Cette division fait naître souvent des
querelles sérieuses : elle éclate même en public. Les hommes & les femmes de notre parti portent
des touffes de fleurs sur l’oreille droite, avec le bonnet & des floccons de cheveux, ou telles choses
semblables : dans le parti des Espagnols, ils les portent de l’autre côté. Ici les paysans & leurs femmes
sont habillés comme les gentilshommes. On ne voit point de paysanne qui ne porte des souliers
blancs, de beaux bas de fil & un tablier d’armoisin de couleur. Elles dansent & font fort bien les
caprioles & le moulinet. Quand on dit le Prince, dans cette Seigneurie, on entend le Conseil des cent
vingt. Le Colonel ne peut prendre une femme sans la permission du Prince, & il ne l’obtient
qu’avec beaucoup de peine, parce qu’on ne veut pas qu’il se fasse des amis & des parens dans le
pays. Il ne peut encore y acquérir aucune possession. Aucun soldat ne peut quitter le pays sans
congé. Il y en a beaucoup que la pauvreté force de mendier sur ces montagnes, & de ce qu’ils
amassent ils achettent leurs armes.
Le Mercredi je fus au bain, & j’y restai plus d’une heure ; j’y suai un peu & je me baignai la tête.
On voit bien là que l’usage des poëles d’Allemagne est très-commode dans l’hiver pour chauffer les
habits & tout ce qu’on veut ; car notre Maître de bains en mettant quelques charbons sur une pêle de
fer propre â tenir de la braise, & l’élevant un peu avec une brique, pour que l’air qu’il reçoit par ce
moyen puisse nourrir le feu, fait chauffer très-bien, très-promptement, hardes, & plus
commodément que nous ne pourrions faire à notre feu : cette pêle est faite comme un de nos
bassins. On appelle ici toutes les jeunes filles à marier, petites ou fillettes ; & les garçons qui n’ont
point encore de barbe, enfans.
Le Jeudi je fus un peu plus soigneux, & je pris le bain plus à mon aise ; j’y suai un peu, & je me
mis la tête sous le sourgeon. Je sentois que le bain m’affoiblissoit un peu, avec quelque pesanteur
aux reins, cependant je rendois du sable & assez de flegmes, comme lorsque je prenois les eaux.
D’ailleurs je trouvois que ces eaux me faisoient le même effet qu’en les buvant. Je continuai le
Vendredi. On voyoit tous les jours charger une grande quantité d’eau de cette fontaine & de celle de
Corsenne destinée pour divers endroits d’Italie. Il me sembloit que ces bains m’éclaircissoient le
teint. J’étois toujours sujet aux mêmes vents dans le bas ventre, mais sans douleur ; c’est
apparemment ce qui me faisoit rendre dans mes urines beaucoup d’écume, & de petites bulles qui
ne s’évanouissoient qu’au bout de quelque tems. Quelquefois il s’y trouvoit aussi des poils noirs,
mais en petite quantité, & je me rappelle qu’autrefois j’en rendois beaucoup. Ordinairement mes
urines étoient troubles & chargées d’une matiere grasse ou comme huileuse. Les gens du pays ne
sont pas à beaucoup près aussi carnaciers que nous : on n’y vend que de la viande ordinaire, & à
peine en sçavent-ils le prix. Un très-beau levreau dans cette saison me fut vendu au premier mot six
sols de France. On ne chasse point & on n’apporte point de gibier, parce que personne ne
l’acheteroit.
Le Samedi, parce qu’il faisoit très-mauvais tems & un vent si fort, qu’on sentoit bien dans les
chambres le défaut de contrevents & de vitres, je m’abstins de me baigner & de boire. Je voyois un
grand effet de ces eaux, en ce que mon frere, qui ne se rappelloit pas d’avoir jamais rendu du sable
naturellement ni dans d’autres bains où il en avoit bu avec moi, en rendoit cependant ici en grande
quantité. Le Dimanche matin je me baignai le corps, non la tête. L’après-dînée je donnai un bal avec
des prix publics, comme on a coutume de faire à ces bains, & je fus bien aise de faire cette
galanterie au commencement de l’année. Cinq ou six jours auparavant, j’avois fait publier la fête
dans tous les lieux voisins : la veille, je fis particulierement inviter, tant au bal qu’au souper qui
devoit le suivre, tous les gentilshommes & les Dames qui se trouvoient aux deux bains, & j’envoyai
à Lucques pour les prix. L’usage est qu’on en donne plusieurs, pour ne pas paroître favoriser une
femme seule préférablement aux autres ; pour éviter même toute jalousie, tout soupçon, il y a
toujours huit ou dix prix pour les femmes, & deux ou trois pour les hommes. Je fus sollicité par
beaucoup de personnes qui me prioient de ne point oublier, l’une elle-même, l’autre sa niéce, une
autre sa fille. Quelques jours auparavant, M. Jean da Vincenzo Saminiati, mon ami particulier,
m’envoya de Lucques, comme je le lui avois demandé par une lettre, une ceinture de cuir & un
bonnet de drap noir pour les hommes ; & pour les femmes, deux tabliers de taffetas, l’un verd &
l’autre violet (car il est bon de sçavoir qu’il y a toujours quelques prix plus considérables pour
pouvoir favoriser une ou deux femmes à son choix), deux autres tabliers d’étamine, quatre carterons
d’épingles, quatre paires d’escarpins, dont je donnai une paire à une jolie fille hors du bal ; une
paire de mules, à laquelle j’ajoutai une paire d’escarpins, ne faisant qu’un prix des deux ; trois
coëffes de gaze, trois tresses qui faisoient trois prix, & quatre petits colliers de perles : ce qui faisoit
dix-neuf prix pour les femmes. Le tout me revenoit à un peu plus de six écus. J’eus après cela cinq
fiffres que je nourris pendant tout le jour, & je leur donnai un écu pour eux tous : en quoi je fus
heureux, parce qu’on ne les a pas à si bon marché. On attache ces prix à un cercle fort orné de tous
côtés, & ils sont exposés à la vue de tout le monde.
Nous commençâmes le bal sur la place avec les femmes du voisinage, & je craignois d’abord que
nous ne restassions seuls ; mais il vint bien-tôt grande compagnie de toutes parts, &
particulierement plusieurs Gentilshommes & Dames de la Seigneurie, que je reçus & entretins de
mon mieux, ensorte qu’ils me parurent assez contens de moi. Comme il faisoit un peu chaud, nous
allames à la salle du Palais de Buonvisi, qui étoit très-propre pour le bal. Le jour commençant à
baisser, vers les 22 heures, je m’adressai aux Dames les plus distinguées, & je leur dis que n’ayant
ni le talent, ni la hardiesse d’apprécier toutes les beautés, les graces & les gentillesses que je voyois
dans ces jeunes filles, je les priois de s’en charger elles-mêmes, & de distribuer les prix à la troupe
selon le mérite. Nous fumes quelque tems sur la cérémonie, parce qu’elles refusoient ce délicat
emploi, prenant cela pour pure honnêteté de ma part. Enfin, je leur proposai cette condition, que si
elles vouloient m’admettre dans leur conseil, j’en donnerois mon avis. En effet, j’allais choisissant
des yeux, tantôt l’une, tantôt l’autre, & j’avois toujours égard à la beauté, à la gentillesse : d’où je
leur faisois observer que l’agrément du bal ne dépendoit pas seulement du mouvement des piés,
mais encore de la contenance, de l’air, de la bonne façon & de la grace de toute la personne. Les
présens furent ainsi distribués, aux unes plus, aux autres moins, convenablement. La distributrice
les offroit de ma part aux danseuses ; & moi, au contraire, je lui en renvoyois toute l’obligation.
Tout se passa de cette maniere avec beaucoup d’ordre & de regle, si ce n’est qu’une de ces
Demoiselles refusa le prix qu’on lui présentoit, & me fit prier de le donner pour l’amour d’elle à
une autre : ce que je ne jugeai point à propos de faire, parce que celle-ci n’étoit pas des plus
aimibles. Pour la distribution de ces prix, on appelloit celles qui s’étoient distinguées ; chacune
sortant de sa place à tour de rôle, venoit trouver la Dame & moi qui étions assis tout près l’un de
l’autre. Je présentois le prix qui me sembloit convenable, après l’avoir baisé, à cette Dame, qui le
prenant de ma main, le donnoit à ces jeunes filles, & leur disoit toujours d’un air agréable : c’est
Monsieur qui vous fait ce beau présent ; remerciez-le. - Point du tout : vous en avez l’obligation à
cette Dame qui vous a jugé digne, entre tant d’autres, de cette petite récompense. Je suis seulement
fâché qu’il ne soit pas plus digne de telle ou telle de vos qualités ; ce que je disois suivant ce
qu’elles étoient. On fit tout de suite la même chose pour les hommes. Je ne comprends point ici les
Gentilshommes & les Dames, quoiqu’ils eussent pris part à la danse. C’est véritablement un spectacle
agréable & rare pour nous autres François, de voir des paysannes si gentilles, mises comme
des Dames, danser aussi bien, & le disputer aux meilleures danseuses, si ce n’est qu’elles dansent
autrement. J’invitai tout le monde à souper, parce qu’en Italie les festins ne sont autre chose qu’un
de nos repas bien légers en France. J’en fus quitte pour plusieurs pieces de veau & quelques paires
de poulets. J’eus à souper le Colonel de ce vicariat, M. François Gambarini, Gentilhomme Bolonois,
mon ami, avec un Gentilhomme François, & non d’autres. Mais je fis mettre à table Divizia,
pauvre paysanne qui demeure à deux mille des bains. Cette femme, aussi que son mari, vit du
travail de ses mains. Elle est laide, âgée de trente-sept ans, avec un goêtre à la gorge, & ne sait ni
lire ni écrire. Mais, comme des sa tendre jeunesse il y avoit dans la maison de son pere un de ses
oncles qui lisoit toujours en sa présence l’Arioste & quelques autres poëtes, son esprit s’est trouvé
tellement propre à la poësie, que non-seulement elle fait des vers d’une promptitude extraordinaire,
mais encore y fait entrer les fables anciennes, les noms des Dieux, des pays, des sciences & des
hommes illustres, comme si elle avoit fait un cours d’étude réglé. Elle avoit fait beaucoup de vers
pour moi. Ce ne sont à la vérité que des vers & des rimes, mais d’un style élégant & aisé. Il y eut à
ce bal plus de cent personnes étrangères, quoique le tems n’y fût gueres propre, parce qu’alors on
recueilloit la grande principale récolte de toute l’année. Car dans ce tems les gens du pays
travailloient, sans avoir égard aux Fêtes, à cueillir soir & matin des feuilles de mûrier pour leurs
vers à soie, & toutes les jeunes filles sont occupées de ce travail.
Le Lundi matin j’allai au bain un peu plus tard qu’à l’ordinaire, parce que je me fis tondre &
raser ; je me baignai la tête & je reçus la douche pendant plus d’un quart-d’heure sous la grande
source.
A mon bal, il y eut entr’autres le Vicaire du lieu qui juge les causes. C’est ainsi qu’on appelle un
magistrat sémestre que la Seigneurie envoye à chaque Vicariat, pour juger les causes civiles en
premiere instance, & il connoît de toutes celles qui n’excedent pas une petite somme fixée. Il y a un
autre Officier pour les causes criminelles. Je fis entendre à celui ci qu’il me paroissoit à propos que
la Seigneurie mît ici quelque regle, ce qui seroit très facile, & je lui suggérai même les moyens qui
me sembloient les plus convenables. C’étoit que tous les Marchands qui viennent en grand nombre
prendre de ces eaux, pour les porter dans toute l’Italie, fussent munis d’une attestation de la quantité
d’eaux dont ils sont chargés ; ce qui les empêcheroit d’y commettre aucune fraude, comme j’en
avois fait l’experience de la maniere que voici. Un de ces muletiers vient trouver mon hôte qui n’est
qu’un particulier, & le prie de lui donner une attestation par écrit, comme il porte vingt quatre
charges de cette eau, tandis qu’il n’en avoit que quatre. L’hôte refusa d’abord d’attester une pareille
fausseté ; mais le muletier répondit que dans quatre ou six jours il reviendroit chercher les vingt autres
charges ; ce qu’il ne fit pas, comme je le dis au Vicaire. Celui-ci reçut très-bien mon avis ; mais
il insista tant qu’il put, pour favoir le nom du muletier, quelle étoit sa figure, quels chevaux il avoit,
& je ne voulus jamais lui faire connoître ni l’un ni l’autre. Je lui dis encore que je voulois
commencer a établir dans ce lieu la coutume observée dans les bains les plus fameux de l’Europe,
où les personnes de quelque rang laissent leurs armes, pour témoigner l’obligation qu’ils ont à ces
eaux ; il m’en remercia beaucoup pour la Seigneurie. On commençoit alors en quelques endroits à
couper le foin. Le Mardi je restai deux heures au bain, & je pris la douche sur la tête pendant un peu
plus d’un quart-d’heure.
Il vint ce même jour aux bains un Marchand de Cremone établi à Rome ; il avoit plusieurs
infirmités extraordinaires, cependant il parloit & alloit toujours ; il étoit même, à ce qu’on voyoit,
content de vivre & gai. Sa principale maladie étoit à la tête ; il l’avoit si foible, qu’il disoit avoir
perdu la mémoire, au point qu’après avoir mangé il ne pouvoir jamais se rappeller ce qui lui avoit
été servi à table. S’il sortoit de sa maison pour aller à quelque affaire, il falloit qu’il y revînt dix fois
pour demander où il devoit aller. A peine pouvoit-il finir le Pater. De la fin de cette priere, il
revenoit cent fois au commencement, ne s’appercevant jamais à la fin d’avoir commencé, ni en
recommençant qu’il eût fini. Il avoit été sourd, aveugle, & avoit eu de grands maux. Il sentoit une si
grande chaleur aux reins qu’il étoit obligé de porter toujours une ceinture de plomb. Depuis
plusieurs années il vivoit sous la discipline des Médecins, dont il observoit religieusement le
régime. Il étoit assez plaisant de voir les différentes ordonnances des Médecins de divers endroits
d’Italie, toutes contraires les unes aux autres, sur-tout sur le fait de ces bains & des douches. De
vingt consultations, il n’y en avoit pas deux d’accord entr’elles. Elles se condamnoient presque
toutes l’une l’autre, & s’accusoient d’homicide.
Cet homme étoit sujet à un accident étrange causé par les vents dont il étoit plein ; ils lui sortoient
des oreilles avec tant de furie, que souvent ils l’empêchoient de dormir ; & quand il bâilloit, il sentoit
tout à-coup sortir des vents impétueux par cette voie. Il disoit que le meilleur remede qu’il y eût
pour se rendre le ventre libre, étoit de mettre dans sa bouche quatre grains de coriandre confits un
peu gros, puis après les avoir un peu détrempés & lubrifiés avec sa salive, d’en faire un suppositoire,
& que l’effet en étoit aussi, prompt que sensible. Ce même homme est le premier à qui j’ai vu
ces grands chapeaux faits de plumes de paon, couverts d’un léger taffetas à l’ouverture de la tête. Le
sien étoit haut d’un palme (environ six à sept pouces) & fort ample ; la coëffe au dedans étoit
d’armoisine, & proportionnée à la grosseur de la tête pour que le soleil ne pût pénétrer ; les ailes
avoient à-peu près un pied & demi de largeur, pour tenir lieu de nos parasols, qui, à la vérité, ne
sont pas commodes à porter à cheval.
Comme je me suis autrefois repenti de n’avoir pas écrit plus particulierement sur les autres bains,
ce qui auroit pu me servir de regle & d’exemple pour tous ceux que j’aurois vus dans la suite, je
veux cette fois m’étendre & me mettre au large sur cette matiere. Le Mercredi je me rendis au bain ;
je sentis de la chaleur dans le corps, & j’eus une sueur extraordinaire avec un peu de foiblesse.
J’éprouvai de la sécheresse & de l’âpreté dans la bouche ; & à la sortie du bain, il me prit je ne sais
quel étourdissement, comme il m’en arrivoit dans tous les autres, à cause de la chaleur de l’eau, à
Plombieres, à Bagneres, à Preissac, &c. mais non aux eaux de Barbotan, ni même à celles-ci,
excepté ce Mercredi là : soit que j’y fusse allé de bien meilleure heure que les autres jours, &
n’ayant pas encore déchargé mon corps, soit que je trouvasse l’eau beaucoup plus chaude qu’à
l’ordinaire. J’y restai une heure & demie, & je pris la douche sur la tête environ pendant un quart--
d’heure. C’étoit bien aller contre la regle ordinaire, que de prendre la douche dans le bain, puisque
l’usage est de prendre séparement l’un après l’autre ; puis de la prendre à ces eaux, tandis qu’on va
communément aux douches de l’autre bain où on les prend à telle ou telle source, les uns à la
premiere, d’autres à la seconde, d’autres à la troisieme, suivant l’ordonnance des Médecins ; comme
aussi de boire, de me baigner, & de boire encore, sans distinguer les jours de boisson & les jours de
bain, comme font les autres qui boivent & prennent après cela, le bain certains jours de suite ; de ne
point observer encore une certaine durée de tems pendant que les autres boivent dix jours tout au
plus, & se baignent au moins pendant vingt-cinq, de la main à la main, ou de main en main ; enfin
de me baigner une seule fois le jour, tandis qu’on se baigne toujours deux fois, & de rester fort peu
de tems à la douche, au lieu qu’on y demeure toujours du moins une heure le matin & autant le soir.
Quant à l’usage qui s’y pratique généralement de se faire raser le sommet de la tête, & de mettre sur
la tonsure un petit morceau d’étoffe ou de drap de laine qu’on assujettit avec des filets (ou des
bandelettes), ma tête lisse n’en avoit pas besoin.
Dans la même matinée, j’eus la visite du Vicaire & des principaux Gentilhommes de la
Seigneurie qui venoient justement des autres bains où ils logeoient. Le Vicaire me raconta, entre
autre choses, un accident singulier qui lui étoit arrivé, il y a quelques années, par la piquûre d’un
scarabée qu’il reçut à l’endroit le plus charnu du pouce. Cette piquûre le mit en tel état qu’il pensa
mourir de défaillance. Il fut ensuite réduit à une telle extrémité, qu’il fut cinq mois au lit sans
pouvoir se remuer, étant continuellement sur les reins ; & cette posture les échauffa si fort qu’il s’y
forma la gravelle, dont il souffrit beaucoup pendant plus d’un an, ainsi que de la colique. Enfin son
pere, qui étoit Gouverneur de Velitri, lui envoya une certaine pierre verte qu’il avoit eue par le
moyen d’un Religieux qui avoit été dans l’Inde ; & pendant tout le tems qu’il porta cette pierre, il ne
sentit jamais ni douleur ni gravelle. Il se trouvoit en cet état depuis deux ans. Quant à l’effet local de
la piquûre, le doigt & presque toute la main lui étoient restés comme perclus ; le bras étoit tellement
affoibli, que tous les ans il venoit aux bains de Corsene pour faire donner la douche à ce bras, ainsi
qu’a sa main, comme il la prenoit alors.
Le peuple est ici fort pauvre ; ils mangeoient dans ce tems des mûres vertes qu’ils cueilloient sur
les arbres, en les dépouillant de leurs feuilles pour les vers à soie.
Comme le marché du loyer de la maison que j’occupois étoit demeuré incertain pour le mois de
Juin, je voulus m’en eclaircir avec l’Hôte. Cet homme voyant combien j’étois sollicité de tous ses
voisins, & sur-tout du maître du Palais Bonvisi qui me l’avoit offert pour un écu d’or par jour prit le
parti de me la laisser tant que je voudrois à raison de vingt-cinq écus d’or par mois, à commencer au
premier de Juin, & jusqu’à ce terme le premier marché continuoit. L’envie, dans ce lieu-là, les
haînes cachées & mortelles, regnent parmi les habitans, quoiqu’ils soient tous à peu-près parens ;
car une femme me disoit un jour ce proverbe : Quiconque veut que sa femme devienne féconde,
qu’il l’envoye à ce bain, & se garde bien d’y venir. Ce qui me plaisoit beaucoup, entr’autres choses,
dans la maison où j’étois, c’étoit de pouvoir aller du bain au lit par un chemin uni, & en traversant
une cour de trente pas. Je voyois avec peine les mûriers dépouillés de leurs feuilles, ce qui me
représentoit l’hiver au milieu de l’été. Le sable que je rendois continuellement (par les urines) me
paroissoit beaucoup plus raboteux que de coutume, & me causoit tous les jours je ne sai quels
picotemens à la verge.
On voyoit tous les jours ici porter de toutes parts différents essais de vins dans de petits flacons,
pour que les Etrangers qui s’y trouvoient en envoyassent chercher ; mais il y en avoit très peu de
bons. Les vins blancs étoient légers, mais aigrets & cruds, ou plutôt grossiers, âpres & durs, si l’on
n’avoit la précaution de faire venir de Lucques ou de Pescia, du Trevisan ou Trebbiano : vin blanc
assez mûr, & cependant peu délicat.
Le Jeudi, jour de la Fête-Dieu, je pris un bain tempéré pendant plus d’une heure ; j’y suai
très-peu, & j’en sortis sans aucune altération. Je me fis donner la douche sur la tête pendant un
demi-quart-d’heure & quand j’eus regagné mon lit, je m’endormis profondément. Je prenois plus de
plaisir à me baigner & à prendre la douche qu’à toute autre chose. Je sentois aux mains & aux autres
parties du corps quelques demangeaisons; mais je m’apperçus qu’il y avoit parmi les Habitans
beaucoup de galleux, & que les enfans étoient sujets à ces croûtes de lait (qu’on nomme achores).
Ici, comme ailleurs, les gens du pays méprisent ce que nous recherchons avec tant de difficultés ;
j’en ai vu beaucoup qui n’avoient jamais goûté de ces eaux & qui n’en faisoient point de cas.
Cependant il y a peu de vieillards. Avec les flegmes que je rendois continuellement par les urines,
on voyoit du sable enveloppé qui s’y tenoit suspendu. Lorsque je recevois la douche sur le
bas-ventre, je croyois éprouver cet effet du bain, qu’il me faisoit sortir des vents. Certainement j’ai
senti soudain diminuer à vue d’oeil l’enflure que j’avois à mon testicule droit, qui quelquefois étoit
gonflé, comme il m’arrive assez souvent : d’où je conclus que ce gonflement est causé par les vents
qui s’y renferment. Le Vendredi je me baignai à l’ordinaire, & je pris un peu plus long tems la
douche sur la tête. La quantité extraordinaire de sable que je rendois continuellement me faisoit
soupçonner qu’il venoit des reins, où il étoit enfermé ; car en pressant & paitrissant ce sable on en
eût fait une grosse pelotte : ce qui prouve qu’il provenoit plutôt de là, que de l’eau qui l’y auroit
produit & fait sortir immédiatement. Le Samedi je me baignai pendant deux heures, & je pris la
douche plus d’un quart-d’heure. Le Dimanche je me reposai. Le même jour, un Gentilhomme nous
donna un bal. Le défaut d’horloges qui manquent ici & dans la plus grande partie d’Italie, me
paroissoit fort incommode. Il y a dans la maison du bain une Vierge, avec cette inscription en vers
Faites, Vierge Sainte, par votre pouvoir, que quiconque entrera dans ce bain, en sorte sain de corps
& d’esprit.
On ne peut trop louer la beauté & l’utilité de la méthode qu’ils ont de cultiver les montagnes
jusqu’à la cime, en y faisant, en forme d’escaliers, de grand degrés circulaires tout autour, &
fortifiant le haut de ces degrés, tantôt avec des pierres, tantôt avec d’autres revêtemens, lorsque la
terre n’est pas assez ferme par elle-même. Le terreplein de cet escalier, selon qu’il se trouve ou plus
large ou plus étroit, est rempli de grain ; & son extrémité vers le vallon c’est à-dire, la
circonférence ou le tour, est entourée de vignes ; enfin, par-tout où l’on ne peut trouver ni faire un
terrein uni, comme vers la cime, tout est mis en vignes.
Au bal du Gentilhomme Bolonois, une femme se mit à danser avec un vase plein d’eau sur la
tête, & le tenant toujours ferme & droit, elle fit beaucoup de mouvemens d’une grande hardiesse.
Les Médecins étoient étonnés de voir la plupart de nos François boire le matin, & puis se baigner
le même jour. Le Lundi matin je restai pendant deux heures au bain ; mais je ne pris pas la douche,
parce que j’eus la fantaisie de boire trois livres d’eau, qui m’émûrent un peu. Je me baignois là tous
les matins les yeux, en les tenant ouverts dans l’eau ; ce qui ne me fit ni bien ni mal. Je crois que je
me débarrassai de mes trois livres d’eau dans le bain, car j’urinai beaucoup ; & suai même un peu
plus qu’à l’ordinaire, & je fis quelqu’autre évacuation. Comme les jours précédens je m’étois senti
plus resserré que de coutume, j’avois pris, suivant la recette marquée ci-dessus, trois grains de
coriandre confits qui m’avoient fait rendre beaucoup de vents, dont j’étois tout plein, & peu d’autres
choses. Mais, quoique je me purgeasse admirablement les reins, je ne laissois pas d’y sentir des
picotemens que j’attribuois plutôt aux ventosités qu’à toute autre cause. Le Mardi je restai deux
heures au bain ; je me tins une demi heure à la douche, & je ne bus point. Le Mercredi je fus dans le
bain une heure & demie, & je pris la douche environ pendant une demi-heure.
Jusqu’à présent, à dire le vrai, par le peu de communication & de familiarité que j’avois avec ces
gens-là, je n’avois gueres bien soutenu la réputation d’esprit & d’habileté qu’on m’a faite ; on ne
m’avoit point vu aucune faculté extraordinaire, pour qu’on dût s’émerveiller de moi, & faire tant de
cas de nos petits avantages. Cependant ce même jour quelques Médecins ayant à faire une consultation
importante pour un jeune Seigneur, M. Paul de Cesis, (neveu du Cardinal de ce nom), qui étoit
à ces bains, ils vinrent me prier, de sa part, de vouloir bien entendre leurs avis & leur délibération,
parce qu’il étoit résolu de s’en tenir entiérement à ma décision. J’en riois alors en moi même ; mais
il m’est arrivé plus d’une fois pareille chose ici & à Rome.
J’éprouvois encore quelquefois des éblouissemens dans les yeux, quand je m’appliquois ou à lire
ou à regarder fixement quelqu’objet lumineux. Ce qui m’inquiettoit, c’étoit de voir que cette
incommodité continuoit depuis le jour que la migraine me prit près de Florence. Je sentois une
pesanteur de tête sur le front, sans douleur, & mes yeux se couvroient de certains nuages qui ne me
rendoient pas la vue courte ; mais qui la troubloient quelquefois, je ne sais comment. Depuis la
migraine y étoit retombée deux ou trois fois, & dans ces derniers jours, elle s’y arrêtoit davantage,
me laissant d’ailleurs assez libre dans mes actions ; mais elle me reprenoit tous les jours depuis que
j’avois pris la douche sur la tête, & je commençois à avoir les yeux voilés comme autrefois, sans
douleur ni inflammation. Il en étoit ainsi de mon mal de tête, que je n’avois pas senti depuis dix ans,
jusqu’au jour que cette migraine me prit. Or, craignant encore que la douche ne m’affoiblît la tête,
je ne voulus point la prendre.
Le Jeudi je me baignai seulement une heure.
Le Vendredi, le Samedi & le Dimanche, je ne fis aucun remede, tant par la même crainte, que
parce que je me trouvois moins dispos, rendant toujours quantité de sable. Ma tête d’ailleurs
toujours de même, ne se rétablissoit point dans son bon état : à certaines heures je sentois une
altération qu’augmentoit encore le travail de l’imagination.
Le Lundi matin je bus en 13 verres, six livres & demie d’eau de la fontaine ordinaire ; je rendis
environ trois livres d’eau blanche & crue avant le dîner, & le reste peu-à-peu. Quoique mon mal de
tête ne fût ni continuel, ni fort violent, il me rendoit le teint assez mauvais. Cependant je ne sentois
ni incommodité, ni foiblesse, comme j’en avois anciennement éprouvé quelquefois ; mais j’avois
seulement les yeux chargés, & la vue un peu trouble. Ce jour, on commença dans la plaine à couper
le seigle.
Le Mardi au point du jour j’allai à la fontaine de Barnabé, & je bus six livres d’eau en six verres.
Il tomboit une petite pluie, je suai un peu. Cette boisson m’émut le corps & me lava bien les
intestins ; c’est pourquoi je ne puis juger de là ce que j’en avois rendu. J’urinai peu ; mais dans deux
heures j’avois repris ma couleur naturelle.
On trouve ici une pension pour six écus d’or ou environ par mois ; on a une chambre particuliere,
avec toutes les commodités que l’on veut, & le valet passe par-dessus le marché ; quand on n’a pas
de valet on est servi par l’hôte en beaucoup de choses & nourri convenablement.
Avant la fin du jour naturel, j’avois rendu toute l’eau, & plus que je n’en avois bu dans toutes les
boissons que j’avois prises. Je ne bus qu’une petite fois une demie livre d’eau à mon repas, & je
soupai peu.
Le Mercredi qui fut pluvieux, je pris de l’eau ordinaire sept livres en sept fois ; je la rendis avec
ce que j’avois bu de plus.
Le Jeudi j’en pris neuf livres, c’est à-dire, sept d’une premiere séance ; & puis quand je commençai
à la rendre, j’en envoyai chercher deux autres livres. Je la rendis de tous côtés, & je bus très-peu
à mon repas.
Le Vendredi & le Samedi je fis la même chose. Le Dimanche je me tins tranquille.
Le Lundi je pris sept livres d’eau en sept verres. Je rendois toujours du sable, mais un peu moins
que quand je prenois le bain ; ce que je voyois arriver à plusieurs autres dans le même tems. Ce
même jour je sentis au bas-ventre une douleur semblable à celle qu’on éprouve en rendant des
pierres, & il m’en sortit effectivement une petite.
Le Mardi j’en rendis une autre, je puis presque assûrer que je me suis apperçu que cette eau a la
force de les briser, parce que je sentois la grosseur de quelques unes, lorsqu’elles descendoient, &
qu’ensuite je les rendois par petits morceaux. Ce Mardi, je bus huit livres d’eau en huit fois.
Si Calvin avoit sçu qu’ici les freres Prêcheurs se nommoient Ministres, il n’est pas douteux qu’il
eût donné un autre nom aux siens.
Le Mercredi je pris huit livres d’eau en huit verres. J’en rendois presque toujours en trois heures
jusqu’à la moitié crue & dans sa couleur naturelle ; puis environ une demie-livre rousse & teinte, le
reste après le repas & pendant la nuit.
Or, comme cette saison attiroit beaucoup de monde au bain, suivant les exemples que j’avois
devant moi, & l’avis des Médecins même, particulièrement de M. Donato, qui avoit écrit sur ces
eaux, je n’avois pas fait une grande faute en prenant dans ce bain la douche sur la tête ; car ils sont
encore ici dans l’usage de se faire donner dans le bain la douche sur l’estomac, par le moyen d’un
long tuyau qu’on attache d’un bout au surgeon de l’eau, & de l’autre, au corps plongé dans le bain,
comme d’ordinaire autrefois on prenoit la douche sur la tête, de cette même eau, & le jour qu’on la
prenoit, on se baignoit aussi. Moi donc, pour avoir mêlé la douche & le bain, ou pour avoir pris
immédiatement l’eau à la source, & non au tuyau, je ne pouvois pas avoir fait une si grande faute.
Ai-je manqué seulement en ce que je n’ai pas continué ? Cette idée, dont jusqu’à présent j’ai été
frappé, pourroit bien avoir mis en mouvement ces humeurs, dont avec le tems j’aurois été délivré.
Le même (M. Donato) trouvoit bon qu’on bût & qu’on se baignât le même jour ; d’où je me repens
de n’en avoir pas eu la hardiesse, comme j’en avois eu la volonté, & de n’avoir pas bu la matinée
dans le bain, en observant quelque intervalle entre les deux procedés. Ce Médecin louoit aussi
beaucoup les eaux de Barnabé ; mais avec tous les beaux raisonnemens de la médecine, on ne
voyoit pas l’effet de ces eaux sur plusieurs autres personnes qui n’étoient pas sujettes à rendre du
sable, comme je continuois toujours d’en voir dans mes urines : ce que je dis, parce que je ne puis
me résoudre à croire que ce sable fût produit par lesdites eaux.
Le Jeudi matin, pour avoir la premiere place, je me rendis au bain avant le jour, & j’y bus une
heure sans me baigner la tête. Je crois que cette circonstance, jointe à ce que je dormis ensuite dans
mon lit, me rendit malade ; j’eus la bouche séche & altérée avec une telle chaleur, que le soir en me
couchant je bus deux grands verres de la même eau rafraîchie, qui ne me causa point d’autre changement.
Le Vendredi je me reposai. Le Ministre Franciscain, (c’est ainsi qu’on nomme le Provincial)
homme de mérite, sçavant & poli, qui étoit au bain avec plusieurs autres Religieux de différens
ordres, m’envoya en présent de très-bon vin, des massepains & autres friandises.
Le Samedi je ne fis aucun remede, & j’allai dîner à Metalsio, grand & beau village situé à la
cime d’une de ces montagnes dont j’ai parlé. J’y portai du poisson, & je fus reçu chez un soldat,
qui, après avoir beaucoup voyagé en France & ailleurs, s’est marié & enrichi en Flandre. Il
s’appelle M. Santo. Il y a là une belle Eglise, & parmi les habitans un très-grand nombre de soldats,
dont la plupart ont aussi beaucoup voyagé. Ils sont fort divisés entr’eux pour l’Espagne & la France.
Je mis, sans y prendre garde, une fleur à mon oreille gauche ; ceux du parti François s’en trouverent
offensés. Après mon dîner, je montai au Fort qui est un lieu fortifié de hautes murailles pareillement
à la cime du mont qui est très-escarpé, mais bien cultivé partout. Car ici sur les lieux les plus
sauvages, sur les rochers & les précipices ; enfin, sur les crevasses de la montagne, on trouve non
seulement des vignes & du bled, mais encore des prairies, tandis que dans la plaine ils n’ont pas de
foin. Je descendis ensuite tout droit par un autre côté de la montagne.
Le Dimanche matin je me rendis au bain avec plusieurs autres Gentilshommes, & j’y restai une
demi-heure. Je reçus de M. Louis Pinitesi en présent, une charge de très-beaux fruits, & entr’autres
des figues, les premieres qui eussent encore paru dans le bain, avec douze flacons d’excellent vin.
Dans le même tems, le Ministre Franciscain m’envoya une si grande quantité d’autres fruits, que je
pus en faire à mon tour des libéralités aux habitans.
Après le dîner, il y eut un bal où s’étoient rassemblées plusieurs Dames très bien mises, mais
d’une beauté très commune, quoiqu’elles fussent des plus belles de Lucques.
Le soir, M. Louis Ferrari de Cremone, dont j’étois fort connu, m’envova des boëtes de coings
très-bons & bien parfumés, des citrons d’une espece rare, & des oranges d’une grosseur
extraordinaire.
La nuit suivante, un peu avant le jour, il me prit une crampe au gras de la jambe droite avec de
très-fortes douleurs qui n’étoient pas continues, mais intermittentes. Cette incommodité dura une
demi-heure. Il n’y avoit pas longtems que j’en avois eu une pareille, mais elle passa dans un instant.
Le Lundi j’allai au bain, & je tins pendant une heure mon estomac sous le jet de la source ; je
sentoïs toujours à la jambe un petit picotement.
Cétoit précisément l’heure où l’on commençoit à sentir le chaud ; les cigales n’étoient pas plus
incommodes qu’en France, & jusqu’à présent les saisons me paroissent être encore plus fraîches
que chez moi.
On ne voit pas chez les nations libres la même distinction de rangs, de personnes, que chez les
autres peuples; ici les plus petits ont je ne sçai quoi de seigneurial à leur maniere. Jusqu’en
demandant l’aumône, ils mêlent toujours quelque parole d’autorité : comme, Faites-moi l’aumône,
voulez-vous ? ou Donnez-moi l’aumone, entendez-vous ? Le mot a Rome est d’ordinaire :
Faites-moi quelque bien pour vous-même.
Le Mardi je restai dans le bain une heure.
Le Mercredi 21 Juin, de bonne heure, je partis de la ville, & en prenant congé de la compagnie des
hommes & des Dames qui s’y trouvoient, j’en reçus toutes les marques d’amitié que je pouvois
desirer. Je vins par des montagnes escarpées, cependant agréables & couvertes, à
PESCIA, douze milles. Petit château, situé sur le fleuve Pescia, dans le territoire de Florence, où
se trouvent de belles maisons, des chemins bien ouverts, & les vins fameux de Trebiano, vignoble
assis au milieu d’un plant d’oliviers très-épais. Les habitans sont fort affectionnés à la France ; &
c’est pour cela, disent-ils, que leur ville porte pour armes un Dauphin.
Après dîner, nous rencontrâmes une belle plaine fort peuplée où l’on voit beaucoup de châteaux
& de maisons. Je m’étois proposé de voir le Mont Catino, où est l’eau chaude & salée du Tetuccio ;
mais je l’oubliai par distraction. Je le laissai à main droite éloigné d’un mille de mon chemin, environ
à sept milles de Pescia, & je ne m’apperçus de mon oubli que quand je fus presqu’arrivé, à
PISTOIE, onze milles. J’allai loger hors de la ville, & là, je reçus la visite du fils de M.
Ruspiglioni, qui ne voyage en Italie qu’avec des chevaux de voiture, en quoi il n’entend pas bien
ses intérêts : car il me paroît plus commode de changer de chevaux de lieu en lieu, que de se mettre
pour un long voyage entre les mains des voituriers.
De Pistoie à Florence, distance de vingt milles, les chevaux ne coûtent que quatre Jules.
Delà passant par la petite ville de Prato, je vins dîner à Castello, dans une auberge située vis-à-vis
le Palais du Grand Duc. Nous allâmes après dîner examiner plus attentivement son jardin, &
j’eprouvai là ce qui m’est arrivé en beaucoup d’autres occasions, que l’Imagination va toujours plus
loin que la réalité. Je l’avois vu pendant l’hiver nud & dépouillé ; je m’étois donc représenté sa
beauté future, dans une plus douce saison, beaucoup au dessus de ce qu’elle me parut alors en effet.
De Prato à Castello, dix-sept milles. Après dîner je vins, à
FLORENCE, trois milles. Le vendredi je vis les Processions publiques, & le Grand Duc en
voiture. Entre autres somptuosités, on voyoit un char en forme de théâtre doré par-dessus, sur lequel
étoient quatre petits enfans & un moine, ou un homme habillé en moine, avec une barbe postiche,
qui représentoit S. François (d’Assise) debout, & tenant les mains comme il les a dans ses tableaux
avec une couronne sur le capuchon. Il y avoit d’autres enfans de la ville armés, & l’un d’eux représentoit
S. George. Il vint sur la place à sa rencontre un grand dragon fort lourdement appuyé sur
des hommes qui le portoient, & jettant avec bruit du feu par la gueule. L’enfant le frappoit tantôt de
l’épée, tantôt de la lance, & il finit par l’égorger.
Je reçus ici beaucoup d’honnêtetés d’un Gondi qui fait sa résidence à Lyon ; il m’envoya de
très-bons vins, comme du Trebisien (ou Trebbiano).
Il faisoit une chaleur dont les habitans eux-mêmes étoient étonnés.
Le matin à la pointe du jour j’eus la colique au côté droit, & je souffris l’espace d’environ trois
heures. Je mangeai ce jour là le premier melon. Dès le commencement de Juin, on mangeoit à
Florence des citrouilles & des amandes.
Vers le 23, on fit la course des chars dans une grande & belle place quarrée plus longue que large,
& entourée de tous côtés de belles maisons. A chaque extrémité de la longueur, on avoit dressé
un obélisque, ou une aiguille de bois quarrée, & de l’une à l’autre étoit attachée une longue corde
pour qu’on ne pût traverser la place ; plusieurs hommes même se mirent encore en travers, pour
empêcher de passer par dessus la corde. Les balcons étoient remplis de Dames, & le Grand-Duc
avec la Duchesse & sa Cour étoit dans un Palais. Le peuple étoit répandu le long de la place & sur
des especes d’échauffauds où j’étois aussi : on voyoit courir à l’envi cinq chars vuides. Ils prirent
tous place au hasard (ou après avoir tiré au sort) à côté d’un des obélisques. Plusieurs disoient que
le plus éloigné avoit de l’avantage pour faire plus commodément le tour de la lice. Les chars
partirent au son des trompettes. Le troisieme circuit au tour de l’obélisque, ou se dirige la course, est
celui qui donne la victoire. Le char du Grand-Duc conserva l’avantage jusqu’au troisieme tour ;
mais celui de Strozzi qui l’avoit toujours suivi de plus près, ayant redoublé de vitesse, & courant à
bride abattue, en se resserrant à propos, mit la victoire en balance. Je m’apperçus que le peuple
rompit le silence en voyant Strozzi s’approcher, & qu’il lui applaudissoit à grands cris de toutes ses
forces à la vue même du Prince. Ensuite, quand il fut question de faire juger la contestation par
certains Gentilhommes arbitres ordinaires des courses, ceux du parti de Strozzi s’en étant remis au
jugement de l’assemblée, il s’éleva tout-à-coup du milieu de la foule un suffrage unanime & un cri
public en faveur de Strozzi, qui enfin remporta le prix ; mais à tort, à ce qu’il me semble. La valeur
du prix étoit de cent écus. Ce spectacle me fit plus de plaisir qu’aucun de ceux que j’eusse vus en
Italie, par la ressemblance que j’y trouvois avec les courses antiques.
Comme ce jour étoit la veille de Saint Jean, on entoura le comble de l’Eglise Cathédrale de deux
ou trois rangs de lampions, ou de pots à-feu, & delà s’élançoient en l’air des fusées volantes. On dit
pourtant qu’on n’est pas dans l’usage en Italie, comme en France, de faire des feux le jour de
Saint-Jean.
Mais le Samedi, jour ou tomboit cette Fête, qui est la plus solemnelle & la plus grande Fête de
Florence, puisque ce jour-là tout se montre en public, jusqu’aux jeunes filles, (parmi lesquelles je ne
vis point beaucoup de beautés ;) dès le matin, le matin, le Grand-Duc parut à la place du Palais sur
un échaffaud ; dressé le long du bâtiment, dont les murs étoient couverts de très-riches tapis. Il étoit
sous un dais avec le Nonce du Pape que l’on voyoit à côte de lui, à sa gauche, & avec
l’Ambassadeur de Ferrare, beaucoup plus éloigné de lui. Là passerent devant lui toutes ses terres &
tous ses châteaux dans l’ordre où les proclamoit un héraut. Pour Sienne, par exemple, il se présenta
un jeune-homme vêtu de velours blanc & noir, portant à la main un grand vase d’argent, & la figure
de la louve de Sienne. Il en fit ainsi l’offrande au Duc, avec un petit compliment. Lorsque celui-ci
eut fini, il vint encore à la file, à mesure qu’on les appelloit par leurs noms, plusieurs estaffiers mal
vêtus, montés sur de très-mauvais chevaux ou sur des mules, & portant les uns une coupe d’argent,
les autres un drapeau déchiré. Ceux-ci qui étoient en grande nombre passoient le long des rues, sans
faire aucun mouvement, sans décence, sans la moindre gravité, & plutôt même avec un air de
plaisanterie que de cérémonie sérieuse. C’étoit les représentans des châteaux & lieux particuliers
dépendants de l’Etat de Sienne. On renouvelle tous les ans cet appareil qui est de pure forme.
Il passa ensuite un char & une grande pyramide quarrée faite de bois, qui portoit des enfans rangés
tout autour sur des gradins ; & vêtus les uns d’une façon, les autres d’une autre, en Anges & en
Saints. Au sommet de cette pyramide qui égaloit en hauteur les plus hautes maisons, étoit un Saint
Jean, c’est-à-dire, un homme travesti en Saint Jean, attaché à une barre de fer. Les Officiers &
particuliérement ceux de la Monnoie étoient à la suite de ce char.
La marche étoit fermée par un autre char sur lequel étoient de jeunes gens qui portoient trois prix
pour les diverses courses. A côté d’eux étoient les chevaux barbes qui devoient courir ce jour-là, &
les valets qui devoient les monter avec les enseignes de leurs maîtres, qui sont des premiers Seigneurs
du pays. Les chevaux étoient petits, mais beaux.
La chaleur alors ne paroissoit pas plus forte qu’en France. Cependant, pour l’éviter dans ces
chambres d’auberge, j’étois forcé la nuit de dormir sur la table de la salle, où je faisois mettre des
matelats & des draps, & cela faute de pouvoir trouver un logement commode ; car cette ville n’est
pas bonne pour les étrangers. J’usois encore de cet expédient pour éviter les punaises, dont tous les
lits sont fort infectés.
Il n’y a pas beaucoup de poisson à Florence. Les truites & les autres poissons qu’on y mange
viennent de dehors, encore sont-ils marinés. Je vis apporter de la part du Grand Duc à Jean
Mariano, Milanois, qui logeoit dans la même hôtellerie que moi, un présent de vin, de pain, de
fruits & de poisson ; mais ces poissons étoient en vie, petits & renfermés dans des cuvettes de terre.
Tout le jour j’avois la bouche aride & séche avec une altération, non de soif, mais provenant
d’une chaleur interne, telle que j’en ai sentie autrefois dans nos tems chauds. Je ne mangeois que du
fruit & de la salade avec du sucre, & malgré ce régime je ne me portois pas bien.
Les amusemens que l’on prend le soir en France, après le souper, précedent ici le repas. Dans les
plus longs jours, on y soupe souvent la nuit, & le jour commence entre sept & huit heures du matin.
Ce jour, dans l’après dînée, on fit les courses des Barbes. Le cheval du Cardinal de Médicis remporta
le prix. Il étoit de la valeur de 200 écus. Ce spectacle n’est pas fort agréable, parce que dans la
rue vous ne voyez que passer rapidement des chevaux en furie.
Le Dimanche je vis le Palais Pitti, & entr’autres choses une Mule en marbre qui est la statue
d’une mule encore vivante, à laquelle on a accordé cet honneur pour les longs services qu’elle a
rendus à voiturer ce qui étoit nécessaire pour ce bâtiment : c’est ce que disent au moins les vers latins
qu’on y lit. Nous vîmes dans le Palais cette Chimere (antique) qui a entre les épaules une tête
naissante avec des cornes & des oreilles, & le corps d’un petit lion.
Le Samedi précédent, le Palais du Grand Duc étoit ouvert & rempli de Paysans pour qui rien n’étoit
fermé, & l’on dansoit de tous côtés dans la grande salle. Le concours de cette sorte de gens est,
à ce qu’il me semble, une image de la liberté perdue, qui se renouvelle ainsi tous les ans à la principale
Fête de la ville.
Le Lundi j’allai dîner chez le Seigneur Silvio Picolomini, homme fort distingué par son mérite,
& sur-tout par son habileté dans l’Escrime ou l’Art des armes. Il y avoit bonne compagnie de
Gentils-hommes, & l’on s’y entretint de différentes matieres. Le Seigneur Picolomini fait très-peu
de cas de la manière d’escrimer (de faire des armes) des maîtres Italiens, tels que le Vénitien, le
Bolonois, le Patinostraro & autres ; il n’estime en ce genre qu’un de ses éleves établi à Brescia où
il enseigne cet art à quelques Gentilshommes. Il dit que, dans la maniere dont on montre ordinairement
à faire des armes, il n’y a ni regle ni méthode. Il condamne particulierement l’usage de
pousser l’épée en avant, & de la mettre au pouvoir de l’ennemi ; puis, la botte portée, de redonner
un autre assaut & de rester en arrêt. Il soutient qu’il est totalement différent de ce que font ceux qui
se battent, comme l’expérience le fait voir. Il étoit sur le point de faire imprimer un Ouvrage sur
cette matiere. Quant au fait de la guerre, il méprise fort l’artillerie, & tout ce qu’il nous dit sur cela
me plut beaucoup. Il estime ce que Machiavel a écrit sur ce sujet, & il adopte ses opinions. Il
prétend que pour les fortifications, le plus habile & le plus excellent Ingénieur qu’il y ait, est
actuellement à Florence au service du Grand Duc.
On est ici dans l’habitude de mettre de la neige dans les verres avec le vin. J’en mettois peu,
parce que je ne me portois pas trop bien, ayant souvent des maux de reins, & rendant toujours une
quantité incroyable de sable ; outre cela, je ne pouvois recouvrer ma tête, & la remettre en son
premier état. J’éprouvois des étourdissemens, & je ne sais quelle pesanteur sur les yeux, le front, les
joues, les dents, le nez & tout le visage. Il me vient dans l’idée que ces douleurs étoient causées par
les vins blancs doux & fumeux du pays, parce que la premiere fois que la migraine me reprit, tout
échauffé que j’étois déja, tant par le voyage que par la saison, j’avois bu grande quantité de
Trebbiano, mais si doux, qu’il n’étanchoit pas ma soif.
Après tout, je n’ai pu m’empêcher d’avouer, que c’est avec raison que Florence est nommée la
belle.
Ce jour je fus, seulement pour m’amuser, voir les Dames qui se laissent voir à qui veut. Je vis les
plus fameuses, mais rien de rare. Elles sont séquestrées dans un quartier particulier de la ville &
leurs logemens vilains, misérables, n’ont rien qui ressemble à ceux des courtisannes Romaines ou
Vénitiennes, non plus qu’elles mêmes ne leur ressemblent pour la beauté, les agrémens, le maintien.
Si quelqu’une d’entr’elles veut demeurer hors de ces limites, il faut que ce soit bien peu de chose, &
qu’elle fasse quelque métier pour cacher cela.
Je vis les boutiques des Fileurs de soie qui se servent de certains devidoirs, par le moyen
desquels une seule femme en les faisant tourner, fait d’un seul mouvement tordre & tourner à la fois
500 fuseaux.
Le Mardi matin je rendis une petite pierre rousse.
Le Mercredi je vis la maison de plaisance du Grand-Duc. Ce qui m’y frappa le plus, c’est une
roche en forme de pyramide construite & composée de toutes sortes de minéraux naturels, c’est-à
dire, d’un morceau de chacun, raccordés ensemble. Cette roche jettoit de l’eau qui faisoit mouvoir
au-dedans de la grotte plusieurs corps ; tels que des moulins à eau & à vent, de petites cloches
d’église, des soldats en sentinelle, des animaux, des chasses, & mille choses semblables.
Le Jeudi je ne me souciai pas de voir une autre course de chevaux. J’allai l’après-dînée à Pratolino,
que je revis dans un grand détail. Le concierge du palais m’ayant prié de lui dire mon sentiment
sur les beautés de ce lieu & sur celles de Tivoli, je lui dis ce que j’en pensois, en comparant
les lieux, non en général, mais partie par partie, & considérant leurs divers avantages : ce qui
rendoit respectivement, tantôt l’un tantôt l’autre supérieur.
Le Vendredi j’achetai à la librairie des Juntes, un paquet d’onze Comédies & quelques autres
livres. J’y vis le Testament de Bocace imprimé avec certains discours faits sur le Decameron.
On voit par ce testament à quelle étonnante pauvreté, à quelle misere étoit réduit ce grand homme.
Il ne laisse à ses parentes & à ses soeurs que des draps & quelques pieces de son lit ; ses livres à un
certain réligieux, à condition de les communiquer à quiconque dont il en sera requis ; il met en
compte jusqu’aux ustensiles & aux meubles les plus vils ; enfin il ordonne des Messes & sa
sépulture. On a imprimé ce testament tel qu’il a été trouvé sur un vieux parchemin bien délabré.
Comme les Courtisannes Romaines & Vénitiennes se tiennent aux fenêtres pour attirer leurs
amans, celles de Florence se montrent aux portes de leurs maisons, & elles y restent au filet aux
heures commodes. Là vous les voyez, avec plus ou moins de compagnie, discourir & chanter dans
la rue au milieu des cercles.
Le Dimanche 2 Juillet, je partis de Florence après dîner, & après avoir passé l’Arno sur un pont,
nous le laissâmes à main droite, en suivant toutefois son cours. Nous traversâmes de belles plaines
fertiles, où sont les plus célebres melonieres de Toscane. Les bons melons ne sont mûrs que vers le
15 de Juillet, & l’endroit particulier où se trouvent les meilleurs se nomme Legnaia : Florence en est
à trois milles.
La route que nous fîmes ensuite étoit pour la plus grande partie unie, fertile, & très-peuplée par
tout de maisons, de petits châteaux, de villages presque continus.
Nous traversâmes, entr’autres, une jolie terre appellée Empoli, nom dans le son duquel il y a je ne
sais quoi d’antique. Le site en est très-agréable. Je n’y reconnus aucunes traces d’antiquité, si ce
n’est, près du grand chemin, un pont en ruine qui en a quelque air.
Je fus ici frappé de trois choses :
1°. de voir tout le peuple de ce canton occupé, même le Dimanche, les uns à battre le bled ou à le
ranger, les autres à coudre, à filer, &c ; 2°. de voir ces paysans un luth à la main, & de leur côté les
bergeres, ayant l’Arioste dans la bouche : mais c’est ce qu’on voit dans toute l’Italie ; 3°. de leur
voir laisser le grain coupé dans les champs pendant dix & quinze jours ou plus, sans crainte des
voisins.
Vers la fin du jour nous arrivâmes à
SCALA, vingt milles. Il n’y a qu’une seule hôtellerie, mais fort bonne. Je ne soupai pas, & je
dormis peu à cause d’un grand mal de dents qui me prit du côté droit. Cette douleur je la sentois
souvent avec mon mal de tête ; mais c’étoit en mangeant qu’elle me faisoit le plus souffrir, ne
pouvant rien mettre dans ma bouche sans éprouver une très-grande douleur.
Le Lundi matin, 3 Juillet, nous suivîmes un chemin uni le long de l’Arno, & nous le trouvâmes
terminé par une belle plaine couverte de bleds. Vers le midi, nous arrivâmes à
PISE, vingt milles, ville qui appartient au Duc de Florence. Elle est située dans la plaine sur
l’Arno qui la travese par le milieu, & qui, se jettant dans la mer à six milles delà, amene à Pise
plusieurs espèces de bâtimens.
C’étoit le tems où les écoles cessoient, comme c’est la coutume pendant les trois mois du grand
chaud.
Nous y rencontrâmes une très-bonne troupe de Comédiens appellés Disiosi.
Comme l’auberge où j’étois ne me plaisoit pas, je louai une maison où il y avoit quatre chambres
& une salle. L’hôte se chargeoit de faire la cuisine & de fournir les meubles. La maison étoit belle,
& j’avois le tout pour huit écus par mois. Quant à ce qu’il s’étoit obligé de fournir pour le service de
table, comme nappes & serviettes, c’étoit peu de chose, attendu qu’en Italie on ne change de
serviettes qu’en changeant de nappes, & que la nappe n’est changée que deux fois la semaine. Nous
laissions faire à nos valets leur dépense eux-mêmes, & nous mangions à l’auberge à quatre jules par
jour.
La maison étoit dans une très-belle situation, avec une agréable vue sur le canal que forme
l’Arno en traversant la campagne.
Ce canal est fort large & long de plus de cinq cens pas, un peu incliné & comme replié sur
lui-même ; ce qui fait un aspect charmant, en ce que par le moyen de cette courbure, on en découvre
plus aisément les deux bouts, avec trois ponts qui traversent le fleuve, toujours couvert de navires &
de marchandises. Les deux bords de ce canal sont revêtus de beaux quais, comme celui des
Augustins de Paris. Il y a deux côtés de rues larges, & le long de ces rues un rang de maisons, parmi
lesquelles étoit la nôtre.
Le Mercredi 5 Juillet, je vis la Cathédrale, où fut autrefois le Palais de l’Empereur Adrien. Il y a
un nombre infini de colonnes de différens marbres, ainsi que de forme & de travail différens, & de
très belles portes de métal. Cette Eglise est ornée de diverses dépouilles de la Grèce & de l’Egypte,
& bâtie d’anciennes ruines, où l’on voit diverses inscriptions, dont les unes se trouvent à rebours,
les autres à demi-tronquées ; & en certains endroits des caracteres inconnus, que l’on prétend être
d’anciens caracteres Etrusques.
Je vis le clocher bâti d’une façon extraordinaire, incliné de sept brasses comme celui de Bologne
& autres, & entouré de tous côtés de pilastres & de corridors ouverts.
Je vis encore l’Eglise de Saint-Jean qui est aussi très riche par les ouvrages de sculpture & de
peinture qu’on y voit. Il y a entr’autres un pupitre de marbre, avec grand nombre de figures d’une
telle beauté, que ce Laurent qui tua, dit-on, le Duc Alexandre, enleva les têtes de quelques unes, &
en fit présent à la Reine. La forme de cette Eglise ressemble à celle de la Rotonde de Rome.
Le fils naturel de ce Duc Alexandre fait ici sa résidence. Il est vieux à ce que j’ai vu. Il vit
commodément des bienfaits du Duc, & ne s’embarrasse point d’autre chose. Il y a de très beaux
endroits pour la chasse & pour la pêche, & ce sont là ses occupations.
Pour les saintes reliques, les ouvrages rares, les marbres précieux, & les pierres d’une grandeur
& d’un travail admirables, on en trouve ici tout autant que dans aucune autre ville d’Italie.
Je vis avec beaucoup de plaisir le bâtiment du cimetiere, qu’on appelle Campo-Santo ; il est
d’une grandeur extraordinaire, long de trois cens pas, large de cent, & quarré ; le corridor qui regne
autour a quarante pieds de largeur, est couvert de plomb, & pavé de marbre. Les murs sont couverts
d’anciennes peintures, parmi lesquelles il y en a d’un Gondi de Florence, tige de la maison de ce
nom.
Les Nobles de la ville avoient leurs tombeaux sous ce corridor ; on y voit encore les noms & les
armes d’environ quatre cens familles, dont il en reste à peine quatre, échappées des guerres & des
ruines de cette ancienne ville, qui d’ailleurs est peuplée, mais habitée par des étrangers. De ces Familles
nobles, dont il y a plusieurs Marquis, Comtes & autres Seigneurs, une partie est répandue en
différens endroits de la Chrétienté, où elles ont passé successivement.
Au milieu de cet édifice, est un endroit découvert où l’on continue d’inhumer les morts. On
assure ici généralement que les corps qu’on y dépose se gonflent tellement dans l’espace de huit
heures, qu’on voit sensiblement s’élever la terre ; que huit heures après ils diminuent & s’affaissent
; qu’enfin dans huit autres heures les chairs se consument, de maniere qu’avant que les ving-quatre
heures soient passées, il ne reste plus que les os tout nuds. Ce phénomène est semblable à celui du
cimetiere de Rome, où si l’on met le corps d’un Romain, la terre le repousse aussitôt. Cet endroit est
pavé de marbre, comme le corridor. On a mis par-dessus le marbre, de la terre à la hauteur d’une ou
de deux brasses, & l’on dit que cette terre fut apportée de Jérusalem dans l’expédition que les Pisans
y firent avec une grande armée. Avec la permission de l’Evêque, on prend un peu de cette terre
qu’on répand dans les autres sépulchres, par la persuasion où l’on est que les corps s’y consumeront
plus promtement : ce qui paroît d’autant plus vraisemblable, que dans le cimetiere de la ville on ne
voit presque point d’ossemens, & qu’il n’y a pas d’endroit où l’on puisse les ramasser & les
renfermer, comme on fait dans d’autres villes.
Les montagnes voisines produisent de très-beau marbre, & il y a dans la ville beaucoup d’excellens
ouvriers pour le travailler. Ils faisoient alors pour le Roi de Fez en Barbarie, un très-riche
ouvrage : c’étoient les ornemens d’un théâtre dont ils exécutoient le dessin, & qui devoit être décoré
de cinquante colonnes de marbre d’une très-grande hauteur.
On voit en beaucoup d’endroits de cette ville les armes de France, & une colonne que le Roi
Charles VIII a donnée à la Cathédrale. Dans une maison de Pise, sur le mur du côté de la rue, ce
même Prince est représénté, d’après nature, à genoux devant une Vierge qui semble lui donner des
conseils. L’inscription porte, que ce Monarque soupant dans cette maison, il lui vint par hasard dans
l’esprit de rendre aux Pisans leur ancienne liberté : en quoi, dit-elle, il surpassa la grandeur
d’Alexandre. On lit ici parmi les titres de ce Prince, Roi de Jérusalem, de Sicile, &c. Les mots qui
regardent cette circonstance de la liberté rendue aux Pisans, ont été barbouillés exprès, & sont à
moitié biffés, effacés. D’autres maisons particulieres sont encore décorées des mêmes armes (de
France), pour indiquer la noblesse que le Roi leur donna.
Il n’y a pas ici beaucoup de restes d’anciens édifices ou d’antiquités, si ce n’est une belle ruine
en briques à l’endroit où fut le Palais de Néron, dont le nom lui est resté, & une Eglise de Saint--
Michel qui fut autrefois un Temple de Mars.
Le Jeudi, Fête de Saint-Pierre, on me dit qu’anciennement l’Evêque de Pise alloit en procession
à l’Eglise de Saint-Pierre, à quatre milles hors de la ville, & de-là sur le bord de la mer, qu’il y
jettoit un anneau, & l’épousoit solennellement ; mais cette ville avoit alors une marine
très-puissante. Maintenant il n’y va qu’un Maître d’Ecole tout seul, tandis que les Prêtres vont en
procession à l’Eglise, où il y a de grandes Indulgences. La Bulle du Pape qui est d’environ 400 ans,
dit sur la foi d’un livre qui en a plus de 1200, que cette Eglise fut bâtie par Saint-Pierre, & que
Saint-Clément faisant l’office sur une table de marbre, il tomba sur cette table trois gouttes de sang
du nez du Saint Pape. Il semble que ces gouttes n’y soient imprimées que depuis trois jours. Les
Génois rompirent autrefois celle table pour emporter une de ces gouttes de sang ; ce qui fit que les
Pisans ôterent de l’Eglise le reste de la table ; & la porterent dans leur ville. Mais tous les ans on l’y
rapporte en procession le jour de Saint-Pierre, & le peuple y va toute la nuit dans des barques.
Le Vendredi, 7 Juillet, de bonne heure j’allai voir les cassines ou fermes de Pierre de Médicis
éloignées de la terre de deux milles. Ce Seigneur a là des biens immenses qu’il fait valoir par lui
même, en y mettant tous les cinq ans de nouveaux Laboureurs qui prennent la moitié des fruits. Le
terrein est très fertile en grains, & il y a des pâturages, où l’on tient toutes sortes d’animaux. Je
descendis de cheval pour voir les particularités de la maison. Il y a grand nombre de personnes
occupées à faire des crêmes, du beurre, des fromages, avec tous les utenciles nécessaires à ce genre
d’économie.
Delà, suivant la plaine, j’arrivai sur les bords de la mer Tyrrhenienne, où d’un côté je découvrois
à main droite Erici, & de l’autre, encore de plus près, Livourne, Château situé sur la mer. Delà se
découvre bien l’Isle de Gorgone, plus loin celle de Capraia, & plus loin encore la Corse. Je tournai
à main gauche le long du bord de la mer, & nous le suivîmes jusqu’à l’embouchure de l’Arno, dont
l’entrée est fort difficile aux vaisseaux, parce que plusieurs petites rivieres qui se jettent ensemble
dans l’Arno, charrient de la terre & de la boue qui s’y arrêtent, & font élever l’embouchure en
l’embarrassant. J’y achetai du poisson que j’envoyai aux Comédiennes de Pise. Le long de ce fleuve
on voit plusieurs buissons de Tamaris. Le Samedi j’achetai un petit baril de ce bois, six jules ; j’y
fis mettre des cercles d’argent, & je donnai trois écus à l’orfévre.
J’achetai de plus une canne d’Inde pour m’appuyer en marchant, six jules ; un petit vase & un
gobelet de noix d’Inde qui fait le même effet pour la ratte & la gravelle que le Tamaris, huit jules.
L’artiste, homme habile & renommé pour la fabrique des instrumens de mathématique, m’apprit
que tous les arbres ont intérieurement autant de cercles & de tours qu’ils ont d’années. Il me le fit
voir à toutes les especes de bois qu’il avoit dans sa boutique ; car il est menuisier. La partie du bois
tournée vers le septentrion ou le nord est plus étroite, a les cercles plus serrés & plus épais que l’autre
; ainsi quelque bois qu’on lui porte, il se vante de pouvoir juger quel âge avoit l’arbre, & dans
quelle situation il étoit.
Dans ce tems-là précisement, j’avois je ne sai quel embarras à la tête qui m’incommodoit
tousiours de quelque façon, avec une constipation telle que je n’avois point le ventre libre, sans art
ou sans le secours de quelques drogues, secours assez foibles. Les reins d’ailleurs selon les
circonstances.
L’air de cette ville (de Pise), passoit il y a quelque tems pour être très mal-sain ; mais depuis que
le Duc Cosme a fait dessecher les marais d’alentour, il est bon. Il étoit auparavant si mauvais, que
quand on vouloit reléguer quelqu’un & le faire mourir, on l’exiloit à Pise où dans peu de jours
c’étoit fait de lui.
Il n’y a point ici de perdrix, malgré les soins que les Princes Toscans se sont donnés pour en
avoir.
J’eus plusieurs fois à mon logis la visite de Jérôme Borro, Médecin, Docteur de la Sapience, & je
l’allai voir à mon tour. Le 14 Juillet, il me fit présent de son livre du flux & reflux de la mer, qu’il a
écrit en langue vulgaire, & me fit voir un autre livre de sa façon écrit en latin sur les maladies du
corps.
Ce même jour, près de ma maison, vingt-un esclaves Turcs s’échaperent de l’Arsenal, & se
sauverent sur une frégate toute agréée que le Seigneur Alexandre de Piombino avoit laissée dans le
port, tandis qu’il étoit à la pêche.
A l’exception de l’Arno & de la beauté du canal qu’il offre en traversant la ville, comme aussi
des Eglises, des ruines anciennes, & des travaux particuliers, Pise a peu d’élégance & d’agrément.
Elle est déserte en quelque sorte, & tant par cette solitude, que par la forme des édifices, par sa
grandeur & par la largeur de ses rues, elle ressemble beaucoup à Pistoye. Un des plus grands
défauts qu’elle ait, est la mauvaise qualité de ses eaux qui ont toutes un goût de marécage.
Les habitans sont très pauvres, & n’en sont pas moins fiers, ni moins intraitables, & peu polis
envers les étrangers, (particuliérement pour les François), depuis la mort d’un de leurs Evêques,
Pierre-Paul de Bourbon, qui se disoit de la maison de nos Princes, & dont la famille subsiste
encore.
Cet Evêque aimoit si fort notre nation, & il etoit si libéral, qu’il avoit ordonné que dès qu’il
arriveroit un François, il lui fût amené chez lui. Ce bon Prélat a laissé aux Pisans un souvenir
très-honorable de sa bonne vie & de sa libéralité. Il n’y a que cinq ou six ans qu’il est mort.
Le 17 Juillet, je me mis avec vingt-cinq autres à jouer à un écu par tête, à la Riffa, quelques
nippes d’un des Comédiens de la ville, nommé Fargnocola. On tire à ce jeu d’abord à qui jouera le
premier, puis le second, & ainsi de suite jusqu’au dernier : c’est l’ordre qu’on suit. Mais comme on
avoit plusieurs choses à jouer, on fit ensuite deux conditions égales : celui qui faisoit le plus de
points gagnoit d’une part, & celui qui en faisoit le moins gagnoit de l’autre. Le sort m’échut à jouer
le second.
Le 8, il s’éleva une grande contestation à l’Eglise de Saint-François, entre les Prêtres de la Cathédrale
& les Religieux. La veille un Gentilhomme de Pise avoit été enterré dans ladite Eglise. Les
Prêtres y vinrent avec leurs ornemens, & tout ce qu’il falloit pour dire la Messe. Ils alléguoient leur
privilege & la coutume observée de tout tems. Les Religieux disoient au contraire que c’étoit à eux
non point à d’autres, à dire la Messe dans leur Eglise. Un Prêtre s’approchant du grand Autel voulut
en empoigner la table ; un Religieux s’efforça de lui faire lâcher.
Le 10 Août, nous sortîmes de la ville pour nous aller promener, avec plusieurs Gentilshommes de
Lucques qui m’avoient prêté des chevaux. Je vis des maisons de plaisance fort jolies aux environs
de la ville, à trois ou quatre milles de distance, avec des portiques & des galeries qui les rendent fort
gaies. Il y a entr’autres une grande galerie toute voûtée en dedans, couverte de sceps & de branches
de vignes qui sont plantés à l’entour, & appuyés sur quelques soutiens. La treille est vive & naturelle.
Mon mal de tête me laissoit quelquefois tranquille pendant cinq à six jours & plus, mais je ne
pouvois la remettre parfaitement.
Il me vint en fantaisie d’étudier la langue Toscane, & de l’apprendre par principes ; j’y mettois
assez de tems & de soins, mais j’y faisois peu de progrès.
On éprouva dans cette saison une chaleur beaucoup plus vive qu’on n’en sentoit communément.
Le 12, j’allai voir hors de Lucques la maison de campagne de M. Benoît Buonvisi, que je trouvai
d’une beauté médiocre. J’y vis, entr’autres choses, la forme de certains bosquets qu’ils font sur des
lieux élevés. Dans un espace d’environ cinquante pas, ils plantent divers arbres de l’espece de ceux
qui restent verds toute l’année. Ils entourent ce lieu de petits fossés, & pratiquent au dedans de
petites allées couvertes. Au milieu du bosquet, est un endroit pour le chasseur qui, dans certains
tems de l’année, comme vers le mois de Novembre, muni d’un sifflet d’argent & de quelques grives
prises exprès pour cet usage & bien attachées, après avoir disposé de tous côtés plusieurs appeaux
avec de la glu, prendra dans une matinée deux cents grives. Cela ne se fait que dans un certain
canton près de la ville.
Le Dimanche 13, je partis de Lucques, après avoir donné ordre qu’on offrît à M. Louis Pinitesi
quinze écus pour l’appartement qu’il m’avoit cédé dans sa maison, (ce qui revenoit à un écu par
jour) : il en fut très-content.
Nous allâmes voir ce jour-là plusieurs maisons de campagne appartenant à des Gentilshommes de
Lucques ; elles sont jolies, agréables, enfìn elles ont leurs beautés. L’eau y est abondante, mais
postiche, c’est-à-dire, ni naturelle, ni vive, ou continuelle.
Il est étonnant de voir si peu de fontaines dans un pays si montueux.
Les eaux dont ils se servent, ils les tirent des ruisseaux ; & pour l’ornement, ils les érigent en fontaines
avec des vases, des grottes, & autres travaux à cet usage. Nous vinmes le soir souper à une
maison de campagne de M. Louis, avec M. Horace son fils, qui nous accompagnoit toujours. Il nous
reçut fort bien, & nous donna un très-bon souper sous une grande galerie fort fraîche & ouverte de
tous côtés. Il nous fit ensuite coucher séparément dans de bonnes chambres, où nous eûmes des
draps de lin très-blancs & d’une grande propreté, tels que nous en avions eus à Lucques dans la
maison de son pere.
Lundi, de bonne heure, nous partîmes de là, & chemin faisant, sans descendre de cheval, nous
nous arrêtâmes à la maison de campagne de l’Evêque qui y étoit. Nous fûmes très-bien reçus par ses
gens & même invités à y dîner ; mais nous allâmes dîner aux
BAINS DELLA VILLA, 15 milles. J’y reçus de tout le monde le meilleur accueil, & des caresses
infinies. Il sembloit en vérité que je fusse de retour chez moi. Je logeai encore dans la même
chambre que j’avois louée ci-devant vingt écus par mois, au même prix & aux mêmes conditions.
Le Mardi, 15 Août, j’allai de bon matin me baigner ; je restai un peu moins d’une heure dans le
bain, & je le retrouvai plus froid que chaud. Il ne me provoqua point de sueur. J’arrivai à ces bains
non-seulement en bonne santé, mais je puis dire encore fort allegre de toute façon. Après m’être
baigné, je rendis des urines troubles ; le soir ayant marché quelque tems par des chemins montueux
& difficiles, elles furent tout-à-fait sanguinolentes, & quand je fus couché je sentis je ne sai quel
embarras dans les reins.
Le 16, je continuai le bain, & pour être seul à l’écart, je choisis celui des femmes où je n’avois
pas encore été. Il me parut trop chaud, soit qu’il le fût réellement, soit qu’ayant déjà les pores
ouverts par le bain que j’avois pris la veille, je fusse plus prompt à m’échauffer ; cependant j’y
restai plus d’une heure. Je suai médiocrement ; les urines étoient naturelles, point de sable. Après
dîner, les urines revinrent encore troubles & rousses ; & vers le coucher du soleil elles étoient
sanguinolentes.
Le 17, je trouvai le même bain plus tempéré. Je suai très-peu ; les urines étoient un peu troubles,
avec un peu de sable ; j’avois le teint d’un jaune pâle.
Le 18, je restai deux heures encore au même bain. Je sentis aux reins je ne sai quelle pesanteur ;
mon ventre étoit aussi libre qu’il le falloit. Dès le premier jour j’avois éprouvé beaucoup de vents &
de borborigmes ; ce que je crois sans peine être un effet particulier de ces eaux, parce que la
premiere fois que je pris les bains, je m’apperçus sensiblement que les mêmes vents étoient produits
de cette maniere.
Le 19, j’allai au bain un peu plus tard, pour donner le tems à une Dame de Lucques de se baigner
avant moi, parce que c’est une regle assez raisonnable observée ici, que les femmes jouissent à leur
aise de leur bain ; aussi j’y restai deux heures.
Ma tête pendant plusieurs jours s’étoit maintenue en très bon état ; il lui survint un peu de
pesanteur. Mes urines étoient toujours troubles, mais en diverses façons, & elles charrioient
beaucoup de sable. Je m’appercevois aussi de je ne sai quels mouvemens aux reins ; & si je pense
juste en ceci, c’est une des principales propriétés de ces bains. Non seulement ils dilatent & ouvrent
les passages & les conduits, mais encore ils poussent la matiere, la dissipent, & la font disparoître.
Je jettois du sable qui paroissoit n’être autre chose que des pierres brisées, récemment désunies.
La nuit je sentis au côté gauche un commencement de colique assez fort & même poignant, qui
me tourmenta pendant un bon espace de tems, & ne fit pas néanmoins les progrès ordinaires ; car le
mal ne s’étendit point jusqu’au bas ventre, & il finit de façon à me faire croire que c’étoient des
vents.
Le 20, je fus deux heures au bain. Les vents me causerent pendant tout le jour de grandes incommodités
au bas ventre. Je rendois toujours des urines troubles, rousses, épaisses, avec un peu de
sable. La tête me faisoit mal, & j’allois du ventre plus que de coutume.
On n’observe pas ici les Fêtes avec la même religion que nous, ni même le Dimanche ; on voit
les femmes faire la plus grande partie de leur travail après dîner. Le 21, je continuai mon bain après
lequel j’avois les reins fort douloureux ; mes urines étoient abondantes & troubles, & je rendois
toujours un peu de sable. Je jugeois que les vents étoient la cause des douleurs que j’éprouvois alors
dans les reins, parce qu’ils se faisoient sentir de tous côtés. Ces urines si troubles me faisoient
pressentir la descente de quelque grosse pierre ; je ne devinai que trop bien. Après avoir le matin
écrit cette partie de mon joural, aussi-tôt que j’eus dîné, je sentis de vives douleurs de colique ; &
pour me tenir plus alerte, il s’y joignit, à la joue gauche, un mal de dents très aigu, que je n’avois
point encore éprouvé. Ne pouvant supporter tant de malaise, deux ou trois heures après je me mis au
lit, ce qui fit bien-tôt cesser la douleur de ma joue.
Cependant, comme la colique continuoit de me déchirer, & qu’aux mouvemens flatueux qui
tantôt d’un côté, tantôt d’un autre, occupoient successivement diverses parties de mon corps, je
sentois enfin que c’étoint plutôt des vents que des pierres, je fus forcé de demander un lavement. Il
me fut donné sur le soir très-bien préparé avec de l’huile, de la camomille & de l’anis, le tout ordonné
seulement par l’Apothicaire. Le Capitaine Paulino me l’administra lui-même avec beaucoup
d’adresse ; car quand il sentoit que les vents repoussoient, il s’arrêtoit & retiroit la seringue à lui,
puis il reprenoit doucement & continuoit de façon que je pris le remede tout entier sans aucun
dégoût. Il n’eut pas besoin de me recommander de le garder tant que je pourrais, puisque je ne fus
pressé par aucune envie. Je le gardai donc jusqu’à trois heures, & ensuite je m’avisai de moi-même
de le rendre. Etant hors du lit, je pris avec beaucoup de peine un peu de masse pain & quatre gouttes
de vin. Sur cela je me remis au lit, & après un léger sommeil, il me prit envie d’aller à la selle ; j’y
fus quatre fois jusques au jour, y ayant toujours quelque partie du lavement qui n’étoit pas rendu.
Le lendemain matin, je me trouvai fort soulagé, parce qu’il m’avoit fait sortir beaucoup de vents.
J’étois fort fatigué, mais sans aucune douleur. Je mangeai un peu à dîner, sans nul appétit ; je bus
aussi sans goût, quoique je me sentisse altéré. Après dîner, la douleur me reprit encore une fois à la
joue gauche, & me fit beaucoup souffrir, depuis le dîner jusqu’au souper. Comme j’étois bien
convaincu que mes vents ne venoint que du bain, je l’abandonnai, & je dormis bien toute la nuit.
Le jour suivant à mon réveil, je me trouvai las & chagrin, la bouche séche avec des aigreurs &
un mauvais goût, l’haleine comme si j’avois eu la fievre. Je ne sentois aucun mal, mais je continuois
de rendre des urines extraordinaires & fort troubles.
Enfin, le 24 au matin, je poussai une pierre, qui s’arrêta au passage. Je restai depuis ce moment
jusqu’au dîner sans uriner, quoique j’en eusse grande envie. Alors je rendis ma pierre non sans
douleur & sans effusion de sang avant & après l’éjection. Elle étoit de la grandeur & longueur d’une
petite pomme ou noix de pin, mais grosse d’un côté comme une féve, & elle avoit exactement la
forme du membre masculin. Ce fut un grand bonheur pour moi d’avoir pu la faire sortir. Je n’en ai
jamais rendu de comparable en grosseur à celle-ci ; je n’avois que trop bien jugé, par la qualité de
mes urines, ce qui en devoit arriver. Je verrai quelles en seront les suites.
Il y auroit trop de foiblesse & de lâcheté de ma part, si, certain de me retrouver toujours dans le
cas de périr de cette maniere, & la mort s’approchant d’ailleurs à tous les instans, je ne faisois pas
mes efforts, avant d’en être là, pour pouvoir la supporter sans peine, quand le moment sera venu.
Car ensin la raison nous recommande de recevoir joyeusement le bien qui plaît à Dieu de nous envoyer.
Or, le seul remede, la seule regle & l’unique science, pour éviter tous les maux qui assiégent
l’homme de toutes parts & à toute heure, quels qu’ils soient, c’est de se résoudre à les souffrir
humainement ou à les terminer courageusement & promptement.
Le 25 Août, l’urine reprit couleur, & je me retrouvai dans le même état qu’auparavant. Outre
cela, je souffrois souvent tant le jour que la nuit de la joue gauche ; mais cette douleur étoit
passagere, & je me rappellois qu’elle m’avoit autrefois causé chez moi beaucoup d’incommodité.
Le 26 au matin, je fus deux heures au bain.
Le 27 après dîné, je fus cruellement tourmenté d’un mal de dents très-vif, tellement que j’envoyai
chercher le Médecin.
Le Docteur ayant tout examiné, vu principalement que la douleur s’étoit appaisée en sa présence,
jugea que cette espece de fluxion n’avoit pas de corps ou n’en avoit que fort peu ; mais que c’étoient
des vents mêlés de quelque humeur qui montoient de l’estomac à la tête, & me causoient ce
mal-aise ; ce qui me paroissoit d’autant plus vraisemblable, que j’avois éprouvé de pareilles
douleurs en d’autres parties de mon corps.
Le Lundi 28 Août, j’allai de bon matin boire des eaux de la fontaine de Barnabé, & j’en bus sept
livres quatre onces, à douze onces la livre. Elles me procurerent une selle, & j’en rendis un peu
moins de la moitié avant mon dîner. J’éprouvois sensiblement que cette eau me faisoit monter à la
tête des vapeurs qui l’appesantissoient.
Le Mardi 29, je bus de la fontaine ordinaire neuf verres contenant chacun une livre moins une
once, & la tête aussi-tôt me fit mal. Il est vrai, pour dire ce qui en est, que d’elle-même elle étoit en
mauvais état, & qu’elle n’avoit jamais été bien libre depuis le premier bain, quoique sa pesanteur se
fît sentir plus rarement & différemment ; mes yeux un mois auparavant, ne s’étant point affoiblis &
n’ayant point éprouvé d’éblouissement. Je souffrois par derriere, mais jamais je n’avois mal à la tête
que la douleur ne s’étendît à la joue gauche qu’elle embrassoit toute entiere, jusqu’aux dents même
les plus basses, enfin à l’oreille & à une partie du nez. La douleur passoit vîte, mais d’ordinaire elle
étoit aiguë, & elle me reprenoit souvent le jour & la nuit. Tel étoit alors l’état de ma tête.
Je crois que les fumées de cette eau, soit en buvant, soit en se baignant (quoique plus d’une
façon que de l’autre) sont fort nuisibles à l’estomac. C’est pourquoi l’on est ici dans l’usage de
prendre quelques médecines pour prévenir cet inconvénient.
Je rendis dans le cours d’une journée jusqu’à la suivante, à une livre près, toute l’eau que j’avois
bue, en comptant celle que je buvois à table, mais qui étoit bien peu de chose, puisqu’elle n’alloit
pas à une livre par jour. Dans l’après-dînée, vers le coucher du soleil, j’allai au bain, j’y restai
trois-quarts-d’heure, & le Mercredi je suai un peu.
Le 30 Août, je bus deux verres, à neuf onces le verre ; ce qui fit dix-huit onces, & j’en rendis la
moitié avant dîner.
Le Jeudi je m’abstins de boire, & j’allai le matin à cheval voir Controne, village fort peuplé sur
ces montagnes. Il y avoit plusieurs plaines belles & fertiles, & des paturages sur la cime. Ce village
a plusieurs petites campagnes, & des maisons commodes bâties de pierres, dont les toits sont aussi
couverts de pierre en plateaux. Je fis un grand circuit autour de ces montagnes avant de retourner au
logis.
Je n’étois pas content de la maniere dont j’avois rendu les dernieres eaux que j’avois prises ; c’est
pourquoi il me vint dans l’idée de renoncer à en boire. Ce qui me déplaisoit en cela, c’est que je ne
trouvois pas mon compte les jours de boisson, en comparant ce que j’urinois avec ce que je buvois.
Il falloit, la derniere fois que je bus, qu’il fût encore resté dans mon corps plus de trois verres de
l’eau du bain, outre qu’il m’étoit survenu un resserrement que je pouvois regarder comme une vraie
constipation, par rapport à mon état ordinaire.
Le Vendredi, premier Septembre 1581, je me baignai une heure le matin ; il me prit dans le bain
un peu de sueur, & je rendis en urinant une grande quantité de sable rouge. Lorsque je buvois, je
n’en rendois pas ou bien peu. J’avois la tête à l’ordinaire, c’est à dire, en mauvais état. Je commençois
à me trouver incommodé de ces bains ; ensorte que si j’eusse reçu de France les nouvelles
que j’attendois depuis quatre mois sans en recevoir, j’eusse parti sur le champ, & j’aurois préféré
d’aller finir la cure de l’automne à quelques autres bains que ce fût.
En tournant mes pas du côte de Rome, je trouvois à peu de distance de la grande route, les bains
de Bagno-acqua, de Sienne & de Viterbe ; du côté de Venise, ceux de Bologne & de Padoue.
A Pise, je fis blasonner & dorer mes armes, avec de belles & vives couleurs, le tout pour un écu &
demi de France ; ensuite, comme elles étoient peintes sur toile, je les fis encadrer au bain, & je fis
clouer, avec beaucoup de soin le tableau au mur de la chambre que j’occupois, sous cette condition,
qu’elles devoient être censées données à la chambre, non au Capitaine Paulino, quoiqu’il fût le
maître du logis, & attachées à cette chambre quelque chose qui pût arriver dans la suite. Le
Capitaine me le promit & en fit serment.
Le Dimanche 3, j’allai au bain, & j’y restai un peu plus d’une heure. Je sentis beaucoup de vents,
mais sans douleurs.
La nuit & le matin du Lundi 4, je fus cruellement tourmenté de la douleur des dents ; je
soupçonnai dès-lors qu’elle provenoit de quelque dent gâtée. Je mâchois le matin du mastic sans
éprouver aucun soulagement. L’altération que me causoit cette douleur aiguë, faisoit encore que
j’étois constipé, & c’étoit pour cela que je n’osois me remettre à boire des eaux ; ainsi je faisois
très-peu de remedes. Cette douleur, vers le tems du dîner, & trois ou quatre heures après, me laissa
tranquille ; mais sur les vingt heures, elle me reprit avec tant de violence & aux deux joues, que je
ne pouvois me tenir sur mes pieds, la force du mal me donnoit des envies de vomir. Tantôt j’étois
tout en sueur, & tantôt je frissonnois. Comme je sentois du mal par-tout, cela me fit croire que la
douleur ne provenoit pas d’une dent gâtée. Car, quoique le fort du mal fût au côté gauche, il étoit
quelquefois encore très-violent aux deux tempes & au menton, & s’étendoit jusqu’aux épaules, au
gosier, même de tous côtés ; ensorte que je passai la plus cruelle nuit que je me souvienne d’avoir
passé de ma vie ; c’étoit une vraye rage & une fureur.
J’envoyai chercher la nuit même un Apothicaire qui me donna de l’eau-de-vie, pour la tenir du
côté où je souffrois le plus, ce qui me soulagea beaucoup. Dès l’instant que je l’eus dans la bouche,
toute la douleur cessa ; mais aussitôt que l’eau-de-vie étoit imbibée, le mal reprenoit. Ainsi j’avois
continuellement le verre à la bouche ; mais je ne pouvois y garder la liqueur, parce qu’aussitôt que
j’étois tranquille, la lassitude me provoquoit au sommeil, & en dormant il m’en tomboit toujours
dans le gosier quelques gouttes, qui m’obligeoient de la rejetter sur le champ. La douleur me quitta
vers le point du jour.
Le Mardi matin, tous les Gentilshommes qui étoient au bain vinrent me voir dans mon lit. Je me
fis appliquer à la tempe gauche, sur le pouls même un petit emplâtre de mastic, & ce jour là je
souffris peu. La nuit on me mit des étoupes chaudes sur la joue & au côté gauche de la tête. Je dormis
sans douleur, mais d’un sommeil agité.
Le Mercredi, j’avois encore quelque resentiment de mal, tant aux dents qu’à l’oeil gauche ; je
dormis sans douleur, mais d’un sommeil agité. En urinant je rendois du sable, mais non pas en si
grande quantité que la premiere fois que je fus ici, & quelquefois il ressembloit à de petits grains de
millet roussâtre.
Le Jeudi matin, 7 de Septembre, je fus pendant une heure au grand bain.
Dans la même matinée, on m’apporta, par la voie de Rome, des lettres de M. Tausin, écrites de
Bordeaux le 2 Août, par lesquelles il m’apprenoit que le jour précédent j’avois été élu d’un
consentement unanime Maire de Bordeaux, & il m’invitoit à accepter cet emploi pour l’amour de
ma Patrie.
Le Dimanche 10 Septembre, je me baignai le matin une heure au bain des femmes, & comme il
étoit un peu chaud, j’y suai un peu.
Après dîner, j’allai tout seul à cheval voir quelques autres endroits du voisinage, &
particuliérement une petite campagne qu’on nomme Gragnaiola, située au sommet d’une des plus
hautes montagnes du canton. En passant sur la cime des Monts, je découvrois les plus riches, les
plus fertiles & les plus agréables collines que l’on puisse voir.
Comme je m’entretenois avec quelques gens du lieu, je demandai à un vieillard fort âgé, s’ils
usoient de nos bains : il me répondit, qu’il leur arrivoit la même chose qu’à ceux qui pour être trop
voisins de Notre-Dame de Lorette, y vont rarement en pélérinage ; qu’on ne voyoit donc gueres
opérer les bains, qu’en faveur des étrangers, & de personnes qui venoient de loin. Il ajouta qu’il
s’appercevoit avec chagrin depuis quelques années que ces bains étoient plus nuisibles que salutaires
à ceux qui les prenoient ; ce qui provenoit de ce qu’autrefois il n’y avoit pas dans le pays un
Apothicaire, & qu’on y voyoit rarement même des Médecins, au lieu qu’à présent c’est tout le contraire.
Ces gens là, plus pour leur profit que pour le bien des malades, ont répandu cette opinion,
que les bains ne faisoient aucun effet à ceux qui non-seulement ne prenoient pas quelques
médecines avant & aprés l’usage des eaux, mais même n’avoient pas grand soin de se
médicamenter en les prenant ; ensorte qu’ils (les Médecins) ne consentoient pas aisément qu’on les
prît pures & sans ce mélange. Aussi l’effet le plus évident qui s’en suivoit, selon lui, c’est qu’à ces
bains il mouroit plus de monde qu’il n’en guérissoit, d’où il tenoit pour assuré qu’ils ne tarderoient
pas à tomber en discrédit, & à être totalement méprisés.
Le Lundi 11 Septembre, je rendis le matin beaucoup de sable, presque tout en forme de grains de
millet ronds, fermes, rouges à la surface & gris en dedans.
Le 12 Septembre 1581, nous partîmes des bains della Villa le matin de bonne heure, & nous
allâmes dîner à
LUCQUES, quatorze milles on commençoit à y vendanger. La Fête de Sainte-Croix est une
des principales Fêtes de la Ville ; on donne alors pendant huit jours à ceux qui sont absens pour
dettes la liberté de venir chez eux vacquer librement à cette dévotion.
Je n’ai point trouvé en Italie un seul bon barbier pour me raser & me faire les cheveux.
Le Mercredi au soir, nous allâmes entendre Vêpres au Dôme où il y avoit un concours de toute la
Ville & des Processions. Le Volto Santo étoit découvert : elle est en grande vénération parmi les
Lucquois, parce qu’elle est très-ancienne & illustrée par quantité de miracles. C’est exprès pour elle
que le Dôme a été bâti, & même la petite Chapelle où est gardée cette relique est au milieu de cette
grande Eglise, mais assez mal placée & contre toutes les regles de l’Architecture. Quand les Vêpres
furent dites, toute la pompe passa dans une autre Eglise qui étoit autrefois le Dôme.
Le Jeudi, j’entendis la Messe dans le Choeur du Dôme où étoient tous les Officiers de la
Seigneurie. A Lucques, on aime beaucoup la musique ; on y voit peu d’hommes & de femmes qui
ne la sachent point, & communément ils chantent tous : cependant ils ont très-peu de bonnes voix.
On chanta cette Messe à force de poumons, & ce ne fut pas grand chose. Ils avoient construit exprès
un grand Autel fort haut, en bois & papier, couvert d’images, de grands chandeliers & de beaucoup
de vases d’argent rangés comme un buffet, c’est-à-dire, un bassin au milieu & quatre plats autour.
L’Autel étoit garni de cette maniere depuis le pied jusqu’au haut, ce qui faisoit un assez bel effet.
Toutes les fois que l’Evêque dit la Messe, comme il fit ce jour là, à l’instant qu’il entonne le
Gloria in excelsis, on met le feu à un tas d’étoupes, que l’on attache à une grille de fer suspendue
pour cet usage au milieu de l’Eglise.
La saison dans ce pays là étoit déja fort réfroidie & humide.
Le Vendredi, 15 Septembre, il me survint comme un flux d’urine, c’est-à-dire, j’urinois presque
deux fois plus que je n’avois pris de boisson ; s’il m’étoit resté dans le corps quelque partie de l’eau
du bain, je crois qu’elle sortit.
Le Samedi matin, je rendis sans aucune peine une petite pierre rude au toucher : je l’avois un peu
sentie dans la nuit au bas du ventre & à la tête du gland.
Le Dimanche, 18 Septembre, se fit le changement des Gonfaloniers de la Ville ; j’allai voir cette
cérémonie au Palais. On travaille ici presque sans aucun égard pour le Dimanche, & il y a
beaucoup de boutiques ouvertes.
Le Mercredi, 20 Septembre, après-dîner, je partis de Lucques, après avoir fait emballer, dans deux
caisses, plusieurs choses pour les envoyer en France.
Nous suivîmes un chemin uni, mais par un pays stérile comme les Landes de Gascogne. Nous
passâmes, sur un pont bâti par le Duc Cosme, un grand ruisseau où sont les moulins à fer du Grand
Duc, avec un beau bâtiment. Il y a encore trois pêcheries ou lieux séparés en forme d’étangs qui
sont renfermés, & dont le fond est pavé de briques, où l’on entretient une grande quantité
d’anguilles, que l’on voit aisément par le peu d’eau qui s’y trouve. Nous passâmes l’Arno à
Fusecchio, & nous arrivâmes le soir à
SCALA, vingt milles. J’en partis au point du jour. Je passai par un beau chemin ressemblant à
une plaine. Le pays est entrecoupé de petites montagnes très-fertiles, comme celles de France.
Nous traversâmes Castel Fiorentino, petit bourg fermé de murailles, & ensuite à pied, tout près de
là, Certaldo, beau Château situé sur une colline, patrie de Bocace. Delà nous allâmes dîner à
POGGIBONZI, dix-huit milles, petite terre, d’où nous nous rendîmes à souper à
SIENNE, douze milles. Je trouvai que le froid dans cette saison étoit plus sensible en Italie qu’en
France.
La place de Sienne est la plus belle qu’on voie dans aucune ville d’Italie. On y dit tous les jours
la Messe en public à un Autel, vers lequel les maisons & les boutiques sont tournées de façon que le
peuple & les artisans peuvent l’entendre, sans quitter leur travail ni sortir de leur place. Au moment
de l’élévation, on sonne une trompette pour avertir le monde.
Dimanche, 23 Septembre, après dîner, nous partîmes de Sienne, & après avoir marché par un
chemin aisé, quoique parfois inégal, parce que le pays est semé de collines fertiles & de montagnes
qui ne sont point escarpées, nous arrivâmes à
SAN-CHIRICO, petit Château à vingt milles. Nous logeâmes hors des murs. Le cheval de
somme (qui portoit nos bagages) étant tombé dans un petit ruisseau que nous passâmes à gué, toutes
mes hardes, & sur-tout mes livres furent gâtés ; il fallut du tems pour les sécher. Nous laissâmes sur
les collines voisines, à main gauche, Montepulciano, Montecello & Castiglioncello.
Le Lundi, de bonne heure, j’allai voir un bain éloigné de deux milles, & nommé Vignone, du
nom d’un petit Château qui est tout auprès. Le bain est situé dans un endroit un peu haut, au pied
duquel passe la riviere d’Urcia. Il y a dans ce lieu environ une douzaine de petites maisons peu
commodes & désagréables qui l’entourent, & le tout paroît fort chétif. Là est un grand étang entouré
de murailles & de degrés d’où l’on voit bouillonner au milieu plusieurs jets de cette eau chaude, qui
n’a pas la moindre odeur de souffre, éleve peu de fumée, laisse un sédiment roussâtre, & paroît etre
plus ferrugineuse que d’aucune autre qualité ; mais on n’en boit pas. La longueur de cet étang est de
60 pas, & sa largeur de 25. Il y a tout autour quatre ou cinq endroits séparés & couverts où l’on se
baigne ordinairement. Ce bain est tenu assez proprement.
On ne boit point de ses eaux, mais bien de celles de Saint Cassien, qui ont plus de réputation.
Elles sont près de Sanchirico, à dix-huit milles du côté de Rome à la gauche de la grande route.
En considérant la délicatesse de ces vases de terre qui semblent de la porcelaine, tant ils sont
blancs & propres, je les trouvois à si bon marché, qu’ils me paroissent véritablement d’un usage
plus agréable pour le service de table que l’étain de France, & sur-tout celui qu’on sert dans les
auberges, qui est fort sale.
Tous ces jours-ci, le mal de tête dont je croyois être entiérement délivré, s’étoit fait un peu sentir.
J’éprouvois comme auparavant, aux yeux, au front, à toutes les parties antérieures de la tête, une
certaine pesanteur, un affoiblissement & un trouble qui m’inquiétoient. Le Mardi nous vinmes dîner
à
LA PAGLIA, treize milles, & coucher à
SAN-LORENZO : chétives auberges. On commençoit à vendanger dans ce pays-là.
Le Mercredi matin il survint une dispute entre nos gens & les voituriers de Sienne, qui, voyant que
le voyage étoit plus long que de coutume, fâchés d’être obligés de payer la dépense des chevaux, ne
vouloient pas payer celle de cette soirée. La dispute s’échauffa au point que je fus obligé d’aller
parler au Maire qui me donna gain de cause, après m’avoir entendu, & fit mettre en prison un des
voituriers. J’alléguois que la cause du retard venoit de la chûte du cheval de bagage, qui tombant
dans l’eau avait gâté la plus grande partie de mes hardes.
Près du grand chemin, à quelque pas de distance à main droite, environ à six milles de Montefiascone,
est un bain situé dans une très-grande plaine. Ce bain, à trois ou quatre milles de la
montagne la plus voisine, forme un petit lac, à l’un des bouts duquel on voit une très-grosse source
jetter une eau qui bouillonne avec force, & presque brûlante. Cette eau sent beaucoup le soufre ; elle
jette une écume & des féces blanches. A l’un des côtés de cette source, est un conduit qui amène
l’eau à deux bains, situés dans une maison voisine. Cette maison qui est isolée a plusieurs petites
chambres, assez mauvaises, & je ne crois pas qu’elle soit fort fréquentée. On boit de cette eau
pendant sept jours dix livres chaque fois ; mais il faut la lasser refroidir pour en diminuer la chaleur,
comme on fait au bain de Preissac, & l’on s’y baigne tout autant. Cette maison, ainsi que le bain, est
du domaine d’une certaine Eglise : elle est affermée cinquante écus. Mais outre le profit des
malades qui s’y rendent au Printems, celui qui tient cette maison à loyer, vend une certaine boue
qu’on tire du lac & dont usent les bons Chrétiens, en la délayant avec de l’huile, pour la guérison de
la gale, & pour celle des brebis, & des chiens, en la délayant avec de l’eau. Cette boue en nature &
brute, se vend douze jules, & en boules séches sept quatrins. Nous y trouvâmes beaucoup de chiens
du Cardinal Farnese qu’on y avoit menés pour les faire baigner. Environ à trois milles delà, nous
arrivames à
VITERBE, seize milles. Le jour étoit si avancé, qu’il fallut faire un seul repas du dîner & du
souper. J’étois fort enroué, & je sentois du froid. J’avois dormi tout habillé sur une table à
San-Lorenzo, à cause des punaises ; ce qui ne m’étoit encore arrivé qu’à Florence & dans cet
endroit. Je mangeai ici d’une espece de glands qu’on nomme gensole : l’Italie en produit beaucoup,
& ils ne sont pas mauvais. Il y a encore tant d’étourneaux que vous en avez un pour deux liards.
Le Jeudi 26 Septembre au matin, j’allai voir quelques-autres bains de ce pays situés dans la
plaine, & assez éloignés de la montagne. On voit d’abord deux différens endroits des bâtimens où
étoient il n’y a pas long-tems des bains qu’on a laissé perdre par négligence : le terrein toutefois
exhale une mauvaise odeur. Il y a de plus une maisonnette dans laquelle est une petite source d’eau
chaude qui forme un petit lac, pour se baigner. Cette eau n’a point d’odeur, mais un goût insipide ;
elle est médiocrement chaude. Je jugeai qu’il y avoit beaucoup de fer ; mais on n’en boit pas. Plus
loin est encore un édifice qu’on appelle le Palais du Pape, parce qu’on prétend qu’il a été bâti ou
réparé par le Pape Nicolas. Au bas de ce Palais & dans un terrein fort enfoncé, il y a trois jets
différents d’eau chaude, de l’un desquels on use en boisson. L’eau n’en est que d’une chaleur
médiocre & tempérée : elle n’a point de mauvaise odeur ; on y sent seulement au goût une petite
pointe, où je crois que le nitre domine. J’y étois allé dans l’intention d’en boire pendant trois jours.
On boit là tout comme ailleurs par rapport à la quantité ; on se promene ensuite, & l’on se trouve
bien de suer.
Ces eaux sont en grande réputation ; elles sont transportées par charge dans toute l’Italie. Le Médecin
qui a fait un Traité général de tous les Bains d’Italie, préfere les eaux de celui-ci, pour la
boisson, à toutes les autres. On leur attribue spécialement une grande vertu pour les maux de reins ;
on les boit ordinairement au mois de Mai. Je ne tirai pas un bon augure de la lecture d’un écrit
qu’on voit sur le mur, & qui contient les invectives d’un malade contre les Médecins qui l’avoient
envoyé à ces eaux, dont il se trouvoit beaucoup plus mal qu’auparavant. Je n’augurai pas bien non
plus de ce que le maître des bains disoit que la saison étoit trop avancée, & me sollicitoit froidement
à en boire.
Il n’y a qu’un logis, mais il est grand, commode & décent, éloigné de Viterbe d’un mille & demi;
je m’y rendis à pied. Il renferme trois ou quatre bains qui produisent différents effets, & de plus un
endroit pour la douche. Ces eaux forment une écume très blanche qui se fixe aisément, qui reste
aussi ferme que la glace, & produit une croûte dure sur l’eau. Tout l’endroit est couvert & comme
incrusté de cette écume blanche. Mettez y un morceau de toile, dans le moment vous le voyez
chargé de cette écume, & ferme comme s’il étoit gelé. Cette écume sert à nettoyer les dents ; elle se
vend & transporte hors du pays. En la mâchant, on ne sent qu’un goût de terre & de sable. On dit
que c’est la matiere premiere du marbre qui pourroit bien se pétrifier aussi dans les reins. Cependant
on assure qu’elle ne laisse aucun sédiment dans les flacons où elle se met, & qu’elle s’y conserve
claire & très-pure. Je crois qu’on en peut boire tant qu’on veut, & que la pointe qu’on y sent ne la
rend qu’agréable à boire.
De-là en m’en retournant, je repassai dans cette plaine qui est très-longue, & dont la largeur est
de huit milles, pour voir l’endroit où les habitans de Viterbe, (parmi lesquels il n’y a pas un seul
Gentilhomme, parce qu’ils sont tous Laboureurs & Marchands), ramassent les lins & les chanvres
qui font la matiere de leurs fabriques, auxquelles les hommes seuls travaillent, sans employer
aucunes femmes. Il y avoit un grand nombre de ces ouvriers autour d’un certain lac où l’eau dans
toute saison est également chaude & bouillante. Ils disent que ce lac n’a point de fond, & ils en
dérivent de l’eau pour former d’autres petits lacs tiedes, où ils mettent rouir le chanvre & le lin.
Au retour de ce petit voyage que je fis à pied en allant, & à cheval en revenant, je rendis à la
maison une petite pierre rousse & dure, de la grosseur d’un gros grain de froment ; je l’avois un peu
sentie la veille descendre chez moi vers le bas-ventre, mais elle s’étoit arrêtée au passage. Pour faciliter
la sortie de ces sortes de pierres, on fait bien d’arrêter le conduit de l’urine, & de serrer un peu
la verge ; ce qui lui donne ensuite un peu de ressort pour l’expulser. C’est une recette que m’apprit
M. de Langon à Arsac.
Le Samedi, Fête de Saint-Michel, après-dîner, j’allai voir la Madona di Quercio, à une demilieue
de la Ville. On y va par un grand chemin très-beau, droit, égal, garni d’arbres d’un bout
jusqu’à l’autre, enfin fait avec beaucoup de soin par les ordres du Pape Farnese. L’Eglise est belle,
remplie de monumens religieux, & d’un nombre infini de tableaux votifs. On lit dans une
inscription latine, qu’il y a environ cent ans qu’un homme étant attaqué par des voleurs, & à
demi-mort de frayeur, se réfugia sous un chêne où étoit cette image de la Vierge, & que lui ayant
fait sa priere, il devint miraculeusement invisible à ces voleurs & fut ainsi délivré d’un péril évident.
Ce miracle fit naître une dévotion particuliere pour cette Vierge ; on bâtit autour du chêne cette
Eglise qui est très-belle. On y voit encore le tronc du chêne coupé par le pied, & la partie supérieure
sur laquelle est posée l’image, est appliquée au mur, & dépouillée des branches qu’on a coupées
tout autour.
Le Samedi, dernier Septembre, je partis de bon matin de Viterbe, & je pris la route de Bagnaia.
C’est un endroit appartenant au Cardinal Gambara qui est fort orné, & surtout si bien fourni de
fontaines, qu’en cette partie il paroît non seulement égaler, mais surpasser même Pratolino & Tivoli.
Il y a d’abord une fontaine d’eau vive, ce que n’a pas Tivoli, & trés-abondante, ce qui n’est pas
à Pratolino ; de façon qu’elle suffit à une infinité de distributions sous différens dessins. Le même
M. Thomas de Sienne, qui a conduit l’ouvrage de Tivoli, conduit encore celui-ci qui n’est pas achevé.
Ainsi ajoutant toujours de nouvelles inventions aux anciennes, il a mis dans cette derniere construction
beaucoup plus d’art, de beautés & d’agrément. Parmi les différentes pieces qui la décorent,
on voit une pyramide fort élevée qui jette de l’eau de plusieurs manieres différentes : celle-ci monte,
celle-là descend. Autour de la pyramide, sont quatre petits lacs, beaux, clairs, purs & remplis d’eau.
Au milieu de chacun est une gondole de pierre, montée par deux Arquebusiers, qui, après avoir
pompé l’eau, la lancent avec leurs arbalêtes contre la pyramide, & par un Trompette qui tire aussi
de l’eau. On se promene autour de ces lacs & de la pyramide par de très-belles allées, où l’on trouve
des appuis de pierre d’un fort beau travail. Il y a d’autres parties qui plurent encore davantage à
quelques autres Spectateurs. Le Palais est petit, mais d’une structure agréable. Autant que je puis
m’y connoître, cet endroit certainement l’emporte de beaucoup sur bien d’autres, par l’usage &
l’emploi des eaux. Le Cardinal n’y étoit pis ; mais comme il est François dans le coeur, ses gens
nous firent toutes les politesses & les amitiés qu’on peut desirer.
De là, en suivant le droit chemin, nous passâmes à Caprarola, Palais du Cardinal Farnese, dont
on parle beaucoup en Italie. En effet, je n’en ai vu aucun dans ce beau pays qui lui soit comparable.
Il est entouré d’un grand fossé, taillé dans le tuf : le haut du bâtiment est en forme de terrasse, de
sorte qu’on n’en voit point la couverture. Sa figure est un peu pentagone, & il paroît à la vue un
grand quarré parfait. Sa forme intérieure est exactement circulaire : il regne autour de larges corridors
tous voûtés, & chargés partout de peintures. Toutes les chambres sont quarrées. Le bâtiment
est très-grand, les salles fort belles, & entr’autres il y a un salon admirable, dont le plafond (car tout
l’édifice est voûté) représente un globe céleste avec toutes les figures dont on le compose. Sur le
mur du salon tout autour est peint le globe terrestre, avec toutes ses régions : ce qui n forme une
Consmographie complette. Ces peintures qui sont très-riches couvrent entierement les murailles.
Ailleurs sont représentées, en divers tableaux, les actions du Pape Paul III, & de la maison Farnese.
Les personnes y sont peintes si au naturel que ceux qui les ont vues reconnoissent au premier
coup-d’oeil, dans leurs portraits, notre Connétable, la Reine-mere, ses enfans, Charles IX, Henri III,
le Duc d’Alençon, la Reine de Navarre, & le Roi François II, l’aîné de tous, ainsi que Henri II,
Pierre Strozzi & autres. On voit dans une même salle aux deux bouts deux bustes, sçavoir d’un côté,
& à l’endroit le plus honorable, celui du Roi Henri II, avec une Inscription au dessous où il est
nommé le Conservateur de la maison Farnese ; & à l’autre bout, celui du Roi Philippe II, Roi
d’Espagne dont l’inscription porte : Pour les bienfaits en grand nombre reçus de lui. Au dehors, il
est aussi beaucoup de belles choses dignes d’être vues, & entr’autres, une grotte d’où l’eau
s’élançant avec art dans un petit lac, représente à la vue & à l’ouie la chûte d’une pluie naturelle.
Cette grotte est située dans un lieu désert & sauvage, & l’on est obligé de tirer l’eau de ses fontaines
à une distance de huit milles qui s’étend jusqu’à Viterbe.
De là, par un chemin égal & une grande plaine nous parvinmes a des prairies fort étendues, au
milieu desquelles, en certains endroits secs & dépouillés d’herbes, on voit bouillonner des sources
d’eau froide, assez pures, mais tellement impregnées de soufre, que de fort loin on en sent l’odeur.
Nous allâmes coucher à
MONTEROSSI, vingt-trois milles ; & le Dimanche premier Octobre à
ROME, vingt deux milles. On éprouvoit alors un très grand froid & un vent glacial de nord. Le
Lundi & quelques jours après, je sentis des crudités dans mon estomach ; ce qui me fit prendre le
parti de faire quelques repas tout seul, pour manger moins. Cependant j’avois le ventre libre, j’étois
assez dispos de toute ma personne, excepté de la tête qui n’étoit point entierement rétablie.
Le jour que j’arrivai à Rome, on me remit des lettres des Jurats de Bordeaux, qui m’écrivoient
fort poliment au sujet de l’élection qu’ils avoient faite de moi pour Maire de leur ville ; & me
prioient avec instance de me rendre auprès d’eux.
Le Dimanche 8 Octobre 1581, j’allai voir aux Thermes de Dioclétien à Monte-Cavallo, un Italien,
qui ayant été long-tems esclave en Turquie, y avoit appris mille choses très-rares dans l’art du
manege. Cet homme, par exemple, courant à toute bride, se tenoit droit sur la selle, & lançoit avec
force un dard, puis tout d’un coup il se mettoit en selle. Ensuite au milieu d’une course rapide,
appuyé seulement d’une main sur l’arçon de la selle, il descendoit de cheval touchant à terre du pied
droit, & ayant le gauche dans l’étrier ; & plusieurs fois on le voyoit ainsi descendre & remonter
alternativement. Il faisoit plusieurs tours semblables sur la selle, en courant toujours. Il tiroit d’un
arc à la Turque devant & derriere, avec une grande dextérité. Quelquefois appuyant sa tête & une
épaule sur le col du cheval, & se tenant sur ses pieds, il le laissoit courir à discrétion. Il jettoit en
l’air une masse qu’il tenoit dans sa main, & la rattrappoit à la course. Enfin, étant debout sur la
selle, & tenant de la main droite une lance, il donnoit dans un gant & l’enfiloit, comme quand on
court la bague. Il faisoit encore à pied tourner autour de son col devant & derriere une pique qu’il
avoit d’abord fortement poussée avec la main.
Le 10 Octobre après-dîner, l’Ambassadeur de France m’envoya un Estafier me dire de sa part
que si je voulois, il viendroit me prendre dans sa voiture pour aller ensemble voir les meubles du
Cardinal Ursin, que l’on vendoit parce qu’il étoit mort dans cet Eté même à Naples, & qu’il avoit
fait héritiere de ses grands biens une sienne Niéce, qui n’étoit éncore qu’un enfant. Parmi les choses
rares que j’y vis, il y avoit une couverture de lit de taffetas fourrée de plumes de cignes. On voit à
Sienne beaucoup de ces peaux de cigne conservées entieres avec la plume, & toutes préparées ; on
ne m’en demandoit qu’un écu & demi. Elles sont de la grandeur d’une peau de mouton, & une seule
suffiroit pour en faire une pareille couverture. Je vis encore un oeuf d’Autruche ciselé tout autour &
très-bien peint ; plus un petit coffre carré pour mettre des bijoux, & il y en avoit quelques-uns. Mais
comme ce coffre étoit fort artistement rangé, & qu’il y avoit des gobelets de cristal, en l’ouvrant, il
paroissoit qu’il fût de tous côtés, tant par-dessous que par-dessus, beaucoup plus large & plus
profond, & qu’il y eût dix fois plus de joyaux qu’il n’en renfermoit, une même chose se répétant
plusieurs fois, par la réflection des cristaux qu’on n’appercevoit pas même aisément.
Le Jeudi 12 Octobre, le Cardinal de Sens me mena seul en voiture avec lui, pour voir l’Eglise de
Saint-Jean & Saint-Paul ; il en est titulaire & supérieur, ainsi que de ces Religieux qui distillent les
eaux de senteur, dont nous avons parlé plus haut. Cette Eglise est située sur le Mont Celius,
situation qui semble avoir été choisie à dessein ; car elle est toute voûtée en dessous, avec de grands
corridors & des salles souterraines. On prétend que c’étoit là le Forum ou la place d’Hostilius. Les
jardins & les vignes de ces Religieux sont en très-belle vue ; on découvre delà l’ancienne Rome. Le
lieu par sa hauteur est escarpé, profond, isolé & presque inaccessible de toutes parts. Ce même jour
j’expédiai une malle bien garnie pour être transportée à Milan. Les voituriers mettent ordinairement
vingt jours pour s’y rendre. La malle pesoit en tout 150 liv., & on paye deux bajoques par livre ; ce
qui revient à deux sols de France. J’avois dedans plusieurs choses de prix, surtout un magnifique
chapelet d’Agnus Dei, le plus beau qu’il y eût à Rome. Il avoit été fait exprès pour l’Ambassadeur
de l’Impératrice, & un de ses Gentilshommes l’avoit fait bénir par le Pape.
Le Dimanche 15 Octobre, je partis de grand matin de Rome. J’y laissai mon frere en lui donnant
43 écus d’or, avec lesquels il comptoit y rester & s’exercer pendant cinq mois à faire des armes.
Avant mon départ de Rome, il avoit loué une jolie chambre pour 20 jules par mois. MM. d’Estissac,
de Montbaron, de Chase, Morens & plusieurs autres, m’accompagnerent jusqu’à la premiere poste.
Si même je ne m’étois pâs hâté, parce que je voulois éviter cette peine à ces Gentilshommes,
plusieurs d’entr’eux étoient encore tout prêts à me suivre, & avoient déja loué des chevaux. Tels
étoient MM. du Bellay, d’Ambres, d’Allegre, & autres. Je vins coucher à
RONSIGLIONE, trente milles. J’avais loué les chevaux jusqu’à Lucques, chacun à raison de
vingt jules, & le voiturier étoit chargé d’en payer la dépense.
Le Lundi matin je fus étonné de sentir un froid si aigu, qu’il me sembloit n’en avoir jamais
souffert de pareil, & de voir que dans ce canton les vendanges & la récolte du vin n’étoient pas
encore achevées. Je vins dîner à Viterbe où je pris mes fourrures, & tous mes accoutremens
d’hiver. De là je vins diner à
SAINT LAURENT, vingt-neuf milles ; & de ce bourg j’allai coucher à
SAN-CHIRICO, trente-deux milles. Tous ces chemins avoient été raccommodés cette année
même par ordre du Duc de Toscane, & c’est un ouvrage fort beau, très utile pour le public. Dieu
l’en récompense : car ces routes auparavant très-mauvaises sont maintenant très-commodes & fort
dégagées ; a peu-près comme les rues d’une ville. Il étoit étonnant de voir le nombre prodigieux de
personnes qui alloient à Rome. Les chevaux de voiture pour y aller étoient hors de prix ; mais pour
le retour, on les laissoit presque pour rien. Près de Sienne (& cela se voit en beaucoup d’autres
endroits), il y a un pont double, c’est-à-dire, un pont sur lequel passe le canal d’une autre riviere.
Nous arrivâmes le soir à
SIENNE, ving’ milles. Je souffris cette nuit pendant deux heures de la colique, & je crus sentir la
chûte d’une pierre. Le Jeudi de bonne heure, Guillaume Felix, Médecin Juif, vint me trouver ; il
discourut beaucoup sur le régime que je devois observer par rapport à mon mal de reins & au sable
que je rendois. Je partis à l’instant de Sienne ; la colique me reprit & me dura trois ou quatre heures.
Au bout de ce tems, je m’apperçus à la douleur violente que je sentois au bas ventre & à toutes ses
dépendances, que la pierre étoit tombée. Je vins souper à
PONTEALCE, vingt-huit milles. J’y rendis une pierre plus grosse qu’un grain de millet, avec un
peu de sable ; mais sans douleur, ni difficulté au passage. J’en partis le Vendredi matin, & en
chemin je m’arrêtai à
ALTOPASCIO, seize milles. J’y restai une heure pour faire manger l’avoine aux chevaux. Je
rendis encore là, sans beaucoup de peine & avec quantité de sable, une pierre longue, partie dure &
partie molle, plus grosse qu’un gros grain de froment. Nous rencontrâmes en chemin plusieurs
païsans, dont les uns cueilloient des feuilles de vignes qu’ils gardent pour en donner à manger
pendant l’hiver à leurs bestiaux ; les autres ramassoient de la fougere pour leur laitage. Nous vinmes
coucher à
LUCQUES, huit milles. Je reçus encore la visite de plusieurs Gentilshommes & de quelques
artisans. Le Samedi 21 Octobre au matin, je poussai dehors une autre pierre qui s’arrêta quelque
tems dans le canal, mais qui sortit ensuite sans difficulté ni douleur. Celle-ci étoit à peu-près ronde,
dure, massive, rude, blanche en-dedans, rousse en dessus, & beaucoup plus grosse qu’un grain ; je
faisois cependant toujours du sable. On voit par-là que la nature se soulage souvent d’elle-même ;
car je sentois sortir tout cela comme un écoulement naturel. Dieu soit loué de ce que ces pierres
sortent ainsi sans douleur bien vive, & sans troubler mes actions.
Dès que j’eus mangé un raisin (car dans ce voyage je mangeois le matin très-peu, même presque
rien), je partis de Lucques sans attendre quelques Gentilhommes qui se disposoient à m’accompagner.
J’eus un fort beau chemin, souvent très-uni. J’avois à ma droite de petites montagnes
couvertes d’une infinité d’oliviers, à gauche des marais, & plus loin la mer.
Je vis dans un endroit de l’Etat de Lucques une machine à demi-ruinée par la négligence du Gouvernement
; ce qui fait un grand tort aux campagnes d’alentour. Cette machine étoit faite pour
dessécher les marais & les rendre fertiles. On avoit creusé un grand fossé, à la tête duquel étoient
trois roues qu’un ruisseau d’eau vive roulant du haut de la montagne faisoit mouvoir
continuellement en se précipitant sur elles. Ces roues ainsi mises en mouvement puisoient d’une
part l’eau du fossé, avec les augets qui y étoient attachés, de l’autre la versoient dans un canal
pratiqué pour cet effet plus haut & de tous côtés entouré de murs, lequel portoit cette eau dans la
mer. C’étoit ainsi que se desséchoit tout le pays d’alentour.
Je passai au milieu de Pietra Santa, Château du Duc de Florence, fort grand, & où il y a
beaucoup de maisons, mais peu de gens pour les habiter, parce que l’air est, dit on, mauvais, qu’on
ne peut pas y demeurer, & que la plupart des habitans y meurent ou languissent. De là nous vinmes
à
MASSA DI CARRARA, vingt-deux milles, bourg appartenant au Prince de Massa, de la Maison
de Cibo. On voit sur une petite montagne un beau Château à mi côte entouré de bonnes murailles,
audessous duquel & tout autour sont les chemins & les maisons. Plus bas hors desdites murailles est
le bourg qui s’étend dans la plaine ; il est de même bien enclos de murs. L’endroit est beau, de
beaux chemins, & de jolies maisons qui sont peintes. J’étois forcé de boire ici des vins nouveaux ;
car on n’en boit pas d’autres dans le pays. Ils ont le secret de les éclaircir avec des copeaux de bois
& des blancs d’oeufs ; de maniere qu’ils lui donnent la couleur du vin vieux ; mais ils ont je ne sçai
quel goût qui n’est pas naturel.
Le Dimanche vingt-deux Octobre, je suivis un chemin fort uni, ayant toujours à main gauche la
mer de Toscane à la distance d’une portée de fusil. Dans cette route, nous vîmes, entre la mer &
nous, des ruines peu considérables que les habitans disent avoir été autrefois une grande Ville
nommée Luna.
De là, nous vinmes à Sarrezana, terre de la Seigneurie de Gênes. On y voit les armes de la
République, qui sont un Saint George à cheval ; elle y tient une Garnison Suisse. Le Duc de
Florence en étoit autrefois possesseur, & si le Prince de Massa n’étoit pas entre deux pour les
séparer, il n’est pas douteux que Pietra Santa & Sarrezana, frontieres de l’un & de l’autre Etats ne
fussent continuellement aux mains.
Au départ de Sarrezana, où nous fûmes forcés de payer quatre jules par cheval pour une poste, il
se faisoit de grandes salves d’artillerie pour le passage de Don Jean de Médicis, frere naturel du Duc
de Florence, qui revenoit de Gênes, où il avoit été de la part de son frere voir l’Impératrice, comme
elle avoit été visitée de plusieurs autres Princes d’Italie. Celui qui fit le plus de bruit par sa
magnificence ce fut le Duc de Ferrare ; il alla à Padoue au-devant de cette Princesse, avec quatre
cent carosses. Il avoit demandé à la Seigneurie de Venise la permission de passer par leurs terres
avec six cens chevaux, & ils avoient répondu qu’ils accordoient le passage, mais avec un plus petit
nombre. Le Duc fit donc mettre tous ses gens en carrosse, & les mena tous de cette maniere ; le
nombre des chevaux fut seulement diminué. Je rencontrai le Prince (Jean de Médicis) en chemin.
C’est un jeune homme bien fait de sa personne : il étoit accompagné de vingt hommes bien mis,
mais montés sur des chevaux de voiture ; ce qui en Italie ne deshonore personne, pas même les
Princes. Après avoir passé Sarrezana, nous laissâmes à gauche le chemin de Gênes.
Là, pour aller à Milan, il n’y a pas grande différence, de passer par Gênes ou par la même
route ; c’est la même chose. Je desirois voir Gênes & l’Impératrice qui y étoit. Ce qui m’en
détourna, c’est que pour y aller il y a deux routes, l’une à trois journées de Sarrezana qui a 40 milles
de chemin très-mauvais & très-montueux rempli de pierres, de précipices, d’auberges assez
mauvaises & fort peu fréquentées : l’autre route est par Lerice, qui est éloignée de trois milles de
Sarrezana. On s’y embarque, & en douze heures on est à Gênes. Or moi qui ne pouvois supporter
l’eau par la foiblesse de mon estomac, & qui ne craignois pas tant les incommodités de cette route
que de ne pas trouver de logement par la grande foule d’étrangers qui étoit à Gênes ; qui de plus
avois entendu dire, que les chemins de Gênes à Milan n’étoient pas trop sûrs, mais infestés de voleurs
; enfin qui n’étois plus occupé que de mon retour en France, je pris le parti de laisser là Gênes,
& je pris ma route à droite entre plusieurs montagnes. Nous suivîmes toujours le bas du vallon le
long du fleuve Magra, que nons avions à main gauche. Ainsi passant tantôt par l’Etat de Gênes,
tantôt par celui de Florence, tantôt par celui de la Maison Malespina, mais toujours par un chemin
praticable & commode, à l’exception de quelques mauvais pas, nous vinmes coucher à
PONTEMOLLE, trente milles. C’est une ville longue fort peuplée d’anciens édifices qui ne sont
pas merveilleux. Il y a beaucoup de ruines. On prétend qu’elle se nommoit anciennement Appua ;
elle est actuellement dépendante de l’Etat de Milan, & elle appartenoit récemment aux Fiesques. La
premiere chose qu’on me servit à table fut du fromage tel qu’il se fait vers Milan & dans les
environs de Plaisance, puis de très-bonnes olives sans noyau, assaisonnées avec de l’huile & du
vinaigre en façon de salade & à la mode de Gênes. La Ville est située entre des montagnes & à leur
pied. On servoit pour laver les mains un bassin plein d’eau posé sur un petit banc, & il falloit que
chacun se lavât les mains avec la même eau.
J’en partis le Lundi matin 23, & au sortir du logis je montai l’Appennin, dont le passage n’est ni
difficile ni dangereux, malgré sa hauteur. Nous passâmes tout le jour à monter & à descendre des
montagnes, la plûpart sauvages & peu fertiles, d’où nous vinmes coucher à
FORNOUE, dans l’Etat du Comte de Saint-Second, trente milles. Je fus bien content quand je
me vis délivré de ces frippons de montagnards qui rançonnent impitoyablement les voyageurs sur la
dépense de la table & sur celle des chevaux. On me servit à table différens ragoûts à la moutarde,
fort bons ; il y en avoit un, entr’autres, fait avec des coings. Je trouvai ici grande disette de chevaux
de voiture. Vous êtes entre les mains d’une nation sans regle & sans foi à l’égard des étrangers. On
paye ordinairement deux jules par cheval chaque poste ; on en exigeoit ici de moi trois, quatre &
cinq par poste, de façon que tous les jours il m’en coutoit plus d’un écu pour le louage d’un cheval,
encore me comptoit-on deux postes où il n’y en avoit qu’une.
J’étois en cet endroit éloigné de Parme de deux postes, & de Parme à Plaisance la distance est la
même, que de Fornoue à la derniere, de sorte que je n’allongeois que de deux postes ; mais je ne
voulus pas y aller pour ne pas déranger mon retour, ayant abandonné tout autre dessein. Cet endroit
est une petite campagne de six ou sept maisonnettes, située dans une plaine le long du Taro : je
crois que c’est le nom de la riviere qui l’arrose. Le Mardi matin nous la suivîmes long tems, & nous
vinmes dîner à
BORGO S. DONI, douze milles, petit Château que le Duc de Parme commence à faire entourer
de belles murailles flanquées. On m’y servit à table de la moutarde composée de miel & d’orange
coupée par morceaux, en façon de cotignac à demi cuit.
De là laissant Crémone à main droite, & à même distance que Plaisance, nous suivîmes un
très-beau chemin dans un pays où l’on ne voit, tant que la vue peut s’étendre à l’horison, aucune
montagne ni même aucune inégalité, & dont le terrein est très-fertile. Nous changions de chevaux
de poste en poste ; je fis les deux dernieres au galop pour essayer la force de mes reins, je n’en fus
pas fatigué ; mon urine étoit dans son état naturel.
Près de Plaisance il y a deux grandes colonnes placées aux deux côtés du chemin à droite & à
gauche, & laissant entr’elles un espace d’environ quarante pas. Sur la base de ces colonnes est une
inscription latine, portant défense de bâtir entr’elles, & de planter ni arbres, ni vignes. Je ne sais si
l’on veut par-là conserver seulement la largeur du chemin, ou laisser la plaine découverte telle
qu’on la voit effectivement depuis ces colonnes jusqu’à la ville, qui n’en est éloignée que d’un
demi-mille. Nous allâmes coucher à
PLAISANCE, vingt milles : Ville fort grande. Comme j’y arrivai bien avant la nuit, j’en fis le
tour de tous côtés pendant trois heures. Les rues sont fangeuses, & non pavées ; les maisons
petites. Sur la place, qui fait principalement sa grandeur, est le Palais de la Justice, avec les prisons ;
c’est-là que se rassemblent tous les Citoyens. Les environs sont garnis de boutiques de peu de
valeur.
Je vis le Château qui est entre les mains du Roi Philippe. Sa garnison est composée de trois cens
soldats Espagnols mal payés, à ce qu’ils me dirent eux-mêmes. On sonne la Diane matin & soir
pendant une heure, avec les instrumens que nous appellons hautbois, & eux fiffres. Il y a là dedans
beaucoup de monde, & de belles pieces d’artillerie. Le Duc de Parme qui étoit alors dans la Ville ne
va jamais dans le Château que tient le Roi d’Espagne ; il a son logement à part dans la Citadelle, qui
est un autre Château situé ailleurs. Enfin, je n’y vis rien de remarquable, sinon le nouveau bâtiment
de Saint-Augustin que le Roi Philippe a fait construire à la place d’une autre Eglise de Saint-
Augustin, dont il s’est servi pour la construction de ce Château, en retenant une partie de ses revenus.
L’Eglise qui est très-bien commencée n’est pas encore finie ; mais la maison conventuelle,
ou le logement des Religieux qui sont au nombre de soixante-dix, & les Cloîtres qui sont doubles,
sont entierement achevés. Cet édifice, par la beauté des corridors, des dortoirs, des différentes
usines & d’autres pieces, me paroît le plus somptueux & le plus magnifique bâtiment pour le
service d’une Eglise que je me souvienne d’avoir vu en aucun autre endroit. On met ici le sel en
bloc sur la table, & le fromage se sert de même en masse sans plat.
Le Duc de Parme attendoit à Plaisance l’arrivée du fis ainé de l’Archiduc d’Autriche, jeune Prince
que je vis à Insprug, & l’on disoit qu’il alloit à Rome pour se faire couronner Roi des Romains.
On vous présente encore ici l’eau pour la mêler avec le vin, avec une grande cuillier de laiton. Le
fromage qu’on y mange ressemble à celui qui se vend dans tout le Plaisantin. Plaisance est
précisément à moitié chemin de Rome à Lyon. Pour aller droit à Milan, je devois aller coucher à
MARIGNAN, distance de trente milles, d’où à Milan il y en a dix ; j’allongeai mon voyage de
dix milles pour voir Pavie. Le Mercredi 25 Octobre je partis de bonne heure, & je suivis un beau
chemin dans lequel je rendis une petite pierre molle & beaucoup de sable. Nous traversâmes un
petit Château appartenant au Comte Santafiore. Au bout du chemin, nous passâmes le Pô sur un
pont volant établi sur deux barques avec une petite cabane, & que l’on conduit avec une longue
corde, appuyée en divers endroits sur des batelets rangés dans le fleuve, les uns vis à-vis des autres.
Près de là le Tesin mêle ces eaux à celles du Pô. Nous arrivâmes de bonne heure à
PAVIE, trente milles. Je me hâtai d’aller voir les principaux monumens de cette Ville : le pont -
sur le Tesin, l’Eglise Cathédrale & celles des Carmes, de Saint Thomas, de Saint Augustin ; dans la
derniere, est le riche tombeau du Saint Evêque en marbre blanc & orné de plusieures statues. Dans
une des places de la Ville, on voit une colonne de briques sur laquelle est une statue qui paroît faite
d’après la statue équestre d’Antonio le Pieux qu’on voit devant le Capitole à Rome. Celle-ci plus
petite ne sçauroit être comparée à l’original ; mais ce qui m’embarrassa, c’est qu’au cheval de la
statue de Pavie il y a des étriers & une selle, avec des arçons devant & derriere, tandis que celui de
Rome n’en a pas. Je suis donc ici de l’opinion des Savans, qui regardent les étriers & les selles, au
moins tels que ceux-ci, comme une invention moderne. Quelque Sculpteur ignorant peut-être a cru
que ces ornemens manquoient au cheval. Je vis encore les premiers ouvrages du bâtiment que le
Cardinal Borromée faisoit faire pour l’usage des Etudians.
La Ville est grande, passablement belle, bien peuplée, & remplie d’artisans de toute espece. Il y
a peu de belles maisons, & celle même où l’Impératrice a logé dernierement est peu de chose. Dans
les armes de France que je vis, les lys sont effacés ; enfin il n’y a rien de rare. On a dans ces
cantons-ci les chevaux à deux jules par poste. La meilleure auberge où j’eusse logé depuis Rome
jusqu’ici, étoit la poste de Plaisance, & je la crois la meilleure d’ltalie, depuis Vérone ; mais la plus
mauvaise hôtellerie que j’aye trouvé dans ce voyage est le Faucon de Pavie. On paye ici & à Milan
le bois à part, & les lits manquent de matelas.
Je partis de Pavie le Jeudi 26 Octobre ; je pris à main droite à la distance d’un demi-mille du
chemin direct, pour voir la plaine où l’on dit que l’armée du Roi François I, fut défaite par Charles-
Quint, ainsi que pour voir la Chartreuse qui passe avec raison pour une très-belle Eglise. La façade
de l’entrée est toute de marbre, richement travaillée, d’un travail infini, & d’un aspect imposant.
On y voit un devant d’Autel d’ivoire, où sont représentés en relief l’Ancien & le Nouveau
Testament, & le Tombeau de Jean Galeas Visconti, Fondateur de cette Eglise, en marbre. On
admire ensuite le Choeur, les ornemens du Maître-Autel, & le Cloître qui est d’une grandeur
extraordinaire & d’une rare beauté. La maison est très-vaste ; & à voir la grandeur & la quantité des
divers bâtimens qui la composent, à voir encore le nombre infini de domestiques, de chevaux, de
voitures, d’ouvriers & d’artisans qu’elle renferme, elle semble représenter la Cour d’un très-grand
Prince. On y travaille continuellement avec des dépenses incroyables qui se font sur les revenus de
la maison. Cette Chartreuse est située au milieu d’une très-belle prairie. De là nous vinmes à
MILAN, vingt milles. C’est la Ville d’Italie la plus peuplée ; elle est grande, remplie de toutes
sortes d’artisans & de marchands. Elle ressemble assez à Paris, & a beaucoup de rapport avec les
Villes de France. On n’y trouve point les beaux Palais de Rome, de Naples, de Gênes, de Florence ;
mais elle l’emporte en grandeur, & le concours des Etrangers n’y est pas moindre qu’à Venise. Le
Vendredi, 27 Octobre, j’allai voir les dehors du Château, & j’en fis presqu’entierement le tour.
C’est un édifice très-grand, & admirablement fortifié. La Garnison est composée de sept cent
Espagnols au moins, & très-bien munie d’artillerie. On y fait encore des réparations de tous côtés.
Je m’arrêtai là pendant tout le jour à cause d’une abondante pluie qui survint. Jusqu’alors le tems, le
chemin, tout nous avoit été favorable. Le Samedi 28 Octobre au matin, je partis de Milan par un
beau chemin, très-uni ; quoiqu’il plût continuellement, & que tous les chemins fussent couverts
d’eau, il n’y avoit point de boue, parce que le pays est sablonneux. Je vins dîner à
BUFFALORA, dix huit milles. Nous passâmes là le Naviglio sur un pont. Le canal est étroit,
mais tellement profond qu’il transporte à Milan de grosses barques. Un peu plus en deça nous
passâmes en bateau le Tesin, & vinmes coucher à
NOVARRE, vingt huit milles, petite Ville, peu agréable, située dans une plaine. Elle est entourée
de vignes & de bosquets ; le terrein en est fertile. Nous en partîmes le matin, & nous nous arrêtames
le tems qu’il fallut pour faire manger nos chevaux à
VERCEIL, dix milles, Ville du Piémont au Duc de Savoie, située encore dans une plaine, le long
de la Sesia, riviere que nous passâmes en bateau. Le Duc a fait construire en ce lieu à force de
monde, & très-promptement, une jolie forteresse, autant que j’en ai pu juger par les ouvrages de dehors
; ce qui a causé de la jalousie aux Espagnols qui sont dans le voisinage. De là nous traversâmes
deux petits Châteaux, Saint-Germain & Saint Jacques, & suivant toujours une belle plaine, fertile
principalement en noyers (car dans ce pays il n’y a point d’oliviers, ni d’autre huile que de l’huile
de noix), nous allâmes coucher à
LIVORNO, vingt-milles, petit Village assez garni de maisons. Nous en partîmes le Lundi de
bonne heure, par un chemin très-uni ; nous vinmes dîner à
CHIVAS, dix milles. Après avoir passé plusieurs rivieres & ruisseaux, tantôt en bateau, tantôt à
pié, nous arrivâmes à
TURIN, (dix milles), où nous aurions pu facilement être rendus avant le dîner. C’est une petite
Ville, située en un lieu fort aquatique, qui n’est pas trop bien bâtie, ni fort agréable, quoiqu’elle soit
traversée par un ruisseau qui en emporte les immondices. Je donnai à Turin cinq écus & demi par
cheval, pour le service de six journées jusqu’à Lyon : leur dépense sur le compte des Maîtres. On
parle ici communément François & tous les gens du pays paroissent fort afféctionnés pour la
France. La langue vulgaire n’a presque que la prononciation Italienne, & n’est au fond composée
que de nos propres expressions. Nous en partîmes le Mardi, dernier Octobre, & par un long chemin,
mais toujours uni, nous vinmes dîner à
S. AMBROISE, deux postes. De là, suivant une plaine étroite entre les montagnes, nous allâmes
coucher à
SUZE, deux postes. C’est un petit Château peuplé de beaucoup de maisons. J’y ressentis, pendant
mon séjour, au genou droit, une grande douleur qui me tenoit depuis quelques jours, & alloit
toujours en augmentant. Les hôtelleries y sont meilleures qu’aux autres endroits d’Italie : bon vin,
mauvais pain, beaucoup à manger.
Les aubergistes sont polis, ainsi que dans toute la Savoie. Le jour de la Toussaint, après avoir
entendu la Messe j’en partis & vins à
NOVALESE, une poste. Je pris là huit Marrons pour me faire porter en chaise jusqu’au haut du
Mont Cenis, & me faire ramasser de l’autre côté.