« Le Journal d’une dame de la cour au temps de George Ier/02 » : différence entre les versions

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SECONDE PARTIE <ref> Voyez la ''Revue'' du 1er septembre. </ref>
 
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Ces deux points, nous les accorderons d’autant plus volontiers qu’une première lecture du ''Diary'' nous avait justement laissé sous l’impression qu’un résumé succinct serait tout à fait en rapport avec la valeur de ce document historique. Néanmoins, en y songeant mieux et après une nouvelle lecture, il nous a semblé que lé véritable attrait qui nous y avait convié n’était point dans le témoignage, — quelquefois précieux cependant, — ajouté à la somme des mémoires historiques déjà existans, qu’il était au contraire dans le
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développement graduel, très naïvement, très involontairement exposé, d’un caractère complexe aux prises avec une situation particulière. La grande dame anglaise, la femme de cour chez nos voisins au commencement du siècle dernier, voilà surtout l’objet qui sollicitait notre curiosité et qui peut-être sera jugé digne de quelque intérêt. Les circonstances qui mettent en relief la simplicité, la droiture de cette femme d’élite épousée par amour, ne sont probablement pas assez romanesques pour les esprits blasés auxquels les péripéties d’une intrigue violente peuvent seules communiquer une certaine émotion; cependant une intelligence amoureuse du vrai pourra sans doute se complaire dans l’analyse des détails qui lui font connaître à fond, en même temps que la personne même de lady Cowper, le milieu brillant où le sort l’avait placée, les difficultés de tout genre quelle rencontra sur son chemin, les périls assez sérieux contre lesquels il lui fallut se tenir en garde. Il demeure évident que sa remarquable beauté avait frappé le roi George Ier, jusqu’alors assez mal partagé sous ce rapport, et à qui l’opinion publique, par un bizarre caprice, faisait en quelque sorte un blâme de tout ce qui manquait à ses favorites allemandes. Le prince de Galles lui-même, fort peu recommandable par sa fidélité conjugale, et qui s’attacha très sérieusement à une femme infiniment moins séduisante que ne devait l’être lady Cowper, avait pour celle-ci, non peut-être un penchant décidé, mais une bonne volonté d’affection qui se traduisait quelquefois par de singulières et très caressantes effusions. La moindre coquetterie, — j’entends de celles que s’interdisent les femmes sérieusement et absolument irréprochables, — eût donc mis le monarque ou l’héritier présomptif de la couronne aux pieds de la femme du lord-chancelier. La faveur déclarée de l’un ou de l’autre, exploitée selon les us et coutumes du temps par une personne aussi au courant des affaires politiques, pouvait devenir une puissance durable, et qui, dans les idées alors reçues, eût trouvé plus de courtisans que de détracteurs. Les « bons conseils » en ce sens, les insinuations tentatrices, ne manquèrent pas à la ''dame du palais''; ils la trouvèrent sourde et bien résolue à ne pas déchoir dans sa propre estime. Et cependant, — si la tentation n’était pas bien pressante sous certains rapports malgré le prestige du rang et le reflet de la royauté, — de puissantes considérations eussent milité en faveur d’un parti-pris moins sévère, ne fût-ce que l’agrandissement de la famille, l’accroissement d’un crédit déjà fondé, la perspective d’un premier rôle dans la politique du temps. Convenons qu’il y avait là sujet à réflexion et à lutte intérieure, surtout quand une disgrâce imméritée vint atteindre lord Cowper, et quand ses désaccords avec ses collègues semblèrent rendre imminente la
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résolution qu’il manifestait souvent de renoncer à la vie de cour. Plus jeune et moins désenchantée que son mari, lady Cowper se résignait bien à lui faire le sacrifice du rang où elle avait été élevée, et qu’elle lui devait en partie; mais on voit que cette vertueuse résolution lui coûtait plus d’un regret, fort concevable après tout, et, pour les gens doués d§ quelque expérience, cette situation délicate, cette lutte du devoir contre les penchans, les intérêts personnels, constitue un drame complet, plus émouvant dans sa réalité que la plupart des combinaisons auxquelles le romancier et l’auteur dramatique demandent leurs succès ordinaires.
 
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Ainsi que nous l’avons déjà vu, cette année mémorable fut tristement inaugurée par les supplices qui donnaient le baptême de sang à la dynastie hanovrienne. Elle vit ensuite se produire une des plus graves modifications constitutionnelles qui aient réglé le mouvement de l’organisme parlementaire. Depuis l’année 1694, la durée de chaque législature était restée fixée à trois ans. Sous le coup des pressantes nécessités que lui faisait l’insurrection de 1715, l’administration whig, ayant à redouter le résultat des élections alors imminentes, fit abolir le bill triennal. Ce bill avait été voté en mémoire et en haine du despotisme de Charles II, qui, dix-sept années durant, avait gouverné avec la même représentation des communes,
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espèce de chambre introuvable qu’aucune élection, — il le savait de reste, — ne lui aurait rendue aussi complaisante et aussi dévouée. Il faut reconnaître que le mandata court terme (on le recommande pourtant de nos jours encore comme une espèce de panacée parlementaire) n’avait point donné les résultats attendus. Les représentans du pays, élus pour trois ans au lieu de l’être pour sept, ne s’étaient montrés ni plus indépendans ni moins corruptibles. Aussi beaucoup d’esprits distingués ont-ils cru voir dans le retour à la septennalité (mesure dont la légalité a d’ailleurs subi plus d’une critique) le point de départ d’une situation nouvelle; l’émancipation des communes, jusque-là plus subordonnées que de raison soit à l’autorité de la couronne, soit à l’ascendant de la pairie, date pour eux de cette mesure.
 
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Quant au troisième grand événement de l’année 1716, — le traité qui changea les relations de la France et de la Grande-Bretagne, non sans un immense profit ultérieur pour l’un et l’autre pays, — c’est à coup sûr celui qui toucherait nos lecteurs de plus près; mais lord Cowper, très mêlé aux affaires intérieures des trois royaumes et aux débats de la famille royale, ne le fut guère aux négociations qui se suivaient, soit à La Haye, soit à Herrenhaus en. Le soin de les mener échut spécialement à Stanhope, aux deux Walpole
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(Robert et son frère Horace), enfin à Townshend, dont elles amenèrent la disgrâce momentanée. Aussi n’en trouvons-nous presque aucune trace dans l’écrit qui nous occupe; dès lors nous n’avons sans doute pas à y insister, et maintenant que notre mission de commentateur nous semble remplie, nous reprenons, au point où elle en était restée, la suite de nos extraits.
 
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27 février. — Lord Nottingham est destitué, contre l’avis de mon mari, qui voulait faire ajourner cette mesure sévère, et ne punir qu’après un nouveau méfait.
 
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29 février. — J’ai eu pour convives M. et Mme Robethon, lady Powlett et Mme de Gouvernet (la plus aimable sexagénaire du monde). M. Robethon m’a chargée de proposer à mylord d’échanger sa place de chancelier contre celle de président du conseil; j’ai dû lui communiquer cette proposition ; mylord refuse positivement. Il est prêt à quitter la partie, si ses collègues le désirent, mais ne veut aucunement admettre que ses fonctions actuelles soient changées. M. Robethon me prie d’insister, l’affaire étant ainsi arrangée, à ce qu’il assure, par les puissances du moment.
 
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Le roi, très las d’elle, la supportait par habitude et aussi à cause du crédit qu’elle trouvait à la cour de France, dont elle était l’instrument. A l’appui de ceci, la duchesse de Monmouth nous citait le langage tenu par ce prince dans la chambre même de sa maîtresse un jour où, les médecins ayant déclaré qu’il lui restait à peine une demi-heure de vie, elle avait envoyé chercher son royal amant pour prendre congé de lui et recommander leur fils à sa protection. Un des seigneurs de la cour s’approcha de la fenêtre, où le
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roi se tenait assez négligemment accoudé, pour lui offrir quelques complimens de condoléance. — ''God’s fîsh'', mon cher lord, interrompit ce prince avec son juron favori, sachez que je ne crois pas le premier mot de cette prétendue crise. La dame se porte mieux que vous et moi. Seulement il lui est venu quelque fantaisie qu’il faudra trouver moyen de satisfaire. Ce que je vous dis là, je vous le garantis aussi sûrement que si j’étais dans sa peau <ref> Relire la lettre de Mme de Sévigné du 30 mars 1672, où elle traite avec une gaîté si méprisante « la Kerooal » et les vues intéressées de cette noble aventurière. </ref>.
 
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Deux lettres de M. d’Uxelles <ref> Le maréchal d’Uxelles, alore ministre des affaires étrangères. </ref> à M. d’Iberville, qu’on a pu intercepter, montrent la France peu disposée à rompre avec l’Angleterre. Il y a des négociations entamées par M. Devenvorde <ref> Ambassadeur des états auprès du gouvernement anglais. </ref>, dont il faut,
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disent ces lettres, caresser d’abord la vanité, pour en venir après à lui montrer que le succès de l’affaire lui serait personnellement profitable. Les Français ont en aversion notre ambassadeur, le comte de Stairs.
 
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16 avril. — La princesse n’est point allée entendre la suite des débats. On m’apprend que lord Nottingham, récapitulant ce que mylord Cowper avait dit samedi dernier, en a fait le sujet des attaques les plus violentes et les moins parlementaires. Son frère et lord Trevor l’aidaient de leur mieux; mais mylord a mené l’affaire contre tous les trois de manière; A leur donner regret de l’avoir ainsi pris à partie.
 
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Pendant un dîner chez lady Powlett, Mlle Schutz s’est plainte que nous traitions les étrangers avec trop peu d’égards; Il faudrait, pour satisfaire ses idées sur les préséances respectives, que l’on fît passer sa femme de chambre avant la duchesse de Somerset. Je me permets néanmoins de penser que nous avons accordé à Mlle Schutz plus de civilités qu’elle n’en mérita, mille fois plus, en tout cas, qu’elle n’en obtient de ses compatriotes, qui la traitent, pour parler français, ''de haut en bas''. Si elle n’était la nièce de son oncle, et si cet oncle ne jouissait d’un immense crédit, personne ne pourrait endurer ses incartades.
19 avril. — Émotion générale causée par la mort de lady Sunderland! <ref>Fille de la duchesse de Marlborough. </ref>. La duchesse de Marlborough paraît fort affectée ; mais chez elle pareils chagrins ne durent guère. En réalité, — non pas en apparence, — elle vivait aussi mal avec cette fille qu’avec ses autres enfans, qui tous la détestent. Lady Sunderland avait mieux que les autres su garder les dehors de l’affection filiale ; mais la duchesse ne se trompait guère sur les mobiles intéressés de sa conduite, et la tenait au fond en médiocre estime.
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26 juin. — Le baron de Bernstorff promet tous ses efforts; mais il craint que le roi et son fils ne puissent jamais s’entendre sur les conditions à faire au prince. Provisoirement on évitera de saisir la chambre du débat relatif à la régence. Le baron va chez la princesse, de là chez le prince, puis il revient à moi, se plaignant de ne pas trouver le prince assez facile aux concessions. Le prince donne cependant carte blanche à lord Cowper, qui se rend chez le roi en compagnie de Bernstorff. Lord Sunderland et lord Townshend insistent pour que le prince se soumette à de nouvelles restrictions ; lord Cowper leur résiste avec succès. Le baron de Bernstorff vient
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me dire que tout s’arrange, puis il court chez la princesse, que le détail des nouvelles comble de joie.
 
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« Voilà ce que j’ai à vous dire en réponse à votre lettre. Je souhaite que vous en
profitiez, et vous mettiez en état de mériter mon amitié. » « GEORGB R. »</ref>. La princesse croit y reconnaître le style de Robethon. En s’y prenant avec adresse, on pourrait certainement acheter un
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pareil drôle. Je rencontre sa femme le soir même chez lady Powlett. Il paraît qu’une pension a été promise par le prince à M. Robethon, lequel se défend d’avoir en rien trempé dans cette dernière affaire. Mensonges que tout cela! Je me souviens fort bien de ce qu’il nous disait, à mylord et a moi, relativement à la régence.
 
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Lord Lovat <ref> Le fameux Simon Fraser, lord Lovat, exécuté en 1745 peur avoir pris une grande part à cette dernière tentative des Stuarts exilés. </ref> est venu le soir au conseil, amenant un individu nommé Barnes. Cet homme a dénoncé sous serment certains propos tenus par deux Sulivant, cousins de cet autre Sulivant exécuté l’année dernière au mois d’octobre, et dont le crâne figure encore sur ''Temple-Bar''. S’il les en faut croire, le frère de ce supplicié a conçu le projet d’assassiner le roi dans une forêt située entre Utrecht et Loo. Il se servirait pour cela du « parti bleu, » à la tête duquel il
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a été mis. — On appelle ainsi un détachement de quelque croquante hommes habitués à battre l’estrade et à rançonner le pays. — Les deux auteurs de cette sinistre révélation n’ont pas manqué d’être sur-le-champ mis en prison. Ce même lord Lovat fut naguère accusé de rapt. Sa victime était une des sœurs du duc d’Athol. Depuis lors, il n’osait plus se produire dans le monde, et n’y a effectivement reparu que lorsqu’il s’est vu gracié pour prix de ses bons services en Ecosse,
 
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Arrêts de mort contre vingt-quatre rebelles, qui seront tous
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gracié, à l’exception du juge Hall et du curé Paul <ref> Le premier était juge de paix dans le Northumberland. Le second, William Paul, appartenait à l’église officielle. Tous deux, traînés sur la claie de Newgate à Tyburn, y furent effectivement exécutés pour haute trahison. </ref>. Le duc de Marlborough est fort malade; il part cette semaine pour son château et de là pour Bath. Mistress Clayton prétend qu’il est demeuré étranger à tout ce qui s’est pratiqué; les autres agissaient sans lui faire part d’aucune de leurs résolutions. J’aurais pu lui demander, cela étant, de m’expliquer les deux visites que mylord Cadogan a faites le même jour à Saint-AIbans; mais je n’entends me mêler à tous ces ''imbroglios'' que si je ne puis faire autrement. Tout le monde est persuadé que la duchesse de Marlborough a reçu cinq mille livres sterling pour faire obtenir la pairie à lord Saint-John.
 
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16 juillet. — La duchesse de Roxburgh, tout en affirmant qu’elle n’approuve pas l’expulsion du duc d’Argyle, recommandait à la princesse de ne plus l’admettre auprès d’elle. — Pourquoi cela?
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lui a-t-il été répondu. Le roi lui permet de venir à la cour, et je regarderais le prince comme coupable d’ingratitude, s’il manquait aux gens qui ont souffert pour sa cause.
 
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Le duc de Marlborough et ses amis ont un nouveau plan de campagne pour les prochaines sessions. Lord Townshend sera remercié (la duchesse de Munster m’en avait prévenue avant son départ). M. Methuen restera et aura les sceaux en l’absence de Stanhope.
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Walpole sera mis de côté; lord Carnarvon le remplacera. (Il se vante d’avoir refusé en disant que ces changemens de personnes font présager quelque immonde besogne, et qu’il n’est point assez pauvre pour s’en charger.) Au chancelier, trop peu accommodant, on devait substituer M. Vernon; mais, toute réflexion faite, M. Lechmere a paru le seul personnage en état de gouverner Westminster-Hall. Le vrai, c’est que, jaloux de la grande réputation de mylord, ses collègues (sans en prévenir M. de Bernstorff) songeaient à le remplacer par le ''lord-chief-justice'' Parker. Pendant que s’agitaient ces diverses combinaisons, je ne bougeais guère du logis, et j’y avais fort à faire pour empêcher mon mari de se démettre. Trois semaines au moins s’écoulèrent avant que je l’eusse décidé à ne pas abandonner la partie.
 
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A Hampton-Court, on dormait sur la foi des traités. La maladie
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du duc rassurait les plus poltrons, et on ne remarquait pas assez que la duchesse, maintenant en possession de la bourse conjugale, en disposait plus largement que son mari ne l’avait jamais fait <ref> Marlborough, immensément riche, était si avare que, pour se rendre chez lui au sortir des ''assemblées'' de Bath, il regardait à la dépense d’un fiacre, même par une soirée humide et froide. </ref>. On ne tenait pas compte des avantages qu’elle obtenait de son époux affaibli pour leur gendre Sunderland et pour ses enfans, enrichis aux dépens de lady Godolphin, la belle-sœur du ministre. Lord Townshend avait entrepris la conquête du prince, et parvint en effet à s’insinuer fort avant dans ses bonnes grâces; en revanche, il traitait maintenant la princesse avec une indifférence voisine du mépris. Jamais conduite ne parut si surprenante que la sienne à ce moment-là. Il faisait assidûment sa cour à mistress Howard, à miss Ballandine, à toutes les favorites en herbe ou en gerbe, et, vis-à-vis de la princesse, à peine se montrait-il respectueux. Perspicace comme elle l’est, nul doute qu’elle ne ressentit plus qu’une autre ce manque d’égards. Je priai donc M. Woodford de remontrer à lord Townshend combien il faisait fausse route et combien il était intéressant pour les ministres d’avoir la princesse dans leur jeu. Lord Cowper lui parla dans le même sens, et de fait l’attitude de son collègue se modifia très promptement du tout au tout. La princesse, satisfaite de lui, n’eut plus aucun sujet de trouble; mais alors recommencèrent les menées de Townshend contre mylord au profit de ce même Parker, que mon mari avait fait lui-même ''chief-justice'', et que son rival était venu en quelque sorte lui souffler sous le nez. Il agissait tout aussi activement contre l’archevêque. Ni le prince ni la princesse ne prêtaient l’oreille à ses malveillantes insinuations.
 
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En prenant congé de lord Townshend, lord Sunderland lui protesta mille fois qu’il ne ferait rien pour desservir aucun des membres de l’administration auprès du monarque, et qu’il avait pour
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unique visée le prompt retour de sa majesté. Je ne sais si l’autre prit au sérieux ces belles paroles; mais l’événement prouva combien elles étaient peu sincères. Le premier résultat des secrètes menées du gendre de Marlborough fut la disgrâce de Townshend, disgrâce honorablement déguisée par l’offre qui lui fut faite de la vice-royauté d’Irlande, laquelle tout d’abord il crut devoir refuser malgré les instances de Stanhope. Ce dernier devint alors peu à peu, avec Sunderland, le ministre dirigeant <ref> Il était resté, de tous ces revirement ministériels, de toutes ces intrigues menées à la fois en Hanovre et en Angleterre, quelques soupçons sur la sincérité de Stanhope. Lord Mahon, héritier du nom, a voulu justifier son ancêtre, et cette apologie, pour laquelle il lui a fallu entrer dans les détails les plus compliqués, est un des morceaux les plus curieux de son très remarquable ouvrage sur l’histoire de ce temps-là. — Voyez le chapitre VII de l’''History of England'', etc. </ref>.
 
Le 28 octobre, nous quittâmes Hampton-Court. Les dames d’honneur revinrent par eau, sur la même ''barge'' que le prince et la princesse. Il faisait merveilleusement beau, et la traversée fut aussi agréable que possible. Rien ne pouvait donner une meilleure idée de la richesse et de la prospérité du royaume que les tableaux successivement déroulés devant nous. Le dimanche suivant, qui fut le 4 novembre, la princesse ressentit les premières douleurs de l’enfantement, sur quoi le conseil fut aussitôt réuni. On avait appelé une sage-femme de mine assez peu rassurante (car elle ressemblait comme deux gouttes d’eau à l’envoyé de France), et sir David Hamilton devait opérer comme médecin assistant. Les dames de la suite insistaient pour qu’il délivrât lui-même la princesse, qui ne voulut jamais en entendre parler. Le conseil tint séance toute la nuit; mais aucun symptôme décisif ne se manifesta. Le mardi, la princesse eut un accès de frissons très violens et très persistans. Sauf les Allemands, tout le monde prit peur. Le conseil envoya chercher Mme de Buckenburgh, et la chargea de dire au prince qu’on le suppliait de faire accoucher la princesse par sir David Hamilton. Cette requête lui déplut, et je fus stupéfaite, le mercredi matin, de voir le sens dessus dessous que causait cette; grande affaire. La sage-femme avait formellement refusé ses soins, à moins que leurs altesses ne s’engageassent à la soutenir contre « les grandes dames anglaises,» qui, prétendait-elle, avaient menacé de la faire pendre, si les choses tournaient mal. Ceci mit le prince dans une telle colère qu’il parlait tout uniment de « jeter par les fenêtres » quiconque avait tenu de pareils propos, et prétendrait s’ingérer dans, ses affaires privées. Les duchesses de Saint-Albans et de Bolton, que le hasard amenait tout à propos dans la chambre où il tenait ce rude langage, reçurent directement L’apostrophe. A l’instant même, tout
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changea d’aspect. On ne parla plus que dans les termes les plus rassurans des bons soins, des favorables symptômes qui devaient faire compter sur une heureuse issue. Il n’y eut pas jusqu’à lord Townshend lui-même qui, pour se faire de fête et se montrer bon serviteur, venant à rencontrer la sage-femme dans une antichambre, courut lui prendre la main, la lui secoua cordialement, et, après ce bel exorde, demeura muet vis-à-vis d’elle, car il ne sait pas un mot d’allemand, à lui adresser toute sorte de grimaces plus affectueuses les unes que les autres. Voilà le suprême de la politique et le grand art de faire sa cour !
 
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Le ''Journal'' de lady Cowper, ainsi que nous l’avons déjà mentionné, s’interrompt brusquement à cette date de novembre 1716, et reprend seulement le 9 avril 1720. Dans l’intervalle, bien des événemens avaient modifié l’état des choses publiques et la situation personnelle des divers acteurs que nous venons de voir à l’œuvre. Le schisme de l’administration whig avait rejeté dans l’opposition Townshend et Walpole, ce dernier n’ayant pas voulu accepter patiemment la disgrâce qui était venue frapper son beau-frère. Stanhope, créé pair et virtuellement premier ministre, avait victorieusement lutté, d’accord avec la France, contre les ambitieuses tentatives d’Alberoni, qui, secondé par l’aventureux Charles XII, ne rêvait rien moins qu’une seconde restauration des Stuarts. En 1718, peu après qu’Addison se fut volontairement retiré, lord Cowper, renonçant à sa grande position judiciaire et politique, avait reçu le titre de comte, et le duc de Shrewsbury était mort. L’assassinat imprévu de Charles XII, l’avortement de la conspiration ourdie en France par le duc et la duchesse du Maine, la misérable tentative du prétendant en 1719, la disgrâce d’Alberoni, due aux efforts combinés de la diplomatie anglaise et française, nous mènent aux premiers jours de l’année suivante, qui fut inaugurée par le retour de Townshend et de Walpole dans le sein de l’administration whig. Ils lui avaient livré sans le moindre scrupule de terribles assauts. Walpole surtout, vaincu dans sa résistance au bill de tolérance (''repeal of the schism act''), venait de prendre une éclatante revanche en faisant rejeter une mesure qu’il aurait dû appuyer de toute son éloquence, puisqu’elle tendait à restreindre, en ce qui concernait la création de nouvelles pairies, la prérogative royale. En haine de son fils,
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George Ier donnait son concours à cette mesure essentiellement libérale que Stanhope et Suhderland opposaient d’avance aux empiétemens prémédités, selon eux, par le futur roi d’Angleterre; il s’agissait aussi de refréner les ambitions égoïstes des favoris allemands, qui tous, en vue d’un avenir incertain, voulaient abriter leurs rapines sous le titre de lord et les privilèges de la pairie. On se demande comment les whigs opposans purent se croire autorisés en. cette circonstance à marcher d’accord avec les tories, Townshend menant les uns, lord Nottingham à la tête des autres. Il est difficile de ne pas constater ici l’énorme influence que les calculs d’intérêt personnel exerçaient sur la direction politique des diverses fractions parlementaires <ref> Ajoutons que ni les whigs opposans ni les tories ne contestaient ouvertement le principe du bill, la limitation des pairs a créer; mais ils le minaient en détail, insistant sur les vices de chaque clause. Addison écrivit son dernier pamphlet en faveur du bill. Steele se chargea de lui répondre au nom de l’opposition whig. </ref>.
 
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Ces querelles publiques dataient du baptême d’un des enfans du prince de Galles. Celui-ci ayant choisi pour parrain le duc d’York, son oncle, le roi voulut, sans raison apparente, que le duc de Newcastle fût substitué, à ce prince, non comme chargé de pouvoirs, — ce qui eût paru tout simple, — mais en son propre et privé nom. Le prince, exaspéré par ce qu’il appelait tout simplement une ''insolence'', adressa au duc de Newcastle, immédiatement après la cérémonie, les reproches les plus durs, et son père, irrité à son tour par ce manque de respect, lui envoya d’abord l’injonction de garder les arrêts, puis celle de quitter le palais de Saint-James, sur quoi leurs altesses royales se retirèrent ensemble chez le comte de Grantham, premier chambellan du prince. Une note fut aussitôt publiée d’après laquelle aucune des personnes qui auraient rendu leurs devoirs à l’héritier présomptif ou à la princesse ne devait plus être admise à la cour. On les privait en outre de la garde d’honneur due à leur rang; plus tard, les enfans de la princesse, enlevés à leur mère, furent placés sous la direction de lady Portland, et le secrétaire
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d’état aux affaires étrangères eut ordre de rédiger une circulaire diplomatique où toutes ces transactions étalent longuement exposées et justifiées. Le temps, au lieu d’atténuer ce différend si frivole dans son principe, l’aggrava au point que George Ier en vint à concerter un plan d’après lequel le prince de Galles devait être contraint, par acte du parlement, à délaisser, s’il montait jamais sur le trône d’Angleterre, la totalité de ses états en Allemagne. Ce projet, longtemps mûri, fut soumis par le roi au lord-chancelier Parker, qui avait remplacé lord Cowper, et ne fut abandonné définitivement qu’après avoir été déclaré tout à fait impraticable par ce magistrat, dont le dévoûment servile ne pouvait être suspect. Soit dit en passant, la démission de lord Cowper en 1718, — démission qui ne s’explique par aucun autre motif connu, — nous paraît devoir se rattacher à cette mesure extrême dont il aurait eu connaissance, et que ses relations personnelles avec le prince de Galles devaient lui rendre particulièrement odieuse. Placé entre un père et un fils coupables de torts réciproques, il se déroba par une sage retraite aux tristes nécessités que lui créait dans un tel conflit sa position officielle. L’histoire ne le dit pas formellement; le ''Journal'' de lady Cowper, incomplet comme nous l’avons, ne le dit pas davantage; mais il est permis de le deviner et de s’arrêter à cette hypothèse.
 
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Au moment précis où reprend le ''Journal'' de lady Cowper, Walpole se met en rapports avec l’ex-chancelier pour travailler à une
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réconciliation entre le roi et l’héritier présomptif. Le roi n’admet de conditions ni d’une part ni de l’autre. Peut-être rendra-t-on ses enfans à la princesse de Galles. Le prince écrira au roi et reviendra s’établir à Saint-James; moyennant ce, lord Sunderland se fait fort d’obtenir du parlement six cent mille livres sterling pour éteindre les dettes de la liste civile. Le moment est bon pour le prince de Galles, s’il veut obtenir un marché avantageux et vendre ses rancunes filiales un peu cher. Lord et lady Cowper se préoccupent avant toutes choses de sauvegarder l’honneur de leurs altesses royales. Lady Cowper insiste sans relâche pour que la princesse revendique énergiquement ses droits maternels. Elle ne doit à aucun prix les abdiquer, à aucun prix laisser ses filles dans les mains à qui elles ont été confiées. Si elle cède, elle perdra tout renom de mère tendre et courageuse, elle n’aura plus un ami respectable. La princesse, qui n’aime pas les partis trop décisifs, est dans les angoisses, et, ne sachant que répondre, se fie tantôt aux conseils de lord Cowper, tantôt aux argumens de Walpole. Le prince hésite aussi. Un jour il promet d’écrire au roi, le lendemain il ne veut plus décidément donner ce triomphe à ses ennemis, ni surtout, on le voit, rentrer à Saint-James...
 
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Walpole a dit à mylord qu’il n’avait point voulu recourir à la duchesse de Kendal <ref> Nouveau titre conféré à Mlle de Schulenburg, déjà duchesse de Munster. </ref> avant que les choses ne fussent plus avancées;
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maintenant il se propose d’en venir là, et prétend que l’intervention de cette favorite serait tout à fait décisive. — Elle est, dit-il, aussi reine d’Angleterre que pas une ne l’a été jusqu’ici. Par elle, je puis obtenir bien des choses. — Lord Cowper l’a prémuni contre telle ou telle éclatante duperie, qui les exposerait tous deux à la risée publique. — Prenez garde aussi, lui a-t-il dit, que vous entreprenez indirectement sur les libertés publiques en demandant un vote de subsides pour la liste civile. A quoi sert effectivement d’en établir une, si on peut, en dehors d’elle, contracter des dettes et les faire acquitter par la nation? — Comme vous dites, a bégayé Walpole, cela n’a rien de régulier. — Certainement non, a repris mon mari; mais en somme c’est à vous d’y regarder, messieurs des communes, à vous et non pas à la chambre des lords, qui sous ce rapport ne saurait encourir aucun blâme.
 
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Walpole a si bien accaparé la princesse qu’elle est sourde à tous autres conseils que ceux de cet habile homme. Il a monta la tête au prince contre les spéculations de la Mer du Sud, que son altesse favorisait assez dans le début, et contre lesquelles il tonne maintenant, ainsi que tous ses amis <ref> On verra plus bas Walpole engager le prince 4c Galles dans ces mêmes spéculations, d’abord honnies, puis patronnées par le versatile et audacieux ministre. </ref>. En revanche, ni Walpole ni Townshend n’osent entamer lord Sunderland, bien qu’ils aient eu plusieurs bonnes occasions d’en venir là. Walpole de plus, parfaitement au courant de ce qui se passait, ainsi du reste que la
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princesse, a laissé se nouer une intrigue entre sa femme et le prince. <ref> La femme de Walpole était fille de John Shorter, ''esq'' ; nous ne nous rappelons aucune allusion contemporaine à l’intrigue dont parle ici lady Cowper. </ref>.
 
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15 avril. — Décidément nos maîtres ne voient plus que par les yeux de Walpole. Sunderland ne se gêne pas pour dire que, si le prétendant était en Angleterre, il aurait bonne chance de tout renverser, tant il y a chez le roi de mauvaise humeur et de méfiances. Sa majesté se plaint que ses conseillers lui aient manqué de parole. — Vous deviez, disiez-vous, me livrer le prince pieds et poings liés, et je ne puis pas même obtenir qu’il se prive des serviteurs qui me déplaisent. Et puis cet argent que vous vous engagiez à me procurer?... Les six cent mille livres sterling lui tiennent au cœur plus que tout le reste. Walpole et Townshend se font fort, une fois cet
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argent obtenu, de renvoyer lady Portland, ne fût-ce que sous prétexte d’économies devenues indispensables. Ils promettent qu’on rendra les gardes, qu’on rendra les enfans; mais ce ne sont là que des promesses. Aucunes conditions ne sont encore faites, aucunes garanties ne sont obtenues que nous serons moins maltraités quand les ministres auront atteint leur but. Je demande à la princesse si on est d’accord sur les gens à remercier. — Oui, me dit-elle, mais non sur ceux qui rentreront. — Exactement comme au temps du triumvirat romain ; on ne s’entend que pour proscrire. Je crois au fond que Sunderland conserve tout l’ascendant réel, et que Townshend et Walpole, en traitant avec lui, ne songent qu’à exploiter dans leur intérêt unique le crédit acquis par eux sur leurs altesses royales. Lord Cowper est profondément dégoûté de tout ce qu’il voit; de plus sa santé se trouve altérée. Il part demain pour la campagne, et il y a fort à parier que, si on lui donne d’autres sujets de mécontentement, il m’emmènera d’ici. Bernstorff ni aucun des Allemands n’est au courant de ce qui se brasse. Le roi paraissait nier de très mauvaise humeur.
 
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Samedi 23 avril. — Fête de saint George, patron de l’Angleterre. La lettre du prince, portée au roi par lord Lumley, a été suivie d’un message du roi au prince, et ce dernier, montant aussitôt en chaise, s’est fait porter à Saint-James, où. sa majesté l’a reçu dans son cabinet. Le compliment du fils a été fort court, mais très respectueux, et promet une obéissance complète. Le père était fort troublé, très pâle, et n’articulait que des phrases entrecoupées au milieu desquelles on ne distinguait que ces mots : ''votre conduite.. votre conduite''... Le prince n’est pas demeuré plus de cinq minutes, au bout desquelles il est allé voir ses filles. On avait prévenu la princesse Anne de la réconciliation, pour qu’elle n’éprouvât aucune surprise trop vive à l’aspect de son père. Elle est d’ailleurs en pleine voie de guérison.
 
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La princesse, revenue de Saint-James tout exprès pour attendre le retour de son mari, l’a vu rentrer, sa chaise entourée de ''beefeaters'' <ref> Ce nom bizarre désigne les hallebardiers attachés au service personnel du monarque et de l’héritier présomptif. Ce sont les ''soldats aux gardes'' de la tour de Londres. </ref>, suivi par une multitude qui poussait de frénétiques hourras. Le grince était fort sérieux. Il avait les yeux rouges et gonflés, symptôme habituel qui dénote chez lui une certaine contrariété. En rentrant, il nous congédia tous, et je reçus ordre de revenir à cinq heures.
 
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Une parenthèse est ici nécessaire pour éviter à nos lecteurs la
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confusion qui se pourrait établir dans leur esprit entre les opérations subalternes des deux compagnies créées par les lords Onslow et Chetwynd et celle de la puissante compagnie de la Mer du Sud. Celle-ci avait été fondée en 1711 par le ministre Harley, et sa charte d’''incorporation'' datait déjà de neuf années lorsqu’elle se précipita dans les folles spéculations qui dans l’espace de quelques mois en amenèrent la ruine. Ces spéculations en provoquèrent de semblables, toujours plus chimériques, toujours plus véreuses, et c’est parmi celles-ci que doivent être rangées les deux entreprises patronnées par George Ier en vue de la liquidation des dettes de sa liste civile. De celles-ci, les historiens ne parlent pas avec détail, et nous avons vainement cherché dans l’ouvrage de lord Mahon quelques faits relatifs à l’anecdote politico-financière dont nous entretient le ''Journal'' de lady Cowper. Voici en revanche ce que l’historien nous dit, et ce que ne nous dit pas le ''Journal'': « Presque aussitôt après le départ du monarque, l’héritier présomptif fut amené à se laisser afficher comme directeur d’une compagnie pour l’exploitation des mines de cuivre dans le pays de Galles. Vainement le ''speaker'' et Walpole essayèrent de l’en dissuader en lui faisant peur des attaques auxquelles il serait en butte dans le parlement et du bel effet que feraient les crieurs des rues en annonçant au public la ''bulle du prince de Galles'' ! Ce fut seulement lorsque la compagnie fut en péril que son altesse royale se retira prudemment avec quarante mille livres sterling de bénéfices réalisés. »
 
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Bothmar, ne pouvant tenir devant ces insultes et surtout à l’idée que son vieux maître l’avait en quelque sorte trahi, s’est laissé aller à fondre en larmes. Le roi du reste n’a cédé qu’à une contrainte morale. Il ne voulait pas voir le prince. — Les whigs ne peuvent-ils donc revenir sans lui? demandait-il à chaque instant.
 
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24 avril. — Lord Cowper est venu ce matin s’asseoir à mon chevet. — Chère enfant, m’a-t-il dit, vous devez être la première initiée à tous mes secrets. Je m’étais décidé, suivant en ceci votre inspiration, à reprendre un poste officiel, ne fût-ce que pour montrer que cette réconciliation du père et du fils, bien que je n’en aie pas été l’auteur, me parait en elle-même une chose conforme à l’intérêt public. J’aurais donc accepté la place de mon digne ami Kingston <ref> Evelyn Pierpoint, créé duc de Kingston, était à ce moment ''lord du sceau privé''. </ref>, et ce n’eût été que la juste récompense de ses honteux procédés à mon égard; mais, pesant plus mûrement toute chose, il me semble que, sauf une seule (cette brouille de la famille royale), toutes les raisons subsistent qui m’avaient déterminé à la retraite. Je me fais vieux, ma santé devient délicate, je suis assez riche, et je n’entends plus me rendre esclave d’aucun pouvoir ici-bas. A cinquante-cinq ans, il est temps de donner quelque loisir à sa vie. Mes infirmités ne me permettent plus de continuer la lutte avec les sots et les coquins, et je trouverai dans le repos plus de bonheur qu’ils ne m’en pourraient donner, dussent-ils employer toute leur influence en ma faveur.
 
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En tiers avec la princesse et moi, le prince se montre tout fier de n’avoir point abandonné ses amis. — Argyle, dit-il, verra bien que
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je ne suis pas un croquant... Non, je serais mort de chagrin, s’il m’eût fallu plier sans avoir sauvegardé les intérêts de qui m’a été fidèle. Le moment est venu de payer les bons services, et je compte bien avant peu faire rendre les sceaux à lord Cowper.
 
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25 avril. — Grand dîner de réconciliation chez lord Sunderland; six anciens ministres avec six nouveaux. Lord Cowper était de la fête. Le soir, malgré ma joue enflée, il a fallu aller au ''drawing-room''. Le roi n’a parlé ni au prince, ni à aucun de ceux que ce dernier regarde comme ses amis. La duchesse de Shrewsbury, après une première interpellation laissée sans réponse, n’a pas voulu en avoir le démenti. — Sire, a-t-elle dit d’un ton boudeur, je suis venue pour faire ma cour, et je vous préviens que je la veux faire. — Malgré tout, chacun se tenait sur la réserve, et deux groupes s’étaient formés qui semblaient s’apprêter à quelque combat. Le prince, les yeux baissés, dans une attitude modeste, s’était posé à
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merveille. Le roi, jetant çà et là quelque regard farouche, semblait fort mal à son aise. Il me rappelait ces chats qui guettent l’attaque d’un chien malappris, et qui, au moindre mouvement de l’ennemi présumé, se rejettent en arrière, tout prêts à jouer des griffes.
 
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Les deux anciens ministres (Stanhope et Sunderland) et les deux nouveaux (Townshend et Walpole) font étalage de leur intimité rétablie. On les voit tous les quatre se promener bras dessus bras dessous; ils se prennent par la taille, ils s’embrassent... Bien de plus touchant !
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Un des grands artifices de Walpole, pour s’assurer l’appui de la princesse, a été de l’engager dans les spéculations de la Mer du Sud. Il fit acheter des actions par leurs altesses le matin même du grand débat, et pesa par ce moyen sur les votes de plusieurs membres. Tout cela finit à la longue par se savoir, et il en résulte des rancunes, des inimitiés, des jalousies.
 
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Samedi. — Bernstorff est venu. Il couvre comme il peut son ignorance de ce qui se passe, en disant qu’il ''n’a pas voulu savoir''. Il prétend que la plupart des promesses faites ne seront pas tenues, attendu que les ministres n’ont pas osé communiquer au roi les engagemens pris en son nom. Il dit aussi qu’ils sollicitent son assistance, — à lui Bernstorff, — pour empêcher le roi de partir, mais qu’il ne compte pas s’en mêler. Bien qu’il soit tant soit peu rasséréné, on devine tout ce que lui laisse d’amertume sa condition présente, celle d’un homme prudent et sage que toute son habileté n’a pu sauver d’une disgrâce imméritée, et qui se voit abandonné par son vieux maître après de longs et fidèles services; encore
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est-ce au profit des hommes les plus indignes et les plus vicieux que le monde ait pu produire.
 
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10 mai. — L’archevêque (de Cantorbéry) est venu féliciter la princesse à propos de la fameuse réconciliation. De là il s’est étendu ironiquement sur les talens et les vertus qui distinguent nos hommes d’état. La princesse était réellement embarrassée. — Oh! lui a-t-elle dit, Townshend et Walpole ne sont pas nos seuls conseillers... Mais, à propos, que faites-vous de votre ami, lord Cowper? — C’est à moi, madame, puisque vous abordez ce chapitre, de vous demander ce que vous en faites. Il n’est pas de taille à se mesurer avec ces grands hommes dont je vous parlais; son rôle est d’approuver aveuglément ce qu’ils ont résolu entre eux, à portes closes, quand ils veulent bien l’admettre et lui communiquer leurs décrets... Sur ce, on vint gratter à la porte, et la princesse, comme
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322 REVUZ DES DEUX mondes.
impatientée : — C’est, dit-elle, la duchesse de Saint-Albans qui me vient obséder encore pour sa clé. — Et l’aura-t-elle? demanda le prélat. — Jamais! s’est écriée la princesse. — En la lui donnant, reprit l’autre, vous feriez pourtant preuve d’une douceur d’âme que je ne vous supposais point jusqu’à ce jour <ref>Peut-être remarquera-t-on le rôle du prélat, prêchant à l’ouaille royale le ressentiment des injures, car il y a ici une allusion a des torts qui avaient motivé là disgrâce de la duchesse de Baint-Albans.</ref>.
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Dimanche 22. — Visite du baron de Bernstorff, qui sortait de chez le roi. Selon lui, lord Cowper a raison de ne pas vouloir servir en pareille compagnie; mais on espère que, si le ministère se
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décomposait, l’ex-chancelier prêterait assistance au roi. — Jamais avec certaines gens, et je ne vois aucun signe d’un changement prochain. — Vous vous trompez, reprend-il. On nous mène en ''casse-cou'', et des plaintes s’élèvent partout contre de si folles allures. Le roi sera bientôt éclairé là-dessus. — Le cas échéant, et si le roi rendait toute son ancienne confiance à M. de Bernstorff, lord Cowper accepterait tel office qui lui serait offert par votre amitié ; mais quelle apparence? Ils sont si puissans! — Autre erreur, et vous verrez que nous nous arrangerons pour que dorénavant le secrétaire d’état ne domine pas ceux qu’il doit servir. — Permettez-moi de vous rappeler, repris-je, que lord Cowper a toujours été contraire à l’idée d’une trésorerie mise en commission. Vous voyez s’il avait tort. Toutes ces affaires de la Mer du Sud auraient dès le principe rencontré d’insurmontables obstacles, si nos finances avaient été gérées par un lord-trésorier, car aucun n’aurait osé en prendre la responsabilité directe et personnelle. Ayez pour cette charge un honnête homme, sincère et désintéressé, comme qui dirait M. Clayton, et je mets ma main au feu que tout irait bien. — Ce qui détourne de cette combinaison, répond M. de Bernstorff, c’est l’énorme pouvoir dont dispose chez vous l’homme chargé du budget. — Et que pensez-vous, lui demandai-je, du pouvoir de lord Sunderland? J’ai vu plus d’un trésorier dans ma vie; mais pas un n’avait l’autorité illimitée de cet insolent ministre.
 
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Lundi 30. — Repris mon service. La cour était plus nombreuse que jamais, et la réception a fini tard. La princesse a la tète tournée par les adulations qui pleuvent sur elle, et paraît du reste en grande
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faveur auprès de nos gens. Nulle occasion de lui dire un mot en particulier. Elle semble d’ailleurs très disposée à me battre froid. Le roi, tout en causant avec elle, tournait le dos à la table de jeu où j’étais assise; mais, poussé par je ne sais quelle curiosité soudaine, le voilà qui se met à me regarder, et avec tant de suite, et avec une physionomie si peu hostile, qu’il a été beaucoup parlé de cet incident.
 
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J’ai demandé à M. de Bernstorff si M. Walpole allait être nommé lord de la trésorerie. — Non, m’a-t-il répondu, lord Sunderland ne lui abandonnera jamais ce poste... Cependant tout va si follement, au dedans comme au dehors, que je ne puis répondre de rien...
 
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La dernière note du ''Journal'' est du 10 juillet 1720. Mistress Wake, la femme de l’archevêque de Cantorbéry, est venue prendre congé de la princesse, qui lui parle devant lady Cowper des conséquences probables de la réconciliation, — un vrai replâtrage, comme l’événement le prouva, — survenue entre les membres de la famille royale. — Nous aurons certainement nos enfans, dit son altesse, et les ministres nous font entrevoir la régence; mais, à vous parler franchement, chère mistress Wake, je gagerais ''mon nez'' que nous ne l’obtiendrons point. — En ce moment même, continue lady Cowper, j’étais en train de la déganter. — Ah! certes, madame, no pus-je m’empêcher de lui dire, votre altesse aurait bien trente nez au lieu d’un qu’elle pourrait les mettre tous au jeu sans le moindre péril...
 
Cette date du 10 juillet 1720 nous reporte au moment où la fièvre de spéculation qui marqua cette mémorable année annonçait par ses redoublemens une crise imminente. Le prince de Galles y était engagé comme les autres. On parlait des pertes considérables de lord Sunderland, tandis que Walpole, joueur plus prudent, réalisait des bénéfices considérables. De fort grands seigneurs (le duc de Portland, lord Lonsdale, etc.) en étaient réduits, pour réparer les désastres de leur mauvaise fortune, à solliciter des gouvernemens aux colonies. Le désordre, la confusion, étaient partout. Partout on commençait à récriminer contre les auteurs de ce plan chimérique, auquel le peuple anglais, malgré le bon sens pratique dont il se targue si volontiers, s’était tout aussi bien laissé prendre que la France du régent et de Law. Sunderland, Aislabie, Craggs, comme agens de la trésorerie et membres actifs de l’administration, sir John Blunt comme promoteur des opérations qui menaçaient de tourner si mal, les maîtresses du roi, soupçonnées d’avoir touché des sommes énormes, allaient devenir les plastrons de l’indignation publique. George Ier, reparti pour son électoral, voyait avec son flegme habituel commencer l’orage qui le rappela soudainement en Angleterre au mois de novembre suivant. Du sein de cet orage sortit la fortune ministérielle de Robert Walpole. Le ''Journal'' de lady Cowper nous l’a montré s’insinuant dans la faveur du prince et surtout de la princesse de Galles, amenant entre eux et leur père un vain simulacre de réconciliation auquel ni les uns ni les autres n’avaient confiance, rentrant ainsi par la petite porte des intrigues de cour dans le maniement des affaires publiques, qu’un moment d’humeur lui avait fait abandonner, et où la mort prochaine de lord Stanhope, suivis de près par celle de lord Sunderland, allait lui donner pour bien des années une incontestable suprématie.
 
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A un antagoniste de cet ordre, les gens timorés, honnêtes, sincères, les gens comme lord Cowper, ne pouvaient évidemment tenir tête. On se rend aisément compte de l’amertume et du dégoût que devait éprouver un magistrat émanent, un orateur renommé, un ''ami de la veille'', sérieusement, loyalement dévoué à la dynastie hanovrienne, en face d’un homme nouveau, d’une espèce de ''gentleman-farmer'' mal policé, sans instruction et sans lettres, cachant un esprit subtil sous de grossiers dehors, et tout prêt à jouer sous jambe sans le moindre égard le parleur disert, le jurisconsulte érudit, le majestueux et consciencieux représentant de la tradition judiciaire et ministérielle, principalement bon pour l’apparat et les grands dehors. On conçoit aussi le profond dépit d’une femme comme lady Cowper, quand, après cinq années de faveur constante et presque tendre qu’elle a voulu prendre pour de l’amitié, le jour vient où sa maîtresse, dominée par une influence nouvelle, lui fait éprouver un à un tous les soucis, tous les dégoûts d’un refroidissement graduel, le jour enfin où la « royale amie » lui apparaît comme une ''grandissime comédienne''.