« De la Science des Poisons considérés dans l’histoire » : différence entre les versions
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{{journal|De la science des poisons considérée dans l’histoire|[[Auteur:Émile Littré|Emile Littré]]|[[Revue des Deux Mondes]] T.4, 1853}}
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 4.djvu/671]]==
<center>Travaux d’Orfila</center>
On serait tenté de croire que de très bonne heure, dans les soupçons
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 4.djvu/672]]== dépasse infiniment le pouvoir scientifique des âges antérieurs, et suppose un avancement de la chimie et de la pathologie sans lequel le problème demeure absolument insoluble. Tout est connexe dans les choses de
On donne le nom de toxicologie à
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 4.djvu/673]]== dans les langues, des mots divers sont venus à signifier une même chose, ou que des mots identiques sont venus à représenter des idées tout à fait différentes. On peut appeler poison tout ce qui,
Ce seul énoncé suffit pour montrer combien les poisons sont, par la nature même des choses, voisins des remèdes.
Donc, pour bien concevoir la position de l’être vivant et en particulier
Donc, pour bien concevoir la position de l'être vivant et en particulier de l'homme, on ne le représentera comme en rapport non-seulement avec le gros des choses et l'ensemble cosmique où il est placé, mais encore avec une multitude de substances minérales, végétales, animales, qui ont une action directe sur lui. C'est par-là en effet que l'homme peut tant influer sur sa propre santé, sur sa propre conservation. Les influences générales ne sont pas à sa disposition: il ne régit ni la chaleur du soleil ni celle de la terre. Les modifications météorologiques ne lui sont pas plus soumises que les tempêtes qui ébranlent l'océan ; tout au plus peut-il, par un travail bien conduit, restreindre les forêts, resserrer les marécages, développer la culture et diminuer ainsi les causes de destruction. Mais ces choses particulières dont j'ai parlé (et la chimie en accroît continuellement le nombre), ces choses salutaires ou funestes, suivant l'usage qu'on en fera, sont là remises à son jugement et à son savoir comme autant d'instrumens. Un célèbre médecin de l'antiquité, Héroplile d'Alexandrie, appelait les remèdes les « mains du médecin. » Toutes ces substances d'une action effective et spéciale sont, on peut le dire, autant de mains à l'aide desquelles on intervient dans la santé pour l'entretenir, dans la maladie pour la guérir.▼
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Par un autre coté aussi, le poison tient de très près au remède, je veux dire par
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 4.djvu/675]]== troubles et de dérangemens. Dès Au fond,
Ici intervient la découverte essentielle
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 4.djvu/676]]== en soient éliminées. Le terme de la guérison est que définitivement tout le poison soit chassé par un travail inverse de celui qui Ainsi, pour considérer
Il fut un temps, dans
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 4.djvu/677]]== l’expérience, et pleinement rationnelle, Cela a été dans tous les temps un sujet de controverse que de savoir si réellement la médecine possédait quelque efficacité pour la guérison des maladies, et quoique
Du côté de la pratique, la découverte d’Orfila porta immédiatement
Du côté de la pratique, la découverte d'Orfila porta immédiatement des fruits, elle étendit notablement les moyens de retrouver les poisons et de constater les crimes. En effet, tant qu'on ne sait pas que plusieurs substances toxiques vont se loger dans l'intimité de certains tissus, il peut arriver, même au chimiste exercé et pourvu de toutes les ressources de l'analyse, de laisser échapper de véritables cas d'empoisonnement. Le malheureux qui a succombé est déjà dans le cimetière, les véhicules où le poison a été administré ont disparu, même les intestins et l'estomac n'en contiennent plus de traces, et pourtant il est encore possible de produire des témoins accusateurs capables de confondre le coupable qui se croit le plus caché. Indépendamment du véhicule qui portait le poison, par-delà les membranes qui l'ont reçu, on sait qu'il est déposé en des réceptacles connus d'avance, prêt à reparaître dès que les affinités chimiques, habilement utilisées, l'appelleront à la lumière.▼
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Ceci est véritablement un bon thème pour montrer sans conteste combien la médecine des modernes
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Orfila, par ses recherches spéciales sur des poisons particuliers et par son ouvrage sur la toxicologie, donna une forte et féconde impulsion à ces études, qui occupèrent à
Les notions des anciens étant tout à fait rudimentaires, ils allaient chercher des preuves chimériques. Ainsi ils attachaient une grande importance aux taches et aux lividités ; ils supposaient que le
Des bruits
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 4.djvu/680]]== tout organisme de qui la vie s’est retirée et qui est livré aux affinités chimiques peut survenir très vite dans des cas où aucun poison Les historiens anciens se sont partagés sur la question de savoir si Alexandre avait été victime
Au moment de la catastrophe, un homme surtout se trouvait dans une situation menacée et par conséquent menaçante :
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 4.djvu/681]]== qui avait déjà cessé de vivre, comme étant celui qui avait administré le poison. Ceux qui disent On ne
Ainsi préparé, le poison fut apporté par Cassandre, fils
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 4.djvu/682]]== empoisonnés ? Justin, qui croit à Manifestement, nous
Ces détails prouvent, comme on le sait
Alexandre avait deux historiographes, Eumène de Cardia et Diodore
« Alexandre but chez Médius, où il joua, puis il se leva de table, prit un bain et dormit ; ensuite il fit le repas du soir chez Médius, et il but de nouveau très avant dans la mut.
« Étant sorti de là (c’était le 18), il prit un bain ; après le bain, il mangea
« Étant sorti de là (c'était le 18), il prit un bain; après le bain, il mangea un peu et dormit dans le lieu même, parce qu'il avait déjà la fièvre. Il se fit transporter sur un lit pour faire le sacrifice, et sacrifia chaque jour, suivant les rites. Après le sacrifice, il resta couché dans l'appartement des hommes jusqu'à la nuit. Là, il donna des ordres aux officiers pour l'expédition par terre et pour la navigation; il enjoignit à ceux qui devaient aller par terre de se tenir prêts pour le quatrième jour, à ceux qui se devaient embarquer avec lui de se tenir prêts pour le cinquième. De là, il se fit transporter sur un lit jusqu'au fleuve, s'embarqua sur un bateau et se rendit dans le jardin royal, situé sur l'autre rive. Là, il prit de nouveau un bain et il se reposa.▼
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« Le lendemain, il prit de nouveau un bain et fit le sacrifice ordonné. Étant allé dans sa chambre, il y resta couché et joua toute la journée aux dès avec Médius. Il commanda aux officiers de venir le trouver le lendemain matin de très bonne heure, puis le soir il prit un bain, fit le sacrifiée aux dieux, mangea quelque peu, se fit reporter dans sa chambre, et déjà il eut la fièvre toute la nuit sans interruption.
« Le jour suivant, il prit un bain, et après ce bain il fit le sacrifice. Couché dans la salle de bains, il passa le temps avec les officiers de Néarque, écoutant ce
« Le jour suivant, il prit un nouveau bain, il fit les sacrifices ordonnés. Il ne cessa plus
« Le jour suivant, il fut transporté dans la maison située près du grand bassin ; il fit, il est vrai, le sacrifice ordinaire, mais il avait beaucoup de fièvre. Il resta couché ; néanmoins, avec ses généraux, il parla des corps qui étaient privés de chefs, et leur recommanda
« Le jour suivant, il fut porté avec peine au lieu du sacrifice,
« Le jour suivant, ayant beaucoup de fièvre, il se leva pour le sacrifice,
« Le jour suivant, il fut transporté du jardin royal dans le palais ; il dormit un peu, mais la fièvre
« Le jour suivant et la nuit, grande fièvre. Les Macédoniens le crurent mort ; ils vinrent, en poussant de grands cris,
« Le jour suivant, même état, et le lendemain le roi mourut vers le soir. »
Voilà le récit authentique. Est-il possible de
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 4.djvu/684]]== donc une fièvre Eiphippus, dans son livre ''sur la Sépulture
Que fit-on pour combattre la maladie ? Les ''Ephémérides royales'', au moins dans les extraits qui nous ont été conservés par Arrien et Plutarque, omettent toute mention des médecins et des secours médicaux ;
Que fit-on pour combattre la maladie? Les ''Ephémérides royales'', au moins dans les extraits qui nous ont été conservés par Arrien et Plutarque, omettent toute mention des médecins et des secours médicaux; elles ne parlent que des sacrifices qu'Alexandre fit régulièrement et des bains qu'il prit avec non moins de régularité tant que ses forces le lui permirent. Les sacrifices lui avaient été prescrits pour détourner la colère des dieux. Les cérémonies religieuses exercent une influence morale qui dans certains cas peut être salutaire; mais beaucoup de maladies, et entre autres les fièvres dont il s'agit ici, ne sont pas susceptibles d'être modifiées par ce genre d'action. Il ne resta donc des sacrifices auxquels Alexandre se soumit que la fatigue corporelle qu'ils lui imposèrent. Or toute fatigue, tout mouvement, tout effort tendent à aggraver le mal; le repos et la tranquillité sont recommandés expressément, comme une condition de succès, par les médecins qui ont écrit sur ces fièvres. Alexandre sacrifia le premier jour de sa maladie, il sacrifia encore le second, le troisième, le quatrième, quoiqu'il fut déjà dans un état fâcheux; le cinquième, il fut porté avec peine au lieu du sacrifice; le sixième, il accomplit encore la cérémonie malgré le mal qui l'accablait, et ce ne fut qu'après avoir ainsi persévéré jusqu'à l'extrême limite de ses forces qu'il cessa les sacrifices ordonnés. On peut prononcer avec certitude que dans l'état fébrile où il se trouvait, il ne se livra pas impunément à ces dérangemens et à ces efforts quotidiens, et que le danger qu'il courait déjà par l'effet seul de la maladie fut encore accru par les pratiques qui lui étaient imposées. Il ne faut pas porter un jugement plus favorable des bains qu'il prit avec constance pendant les six premiers jours de sa maladie; les bains ne font pas partie du traitement dont les médecins modernes usent dans les fièvres dont nous parlons, et on peut dire que les médecins anciens ne les employaient pas non plus dans des cas semblables; du moins Hippocrate ne veut pas qu'on y ait recours dans ces fièvres graves.▼
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 4.djvu/685]]==
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Diodore de Sicile est le seul qui parle de
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 4.djvu/686]]== moins que le médecin moderne ; Les soupçons au sujet de la mort
Mais tant de cruautés exercées contre cette famille infortunée ne prouvent pas que Tibère en eût fait disparaître le chef. Dans les détails de
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 4.djvu/687]]== croyait alors, et crut longtemps après, abréger la vie. Ceci montrait beaucoup de haine de la part des ennemis du prince ; les maléfices sont de vaines armes qui La défense alléguait le genre de maladie qui avait emporté le jeune prince ; probablement elle fit valoir la durée du mal,
On voit par tout ce qui transpire de cette société ancienne, même à travers un si long espace de temps,
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 4.djvu/688]]==
Les Romains avaient
Ceci
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 4.djvu/689]]== l’impossibilité véritable de retrouver les traces du poison et de convaincre les criminels. Ces deux choses sont connexes par le fait, mais elles le sont aussi par le fond même des choses et par une nécessité profonde qui tient aux lois même de Dans de certaines époques
Ces relations résultent des conditions mêmes qui font de la société un grand corps et qui ne permettent pas qu’une partie se développe
Ces relations résultent des conditions mêmes qui font de la société un grand corps et qui ne permettent pas qu'une partie se développe sans que toutes les autres éprouvent une évolution correspondante. Plus on les appréciera, plus l'érudition deviendra ferme et fructueuse. L'histoire a fait un pas considérable en recevant dans sa doctrine générale cette grande notion des rapports et des coexistences. Par une connexion toute naturelle, ce qui est vrai de la science ne l'est pas moins de la morale. Il y a aussi dans ce domaine des correspondances nécessaires et des niveaux successifs; il ne s'agit pas ici des actes individuels, car, sans doute, en tout temps et en tout lieu se sont produites les actions les plus héroïques et les plus criminelles; mais il s'agit de cette moralité collective, de cette opinion publique qui, suivant les époques, permet et défend. Or celle-là est sous la dépendance certaine de l'ensemble des choses sociales; elle n'est la même ni dans l'âge du paganisme gréco-romain, ni dans les siècles où l'église et la féodalité dominèrent, ni dans la période de dissolution révolutionnaire qui ébranla l'édifice du moyen âge. Comme la science croissante a pour effet de faire prévaloir les idées générales, la moralité croissante a pour effet de faire prévaloir les intérêts généraux, et celui qui descendra du monde antique au monde catholico-féodal et enfin au monde moderne verra que tel est, dans l'ordre du savoir et dans l'ordre du sentiment, le développement historique.▼
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La nature, mère de toutes les bonnes choses,
La médecine, qui est
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 4.djvu/691]]== amené la mort. Des croyances vigilantes et sévères environnaient les dépouilles mortelles et les protégeaient contre la recherche scientifique, qui ne semblait Ce fut au moyen âge et dans le courant du XVIe siècle que les papes, faisant taire les anciens scrupules, autorisèrent les dissections. Ainsi, dans sa seconde moitié, le moyen âge posséda ce qui avait manqué à
Le XVIe siècle, Vésale en tête, renouvelle
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 4.djvu/692]]== tissus vivans. Si dans ces altérations il y avait eu quelque chose de tout-à-fait spécial, le problème se trouvait résolu ; la médecine Pendant que la médecine cheminait,
La solution a été obtenue : elle est pleinement générale et satisfaisante tant
Orfila eut plusieurs grandes occasions
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 4.djvu/693]]== crouler Nous venons de suivre dans ses principales évolutions, et en insistant à dessein sur quelques épisodes trop négligés par les historiens scientifiques, une partie importante de la médecine. Dans les temps antiques, aux yeux de la science rudimentaire, le poison et le corps vivant sont en présence immédiate : le poison une fois introduit,
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