« L’Idée russe » : différence entre les versions

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Le but de ces pages n’est pas de donner des détails sur l’état actuel de la Russie, comme si elle était un pays ignoré et méconnu en Occident.
 
Sans parler des nombreuses traductions qui ont familiarisé l’Europe avec les chefs-d’œuvre de notre littérature, on voit maintenant, surtout en France, des écrivains éminents renseigner le public européen sur la Russie, beaucoup mieux, peut-être, qu’un Russe ne saurait le faire. Pour ne citer que deux noms français, M. Anatole Leroy-Beaulieu a donné dans son excellent ouvrage, ''l’Empire des Tsars'', un exposé trèsvéridiquetrès-véridique, très complet et très bien fait, de notre état politique, social et religieux, et M. le vicomte de Vogüe, dans une série d’écrits brillants sur la littérature russe, a traité son sujet, non seulement en connaisseur, mais en enthousiaste.
 
Grâce à ces écrivains, et à beaucoup d’autres encore,
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puissants préjugés, et qui, en Russie même, n’a généralement reçu que des solutions dérisoires. Considérée
par plusieurs comme oiseuse, et comme trop téméraire
par d’autres, cette question est, en méritévérité, la plus
importante entre toutes pour un Russe, et, en dehors
de la Russie, elle ne saurait manquer d’intérêt pour
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''d’être'' ''de'' ''la'' ''Russie'' dans l’histoire universelle.
 
Quand on voit cet empire immense se produire avec plus ou moins d’éclat, depuis deux siècles, sur la scène du monde, quand on le voit accepter ;, sur beaucoup de points secondaires, la civilisation européenne, et la rejeter obstinément sur d’autres plus importants, en gardant ainsi une originalité qui, pour être purement négative, n’en paraît pas moins imposante, — quand on voit ce grand ''fait'' historique, on se demande : Quelle est donc la ''pensée'' qu’il nous cache ou nous révèle ; quel est le principe ''idéal'' qui anime ce corps puissantepuissant ; quelle nouvelle ''parole'' ce peuple nouveau venu dira-t-il à l’humanité ; que veut-il faire dans l’histoire du monde ? Pour résoudre cette question, nous ne nous adresserons pas à l’opinion publique d’aujourd’hui, ce qui nous exposerait à être désabusés demain. Nous chercherons la réponse dans les vérités éternelles de la religion. Car ''l’idée d’une nation n’est pas ce qu’elle pense d’elle-même dans le temps, mais ce que Dieu pense sur elle dans l’éternité''.
 
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humain, — et il faut bien l’accepter, puisque c’est une
vérité religieuse justifiée par la philosophie rationnelle
et confirmée par la science exacte, — en acceptant.
cette unité substantielle, nous devons considérer l’humanité entière comme un grand être collectif ou un
organisme social dont les différentes nations représentent les membres vivants. Il est évident, à ce point de
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éternellement fixée dans le plan de Dieu.
 
Mais, s’il est vrai que l’humanité est un grand organisme, il faut bien se rappeler que ce n’est pas là, un
organisme purement physique, mais que les membres
et les éléments dont il se compose — les nations et les individus — sont des êtres moraux. Or, la condition
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monde moral, il y aussi une fatalité, mais une fatalité
indirecte et conditionnée. La vocation ou l’idée propre
que la pensée de Dieu assigne à chaque être moral individu ou nation — et qui se révèle à la conscience
de cet être comme son devoir suprême, — cette idée
agit, dans tous les cas, comme une puissance réelle,
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Ce que je viens de dire est ou devrait être un lieu
commun pour tout — je ne dirai pas chrétien — mais pour tout monothéiste. Et en effet, on ne trouve rien à
redire Aà ces pensées quand elles sont présentées d’une
manière générale, c’est contre leur application à la
question nationale qu’on proteste. Le lieu commun
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poursuivre son intérêt national, voici tout ce qu’un
peuple doit faire, et le devoir d’un patriote se réduit à
soutenir et à servir son pays dans cette politique nationale sans lui imposer ses idées subjectives. Et pour sa voirsavoir les vrais intérêts d’une nation et sa mission historique réelle, il n’y a qu’un seul moyen sûr, c’est de
demander au peuple lui-même ce qu’il en pense, c’est
de consulter l’opinion publique. » Il y a cependant
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partagée, ce qui est presque toujours le cas. Quelle est
la vraie opinion publique de la France : celle des catholiques, ou bien celle des francs-maçons ? Et puisque
je suis Russe, à laquelle des opinions nationales dois-je sacrifier mes idées subjectives : à celle de la Russie
je sacrifier mes idées subjectives : à celle de la Russie
officielle et officieuse, ''la'' ''Russie'' ''d’aujourd’hui'' ; ou bien
à celle que professent plusieurs millions de nos vieux
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de la sainte Vierge. Ce peuple vit encore et la parole
du Nouveau-Testament lui promet une régénération
complète : « Tout l’Israël sera sauvé » (Rom., xiXI, 26).
Et — je tiens à le dire quoique je ne puisse pas prouver ici cette assertion <ref> J’ai tâché de le faire dans deux études sur la question juive, dont l’une a été analysée dans la ''Revue'' ''française'', sept. et oct. 1886</ref> — « l’endurcissement » des juifs
n’est pas la seule cause de leur position hostile à l’égard du christianisme. En Russie surtout, où l’on n’a
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Mais peut-être ce fait historique que j’invoque n’est-il lui-même qu’un préjugé religieux, et le lien fatal que
l’on suppose entre les destinées du peuple d’Israël et 1ele
Christianisme n’est qu’une fantaisie subjective ? Je puis
cependant produire une preuve extrêmement simple
qui met en évidence le caractère réel et objectif du fait
en question.
 
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— au commencement, la restauration de l’humanité dans le second Adam ou le Christ, — au centre, et à la
fin, l’apothéose apocalyptique, la création du nouveau
ciel et de la nouvelle terre où demeure la justice, tala
révélation du monde transfiguré et glorifié, la nouvelle Jérusalem descendant des deux, le tabernacle où
Dieu habite avec les hommes. (Apoc. xxiXXI.) La fin de
l’œuvre se rattache ici au commencement, la création
du monde physique et l’histoire de l’humanité sont
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frappant. Au point de vue des Juifs qui rejettent le
grand dénoûment universel de leur histoire nationale
révélé dans le Nouveau-Testament, il faudrait admettre que la création du ciel et de la terre, la vocation des patriarches, la mission de Moïse, tesles miracles
de l’Exode, la révélation du Sinaï, les exploits et
les hymnes de David, la sagesse de Salomon, l’inspiration des prophètes, — que toutes ces merveilles et
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pouvoir étranger des princes Scandinaves en leur
disant la phrase mémorable : « Notre pays est grand
et fertile, matsmais il n’y a pas d’ordre en lui, venez dominer et régner chez nous ; » et après l’établissement si
original de l’ordre matériel, l’introduction non moins
remarquable du christianisme, et la figure splendide
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idoles, qui, après avoir senti l’insuffisance du paganisme et le besoin intérieur de la vraie religion, réfléchit et délibéra longtemps avant de l’accepter, mais
une fois devenu chrétien voulut l’être pour tout de
bon et non seulement s’adonna aux œuvres de charité en, soignant les pauvres et les malades, mais se
montra plus pénétré de l’écrit évangélique que les évêques grec,grecs qui le baptisèrent ; car ces évêques ne
réussirent qu’à force d’arguments spécieux à persuader
ce prince, naguère si sanguinaire, à infliger la peine
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dans les froides forêts du Nord-Est, abruti par l’esclavage et la nécessité d’un rude travail sur un sol ingrat,
séparé du monde civilisé, à peine accessible même aux
ambassadeurs du chef de la chrétienté <ref> V. l’étude intéressante du P. Perling, ''Rome'' ''et'' ''Moscou'', 1547-1579.</ref>, le peuple russe
tomba dans un état de barbarie grossière relevée par
un orgueil national stupide et ignorant ; quant, oubliant
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Mais, nous dira-t-on, il ne s’agit pas de cela, le
vrai but de notre politique nationale, c’est Constantinople. AÀ ce qu’il paraît, on ne compte plus avec les
Grecs qui ont cependant, eux aussi, une « grande
idée » panhellénique. Mai.Mais le plus important est de
savoir : avec quoi, au nom de quoi pouvons-nous entrer à Constantinople ? Que pouvons-nous y apporter
sinon l’idée païenne de l’État absolu, les principes
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et un obscurantisme effréné, ce n’est pas elle qui
pourra jamais s’emparer de la seconde Rome et terminer la fatale question d’Orient. Si, par notre faute,
cette question ne peut pas être résolue à notre plutplus
grande gloire, elle le sera à notre plus grande humiliation. Si la Russie persiste dans la voie de l’obscurantisme oppressif où elle vient de rentrer, elle sera
remplacée en Orient par une autre force nationale
beaucoup moins douée, mais aussi beaucoup plus consistante dans son infériorité,. Les Bulgares, nos protégés bien-aimés d’hier, nos révoltés tellement méprisés
aujourd’hui, seront demain nos rivaux triomphants et
maîtres de la vieille Byzance.
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Il ne faut pas aller loin pour cela : elle est là tout
près, !a vraie idée russe, attestée par le caractère religieux du peuple, préfigurée et indiquée par les événements les plus importants et par les plus grands
personnages de notre histoire. Et aisi cela ne suffit
pas, il y a un témoignage encore plus grand et plus
sûr — la parole révélée de Dieu. Non que cette parole
ait jamais rien dit sur la Russie : c’est son silence, au
contraire, qui nous montre la vraie voie. Si le seul peuple dont lula Providence divine s’est occupée spécialement est le peuple d’Israël, si la raison d’être de
ce peuple unique n’était pas en lui-même, mais dans la révélation chrétienne qu’il a préparée, et si enfin
dans le Nouveau-Testament il n’est plus question
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entier n’est qu’un être de raison. Du reste tous les
zoologistes connaissent des animaux (appartenant pour
la plupart à la classe inférieure des ''actinoz6aactinozoa'' : méduses, polypes, etc.), qui ne sont au fond que des organes très différenciés et menant une vie isolée, de
sorte que l’animal complet n’existe qu’en idée. Telle
était aussi la manière d’être du genre humain avant
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peut pas l’isoler et le mettre en antagonisme avec
les autres organes, mais qu’elle est la raison de son
unité et de sa solidarité avec toutes le~les parties du
corps vivant. Et, du point de vue chrétien, on ne saurait contester l’application de cette vérité tout à fait
élémentaire à l’humanité entière qui est le corps vivant du Christ. C’est pour cela que le Christ lui-même,
tout en reconnaissant, dans sa première parole aux
Apôtres, l’existence et la vocation de ''toutes'' ''les'' ''nations'' (Év. Math., xxviiiXXVIII, 19), ne s’est pas adressé et n’a pas
adressé ses disciples à aucune nation en particulier :
c’est que pour Lui elles n’existaient que dans leur
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seulement on admet que le peuple russe est un peuple
chrétien, mais on proclame avec emphase qu’il est le
peuple chrétien par excellence et que l’Église est !ala
vraie base de notre vie nationale ; mais ce n’est que
pour prétendre que ''l’Église'' ''est'' ''seulement'' ''chez'' ''nous'',
que nous avons le monopole de la foi et de la vie chrétienne. De cette manière, l’Église qui est en vérité la
roche inébranlable de l’unité et de la solidarité universelles devient pour la Russie le palladium d’un particularisme national étroit, et souvent même l’instrument passif duned’une politique égoïste et haineuse.
 
Notre religion, en tant qu’elle se manifeste dans la
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L’institution officielle qui est représentée par notre
gouvernement ecclésiastique et par notre école théologique, et qui maintient à tout prix son caractère particulariseparticulariste et exclusif, n’est pas certes une partie
vivante de la vraie Église universelle fondée par le
Christ. Pour dire ce qu’elle est en réalité nous laissons la parole à un auteur, dont le témoignage a dans
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préjugés et les erreurs de son parti, Aksakov était au-dessus des panslavistes vulgaires non seulement par
son talent, mais aussi par sa bonne foi, par la sincérité de sa pensée et la franchise de sa parole. Longtemps persécuté par l’administration, condamné enfin
au mutisme pendant douze ans, ce n’est que dans les. dernières années de sa vie qu’il obtint comme privilège personnel et toujours problématique la liberté
dernières années de sa vie qu’il obtint comme privilège personnel et toujours problématique la liberté
relative de publier ce qu’il pensait.
 
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seule nous suffira.
 
<small>Notre Église du côtecôté de son gouvernement apparaît comme
une espèce de bureau ou de chancellerie colossale qui applique
à l’office de paître le troupeau du Christ tous les procédés du
bureaucratisme allemand avec toute la fausseté officielle qui leur
est inhérente <ref> ''Œuvres'' ''complètes'' ''d’Ivan'' ''Aksakov'', tome IV, p. 124.</ref>. Le gouvernement ecclésiastique étant organisé
comme un département de l’administration laïque, et les ministres de l’Église étant mis au nombre des serviteurs de l’État,
l’Église elle-même se transforme bientôt en une fonction du
pouvoir séculier ou tout simplement elle entre au service de
l’État. En apparence on n’a fait qu’introduire l’ordre nécessaire
dans l’Église, c’est son âme qu’on lui a enlevée. AÀ l’idéal d’un
gouvernement vraiment spirituel on substitua celui d’un ordre
purement formel et extérieur. Il ne s’agit pas seulement du pouvoir séculier, mais surtout des ''idées séculières'' qui entrèrent dans
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de règles pour l’Église. Et cependant dans le code actuel de
l’Empire on trouve plus de mille articles déterminant la tutelle
de l’État sur l’Église et précisant tesles fonctions de la police dans
le domaine de la foi et de la piété.</small>
 
<small>Le gouvernement séculier est déclaré par notre code « le conservateur des dogmes de la foi dominante et le gardien du bon ordre dans la sainte Église ». Nous voyons ce gardien, le glaive levé, prêt à sévir contre toute infraction à cette orthodoxie établie moins avec l’assistance du Saint-Esprit qu’avec celle des lois pénales de l’Empire russe <ref>''Ibid.'', p. 84. </ref> « ''Là, où il n’y a pas d’unité vivante et intérieure, l’intégrité extérieure ne peut être soutenue que par la violence et la fraude'' <ref>''Ibid''., p. 100.</ref>.</small>
levé, prêt à sévir contre toute infraction à cette orthodoxie
établie moins avec l’assistance du Saint-Esprit qu’avec celle des loi. pénale, de l’Empire russe <ref> ''Ibid.'', p. 84. </ref> « ''Là, où il n’y a pas d’unité vivante et intérieure, l’intégrité extérieure ne peut être soutenue que par la violence et la fraude'' <ref> ''Ibid''., p. 100.</ref>.</small>
 
AÀ propos de la persécution cruelle suscitée par le
gouvernement ecclésiastique et civil contre une secte
de protestants indigènes (les stundistes) dans la
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qu’en apparence, que ces hommes ne sont retenus dans son
sein que par la crainte des peines temporelles. Tel est donc
l’état actuel de notre EgliseÉglise ! État indigne, affligeant et affreux !
Quelle surabondance de sacrilèges dan.dans l’enceinte sacrée, de
l’hypocrisie qui remplace la vérité, de la terreur au lieu de
l’amour, de la corruption sous l’apparence d’un ordre extérieur, de la mauvaise foi dans la défense violente de la vraie
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En général, chez nous en Russie, dans les choses de l’Église,
comme dans les autres, c’est l’apparence, le ''decorum'' qu’on tient
surtout aà garder, et cela suffit à notre amour pour l’Église, à
notre amour paresseux, à notre foi fainéante. Nous fermons
volontiers les yeux et, dans notre crainte puérile du scandale,
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Tous ces maux de notre Église, — et c’est là le point le plus
important, — nous les avons sus et nouanous les savons, nous nous
sommet arrangés avec eux et nous vivons en paix. Mais cette
paix honteuse, ce.ces compromis déshonorant,déshonorants ne peuvent p..pas sauvegarder la poixpaix de l’Eglisel’Église, et dans la cause de la vérité ils signifient une défaite sinon une trahison <ref> ''Ibid''., p. 43.</ref>.
 
S’il faut en croire ses défenseurs, notre EgliseÉglise est un troupeau
grand mais infidèle, dont le pasteur est la police qui par force, à
coup de fouet, fait entrer dans le bercail les brebis égarées. Une
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intérêt, de l’État, à la discipline des mœurs. Mais l’Église, il ne
faut pas l’oublier, est un domaine où aucune altération de la
base morale ne peut être admise, où aucune infidélité au principe vivifiant ne peut rester impunie, où, si l’on ment, on ne ment pas aux hommes mais à Dieu. Une Église infidèle au testament du Christ est du monde entier le phénomène le plus stérile et le plus anormal condamné d’avance par la parole de Dieu <ref> ''Ibid''., p. 91-, 92.</ref>.
 
Une Église qui fait partie d’un État, d’un « royaume de
ce monde », a abdiqué sa mission et devra partager la destinée
de tous les royaumes de ce monde <ref> ''Ibid''., p. 111.</ref>. Elle n’a plus en elle-même
aucune raison d’être, elle se condamne à la débilité et à la
mort <ref> ''Ibid''., p. 93.</ref>.
 
La conscience russe n’est pas libre en Russie, et la pensée
religieuse reste inerte, l’abomination de la désolation s’établit au lieu saint, le souffle de la mort remplace l’esprit vivifiant ; le glaive spirituel — la parole — se couvre de rouille, supplanté par le glaive matériel de l’État, et près de l’enceinte de l’Église,
par le glaive matériel de l’État, et près de l’enceinte de l’Église,
au lieu des anges de Dieu, gardant ses entrées et ses issues, on
voit des gendarmes et des inspecteurs de police — ces gardiens
des dogmes orthodoxes, ces directeurs de notre conscience <ref> ''Ibid''., p. 83-, 84.</ref>.</small>
 
Et voici enfin la dernière conclusion de cet examen
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<small>L’esprit de vérité, l’esprit de charité, l’esprit de vie, l’esprit
de liberté — c’est son souffle salutaire qui fait défaut à l’Eglisel’Église
russe <ref> ''Ibid''., p. 127.</ref>.</small>
 
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comme s’il fallait précisément être faible et malade
pour pouvoir être étouffé. Quelles que soient les
qualités intrinsèques du peuple russe, «lieselles ne peuvent pas agir d’une manière normale tant que sa
conscience et sa pensée restent paralysées par un
régime de violence et d’obscurantisme. Il s’agit avant
tout de donner libre accès à l’air pur et 4à la lumière,
d’enlever les barrières artificielles qui retiennent l’esprit religieux de notre nation dans l’isolement et l’inertie, il s’agit de lui ouvrir le chemin droit vers la
vérité complète et vivante.
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Mais on a peur de la vérité parce que la vérité est
catholique, c’est-à-dire universelle. On veut à tout
prix avoir une religion à part, une folfoi russe, une Église
impériale. On n’y tient pas pour elle-même, mais on
veut la garder comme attribut et comme sanction du
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On se prépare chez nous à fêter solennellement le
neuvième centenaire du Christianisme en Russie. Mais
il paraît que ce sera là une fête prématurée. AÀ entendre certains patriotes, le baptême de saint Vladimir, si efficace pour le prince lui-même, n’a été pour
sa nation qu’un baptême d’eau, et il nous faudrait
être baptisés une seconde fois par l’esprit de la vérité
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sacrifice plus complet et plus efficace. Il y a une loi
morale élémentaire qui s’impose également aux individus et aux nations, et qui est exprimée dans cette
parole de l’Evangilel’Évangile, qui nous commandécommande, avant de
sacrifier aà l’autel, de faire la paix avec le frère qui a
quelque chose contre nous. Le peuple russe a un frère
qui a des griefs profonds contre lui, et il nous faut
faire la paix avec ce peuple frère et ennemi, pour commencer le sacrifice de notre égoïsme national sur
l’autel de l’Eglisel’Église universelle.
 
Ce n’est pas là une affaire de sentiment, quoique
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l’âme même du peuple polonais. Russifier la Pologne,
cela veut dire tuer une nation qui a une conscience
très développée de soi-même, qui a eu une histoire glorieuse et nous a devancedevancé dans sa culture intellectuelle, et qui, aujourd’hui encore, ne nous cède pas en activité scientifique et littéraire. Et quoique dans
ces conditions le but définitif de nos russificateurs soit
heureusement impossible à atteindre, tout ce qu’on
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d’hypocrisie, qui lui enlèvent tout prestige, et rendent
impossible tout succès durable. On ne peut pas impunément inscrire sur son étendard la liberté des peuples
slaves et autres, tout en étantôtant la liberté nationale aux
Polonais, la liberté religieuse aux Uniates et aux dissidents russes, les droits civils aux Juifs.
 
Ligne 676 ⟶ 671 :
France aussi bien qu’en Russie <ref> J’entends pour la France ce que M. Anatole Leroy-Beaulieu a si bien
nommé « l’obscure et impuissante école de Bordat-Dumoulin et de Huet ».
(V. ''La'' ''catholiques'' ''libéraux'', p. 182). En Russie, les idées de Bordat-Dumoulin ont été adoptées par Khomiakoff, qui employa son talent considérable a populariser ces idées en leur donnant un faux air d’orthodoxie
gréco-russe.</ref> un Christianisme et
une Église idéale, le Royaume spirituel de la fraternité libre et de l’amour parfait. C’est là sans doute
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En vérité, dans l’Église universelle le passé et l’avenir, la tradition et l’idéal, loin de s’exclure mutuellement, sont également essentiels et indispensables pour
constituer le vrai présent de l’humanité, son bien-être
actuel. La piété, la justice et fala charité, étrangères à toute envie et &à toute rivalité., doivent former un lien
permanent et indissoluble entre les trois agents principaux de l’humanité sociale et historique, entre les
représentants de son unité passée, de sa multiplicité
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dans l’Église par le ''sacerdoce'', les pères spirituels, les
vieux ou anciens par excellence (prêtre, de presbyteros
= senior), représentantereprésentants sur la terre du Père céleste,
l’Ancien des jours. Et pour l’Église générale ou catholiques, il doit exister un sacerdoce général ou international centralisé et unifié dans la personne d’un Père
commun de tous les peuples, le Pontife universel. Il est
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Pour atteindre l’idéal de l’unité parfaite il faut s’appuyer sur une unité ''imparfaite'', ''mais'' ''réelle''. Avant de
se réunir dans la liberté, il faut se réunir dans l’obéissance. Pour s’élever à la ''fraternité'' universelle, les nations, les états et les souverains doivent se soumettre
d’abord à ''la'' ''filiation'' universelle en reconnaissant l’autorité morale du père commun. L’oubli des sentiments
que les peuples doivent au passé religieux de l’humanité serait de très mauvais augure pour son avenir.
Quand on sème l’impiété, ce n’est pas la fraternité
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Dans la Trinité divine, la troisième personne suppose les deux premières dans leur unité. Ainsi doit-il
être dans la trinité sociale de l’humanité. L’organisation libre et parfaite de la société, ce qui est la mission des vrais prophètes, suppose l’union et la solidarité du pouvoir spirituel et du pouvoir temporel, de l’Église et de l’État, de la chrétienté et de
la nationalité. Or cette union et cette solidarité
n’existent plutplus. Elles ont été détruites par la révolte du
Fils contre le Père, par le faux absolutisme de l’État
national qui a voulu être tout en restant seul, en
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tout à fait opposés. Ce n’est pas en Occident, c’est à
Byzance que le péché originel du particularisme nationaliste et de l’absolutisme césaro-papiste a, pour la
première fois., introduit la mort dans le corps social
du Christ. Et le successeur responsable de Byzance, c’est l’empire russe. Et aujourd’hui la Russie est le
seul pays de la chrétienté où l’État national affirme
sans réserve son absolutisme exclusif en faisant de
l’Egliscl’Église un attribut de la nationalité et un instrument
passif du gouvernement séculier, et où cette suppression
de l’autorité divine n’est pas même compensée (en tant
qu’elle peut l êtrel’être) par la liberté de l’esprit humain.
 
Le second terme de la trinité sociale — l’État ou
le pouvoir séculier, — par sa position intermédiaire
entre les deux autres, est le moyen principal pour
soutenir ou bien pour détruire l’intégrité du ~corps
universel. En reconnaissant le principe de l’unité et
de la solidarité représenté par l’Église, et en réduisant, au nom de cette solidarité, à une juste mesure
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Russie chrétienne, en imitant le Christ lui-même, doit soumettre le pouvoir de l’État (la royauté du Fils) à l’autorité de l’Église universelle (le sacerdoce du Père), et donner une part à la liberté sociale (action de l’Esprit). L’empire russe, isolé dans son absolutisme, n’est qu’une menace pour la chrétienté, une menace de luttes et de guerres sans fin.
L’empire russe, voulant servir et protéger l’Église
universelle et l’organisation sociale, apportera !dans
la famille des peuples la paix et la bénédiction.