« Discours de réception à l’Académie française de Prosper Mérimée » : différence entre les versions

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[[Catégorie:XIXe siècle]]
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{{titreDiscours|Discours de réception à l’Académie française|[[Prosper Mérimée]]|Discours prononcé le 6 février 1845}}
 
 
 
:Messieurs,
 
Vos suffrages m’imposent un difficile devoir. Vous entretenir de la perte que vous avez faite, c’est vous montrer tout ce qui me manque pour la réparer. Mais je ne me préoccupe pas en ce moment d’une comparaison trop dangereuse. Ma seule crainte est de ne pas louer assez dignement un homme qui a laissé parmi vous des souvenirs ineffaçables.
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On peut dire de M. Nodier qu’il était tout imagination et tout cœur. De là les qualités si originales qui brillent dans ses ouvrages ; de là aussi leurs imperfections. Pourquoi le tairais-je en effet ? N’y a-t-il pas telle critique qui est encore un éloge ? Cet homme, qui occupe une place si particulière dans la littérature contemporaine, a-t-il fait tout ce qu’il pouvait faire ? Quand on relit ces vers charmants échappés, pour ainsi dire, à sa première jeunesse, on se demande comment s’est tue cette voix mélodieuse, qui nous eût rendu peut-être André Chénier. Quand on admire cette prose savante, où l’art des mots et des tournures n’ôte rien à l’élégante facilité du langage, on regrette qu’un si merveilleux instrument n’ait pas été employé à des œuvres plus sérieuses ; on voudrait qu’il eut moins sacrifié à des goûts fugitifs, et, si j’ose m’exprimer ainsi, à des modes littéraires. Si l’on se rappelle, enfin, ce que vous savez, Messieurs, mieux que personne, à quel degré M. Nodier possédait la connaissance grammaticale de notre langue, ses origines et ses transformations, on déplore amèrement qu’il n’ait pas laissé après lui quelqu’un de ces grands ouvrages, dans lesquels la science du passé devient la règle du présent et le guide de l’avenir. Il ne suffit pas, a dit la Rochefoucauld, d’avoir de grandes qualités, il faut en avoir l’économie. Cette économie a manqué peut-être à M. Nodier : esclave du caprice, pressé souvent par la nécessité, il travaillait au jour le jour, cédant sans cesse aux sollicitations des libraires, qui osaient tout demander à un homme dont la bonté ne savait rien refuser… Je m’arrête, Messieurs, car je m’aperçois que je fais plutôt la critique de mon temps que celle des écrits de M. Nodier. Pour lui, modeste jusqu’à l’humilité, sa seule faute fut de ne pas employer tous les dons précieux qu’il avait reçus en partage. La postérité, dont il ne s’est point assez occupé, conservera sa mémoire ; la faveur qui, de nos jours, accueillit ses ouvrages, ne les abandonnera pas : le moyen d’être sévère pour celui qu’on ne peut lire sans l’aimer !
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