« Arthur Goergei » : différence entre les versions
Contenu supprimé Contenu ajouté
mAucun résumé des modifications |
m match et typographie |
||
Ligne 1 :
{{journal|Arthur Georgei|[[Henri Blaze de Bury|H. Blaze de Bury]]|[[Revue des Deux Mondes]] T.15, 1852}}
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 15.djvu/895]]==
:''Mein leben und Wirken in Ungarn m den Jahren 1848 und 1849) (Ma Vie et mes Actes en Hongrie dans les années 1848 et 1849''), von Arthur Georgei; Leipsig, Brockhaus, 1852.▼
▲:''Mein leben und Wirken in Ungarn m den Jahren 1848 und 1849) (Ma Vie et mes Actes en Hongrie dans les années 1848 et 1849''), von Arthur Georgei ; Leipsig, Brockhaus, 1852.
La guerre de Hongrie aura tôt ou tard son histoire définitive. A côté des sources officielles qui en Russie et en Autriche se sont déjà produites, la littérature des mémoires et des confidences personnelles vient à son tour apporter de nouvelles lumières sur quelques-uns des principaux acteurs du drame madgyar. En ce point, l'ouvrage que le général Goergei vient de publier ne saurait trop attirer l'attention. Pour la première fois une voix grave et autorisée s'élève du sein de la patrie hongroise, et cette voix est celle du jeune général qui, durant une campagne d'un an et demi, a porté le plus haut la gloire des armes nationales. Suivez Goergei, et il vous introduira dans le camp madgyar, à la diète de Pesth et de Débreczin, et jusque dans le sanctuaire de cette camarilla mystérieuse dont les puérilités et les intrigues, après avoir tout compromis, devaient tout perdre. Chose édifiante et curieuse que de voir aux prises ces deux héros de la révolution hongroise : Kossuth et Goergei, l'homme de tribune et l'homme d'épée, le soldat et l'orateur. L'histoire de cet antagonisme d'avance pressenti n'est au fond que l'histoire de toutes les révolutions. Nul mieux que Kossuth ne s'entendit jamais à se draper en coryphée des droits des peuples, et rien ne l'arrêta lorsqu'il s'agit de lancer à travers l'océan furieux le navire de son pays, en ayant soin de crier au pilote : « Tu portes César et sa fortune. » Ici malheureusement une difficulté l'attendait qu'on ne peut éviter dans des circonstances pareilles qu'à la condition d'être, comme Napoléon, à la fois César et pilote. Je m'explique. Kossuth, en sa qualité de dictateur politique, devait nécessairement avoir affaire à des chefs militaires, et, si c'est une rude fonction pour un homme investi d'un caractère purement civil d'avoir, en cas de guerre, à donner des ordres à des généraux toujours prêts à mettre en avant la question de compétence, que sera-ce lorsque, ces généraux ayant pour ainsi dire chacun son drapeau personnel, sa foi particulière, on comptera en quelque sorte autant de volontés et d'impulsions que de corps d'armée! Certes l'éloquence est un glorieux don, et d'autres que M. Kossuth nous l'ont prouvé dans nos récens désastres; mais, hélas! depuis long-temps les murailles ont perdu l'habitude d'obéir à l'harmonie rhythmique d'une période, et quand l'ennemi s'approche, quand il s'agit de reprendre sur lui une citadelle, force est bien au plus divin parleur d'avoir recours aux baïonnettes. Or les baïonnettes, ce sont les généraux qui les commandent, et si ces généraux trouvent à propos de déchirer les instructions que vous leur adressez, s'ils haussent les épaules de pitié à chacune de vos remontrances, contre de tels méfaits quel parti prendrez-vous? Etes-vous la convention pour envoyer à la guillotine ces hommes superbes qui vous narguent et vous jettent du milieu de la poudre et des balles cette invective dédaigneuse que celui qui paie de sa personne ne marchande jamais à celui qui ne paie que de sa parole? Querelles entre Goergei et Dembinski, entre Kern et Vécsey, entre Vetter et Bänffy, c'était le camp des Grecs devant Troie que cette armée hongroise où s'agitaient toutes les opinions, toutes les passions, toutes les animosités, toutes les haines de la diète de Débreczin.▼
La guerre de Hongrie aura tôt ou tard son histoire définitive. À côté des sources officielles qui en Russie et en Autriche se sont déjà produites, la littérature des mémoires et des confidences personnelles vient à son tour apporter de nouvelles lumières sur quelques-uns des principaux acteurs du drame madgyar. En ce point, l’ouvrage que le général Goergei vient de publier ne saurait trop attirer l’attention. Pour la première fois une voix grave et autorisée s’élève du sein de la patrie hongroise, et cette voix est celle du jeune général qui, durant une campagne d’un an et demi, a porté le plus haut la gloire des armes nationales. Suivez Goergei, et il vous introduira dans le camp madgyar, à la diète de Pesth et de Débreczin, et jusque dans le sanctuaire de cette camarilla mystérieuse dont les puérilités et les intrigues, après avoir tout compromis, devaient tout perdre. Chose édifiante et curieuse que de voir aux prises ces deux héros de la révolution hongroise : Kossuth et Goergei, l’homme de tribune et l’homme d’épée, le soldat et l’orateur. L’histoire de cet antagonisme d’avance pressenti n’est au fond que l’histoire de toutes les révolutions. Nul mieux que Kossuth ne s’entendit jamais à se draper en coryphée des droits des peuples, et rien ne l’arrêta lorsqu’il s’agit de lancer à travers l’océan furieux le navire de son pays, en ayant soin de crier au pilote : « Tu portes César et sa fortune. » Ici malheureusement une difficulté l’attendait qu’on
L'assemblée madgyare, qui, après avoir successivement transporté ses pénates de Presbourg à Pesth, en avril 1849 siégeait à Débreczin, se composait, comme toutes les assemblées de ce genre, d'une droite, d'un centre et d'une gauche. Or, chacun de ces partis étant représenté dans l'année, il convient de les passer en revue, si l'on veut se rendre compte des tiraillemens qui ne cessèrent jusqu'à la fin d'exister entre le gouvernement central et les divers chefs en qui s'incarnait la force militaire.▼
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 15.djvu/896]]==
▲
▲
Dans cette lutte avec l'Autriche, chacun en effet avait son point de vue. La droite, par exemple, combattait pour son souverain légitime, le roi Ferdinand V. A ses yeux, le jeune roi François-Joseph, n'ayant rempli aucune des conditions imposées par la loi pragmatique, n'ayant pas même atteint l'âge voulu, était simplement un usurpateur. En minorité dans le parlement, ce parti avait pour principaux coryphées à l'armée les Goergei, les Damjanich, les Véczey,les Linange, et bon nombre d'autres généraux, jadis officiers dans l'armée autrichienne et chez lesquels la foi royaliste survivait. En levant au nom du roi Ferdinand l'étendard de l'insurrection contre une cause qu'ils déclaraient usurpatrice, ces hommes, à les entendre, ne violaient aucun serment. Tel fut, dès le début, le caractère des proclamations de Goergei à ses soldats, tel fut le sens du chiffre inscrit sur ses drapeaux F. V. (Ferdinand V). Quant aux troupes qu'il commandait, vous ne leur eussiez pas ôté de l'esprit qu'elles se battaient pour le roi, et je ne parle point seulement ici des régimens réguliers, mais même des bataillons de ''honveds'', de tous leurs officiers du moins. Qu'un semblable parti n'eût point de répugnance à négocier avec l'Autriche, on le comprendra sans peine, car au fond il s'agissait pour lui beaucoup moins d'une question de vie et de mort entre l'Autriche et la Hongrie que de certaines concessions que la couronne royale de Hongrie réclamait de la couronne impériale d'Autriche.▼
Dans cette lutte avec l’Autriche, chacun en effet avait son point de vue. La droite, par exemple, combattait pour son souverain légitime, le roi Ferdinand V. À ses yeux, le jeune roi François-Joseph, n’ayant rempli aucune des conditions imposées par la loi pragmatique, n’ayant pas même atteint l’âge voulu, était simplement un usurpateur. En minorité dans le parlement, ce parti avait pour principaux coryphées à l’armée les Goergei, les Damjanich, les Véczey,les Linange, et bon nombre d’autres généraux, jadis officiers dans l’armée autrichienne et chez lesquels la foi royaliste survivait. En levant au nom du roi
Passons maintenant à la seconde fraction du parlement, aux hommes de l'indépendance nationale. Ceux-là voulaient une Hongrie indépendante, avec les antiques frontières et l'intégrité du territoire, un état nouveau prenant place au banquet des puissances de l'Europe. Après cela, monarchie ou république, il leur importait peu; la grande affaire, c'était d'abord de secouer le joug détesté des Habsbourg, et d'asservir par le fer et le feu les nations slaves qui refuseraient d'accepter l'autocratie madgyare. Ensuite on verrait à se faire république ou monarchie, selon les circonstances, et selon que le vent soufflerait du nord ou du midi, république du Danube, si le principe républicain finissait par triompher, et, dans le cas contraire, monarchie élective. Salut, Kossuth, tu seras roi! Glorieuse chimère bien souvent caressée peut-être aux heures d'ovation et d'omnipotence, qui s'évanouit pour jamais au jour où les baïonnettes autrichiennes, comme une autre forêt de Birnam, franchirent la Laylha!▼
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 15.djvu/897]]==
▲
▲Passons maintenant à la seconde fraction du parlement, aux hommes de
Quant au troisième parti, la gauche, ce qu'il lui fallait à lui, ce n'était plus seulement l'indépendance et l'autonomie, mais bel et bien la république hongroise avec des institutions démocratiques. Cette coalition avait pour chef le jacobin Ladislas Madarass, ministre de la police sous le second ministère, le même qui, lors de la fameuse harangue que tint Kossuth du haut du balcon de la redoute de Pesth, voulait à toute force coiffer l'agitateur d'une toque à plume rouge, honneur dont le fougueux tribun sentit pourtant tout le ridicule et qu'il repoussa formellement. Ainsi que l'opinion royaliste était représentée dans l'armée par la plupart des généraux qui jadis avaient servi en qualité d'officiers sous le drapeau de l'Autriche, ainsi l'opinion démocratique comptait parmi les chefs militaires de nombreux adhérons. C'étaient d'abord les Maurice Perczel, les Kméty, les Guyon, puis toute la Pologne, les Bem, les Dembinski, les Woroniewski; aux yeux de ces derniers, la guerre de territoire que soutenaient les Hongrois ne valait qu'en tant qu'elle pouvait réveiller chez les peuples de l'Europe ces mouvemens insurrectionnels que les nobles vaincus de Varsovie avaient pour mission de promener par le monde. De l'idée purement madgyare, ils en eussent fait bon marché; au demeurant, ils la trouvaient mesquine, et s'ils étaient entrés dans cette querelle particulière, c'était pour arriver à la question générale, qui les préoccupait bien autrement. De là, cette tendance à élargir le champ d'opérations, cet instinct dévorant qui les poussait à sortir des frontières que les paladins de la nationalité hongroise s'étaient promis de respecter. Goergei a démontré dans ses mémoires, par des argumens stratégiques, ce qu'avait d'impraticable ce plan si souvent caressé des généraux polonais, qui consistait à porter soudainement la guerre au cœur même de la monarchie autrichienne; au plus fort de la lutte, il s'y était déjà opposé par le sentiment de la cause qu'il avait entrepris de défendre, nous dirions presque par chevalerie. Marcher directement sur Vienne, anéantir l'Autriche et provoquer ainsi une collision universelle, voilà ce que voulaient Bem et Dembinski, voilà ce que Goergei ne voulait pas. La légitimité de sa cause (nous constatons un fait sans discuter le point de vue) en eût souffert sensiblement; d'ailleurs, jamais ni lui ni ses compagnons d'armes, ni ses vieux régimens, qui formaient en somme la meilleure partie du contingent hongrois, n'eussent consenti à donner la main à la révolution. Ou ne saurait trop le redire, entre la révolution européenne de 1848 et la guerre de l'indépendance madgyare, il n'y a pas l'ombre de communauté à établir. Si les deux mouvemens ont été mille fois improprement confondus, la faute en est au parti polonais, coupable d'avoir introduit l'élément révolutionnaire dans un démêlé de droit national. Pas plus avec les insurgés devienne qu'avec les démagogues de Berlin et les socialistes de Paris, le soulèvement de la Hongrie n'avait affaire. J'ajoute qu'il y avait au fond de cette insurrection madgyare un caractère de féodale aristocratie qui ne s'accommode pas le moins du monde avec les théories qui se prêchent d'habitude sur la montagne. Le prince Windisch-Graetz, alors qu'il faisait dire à Kossuth: « Je ne traite pas avec des rebelles. » entrait admirablement dans le sens de la chose. Rebelles, oui, mais non pas révolutionnaires. Si la révolution s'en mêla, ce fut après coup, et, comme on dit, pour pêcher en eau trouble : il y aura d'ailleurs toujours des hommes qui se tromperont de pays et dédales; mais, je le répète, la rébellion hongroise, à la prendre dans son expression la plus simple à la fois et la plus élevée, ne saurait avoir rien de commun avec les mille et une tentatives anarchiques de 1848, et c'est ce sentiment de roideur barbare, cet individualisme national porté à l'excès qu'il s'agit de ne point perdre de vue, si Ion veut se rendre compte de certains événemens jusque-là inexpliqués, percer la nuit dont s'enveloppent certains actes de la politique madgyare et se rendre un compte exact de mainte physionomie restée douteuse de l'énigmatique Goergei par exemple, qu'il est temps d'aborder.▼
Quant au troisième parti, la gauche, ce qu’il lui fallait à lui, ce n’était plus seulement l’indépendance et l’autonomie, mais bel et bien la république hongroise avec des institutions démocratiques. Cette coalition avait pour chef le jacobin Ladislas Madarass, ministre de la police sous le second ministère, le même qui, lors de la fameuse harangue que tint Kossuth du haut du balcon de la redoute de Pesth, voulait à toute force coiffer l’agitateur d’une toque à plume rouge, honneur dont le fougueux tribun sentit pourtant tout le ridicule et qu’il repoussa formellement. Ainsi que l’opinion royaliste était représentée dans l’armée par la plupart des généraux qui jadis avaient servi en qualité d’officiers sous le drapeau de l’Autriche, ainsi l’opinion démocratique comptait parmi les chefs militaires de nombreux adhérons. C’étaient d’abord les Maurice Perczel, les Kméty, les Guyon, puis toute la Pologne, les Bem, les Dembinski, les Woroniewski ; aux yeux de ces derniers, la guerre de territoire que soutenaient les Hongrois ne valait qu’en tant qu’elle
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 15.djvu/898]]==
▲
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 15.djvu/899]]==
et se rendre un compte exact de mainte physionomie restée douteuse de l’énigmatique Goergei par exemple, qu’il est temps d’aborder.
<center>I</center>
Arthur Goergei, né en janvier 1818 à Topportz, possession héréditaire de sa famille, dans le comté de Zips, appartient à une race noble où la bravoure est dans le sang. Nous voyons en 1512 un Stéphan Goergei battre à Rozgoni, près Kaschau, le puissant comte Mathieu de Trentschin, et,
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 15.djvu/900]]==
En quittant Tuln, Goergei vint à Vienne, où il entra dans les gardes nobles hongrois ; Là encore il se distingua par le sérieux de son humeur,
Le 27 septembre 1848, les comtes Eugène et Paul Zichy, venant de Stuhlweissenbourg, étaient arrêtés aux avant-postes hongrois et conduits sous escorte au quartier-général
«
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 15.djvu/901]]== du sud déblatérant avec fureur contre les prisonniers. Or, comme je cherchais à part moi quels moyens mettre en œuvre pour sauvegarder ces malheureux jeunes gens, je rencontrai deux officiers Le conseil de guerre, en effet,
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 15.djvu/902]]== et silencieux jusque-là, Il
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 15.djvu/903]]== et le lendemain nous le retrouvons à Pesth, où il dépose entre les mains de Kossuth les valeurs provenant de la succession du comte Zichy. « Kossuth demeurait alors à Le 4 octobre, Goergei fut nommé major au corps
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 15.djvu/904]]== l’ennemi à distance ; Goergei, qui devait être
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 15.djvu/905]]==
Ces lamentables querelles ne cessaient de se reproduire au camp hongrois. Il est vrai
Cependant cette chaude colère de Perczel contre Goergei eut son terme. Un succès obtenu sur les Croates à quelques jours de là, succès dont Goergei fut, à ce
À ce moment (octobre 1848), le comité de défense nationale n’était
A ce moment (octobre 1848), le comité de défense nationale n'était point sans défiance sur la fidélité du général Moga. Le peu d'énergie qu'on avait montrée devant l'invasion croate lors de l'affaire de Pacoszd, le désordre survenu tout à coup dans des troupes qui, jusqu'à la fin du combat, semblaient devoir rester victorieuses; enfin les trois jours d'armistice accordés au ban et dont Jellachich avait profité pour opérer librement sa retraite, tout cela ne laissait pas d'inspirer aux membres du gouvernement les doutes les plus graves. Vainement les rapports du commissaire Ladislas Czanyi témoignaient en faveur de la loyauté du général. Le conseil de gouvernement avait fini par se persuader que Czanyi pouvait bien n'être, en somme, que la dupe des manœuvres de Moga et de son entourage, et, décidé à savoir la vérité, il résolut d'envoyer sur les lieux un homme clairvoyant et pratique, ayant ordre d'observer par lui-même les moindres mouvemens du général Moga. Arthur Goergei fut l'homme qu'on choisit pour cette mission. Il était alors colonel ; mais, en le congédiant, Kossuth lui remit le brevet de général, avec injonction de le garder en poche jusqu'au moment où, la prétendue trahison de Moga éclatant à ses yeux, il jugerait opportun de saisir le commandement à sa place. Arrivé à Parendorf, où Moga tenait son quartier-général, Goergei sut bientôt à quoi s'en tenir sur ces éternelles accusations de trahison dont les comités révolutionnaires se sont montrés toujours si prodigues envers leurs généraux, et qui devaient lui-même si cruellement l'atteindre plus tard; mais, hélas ! tout en appréciant la fausseté de certains bruits, quel triste compte il se rendait de cet effectif militaire! « Au quartier-général de Parendorf, vous n'entendiez parler que de la prochaine irruption de l'ennemi, et cependant les troupes étaient dans un état de dislocation tel qu'on aurait pu croire au règne de la paix universelle. Si vous demandiez aux différens chefs de l'état-major des renseignemens sur tel ou tel régiment, vous les embarrassiez beaucoup, car ils ne savaient au juste si ces régimens existaient encore, et, s'ils existaient, où il fallait s'adresser pour avoir de leurs nouvelles. D'autres, dont on vous avait raconté en détail la dislocation, apparaissaient tout à coup comme par miracle, et semblaient tomber de la lune. Somme toute, ce quartier-général de Parendorf me paraissait en proie au même esprit de vertige et d'erreur qui travaillait alors la diète et le comité de gouvernement. De trahison, il n'y en avait pas : la trahison implique une force de volonté, et, ce qui me frappait, c'était l'absence complète de toute combinaison, de tout calcul; au-dessus de Parendorf comme au-dessus de Pesth flottaient les ombres de la nuit et les nuages de l'incertitude <ref> ''Mein Leben, t. Ier, p. 59. </ref> ». ▼
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 15.djvu/906]]==
▲
On devine si Goergei, esprit froid, méthodique, habitué à prendre les
On devine si Goergei, esprit froid, méthodique, habitué à prendre les choses pour ce qu'elles sont, devait, vis-à-vis d'une situation pareille, adopter raisonnablement le plan de campagne de Kossuth, qui consistait à marcher droit sur Vienne. A ses yeux, commencer une guerre offensive avec les forces incohérentes dont on disposait, c'était courir à la déroute, et il n'y avait, disait-il en souriant, qu'un ''général Kossuth'' qui pût vouloir mettre à exécution des idées de ce genre. Kossuth cependant n'en démordait pas, et un beau soir on apprend au quartier-général de Parendorf que le chimérique agitateur est arrivé à Nikelsdorf, entraînant à sa suite des milliers de héros. A cette nouvelle, Moga et son état-major se rendent auprès de Kossuth, et là s'ouvre un conseil militaire sous la présidence du dictateur. Kossuth fut éloquent, il représenta la marche sur Vienne comme une nécessité qu'imposaient les circonstances, comme un devoir sacré auquel on ne pouvait faillir sans se couvrir d'ignominie; il peignit sous les plus vives couleurs le dévouement des Viennois à la liberté de la Hongrie et la solidarité glorieuse des deux causes. « Vienne est encore debout! s'écria-t-il en terminant : le courage de ses habitans, de nos chers et fidèles alliés, résiste encore aux attaques impies des généraux réactionnaires; mais, si nous ne nous hâtons de leur venir en aide, ils succomberont, car la lutte qu'ils soutiennent est inégale. Volons donc à la défense de Vienne, l'honneur ainsi l'ordonne, et soyez sûrs, messieurs, que la victoire nous y attend. J'amène avec moi, pour servir de renfort à votre belliqueuse armée, douze mille guerriers qu’''à défaut de l'expérience militaire enflamme la sainte ardeur du patriotisme'', et qui brûlent du désir de disputer à leurs camarades plus aguerris les lauriers du champ de bataille. En avant donc, messieurs, en avant! nos amis de Vienne nous appellent, et la Hongrie ne faillira jamais à la cause de ses amis! »▼
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 15.djvu/907]]==
▲
« Je mets de côte la question politique et
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 15.djvu/908]]== même Ces paroles du jeune général
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 15.djvu/909]]== pensez, continua le dictateur légèrement aigri, que nous ne ramènerions pas un seul homme de cette armée ? Goergei
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 15.djvu/910]]== et La campagne de Goergei à travers les Karpathes est, au dire des officiers les plus compétens, un fait militaire digne
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 15.djvu/911]]== intentions du gouvernement, et ne se sentaient nul souci de quitter le sol légal sur lequel il ne leur en coûtait déjà que trop « 1° Le corps
« 2" Le corps
« 3° De
« 4" Le corps
Observons qu’à cette époque le mot de séparation d’avec l’Autriche
Observons qu'à cette époque le mot de séparation d'avec l'Autriche n'avait pas encore été prononcé; mais Goergei connaissait son monde et pressentait de loin les terribles abîmes où l'illusion d'une victoire ne manquerait pas d'entraîner tôt ou tard l'esprit aventureux de Kossuth. Quelques heures après le succès de Waitzen, le jeune général, cachetant son rapport au gouvernement provisoire, disait à l'un de ses amis, le général Gaspar : « J'ai presque envie de ne pas envoyer à Débreczin la nouvelle de cette affaire, car ces imbéciles sont capables de proclamer l'indépendance. » Patience, on ne perdait rien pour attendre, et ce qu'on n'avait pas osé faire au lendemain de Waitzen, on l'entreprit audacieusement après la victoire d'Issaszeg, où la fortune des armes hongroises atteignit son point culminant. La fougue de Kossuth n'y tenait plus, son ivresse touchait à la démence, et le malheur voulait que la démence de Kossuth fût à cette heure suprême l'unique évangile de cette généreuse nation.▼
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 15.djvu/912]]==
▲
Le triomphe des Autrichiens à Kapolna avait eu, comme on sait, pour conséquence la proclamation de la constitution octroyée du 4 mars 1849. Cette constitution, en mettant la Hongrie au rang de province conquise, en
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 15.djvu/913]]== national, et transformait en guerre de principe une guerre <center>II</center>
Les conséquences de la déclaration du 14 avril, si elles échappaient à
« La patience de la nation est à bout, dit
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 15.djvu/914]]== Les peuples de De telles illusions chez un homme investi de la confiance
« A vous parler franchement, dit Goergei <ref> ''Mein Leben'', t. Ier, p. 154.</ref>, tout ceci ne me persuade guère. Ce
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 15.djvu/915]]== jusqu’ici nous avions prise ? Pouvions-nous répondre à la constitution octroyée du 4 mars plus dignement que nous no Kossulh alors demanda
« Et à quoi,
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 15.djvu/916]]== cette injure, et « Un arrêté du ministre de la guerre en date du 12 février 1849 place sous les ordres du lieutenant-général Dembinski le corps
« En portant ce fait à la connaissance de la 16e division, je recommande solennellement à tous les officiers sous mes ordres de supporter cette espèce
Ce document, on en conviendra,
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 15.djvu/917]]== j’avoue même que Cependant les victoires ne se succédaient pas, tant
« Le 26 février dans la matinée,
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 15.djvu/918]]== pour la ville Le 26 donc au matin, les colonnes autrichiennes Schwarzenberg et Wrbna tombaient sur les Hongrois à une lieue environ du petit village de Kapolna. Le général Dembinski, saisi à
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 15.djvu/919]]== briser le centre des impériaux ; mais, les deux colonnes Schwarzenberg et Wrbna ayant vigoureusement repoussé le choc, la confusion se mit dans les rangs des Hongrois, qui se retirèrent en pleine débandade sur Kapolna et Kal. Ici Goergei
Si l’on a pu justement reprocher au maréchal Windisch-Graetz ses lenteurs et ses indécisions après Kapolna, comment apprécier la conduite
Si l'on a pu justement reprocher au maréchal Windisch-Graetz ses lenteurs et ses indécisions après Kapolna, comment apprécier la conduite du général en chef de l'armée autrichienne, quand on assiste à ce qui se passait un peu plus tard au camp hongrois? A Tisza-Fured, en effet, se jouait un de ces drames soldatesques moitié tragiques, moitié bouffons, renouvelés de la guerre de trente ans. L’état-major tout entier, ayant à sa tête les généraux Goergei, Vetter et Klapka, rejetaient hautement sur Dembinski la responsabilité des désastres de Kapolna. On reprochait au général polonais d'avoir : 1° pendant la première journée, compromis gravement le salut des troupes en lançant la cavalerie à travers des terrains marécageux; 2° d'avoir, en attribuant à un corps d'armée des divisions appartenant à un autre, mis les chefs respectifs de ces différens corps dans l'impossibilité d'utiliser les bataillons selon leur aptitude et leur plus ou moins d'expérience; 3° d'avoir, à Poröslo, par des mesures prises en dépit des règles les plus élémentaires de la stratégie, exposé à des périls certains le corps d'armée du général Goergei, périls auxquels le jeune capitaine n'avait échappé qu'en contrevenant ouvertement aux ordres de son commandant supérieur. Les officiers accusaient en outre le général polonais d'avoir, durant un combat de trois jours, laissé les troupes sans subsistance. « Battre l'ennemi et bien manger, à la bonne heure ; être battu et bien manger, passe encore; mais subir à la fois et la défaite avec toutes ses horreurs et la faim avec ses tortures, oh! pour le coup, c'en était trop, et nous ne voulions pas en supporter davantage. »▼
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 15.djvu/920]]==
▲
La situation était, on le voit, excessivement tendue. Dembinski en écrivit à Kossuth, lequel se mit en route sur-le-champ pour évoquer
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 15.djvu/921]]== bonnets à poil postés en faction par ordre de Goergei à la porte de Ainsi la proclamation de Waitzen triomphait des sourdes menées du congrès de Débreczin ;
Physionomie originale et brillante que ce Damjanich, cœur de lion, tempérament à la Kléber ! La première fois que lui et Goergei se rencontrèrent,
Damjanich ne manquait pas une occasion de se rendre coupable des
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 15.djvu/922]]== plus flagrantes insubordinations à Force fut à Kossuth de faire à mauvais jeu bonne mine et de rendre alors à Goergei ce bâton de commandement dont, par sa brillante campagne
Cependant, du haut de la citadelle
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 15.djvu/923]]== par un tardif, mais glorieux retour, couronnait les armes nationales, où les célébrer, sinon dans Lorsque de Waitzen vous descendez le Danube
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 15.djvu/924]]== tel ==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 15.djvu/925]]== Miguel, puis le 49e ''honveds'', ==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 15.djvu/926]]== dans une partie de ==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 15.djvu/927]]== jamais, et surtout <center>III</center>
On avait gaspillé beaucoup de temps, on allait en gaspiller encore davantage, et tandis que, du fond des provinces de son immense empire, la Russie évoquait des légions intactes, tandis que
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 15.djvu/928]]== l’ordre formel Tels étaient les menaçans auspices sous lesquels Goergei entreprit sa dernière campagne. Kossuth, dont les rancunes ne pardonnaient pas, voulut
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 15.djvu/929]]== la guerre sur la rive droite du Danube. Une telle irrésolution, une telle anarchie régnaient alors dans les conseils de la Hongrie,
En ce moment, Goergei eut véritablement dans ses mains le sort de la Hongrie. Libre de ses mouvemens, affranchi pour jamais du joug
En ce moment, Goergei eut véritablement dans ses mains le sort de la Hongrie. Libre de ses mouvemens, affranchi pour jamais du joug d'un gouvernement inepte dont il venait de briser la dernière intrigue, il pouvait, sinon vaincre, du moins négocier encore avec autorité, et, par un acte de soumission solennelle, sauvegarder peut-être, en même temps que la vie de tous ses valeureux compagnons d'armes, l'existence nationale de son pays. Déclarer publiquement à la Hongrie ce que tant d'autres avaient intérêt à lui cacher : à savoir que toute espèce de résistance était devenue impossible; puis, à la tête de soixante mille hommes de troupes aguerries, adossé sur la citadelle de Komorn, ce Gibraltar de l'Autriche, se réconcilier avec la couronne impériale, - il semble que c'eût été là mettre un noble terme à ces fastes tragiques, et bien des funérailles que la cloche d'Arad sonna plus tard eussent sans doute été évitées. Pourquoi Goergei hésita-t-il? Qui l'arrêta? Ce ne furent point à coup sûr ses illusions; quant à des scrupules, est-il permis de les supposer chez un homme qui devait, à quelques semaines de là, remettre au fourreau, sans conditions, cette épée qui pouvait encore, à cette époque, obtenir beaucoup du monarque en s'abaissant devant lui? « Tu nous réconcilieras avec l'empereur, » comment cette belle parole du chevaleresque Damjanich, un des paladins de sa table-ronde, ne revint-elle pas à son esprit? Il pouvait être le Monk de cette révolution hongroise. Son royalisme bien connu, son dévouement au drapeau constitutionnel de l'Autriche, sa haine de la démagogie, tout paraissait lui indiquer ce rôle; il hésita1, et n'en fut que le Dumouriez.▼
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 15.djvu/930]]==
▲
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 15.djvu/931]]==
Il lui fallut alors revenir à son ancien échiquier du nord de la Hongrie. Prompt à
Cependant le 2 août, vers deux heures du matin, les Russes tombaient sur Nagy-Sandor. Les Hongrois étaient parvenus à cacher si adroitement leur artillerie dans les champs de maïs qui entourent Débreczin, que les batteries russes durent arrêter leur feu et se retirer ; néanmoins, il ne manœuvre en liane du général Gillenschmidt ayant forcé l’artillerie hongroise de changer de position, elle se vit tout à coup attaquée et mise en déroule par les masses de la cavalerie russe. Ce mouvement décida de la journée ; le corps d’armée de Nagy-Sandor prit la fuite du côté de Débreczin, harcelé par les cavaliers musulmans et cosaques qui le poursuivirent jusqu’à travers les rues de la ville. La
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 15.djvu/932]]==
défaite des Hongrois était complète ; Goergei se réunit, à Grosswardein avec ce qui restait des troupes de Nagy-Sandor. Tant de marches, de travaux et de privations avaient épuisé cette armée, que son général aux abois voyait de jour en jour diminuer et se fondre. La guerre de partisans n’était même plus soutenable à cette heure. Goergei alors se retira sur Arad pour y faire sa jonction avec l’armée du sud et y prendre, d’après les ordres du gouvernement, le commandement supérieur de toutes les forces militantes de la Hongrie. Comme il était campé dans Alt-Arad, Kossuth, toujours en incubation de fourberies nouvelles, dépêcha de la citadelle d’Arad un courrier chargé de l’informer que les Autrichiens venaient d’être battus à plat. Naturellement l’histoire était fausse. Goergei n’eut pas de peine à s’en douter, et ses pressentimens ne furent que trop justifiés, lorsqu’il apprit quelques heures plus tard l’entière déconfiture de Dembinski, lorsqu’il sut que Bem, après être parvenu à prolonger d’un moment la bataille, n’en avait pas moins essuyé une déroute telle que de cinquante mille hommes (et cela de l’aveu de Kossuth lui-même), il lui en restait tout au plus six mille. Le 10 août au soir, Goergei fit son entrée dans la citadelle d’Arad ; le 11, il prenait la dictature, et le premier usage qu’il faisait de ses pouvoirs discrétionnaires sur la nation et sur l’armée était de conclure avec le prince de Varsovie, par l’entremise du général Rüdiger, l’acte de capitulation qui devait le surlendemain recevoir son exécution à Vilagos. On se tromperait fort à croire que Goergei eût attendu jusque-là pour agiter dans sa pensée des projets de capitulation avec la Russie. « Dès que la Hongrie doit succomber, peu importe laquelle des deux puissances de la Russie ou de l’Autriche lui frappera les derniers coups ; mais ce qui nous intéresse, c’est de savoir à laquelle des deux elle restera en partage ; ce qui nous intéresse, c’est que les suprêmes efforts de notre désespoir atteignent celle-ci plutôt que celle-là. » Ainsi parlait Goergei le 26 juin, dans le dernier conseil où il siégea en qualité de ministre de la guerre <ref> ''Mein Leben'', t. II, p. 189. </ref>, alors que l’invasion de l’armée russe, écartant d’emblée toute idée de salut ultérieur, ne laissait plus debout qu’une question : vendre le plus cher possible son agonie à l’ennemi qu’on détestait davantage. Or cet ennemi, qui en doute ? c’était ''l’Autrichien abhorré'', l’Autrichien premier coupable, en fin décompte, de tous les maux infligés à la patrie madgyare. Multiplier les rencontres avec les impériaux et leur porter les plus fréquentes et les plus douloureuses blessures, en attendant la venue des Russes ; les Russes une fois en présence, entamer avec eux des négociations pacifiques, — voilà quels furent véritablement les principes de la politique de Goergei pendant cette période de convulsion. Et cette politique, il n’en fit point
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 15.djvu/933]]==
mystère, il la pratiqua dès le commencement au vu et su de chacun, de Kossuth tout le premier, qui ne la désapprouvait pas, du moins ouvertement. Quel sens autrement faudrait-il attribuer à cette visite au quartier-général de Nyir-Adony (le 1er août) des ministres Széméré et Casimir Batthyanyi, chargés tous deux officiellement de s’entendre avec Goergci sur les moyens d’offrir la couronne de Hongrie au duc de Leuchtenberg, et de sauver, en la mettant sous la protection de la dynastie des Romanow, cette indépendance de la patrie pour laquelle il était bien reconnu désormais que le manifeste révolutionnaire du 14 avril ne pouvait plus rien ? Il y a certaines illusions dont jamais, si optimiste qu’on le suppose, Kossuth ne fut la dupe ; par exemple, il est impossible d’imaginer qu’il ait cru même un seul instant que la Hongrie soutiendrait à elle seule le double choc de la Russie et de l’Autriche. Non, cette prétendue confiance n’était chez lui qu’une affaire de mise en scène. Voyez, à dater du 14 avril, quel mal il se donne pour tromper la nation sur les dangers qui la menacent du côté de la Russie, dangers sur lesquels il réussit à endormir si bien son monde, que le général Rem lui-même, jouet de cette parole illusoire, perd les défilés de Transylvanie avant de s’être douté seulement qu’ils fussent au moment d’être attaques. Voyez avec quel aplomb incroyable il parvient à persuader à ce malheureux pays que lui, Kossuth, exerce sur la politique générale de l’Europe une influence énorme à l’aide de laquelle il doit finalement (je cite ici ses propres expressions), sinon ''aboutir à vaincre la coalition austro-russe, du moins procurer à son pays une paix honorable achetée sans doute au prix de cruels et nombreux sacrifices, mais qui aura pour résultat de garantir la liberté''. Ainsi, même avec cette intervention tant annoncée de la France, de l’Angleterre, des États-Unis et de la Turquie, point de victoire définitive, mais tout simplement une paix honorable achetée au prix de nombreux sacrifices ! C’est, il faut l’avouer, se montrer modeste en ses ambitions, et un pareil homme aurait jamais pu croire de bonne foi que son peuple, comme il l’appelait, était assez fort pour battre à lui seul les Russes et les Autrichiens ! Quelle plaisanterie ! Kossuth a de ces retours qui vous confondent en vous laissant voir à tout instant le comédien narquois et vantard à côté de l’homme politique capable, je ne dirai pas de mener à bout, mais d’entreprendre de grands desseins. Les expédiens, voilà son vrai cheval de bataille. « Si Dieu nous refuse son secours, que le diable nous vienne en aide ! » J’ignore si ce mot qu’on lui attribue est de lui, en tout cas il le peint à merveille. Républicain à Débreczin, nous le voyons brusquement se convertir à la foi monarchique et mettre la couronne de saint Etienne aux pieds du gendre de l’empereur Nicolas. Athée, ou pour le moins sceptique en matière religieuse, il recommande publiquement le jeûne et les macérations comme un
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 15.djvu/934]]==
moyen d’arrêter la marche des Autrichiens et des Russes. Goergei, dans l’exposé très complet qu’il donne de ses négociations avec le général Rüdiger, y rapporte un trait qui touche au sublime de ce genre héroï-comique où Kossuth excelle. « Le gouverneur me demanda alors ce que j’entendais faire au cas où, la nouvelle de la victoire de Dembinski à Témeswar se confirmant, je réussirais à opérer ma jonction avec lui et serais investi par le gouvernement du commandement supérieur des deux armées ? Je lui répondis qu’en ce cas je m’arrangerais de manière à prendre les. Autrichiens à partie et à leur livrer bataille avec toutes mnies forces rassemblées. — Et si c’étaient au contraire les Autrichiens qui eussent vaincu à Témeswar ? dit Kossuth. -''Alors je mettrais bas les armes'' ! — Et moi, répliqua Kossuth, je me brûlerais la cervelle <ref> ''Mein Leben'', t. II, p. 381. </ref> ! » Ce mot fut prononcé avec un accent si profondément convaincu, avec une telle vérité d’expression et de pantomime, que Goergei le prit au sérieux et chercha naïvement à dissuader Kossuth d’un acte si répréhensible, lui disant qu’il devait préférer la fuite au suicide, vu que son existence importait encore à la pairie, dont il pourrait servir la cause à l’étranger. Mais n’insistons pas davantage sur cette parole fort heureusement non suivie d’effet. Ce qui reste établi, c’est que Kossuth était dans l’entière confidence des projets de Goergei touchant la capitulation.
Ces projets, Kossuth les approuvait ''in petto'' ou les condamnait :
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 15.djvu/935]]== pour ôter à ses négociations toute apparence de révolte contre ::
Sauver le pays par les armes ! après
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 15.djvu/936]]== m’eût manqué, il Cependant cette lettre, pas plus que les mémoires du général madgyar, ne lève deux ou trois objections graves qui se présentent et que
Cependant cette lettre, pas plus que les mémoires du général madgyar, ne lève deux ou trois objections graves qui se présentent et que Goergei n'affronte nulle part, sans doute parce que sa conscience lui dit que s'il essayait d'y répondre, les bonnes raisons lui manqueraient. Écartons cette idée ridicule de haute trahison, à laquelle les plus acharnés adversaires du jeune général semblent avoir eux-mêmes renoncé : il n'en reste pas moins à se demander pourquoi Goergei, ayant acquis l'inébranlable certitude qu'il ne pouvait plus rien désormais contre les forces combinées de l'Autriche et de la Russie, gardait son commandement et continuait la guerre? Autre énigme. La déclaration du 14 avril ouvre un abîme infranchissable entre le gouvernement provisoire et le général de l'armée du Haut-Danube. Deux partis s'offraient alors à Goergei : abdiquer ses fonctions, refuser publiquement le concours de son épée à une cause qui cessait d'être la sienne, ou relever fièrement la tête contre une autorité révolutionnaire, proclamer sa déchéance, et puiser dans le vieux royalisme de ses compagnons d'armes l'audace d'un de ces coups d'état qui tranchent les situations. Au lieu d'en venir à ces glorieuses extrémités, il hésite et perd son temps à calculer l'influence que son éloignement pourrait avoir sur les troupes; incapable à la fois d'agir et de se démettre, il va d'irrésolution en irrésolution, et finit par consentir à recevoir des mains d'un gouvernement qu'il méprise le portefeuille de ministre de la guerre et le commandement d'une armée, qu'en se ravisant alors qu'il était temps encore, on aurait pu faire servir à de grands desseins. Quelques-uns des anciens amis de Goergei m'ont souvent assuré que la chose au monde qui manquait le plus au vainqueur de Waitzen, c'était la confiance en ses propres mérites. Douter de soi-même, en dernière analyse on trouverait là peut-être le secret de bien des mouvemens dont le sens nous échappe. Ce défaut va même si loin, qu'au début de la campagne Goergei ne voulait point croire à ses talens stratégiques, et parlait d'obtenir quelque jour, en récompense des services qu'il pourrait avoir rendus, une place de professeur de chimie à l'université de Pesth. « Si je bats l'ennemi et que la guerre se termine à notre avantage, disait parfois le jeune capitaine, je demanderai à mon pays de me voter une somme de cinquante mille florins pour la fondation d'un laboratoire de chimie. C'est énorme ce qu'avec cinquante mille florins on pourrait faire chez nous pour les progrès de la science. » Au lendemain de Vilagos, à peine installé à Klagenfurt, lieu désigné à son exil, Goergei reprenait le cours de ses chères études. Un jour Kossuth, véritable Madgyar pour la munificence et la prodigalité, voulant assurer l'avenir de son jeune général et peut-être aussi fléchir ses gênantes raideurs, lui décréta une somme de deux cent mille florins que, par excès de délicatesse, le dictateur fit offrir à Mme Goergei. Dès qu'il eut connaissance de ce don, Goergei le refusa, et renvoya à Kossuth son riche présent avec ces paroles d'une héroïque simplicité : « Si je meurs, je n'ai besoin de rien, et ma femme redeviendra gouvernante, ce qu'elle fut jadis; si nous sommes vaincus et que j'échappe, je me ferai professeur en pays étranger, et si nous triomphons et que je survive à nos victoires, moins que jamais j'aurai besoin d'argent. »▼
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 15.djvu/937]]==
▲
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 15.djvu/938]]==
rien, et ma femme redeviendra gouvernante, ce qu’elle fut jadis ; si nous sommes vaincus et que j’échappe, je me ferai professeur en pays étranger, et si nous triomphons et que je survive à nos victoires, moins que jamais j’aurai besoin d’argent. »
Un homme pourvu à
Calme dans la bonne fortune, indifférent à la mauvaise, Goergei voit les individus et les événemens avec
C’est aussi en allemand que Goergei a écrit l’histoire de sa vie militaire. Ces mémoires sont l’un des ouvrages les plus curieux et les plus
C'est aussi en allemand que Goergei a écrit l'histoire de sa vie militaire. Ces mémoires sont l'un des ouvrages les plus curieux et les plus charmans qui se puissent lire. Je laisse aux juges compétens d'apprécier à sa haute valeur la partie stratégique, tous ces plans d'opérations, tous ces exposés de manœuvres, tous ces récits de marches et de contremarches; mais ce que je ne saurais trop louer, c'est l'originalité parfaite de ces deux volumes, qui pouvaient en somme n'être que le monument toujours assez peu accessible d'un tacticien habile, et qui sont, au contraire, l'œuvre d'un homme d'esprit, d'un observateur plein de finesse et de tact, d'une plume à qui pas un ridicule n'échappe. Comme tous les détails de cette guerre de Hongrie, l'un des épisodes les plus émouvans des annales contemporaines, y sont saisis et commentés! Comme tous ces personnages mis eu évidence par les événemens et jusqu'alors, hélas! si défigurés par la polémique banale des journaux, s'animent pour la première fois; et pour la première fois vivent à nos yeux de la vie de l'histoire! Quel tableau de la Hongrie que ce livre écrit par un homme qui ne se passionne jamais, et raconte froidement les choses grandes et petites auxquelles il a pris part! En présence de ces divisions intestines, de ces querelles entre généraux qui rappellent incessamment le camp de Waldstein, en présence de cet éternel désarroi, on se demande à chaque page de ce livre comment l'Autriche a dû finir par faire appel aux armes russes : « Ah ! si Windisch-Graetz avait pu voir où nous en étions en ce moment ! » s'écrie quelque part Goergei, énumérant les misères du début. C'est qu'en effet le prince Windisch-Graetz ne voyait rien et ne voulait rien voir, et plus tard, quand les véritables hommes d'action entrèrent en campagne, le tour était joué, les ongles avaient cru au lion hongrois, les ''honveds'' avaient appris à marcher à l'ennemi. A propos des ''honveds'', je noterai dans l'ouvrage de Goergei une lacune regrettable. Pourquoi, par exemple, ce silence obstiné sur la manière dont se forma son armée? Nous venons de laisser Goergei tout à l'heure aux prises avec de misérables recrues qu'il bafoue et dont il désespère, et voilà que nous le retrouvons tout à coup à la tête de troupes fermes et résolues avec lesquelles il bat les Autrichiens aux deux journées décisives de Waitzen et d'Issaszeg! Ces troupes, comment se sont-elles si vite ravisées? Par quel prodige cette milice ridicule est-elle en quelques semaines devenue une armée sérieuse? Pourquoi Goergei ne le dit-il point? Serait-ce, par hasard, que l'insurmontable antipathie que Kossuth lui inspire l'empêche de rendre au dictateur la juste part d'éloges qui lui revient en cette affaire? L'éloquence de Kossuth, impuissante sur les champs de bataille, avait l'inappréciable mérite de savoir susciter les populations des campagnes et les préparer à la discipline du drapeau, et puis Kossuth était l'homme des ressources infinies. Nul mieux que lui ne s'entendait à procurer de l'argent aux généraux. Dans un pays où l'agriculture est eu quelque sorte l'unique industrie, où le commerce n'existe qu'à l'état le plus élémentaire, le numéraire doit naturellement n'avoir qu'une circulation allanguie et médiocre, et l'argent, livré partout ailleurs au va-et-vient des transactions, finit par s'accumuler aux mains des riches particuliers. Cette loi d'économie politique, spécialement applicable à son pays, Kossuth ne l'ignorait pas, et ce fut le grand art de sa parole de remuer les espèces au fond des coffres-forts, et d'amener sur l'autel de la patrie les doublons qui dormaient au fond des escarcelles. Dans quelle mesure l'éloquence du dictateur, et au besoin les argumens irrésistibles que tout pouvoir révolutionnaire sait employer lorsque les circonstances le commandent, - dans quelle mesure ces divers élémens combinés aidèrent-ils à la formation de l'armée de Goergei? Nous ne le saurions dire. Cependant, comme l'argent passe assez généralement pour le nerf de la guerre, et que Kossuth avait le secret d'en trouver, il nous paraît impossible que le dictateur madgyar n'ait pas eu quelque influence sur la formation du corps d'armée de Goergei, et nous persistons à reprocher au général d'avoir refusé, dans ses mémoires, de rendre à Kossuth ce qui appartient à Kossuth.▼
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 15.djvu/939]]==
▲
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 15.djvu/940]]==
numéraire doit naturellement n’avoir qu’une circulation allanguie et médiocre, et l’argent, livré partout ailleurs au va-et-vient des transactions, finit par s’accumuler aux mains des riches particuliers. Cette loi d’économie politique, spécialement applicable à son pays, Kossuth ne l’ignorait pas, et ce fut le grand art de sa parole de remuer les espèces au fond des coffres-forts, et d’amener sur l’autel de la patrie les doublons qui dormaient au fond des escarcelles. Dans quelle mesure l’éloquence du dictateur, et au besoin les argumens irrésistibles que tout pouvoir révolutionnaire sait employer lorsque les circonstances le commandent, — dans quelle mesure ces divers élémens combinés aidèrent-ils à la formation de l’armée de Goergei ? Nous ne le saurions dire. Cependant, comme l’argent passe assez généralement pour le nerf de la guerre, et que Kossuth avait le secret d’en trouver, il nous paraît impossible que le dictateur madgyar n’ait pas eu quelque influence sur la formation du corps d’armée de Goergei, et nous persistons à reprocher au général d’avoir refusé, dans ses mémoires, de rendre à Kossuth ce qui appartient à Kossuth.
Ces injustes réticences, hâtons-nous de le dire,
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 15.djvu/941]]== que ses ennemis, écrivant dans Goergei comptait à peine trente-deux ans lorsque la capitulation de Vilagos vint mettre un terme bien prématuré à une carrière militaire qui
H. BLAZE DE BURY.
|