« Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle/Voûte » : différence entre les versions

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romains à adopter les caissons pour leurs voûtes, et surtout pour les
voûtes sphériques. Voici pourquoi. Pour faire une voûte sphérique, il
est nécessaire d'établir des cintres rayonnants divisant la demi-sphère
par côtes, comme les degrés de longitude divisent la terre; mais les
couchis qui vont d'un cintre à l'autre donnant des lignes droites, il en
résultait, ou que la voûte était composée d'une suite de plans, ou qu'il
eût fallu faire une forme sur ces couchis pour arriver à la courbe sphérique.
Cela exigeait beaucoup de bois, était long, et dispendieux par
conséquent. Des difficultés plus graves surgissaient si la voûte sphérique
avait un très-grand diamètre, comme celle du Panthéon de Rome, par
exemple<span id="note3"></span>[[#footnote3|<sup>3</sup>]]. En supposant qu'on eût voulu élever une voûte couvrant une
aussi grande surface par la méthode adoptée dans les temps modernes,
c'est-à-dire par zones maçonnées successivement sur cintres, on comprend
quelle puissance il eût fallu donner à ces cintres, et comme il eût
été nécessaire d'assurer leur parfaite immobilité pendant un laps de
temps très-considérable; or, les bois à l'air en aussi grande quantité, et
vu le nombre de leurs assemblages, travaillent de telle sorte, que, malgré
toutes les précautions, un cintrage de cette importance s'affaisserait
peut-être de 0<sup>m</sup>,50 à son sommet au bout de trois ou quatre mois. Il n'en
faut pas tant pour compromettre l'exécution d'une coupole de cette
dimension. Mais si, sur un cintrage relativement léger, les constructeurs
peuvent en très-peu de temps bander une ossature légère, mais assez
résistante cepepdant pour permettre de compléter la structure de
l'énorme demi-sphère, sans se presser et sans craindre les tassements ou
affaissements partiels, le problème sera résolu, et l'on ne courra aucun
risque, car le décintrage de la voûte se réduira à un enlèvement de
pièces de bois dont la fonction sera devenue insignifiante; il pourra se
faire sans qu'il y ait à prendre ces précautions délicates, faute desquelles
il peut survenir une catastrophe. Dans les constructions, il ne faut jamais
que l'oubli d'une précaution, une maladresse puissent occasionner un
sinistre; les procédés pratiques doivent offrir toute sécurité, et rien ne
doit être livré au hasard ou à la chance plus ou moins heureuse. C'était
bien évidemment ainsi que les architectes romains entendaient élever
leurs bâtisses.
 
Piranesi a donné une gravure de la construction de la coupole du
Panthéon de Rome; mais nous ne savons sur quelle donnée il a fait sa
planche, car de son temps, pas plus qu'aujourd'hui, on n'en pouvait
reconnaître exactement la structure. Nous pensons que le système qu'il
indique est celui de l'extrados de la coupole qu'il aura pu voir pendant
qu'on réparait la couverture de plomb; il aura supposé que la combinaison
visible à l'extérieur devait se reproduire à l'intérieur; or, cela
n'est pas possible, si l'on considère la disposition de cet intérieur et
l'épaisseur de la voûte, qui, près de la lunette, n'a pas moins de 1<sup>m</sup>,50.
Les briques que l'on peut voir à l'extrados ne traversent certainement
pas l'épaisseur de la voûte; donc la structure, l'ossature visible à l'intérieur peut être différente de celle visible à l'extérieur. Nous irons plus
loin, nous dirons que ces deux ossatures doivent être absolument différentes,
et nous allons expliquer pourquoi. Quand les Romains construisaient
un arc-doubleau, une tête de berceau portant charge, ou même
un arc de décharge, ils avaient le soin de procéder ainsi que l'indique
la figure 3 en A : ils maçonnaient, à partir de la naissance, le quart de
l'arc environ en rangs de briques liaisonnées, puis les deux quarts
restant en rangs de briques extradossées. Comme ils construisaient les
arcs de décharge avant les remplissages que ces arcs avaient pour fonction
de soulager, il fallait nécessairement cintrer ces arcs. Le système
des rangs d'arcs extradossés permettait de ne pas charger outre mesure
le cintre de charpente à son point le plus faible, puisqu'on commençait
par poser le premier rang de claveaux DE. Ce rang posé, le cintre
n'avait plus rien à porter, et l'on pouvait bander les deux autres arcs.
Si cependant les constructeurs romains avaient eu seulement l'intention
de ne pas charger le cintre de charpente, du moment que le premier
arc eût été bandé, ils auraient maçonné le reste de l'épaisseur de l'arc
de briques liaisonnées, en se servant du premier arc comme d'un cintre
très-suffisamment résistant; mais nous voyons au contraire que, sans
exception, les parties supérieures des arcs-doubleaux ou de décharge
sont maçonnées en rangs de briques extradossées. Cette méthode était
justifiée par l'expérience. Si nous supposons l'arc A (arc de décharge du
mur de précinction du Panthéon de Rome) construit entièrement en
briques liaisonnées, ainsi qu'il est tracé en B, et qu'il survienne un écartement
dans les culées F, G, par suite d'une commotion telle, par
exemple, qu'un tremblement de terre, ou un tassement, cet arc se
rompra à l'extrados en H, et à l'intrados à la clef, en I; toutes les pressions
viendront dès lors agir sur les deux arêtes K et sur l'arête L, lesquelles,
si la charge est forte, s'épaufreront de telle sorte, que le segment
KK ne portera plus. Mais si cet arc de décharge a été construit ainsi
que ceux du Panthéon (voy. en A), et que l'écartement ait lieu dans les
culées (voy. en C), les trois arcs extradossés s'infléchiront, s'ouvriront, et
les charges se répartiront sur six arêtes d'intrados en M et trois arêtes
d'extrados en N, à la clef. Les angles de brisures seront moins allongés
et le désordre moins considérable que dans l'exemple B. On comprend
donc pourquoi ces arcs de brique sont toujours extradossés dans leur
partie supérieure, c'est-à-dire dans la partie qui porte la charge; c'était
pour conserver une certaine élasticité que ne pouvaient avoir des arcs
homogènes dans leur épaisseur. Ce principe appuyé sur l'observation,
si simple d'ailleurs, mais si peu suivi dans l'architecture moderne,
était, à plus forte raison, appliqué aux coupoles d'un grand diamètre.
 
Conformément à la méthode expliquée dans la figure 1 et par les raisons
données plus haut, il était nécessaire qu'une coupole comme celle
du Panthéon fût rapidement <i>ébauchée</i>, pour ainsi dire, sur ces cintrages,
que les Romains tenaient à faire légers et avec des bois courts autant que
 
[Illustration: Fig. 3.]
 
possible, afin d'éviter les dépenses inutiles, les difficultés de pose et le
gaspillage des charpentes. Pour expliquer clairement la méthode des
 
[Illustration: Fig. 4.]
 
constructeurs romains lorsqu'ils voulaient fermer de grandes coupoles,
nous prenons comme type le Panthéon de Rome. La figure 4 présente
une section de cette voûte hémisphérique. Le mur de précinction, avec
ses chambres de décharge si habilement combinées, a été élevé jusqu'au
niveau N avec le commencement de la voûte, divisée par vingt-huit
caissons dans son pourtour et qui laissaient entre eux vingt-huit bandes
pleines comme autant de côtes qui se perdent dans la partie unie de la
calotte comprise entre le point <i>a</i> et la lunette L. Ces vingt-huit bandes
indiquent la place des cintres de charpente C aboutissant à une lanterne
de charpente composée de vingt-huit poteaux et de deux fortes enrayures.
Nous supposons ces cintres faits de bois courts et suivant la méthode
des charpentes romaines reproduites sur les bas-reliefs de la colonne
Trajane. Il n'y avait pas à songer, à moins de dépenses prodigieuses,
à poser des cintres portant de fond, avec entraits. Ce système de cintrage,
qui, du reste, est encore usité à Rome et dans une partie de
l'Italie, est solide, mais ne saurait supporter une très-lourde charge.
Les vingt-huit demi-fermes de cintres posées, il s'agissait de les réunir
par des entretoises et de composer les couchis qui devaient recevoir la
voûte de maçonnerie. Si les constructeurs avaient prétendu sur ces
charpentes fermer une calotte telle que celle dont nous donnons la section,
il est évident que les cintres auraient été déformés par la charge
dès que les maçons seraient arrivés au point P, car il n'était pas possible,
sur une anssi grande surface, de bander en même temps toute une zone
de la coupole. Certains points eussent été accidentellement plus chargés
que d'autres, d'où il eût pu s'ensuivre des désordres irrémédiables. On
voit en A un huitième du plan horizontal de ce système de cintrage.
En coupe, les caissons se profilent de telle sorte que leurs listels sont
vus du centre de l'édifice sur le pavé. C'est-à-dire (voyez en R le détail
de la section de l'un des caissons de la deuxième zone) que l'œil du
spectateur placé au centre de l'édifice sur le sol aperçoit les listels <i>o</i> dans
toute leur largeur, les coupes de leurs épaisseurs tendant à ce point
visuel. Le cintrage ainsi disposé, il s'agissait de trouver la méthode la
plus expéditive et la plus économique pour maçonner cette énorme
calotte hémisphérique. Le détail de cette opération est expliqué dans la
figure 5. En A sont les cintres. Pour relier les courbes et pour poser les
entretoises, des liens <i>a</i> ont été cloués latéralement, comme on le ferait
pour des plates-bandes. Ces liens portent chacun deux entailles qui reçoivent les entretoises E, lesquelles sont entaillées à mi-bois en <i>e</i> pour
recevoir les cerces de doublures C. Des planchettes-couchis <i>p</i> réunissent
les deux entretoises et reposent en feuillure. Il reste donc des châssis
vides F qu'il s'agit de fermer. Or, l'ossature de la charpente ainsi combinée,
parfaitement solide et aussi légère que possible, indiquait le
travail incombant aux maçons. Ceux-ci profitant de la membrure de bois
pour poser des nerfs de brique, il était inutile de remplir l'intervalle
entre ces nerfs par une pleine maçonnerie. C'était le cas de profiter,
au contraire, de ces vides F laissés entre la membrure pour alléger
cette maçonnerie. Donc, au lieu de fermer ces vides F avec des couchis
 
[Illustration: Fig. 5.]
 
ordinaires sur le châssis, composé des entretoises et des cerces de doublures,
on posa un autre châssis saillant <i>g</i>, sur celui-ci un second
châssis également saillant <i>h</i>, puis un troisième <i>i</i>, puis, toujours en
retraite, un panneau de planches. En coupe, ces trois châssis et le panneau
donnaient le profil indiqué en R dans la figure 4; ainsi se trouvait
indiqué en saillie sur le cintrage le moule du caisson. Les maçons pouvaient
dès lors exécuter très-rapidement leur travail, comme l'indique
le tracé B figure 5. Ils bandaient sur les cintres les nerfs de brique G,
réunis au droit des entretoises par les étrésillonnements H, également
de brique, légèrement bombés et posés sur une cerce de bois que l'on
enlevait sitôt l'étrésillon bandé. Cette membrure de brique, répétant
exactement la membrure de bois, laissait visibles les caissons, sur lesquels
il n'y avait plus qu'à maçonner un blocage de matériaux légers
et mortier (voyez en S). Il est clair qu'au droit des panneaux M, ce blocage
était beaucoup plus mince qu'il ne l'était le long des membrures.
Ce blocage cellulaire formait alors comme autant de voûtains carrés
compris entre les nerfs côtiers, ou longitudes, et les bandes <i>zonales</i>, ou
latitudes, de brique. Cette première opération, qui pouvait être rapidement
terminée, formait une croûte très-résistante, bien pondérée,
légère cependant, et qui rendait dorénavant le cintrage de bois superflu.
Celui-ci pouvait se dessécher, jouer dans ses assemblages, sans qu'il
pût en résulter le moindre désordre. Mais une voûte hémisphérique de
cette étendue, d'une épaisseur de 0<sup>m</sup>,50 environ, au droit des nerfs,
n'eût pu offrir des garanties de durée sérieuses pour des constructeurs
qui prétendaient ne rien abandonner aux chances d'accidents, tels qu'un
ouragan, une forte pression atmosphérique, une oscillation du sol
(et Rome n'en est pas exempte). Il fallait que ce réseau tout composé de
nerfs relativement minces fût préservé, enserré, bridé par une enveloppe
protectrice. La calotte hémisphérique régularisée à l'extrados par
un betonnage, ou plutôt un enduit grossier, les constructeurs cherchèrent
le moyen le plus propre à garantir cette coque légère et fragile.
C'est alors qu'ils durent adopter le système entrevu par Piranesi, système
qu'explique la figure 6. De toutes les grandes coupoles connues et
encore entières, celle du Panthéon d'Agrippa est la seule qui ne soit pas
lézardée. Celle de Sainte-Sophie a dû être restaurée à plusieurs reprises;
celle de Saint-Pierre de Rome est fissurée d'une manière assez grave<span id="note4"></span>[[#footnote4|<sup>4</sup>]].
Nous croyons donc que c'est grâce à ce système double que la coupole
du Panthéon de Rome doit de s'être conservée intacte, malgré des
commotions terrestres qui, à plusieurs reprises, causèrent des accidents
à certains édifices de cette ville. Nous n'avons pu vérifier le fait de ce
réseau d'arcs doublant la calotte à caissons; seule l'indication de Piranesi
peut fournir un renseignement. Mais certaines dispositions du tambour
de l'édifice ne nous laissent guère de doutes à cet égard. En effet, si
l'on jette les yeux sur la figure 4, on voit que ce tambour (voy. le huitième
du plan en A) présente une suite de parties pleines et de vides qui
coïncident avec les points d'appui et les niches inférieures formant
aujourd'hui chapelles. Sachant que les Romains, dans leurs constructions,
ne font jamais rien qui ne soit motivé, on ne pourrait comprendre
pourquoi ces contre-forts T ont été ainsi réservés, s'ils ne devaient pas
contribuer d'une manière efficace au maintien de la coupole. Ces contre-forts
T ne sont pas disposés au droit des nerfs des caissons; ils ont une
fonction distincte; fonction expliquée par le réseau d'enveloppe que
représente la figure 6. Pour former ce réseau, la calotte à caissons servait
de cintrage, et il suffisait de cerces de bois légères pour bander les arcs
appuyés sur l'extrados de cette calotte. Ces arcs bandés, il n'y avait plus
qu'à garnir les intervalles avec une maçonnerie (blocage) de matériaux
légers, ainsi qu'il est indiqué en B sur la figure 6.
 
L'économie des cintres préoccupait si fort les constructeurs romains,
que même lorsqu'ils ont fait des voûtes en pierre appareillées, d'une
assez grande largeur (ce qui est rare), comme par exemple dans le monument
de Nîmes connu sous le nom des Bains de Diane, ils ont posé
des arcs-doubleaux sur cintres, et ces arcs-doubleaux ont eux-mêmes
servi de cintres pour poser de grandes dalles entre eux, comme on
pose des couchis. Notre figure 7 explique ce genre de construction de
voûtes. Dans ce dernier cas, les constructeurs ont fait l'économie de tous
les couchis de bois, puisque les épaisses dalles de pierre reposent chacune
de leurs extrémités sur les arcs-doubleaux. Il est évident, donc,
que dans la construction de leurs voûtes, les Romains ont économisé,
autant que faire se pouvait, la matière et le temps, par conséquent
n'ont jamais fait de dépenses inutiles. On cite à peine un ou deux
exemples de voûtes d'arête avec coupes appareillées dans tous les
édifices de la Rome antique. Par ce même motif d'économie, ont-ils
évité les pénétrations. les arrière-voussures, les pendentifs d'appareil,
dont nos architectes modernes qui prétendent avoir étudié l'architecture
antique pour en tirer un profit, se montrent si prodigues, au grand
dommage de nos finances<span id="note5"></span>[[#footnote5|<sup>5</sup>]].
 
[Illustration: Fig. 6.]
 
Nous devions nous étendre quelque peu sur le système de structure
des voûtes romaines pour mieux faire saisir certaines analogies entre
ce système et celui adopté en France vers le milieu du XII<sup>e</sup> siècle. Analogies
de principes, comme on va le voir, non de formes; ce qui prouve
une fois de plus que des principes vrais, établis sur une observation
juste et un raisonnement logique, ne sont point une entrave dans l'art de
l'architecture, mais au contraire la seule force productrice.
 
À la fin de l'empire déjà, ces méthodes employées dans la construction
des voûtes s'étaient altérées; les constructeurs négligeaient d'appliquer
régulièrement les procédés admis dans les édifices romains
jusqu'aux Antonins. À Byzance, les grandes voûtes de l'église de
Sainte-Sophie sont grossièrement faites. Il va sans dire que pendant les
premiers siècles du moyen âge, les dernières traces de ces traditions de
 
[Illustration: Fig. 7.]
 
la bonne époque romaine étaient effacées. On cherchait à reproduire
sur de petites dimensions les formes apparentes des voûtes romaines,
mais on n'en connaissait plus la véritable structure. Ce n'est qu'au commencement
du XII<sup>e</sup> siècle qu'il se manifeste tout à coup un progrès dans
la structure des voûtes, et qu'apparaît l'embryon d'un système nouveau
en Occident. Ce phénomène se produisant au moment des premières
croisades, il était assez naturel d'attribuer ce brusque développement
à une influence orientale; mais les documents que l'on avait pu recueillir
jusqu'à ces dernières années ne venaient guère confirmer ces conjectures
à priori, lorsque M. le comte Melchior de Vogüé entreprit un
voyage dans la Syrie centrale. Accompagné par un jeune architecte,
habile dessinateur, M. Duthoit, M. le comte de Vogüé rapporta de ces
contrées une masse de documents d'une haute importance pour l'histoire
de notre art français, car ils nous donnent l'explication des progrès
qui se manifestèrent si rapidement en Occident dès les premières
années du XII<sup>e</sup> siècle<span id="note6"></span>[[#footnote6|<sup>6</sup>]].
En effet, ces monuments de la Syrie centrale dus
à une civilisation gréco-romaine présentent un caractère particulier.
Dans leur structure, les éléments grec et romain ne sont pas juxtaposés,
comme il arrive dans les édifices de la Rome impériale; ils se mêlent
sous l'influence de l'esprit clair et logique du Grec. Nous avons maintes
fois fait ressortir cette singulière disposition de l'architecture romaine
de l'empire<span id="note8"></span>[[#footnote8|<sup>8</sup>]], qui ne considérait l'art grec que comme une décoration
quasi indépendante de la structure; si bien que, dans tout édifice
romain, on peut enlever cette parure empruntée à l'art grec sans affecter
l'organisme, pour ainsi dire, de la bâtisse romaine.
 
Les édifices gréco-romains de la Syrie centrale procèdent tout différemment:
les deux structures grecque et romaine se prêtent un mutuel
concours: il n'y a plus l'ossature et le vêtement qui la couvre, mais un
corps complet dans toutes ses parties. L'arc et la plate-bande ne sont
plus réunis en dépit de leurs propriétés, ainsi que cela se voit si fréquemment
dans l'architecture de l'empire, mais remplissent leurs
véritables fonctions. Ce rationalisme dans l'art exerça évidemment une
influence sur les Occidentaux, qui se précipitèrent en masses compactes
dans ces contrées à la fin du XI<sup>e</sup> siècle. Il ne s'agissait plus de suivre de
loin les traditions affaiblies de l'art impérial; les croisés trouvaient dans
les villes déjà abandonnées, mais encore debout, du Hauran, une architecture
nouvelle pour eux, claire dans ses expressions comme une leçon
bien faite, fertile en déductions, facile à comprendre et pouvant être
appropriée à tous les besoins.
 
Dans ces édifices, la voûte d'arête n'existe pas, tout étant bâti d'appareil,
mais bien le berceau, la coupole et le cul-de-four. Les arcs-doubleaux
et archivoltes sont fréquents, et ces arcs-doubleaux qui forment
travées portent, ou des plafonds de pierre, ou des charpentes, suivant
que les localités possédaient ou ne possédaient pas de bois.
 
Nous allons rechercher comment ces dispositions ont dû avoir une
influence directe sur la construction de nos voûtes occidentales, et firent
abandonner le mode de structure des Romains. Voici (fig. 8) un fragment
de la basilique de Chagga<span id="note8"></span>[[#footnote8|<sup>8</sup>]], dont la construction date du II<sup>e</sup> ou du
III<sup>e</sup> siècle de notre ère. Les travées de cette basilique sont étroites
(2<sup>m</sup>,50 d'axe en axe des piles, en moyenne) et sont couvertes, entre les
arcs-doubleaux, par des dalles épaisses; une couche de terre battue
revêtue d'un enduit formait une terrasse étanche sur le dallage supérieur.
La construction se compose de piles à section carrée portant des
arcs-doubleaux sur la nef principale, contre-butés par d'autres arcs-doubleaux
bandés sur les collatéraux, lesquels soutiennent une galerie
de premier étage donnant sur cette nef centrale. Le caractère particulier
à cette construction, ce sont ces arcs-doubleaux qui composent l'ossature
intérieure de l'édifice. Rien de semblable dans les constructions
romaines occidentales de l'empire. La voûte romaine maçonnée comme
nous venons de le montrer au commencement de cet article, possède
rarement des arcs-doubleaux apparents<span id="note9"></span>[[#footnote9|<sup>9</sup>]], puisque ces arcs sont noyés
dans l'épaisseur même de la voûte, ne sont que des nerfs cachés.
 
[Illustration: Fig. 8]
 
Pour les architectes occidentaux, si fort empêchés, à cette époque,
lorsqu'ils prétendaient établir des voûtes sur le plan de la basilique
romaine (voyez [[Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 1, Architecture religieuse|Architecture Religieuse]]), la vue d'un édifice comme la
basilique de Chagga,--et la Syrie centrale en possède encore plusieurs
conformes à ces dispositions,--devait leur faire naître la pensée d'appliquer ce mode de structure en remplaçant les dallages, qui ne pouvaient convenir aux climats de l'Occident, ni à la nature des matériaux
dont ils disposaient, par une voûte en berceau sur la nef centrale, par
des voûtes d'arête sur les nefs basses, et par un demi-berceau sur le
triforium pour permettre l'établissement de couvertures inclinées et
contre-buter le berceau central. Ces déductions se présentaient naturellement à l'esprit des constructeurs occidentaux, si naïfs qu'on les
veuille supposer.
 
[Illustration: Fig. 9.]
 
La coupe de la basilique de Chagga (fig. 9) donne le tracé A; deux
travées du plan étant projetées en <i>a</i>. Subissant la nécessité de couvrir
leurs édifices par des pentes assez roides pour recevoir de la tuile, et ne
pouvant par conséquent employer le système de dallages des architectes
syriens, les artistes occidentaux, en voulant appliquer le principe si
simple de ces basiliques, n'avaient qu'à relever les grands arcs-doubleaux
de la nef, comme l'indique en C la coupe B, à réunir ces arcs-doubleaux
par un berceau concentrique à leur extrados, à bander un
demi-berceau D sur le triforium, entre les arcs-doubleaux E et des
voûtes d'arête, suivant le mode byzantin<span id="note10"></span>[[#footnote10|<sup>10</sup>]], entre les arcs-doubleaux
inférieurs F des collatéraux. La substitution des voûtes aux dallages
entraînait forcément l'écartement des piles P. Les archivoltes G étaient
conservées, mais avec un diamètre égal à celui des arcs-doubleaux F, et
d'autres archivoltes I, ou une claire-voie portait le berceau central.
Mais les archivoltes G destinées à recevoir les voûtes des collatéraux
s'avançaient au ras intérieur des piles P, et alors, pour porter les arcs-doubleaux
supérieurs C, il fallait ajouter à ces piles un appendice L sous
la forme d'une colonne engagée. D'une construction dans laquelle l'arc
et la plate-bande étaient simultanément employés avec un sentiment
exquis du vrai, les architectes occidentaux arrivaient à faire, sans trop
d'efforts, un monument entièrement voûté. Cependant cette modification,
en apparence si simple, suscitait des difficultés de détail qui ne
furent résolues que peu à peu. Mais telle est la puissance d'un premier
enseignement clair et logique, que tout travail qui en découle se fait sous
cette première influence. Les constructeurs occidentaux, en voyant cette
architecture grecque de la Syrie, apprenaient à raisonner; aussi, à dater
de cette époque, leurs œuvres si confuses jusque-là, toutes bourrées de
traditions mal comprises, reproduisant, en les abâtardissant de plus en
plus, les formes de l'antiquité romaine, s'élèvent, progressent en s'appuyant
sur le raisonnement, sur ces principes légués par les derniers
des Grecs.
 
Cette coupe B est celle de la plupart de nos églises romanes construites
au commencement du XII<sup>e</sup> siècle en Auvergne, dans le Languedoc, la
Provence et le Lyonnais. On peut aisément constater qu'il y a moins de
dissemblance entre la coupe A et la coupe B qu'entre un monument voûté
quelconque de Rome et cette coupe B. Cet arc-doubleau plein cintre E du
triforium, que l'on retrouve dans les galeries des basiliques romanes de
l'Auvergne et du Languedoc, et qui ne peut s'expliquer avec la voûte en
demi-berceau (voyez [[Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 9, Triforium |Triforium ]]), est un vestige persistant de cette influence
du monument syrien. Quant aux difficultés de détail dont nous
venons de parler, voici en quoi elles consistaient tout d'abord. Les piles
de la basilique de Chagga (voy. en <i>a</i>) sont à section carrée, ce qui était naturel,
puisque ces piles ne reçoivent que deux arcs-doubleaux, et que l'archivolte
qui unit ces piles naît en pénétration au-dessus de la naissance
des deux arcs-doubleaux (voy. la figure 8). Mais nous voyons que déjà
dans la coupe B les archivolles G qui réunissent les piles ont leur naissance
au niveau des naissances des arcs-doubleaux F (voy. la figure 9).
L'extrados de ces archivoltes G ne se dégage donc qu'au-dessus de cette
naissance, et, par suite, la naissance de la voûte d'arête ne pouvait
s'établir qu'au point relevé de ce dégagement, ce qu'indique le tracé
perspectif (fig. 10). Il y avait là un embarras, une de ces difficultés de
détail dans l'art du constructeur, qui contraint bientôt celui-ci, pour peu
 
[Illustration: Fig. 10.]
 
qu'il raisonne, à trouver une solution satisfaisante; or, tous ceux qui
ont pratiqué cet art et qui ne se contentent pas d'à peu près, qui veulent
trouver la solution vraie, savent combien ces recherches entraînent à
modifier certaines formes qui paraissent consacrées par le temps. Et
c'est précisément dans la manière de résoudre ces difficultés à dater
des premières années du XII<sup>e</sup> siècle, que l'on reconnaît la puissance de
cet enseignement logique puisé en Orient par nos maîtres français de
cette époque. D'abord ces maîtres raisonnent ainsi: puisqu'il y a deux
arcs-doubleaux et deux archivoltes naissant au même niveau, et qu'entre
ces arcs-doubleaux et ces archivoltes il faut (sur leur extrados) bander
des voûtes d'arête, il est de toute nécessité que la pile donne exactement
la section des claveaux de ces arcs, qu'ils trouvent sur elle leur
place, par conséquent la section carrée ne peut convenir pour la pile;
alors ils tracent la pile H (voyez figure 9). Ainsi les arcs-doubleaux
trouveront leur assiette en <i>d</i>, les archivoltes en <i>b</i>, et les arêtes des voûtes
naîtront dans les angles rentrants <i>e</i> qui sont les points de rencontre des
extrados de ces arcs. Mais bientôt, quand les monuments voûtés prennent
plus d'ampleur, ces architectes reconnaissent que les archivoltes qui
portent les murs latéraux et la voûte en berceau doivent avoir plus
d'épaisseur que les arcs-doubleaux qui n'ont pas de charge, que ces
naissances de voûtes d'arête dans les angles demandent, ou un appareil
spécial, ou affament la pile en réduisant les tas de charge; alors ils tracent
les piles suivant le plan K. Les archivoltes se dégagent en <i>f</i>, l'arc-doubleau
des latéraux en <i>g</i>; les angles <i>h</i> reçoivent les naissances des
voûtes d'arête; les angles <i>i</i>, les archivoltes de décharge au-dessus de la
claire-voie du triforium, et le grand arc-doubleau du berceau central,
ayant la largeur <i>mm</i>, porte sur le tailloir d'un chapiteau reposant sur la
colonne engagée. Mais les archivoltes <i>f</i> et l'arc-doubleau <i>g</i> ont une
épaisseur plus grande que n'est l'espace <i>op</i>, d'où il résulte que l'arête <i>h</i>
de la voûte doit s'élever verticalement jusqu'au moment où l'épaisseur <i>rp</i>
des claveaux se dégage de cette arête; alors les constructeurs ajoutent
encore une colonne engagée au devant des pilastres des archivoltes et
de l'arc-doubleau postérieur, afin d'avancer les claveaux de ces arcs de
manière à les dégager entièrement dès leur naissance. Ainsi se compose
peu à peu, et commandée par les déductions tirées de la construction
des voûtes, la pile romane du XII<sup>e</sup> siècle.
 
Tant qu'on n'avait pas sous les yeux ces monuments de la Syrie centrale,
il était difficile de se rendre compte des motifs qui avaient fait
adopter, pendant la dernière partie de la période romane, ces arcs-doubleaux
séparant les travées des édifices voûtée, puisque les Romains
ne séparaient pas leurs travées de voûtes par des arcs-doubleaux. Les
édifices syriens nous donnent la solution de cette question. Dans ces
édifices, les arcs-doubleaux sont, par suite d'un raisonnement très-juste,
faits pour franchir des espaces trop larges pour être couverts par des
plates-bandes ou par des charpentes, dans un pays où les bois longs
étaient rares; ces arcs portent de grandes dalles, comme dans l'exemple
précédent, ou des pannes. C'est ce qui nous fait dire que ces artistes
syriens avaient su allier, mieux que ne l'avaient fait les Romains, l'arc
et la plate-bande. Les architectes occidentaux ont conservé les arcs-doubleaux
comme l'ossature naturelle de tout édifice bâti de pierre; seulement,
entre ces arcs, ils ont bandé des voûtes suivant la tradition
romaine, soit en berceau, soit d'arête.
 
Mais à Byzance, à Sainte-Sophie, déjà la voûte d'arête romaine s'était
modifiée. Sa clef centrale était habituellement alors posée au-dessus du
niveau des extrados des clefs d'arcs-doubleaux (voyez figure 11), si toutefois
on peut donner le nom d'arcs-doubleaux à des arcs à peine saillants
sur le nu interne de la voûte. L'arc A, par exemple, de la figure 11
n'était que le nerf de brique, romain qui, au lieu d'être entièrement
noyé dans l'épaisseur de la voûte, ressortait quelque peu. On remarquera
d'ailleurs que ces arcs A, B, C sont au nu de la voûte, à sa naissance en D
sur les tailloirs carrés des chapiteaux, et ne prononcent leur saillie qu'en
se rapprochant de la clef. En un mot, ces arcs ne sont pas concentriques
à la voûte, laquelle est une sorte de compromis entre la coupole et la
 
[Illustration: Fig. 11.]
 
voûte d'arête. Or, c'est ce principe de structure qu'adoptent généralement
nos architectes occidentaux dans la construction de leurs voûtes
d'arête à la fin du XI<sup>e</sup> siècle; c'est suivant ce système que sont faites
les voûtes de la nef de l'église abbatiale de Vézelay, qui datent des premières
années du XII<sup>e</sup> siècle, et ce n'était pas sans raison que ce parti
avait été adopté. Ces voûtes bombées offraient plus de résistance que
les voûtes engendrées par deux cylindres se pénétrant à angle droit.
Nous développons tout ce qui touche à cette question dans l'article
[[Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 4, Construction|Construction]], il n'est donc pas nécessaire de revenir ici sur ce sujet,
d'autant qu'alors, au commencement du XII<sup>e</sup> siècle, on n'apportait pas,
dans la pratique de la structure, les soins que les Romains avaient su y
mettre. On ne fabriquait plus ces belles et grandes briques carrées qui
permettaient de noyer des nerfs résistants dans l'épaisseur des voûtes et
d'obtenir des arêtiers bien bandés; faits de tuf ou de moellons irréguliers,
très-rarement de moellons piqués, les arêtiers n'offraient pas de
cohésion et tendaient à se détacher. Plus le constructeur se rapprochait
de la coupole, plus il évitait les chances de rupture des arêtiers, puisque
ceux-ci formaient à peine un pli saillant à l'intrados jusqu'à la moitié
environ de leur développement, pour se perdre dans un ellipsoïde en se
rapprochant de la clef. D'ailleurs, pour tracer les cintres diagonaux de
charpente, il n'était pas besoin de chercher la courbe de rencontre des
deux cylindres, il suffisait de tracer un demi-cercle dont le diamètre
 
[Illustration: 12.]
 
était la diagonale du parallélogramme à voûter<span id="note11"></span>[[#footnote11|<sup>11</sup>]]. Sur ces arcs diagonaux
et sur l'extrados des arcs-doubleaux et formerets, on posait des couchis,
puis on faisait avec de la terre la forme bombée nécessaire sur chacun
des triangles, de manière à se rapprocher plus ou moins d'une coupole.
On maçonnait alors sur ce moule, sans qu'il fût besoin de prendre des
dispositions particulières pour les arêtiers, sensibles seulement au départ
et inappréciables à la clef. Ces sortes de voûtes ont intérieurement l'apparence
que présente notre figure 12, et toute la surface courbe comprise
entre les points A, C, B, D, était, ou un sphéroïde, si la voûte était
fermée sur un plan carré, ou un ellipsoïde, si elle était fermée sur un
plan barlong.
 
Mais avant d'entrer dans quelques développements à ce sujet, il est
nécessaire de faire connaître les tâtonnements qui précédèrent et provoquèrent
la révolution qui se fit dans l'art de construire les voûtes au
milieu du XII<sup>e</sup> siècle.
 
Nous avons dit que les Romains évitaient autant que possible les
pénétrations de berceaux de voûtes, comme présentant des difficultés
et des pertes de temps pour le constructeur. Les Romains, en effet,--et
cela ressort de l'étude de leurs monuments,--cherchaient à économiser
sur le temps, c'est-à-dire qu'ils prétendaient, tout en bâtissant de
manière à assurer une parfaite solidité et une longue durée aux constructions,
obtenir un résultat dans le plus court espace de temps. Ils
évitaient donc les appareils demandant un tracé compliqué et une taille
longue. S'ils avaient un berceau de voûte à faire pénétrer dans une salle
voûtée, ils tenaient la clef de ce berceau pénétrant au-dessous de la
naissance du berceau qui eût dû être pénétré. Exemple (fig. 13), soit
une galerie A voûtée en berceau: le berceau de la galerie B communiquant
à la première était bandé, sa clef C au-dessous de la naissance du
 
[Illustration: Fig. 13.]
 
berceau D. Le Colisée à Rome, les arènes d'Arles et de Nîmes présentent
cette structure à chaque pas. Mais encore les claveaux de ces berceaux,
lorsqu'ils sont appareillés en pierre, au lieu d'être reliés, sont
juxtaposés, ainsi que le montre notre figure. Ce système d'appareil est
visible, non-seulement dans les arènes d'Arles et de Nîmes, mais aussi à
l'aqueduc du Gard et dans beaucoup d'autres édifices de l'empire.
Il est clair que cette méthode économisait le temps et la dépense; car
il n'était besoin que d'un panneau pour les tailleurs de pierre, et à chaque
joint, d'un cintre de charpente, au lieu d'une suite de couchis sur
cintres. La pose, en ce cas, se fait beaucoup plus rapidement que lorsqu'on
veut croiser les joints des claveaux.
 
Les architectes du moyen âge usèrent parfois de ce procédé, notamment
en Provence, où ils avaient sous les yeux les exemples de l'antiquité;
mais les plans qu'ils adoptaient pour certaines parties d'édifices,
comme les bas côtés pourtournant les sanctuaires des églises, bas côtés
sur lesquels s'ouvrent des chapelles, nécessitaient des berceaux annulaires
pénétrés normalement par d'autres berceaux. Il y avait là une
difficulté réelle pour la solution de laquelle on ne pouvait recourir aux
structures romaines, qui ne présentent pas d'exemples de ce genre de
voûtes. Les Byzantins avaient essayé de construire des voûtes reposant
sur des colonnes et formant des pénétrations de cylindres, de cônes ou
d'ellipsoïdes; mais il faut reconnaître que ces tentatives sont grossières,
ne procèdent que par tâtonnements, et ne donnent. pas comme résultat
une méthode géométrique pouvant être formulée. Malgré les difficultés
que soulevait la construction des voûtes d'un collatéral pourtournant
un sanctuaire reposant sur des colonnes, en partant de la donnée
romaine ou byzantine, il est à croire que l'on tenait fort à cette disposition
du plan, car les architectes occidentaux ne cessèrent de chercher
la solution de ce problème depuis le commencement du XII<sup>e</sup> siècle jusqu'à
ce qu'ils l'aient résolu d'une manière complète à la fin de ce siècle.
Il faut reconnaître même que cette longue suite d'essais ne contribua
pas médiocrement à développer le système d'où procède la voûte d'arête
du XIII<sup>e</sup> siècle; système excellent, puisqu'il permet toutes les combinaisons
imaginables en n'employant toujours qu'un même procédé.
 
Rien n'est tel, pour faire apprécier la marche progressive d'un travail
qui demande les efforts de l'intelligence et les combinaisons successives
de l'expérience appuyée sur une science positive comme la géométrie,
que de suivre pas à pas les solutions approximatives plus ou moins heureuses
du problème posé, que de montrer chaque perfectionnement,
l'abandon de certaines méthodes qui ne sauraient conduire à la solution
définitive. C'est ce que nous allons essayer de faire, à propos de ces
voûtes pourtournant les sanctuaires, en passant successivement par les
combinaisons qui se présentèrent aux architectes du moyen âge depuis
le point de départ qui leur était donné, jusqu'à la complète solution du
problème posé par eux-mêmes.
 
Les Romains avaient bandé des voûtes d'arête sur des piles isolées à
section carrée, dès les premiers temps de l'époque impériale et peut-être
même sous la république, pour couvrir des citernes, des étages
inférieurs. Ces voûtes ne possédaient pas d'arcs-doubleaux; c'étaient des
demi-cylindres se croisant à angle droit, conformément au plan (fig. 14).
 
Lorsque les Byzantins voulaient voûter des galeries circulaires portées
d'un côté sur des colonnes isolées, ils bandaient des archivoltes d'une
colonne à l'autre, et au-dessus des clefs de ces archivoltes ils construisaient
un berceau annulaire, ou bien, du mur de précinction, ils élevaient
un demi-berceau qui appuyait sa ligne de clefs sur le mur élevé
au-dessus des archivoltes. Ils évitaient ainsi les voûtes d'arête, c'est-à-dire
les pénétrations des archivoltes dans le berceau annulaire, et en
cela ils suivaient la tradition romaine.
 
Mais ce mode de structure obligeait les architectes à perdre une hauteur
considérable au-dessus des archivoltes, et à élever d'autant les
constructions, si l'on voulait trouver au-dessus de ces collatéraux circulaires,
soit une galerie de premier étage, soit un fenestrage. On prit donc
le parti, à la fin du XI<sup>e</sup> siècle, en Occident, de faire pénétrer les archivoltes
 
[Illustration: Fig. 14.]
 
[Illustration: Fig. 15.]
 
dans le berceau annulaire. Or, en ce cas, voici d'abord la difficulté
qui se présente. Dans un sanctuaire porté par des colonnes (fig. 15),
ou, si les tailloirs des chapiteaux sont carrés, comme en A, les archivoltes
sont plus larges en <i>ab</i> qu'en <i>cd</i>, ou si l'on veut que les douelles
des claveaux de ces archivoltes soient parallèles, les tailloirs des colonnes
doivent donner des trapèzes en projection horizontale, comme en B.
Dans le premier cas, ces archivoltes sont des portions de cônes; dans le
second, elles sont prises dans un cylindre: mais ces tailloirs en forme
de trapèzes, si la courbe du sanctuaire n'est pas très-développée, sont
d'un effet très-désagréable à l'œil, et donnent des angles aigus qui résistent
mal à la charge. Vus sur la diagonale, ces chapiteaux paraissent
plus saillants d'un côté que de l'autre, et semblent mal reposer sur les
fûts (voyez en D). On essaya donc de s'en tenir aux tailloirs carrés; mais,
au lieu de bander les voûtes normales à la courbe du sanctuaire sur
une surface conique, on maintint leurs clefs sur une ligne horizontale,
et la courbe <i>ab</i> était en anse de panier, tandis que la courbe <i>cd</i> était
plein cintre; ou bien la naissance de l'archivolte était biaise de <i>a</i> en <i>c</i>
et de <i>b</i> en <i>d</i>, de manière à avoir en <i>cd</i> comme en <i>ab</i> une courbe plein
cintre, et cette dernière donnait alors la section d'un berceau qui pénétrait
le berceau annulaire.
 
C'est ainsi que sont construites les voûtes du collatéral du sanctuaire
de l'église de Notre-Dame du Port, à Clermont (fig. 16). Mais (voyez le
plan A) si l'on voulait que l'arc <i>ab</i>, tracé le long du mur du collatéral,
fût plein cintre, le diamètre <i>ab</i> étant plus grand que le diamètre <i>cd</i> et
que le diamètre <i>ef</i>, la naissance de l'arc et devait être placée à un
niveau très-supérieur à celui de la naissance de l'arc <i>ab</i>; si bien qu'une
élévation faite perpendiculairement à l'axe XO donnait la projection
tracée en B.--Toujours en supposant les clefs de niveau--et qu'en
coupe faite suivant OX, on obtenait la projection tracée en D, la naissance
de l'archivolte suivait sur le sommier S la ligne ponctuée <i>gh</i>. Des
voûtes ainsi conçues ne pouvaient être tracées sur l'épure avec rigueur;
on ne les obtenait que par des tâtonnements et une méthode empirique.
Cependant l'archivolte <i>ef</i>, qui n'était qu'une pénétration et ne se détachait
pas de la voûte, devait porter le mur de l'abside et ne pouvait être
faite de moellons ou de blocage sur forme, il fallait qu'elle fût construite
en pierres appareillées. Dès lors on conçoit les difficultés qui assaillaient
les constructeurs. À proprement parler, il n'y a pas d'archivoltes ici,
mais des berceaux gauches pénétrant dans un berceau annulaire. On
reconnut donc bientôt qu'il y avait avantage à distinguer l'archivolte de
la voûte, à la rendre indépendante. Mais alors comment faire porter les
sommiers de ces archivoltes sur les tailloirs carrés des chapiteaux? où
trouver leur assiette et la naissance des voûtes? Voici le tailloir tracé
(fig. 17) (voyez en A). Les archivoltes sont projetées en DD. Nous traçons
les sommiers, ou le premier claveau de ces archivoltes en <i>aa</i>; il ne
restera, entre leur extrados, que le tas de charge <i>b</i>, et l'espace <i>cd</i> pour
la naissance de la voûte. Mais comme les naissances des archivoltes
sont plus élevées que celle de la section de la voûte annulaire, il en
 
[Illustration: Fig. 16.]
 
résultera que, si l'on veut que les arêtes partent du tailloir, ces arêtes
se détacheront des verticales <i>cd</i> et formeront des angles rentrants <i>ecf</i>,
<i>gdh</i>, d'un effet maigre et peu rassurant, indiqué dans le trait perspectif A'.
S'il y avait de bonnes raisons pour poser des archivoltes indépendantes
de la voûte, on en devait trouver de tout aussi bonnes pour bander les
arcs-doubleaux partant de la colonne isolée pour aboutir à la colonne
engagée du collatéral; arcs-doubleaux qui devaient faciliter la construction
des voûtes tournantes en divisant le berceau annulaire primitif par
travées. Mais où loger, sur le tailloir carré, le sommier, le premier claveau
de cet arc-doubleau? Si (voy. en B, fig. 17) nous prétendons laisser
les deux premiers claveaux d'archivoltes et le premier claveau d'arc-doubleau,
indépendants, sur le tailloir du chapiteau, il nous faudra, ou
donner peu de lit à chacun de ces claveaux, ou augmenter beaucoup la
surface supérieure du tailloir, et dans ce cas il restera deux angles de ce
tailloir inoccupés; toutes les charges viendront se reporter en M, c'est-à-dire
en dehors de l'axe de la colonne et tendront à faire incliner celle-ci.
De plus (voyez le tracé perspectif B'), les naissances des archivoltes
étant à un niveau supérieur à celui de la naissance de l'arc-doubleau,
 
[Illustration: Fig. 17.]
 
il restera au-dessus de la naissance de cet arc un triangle T vertical, et
l'arête de la voûte ne pourra commencer qu'en <i>i</i>, au point où la courbe
de la pénétration P viendra toucher l'extrados de l'arc-doubleau. Il n'est
pas besoin d'insister sur le mauvais effet de cette combinaison. Si (voy.
en C, fig. 17) de ces trois membres d'arcs nous formons un sommier
composé par la pénétration des lits de ces arcs, ceux-ci ne deviendront
indépendants que lorsque leur courbure d'extrados se détachera de la
verticale; mais comme les naissances de ces arcs ne sont pas au même
niveau (voyez le tracé perspectif C'), nous aurons encore en <i>t</i> un triangle
vertical qui déportera la naissance de l'arête en <i>s</i>. Pour des artistes qui
cherchaient les formes les mieux appropriées à l'objet, ces arêtes déportées,
ne naissant pas dans le fond de l'angle rentrant, ayant l'air de
reposer sur les reins de l'arc-doubleau, ne pouvaient être une solution
satisfaisante. Ces archivoltes et arcs-doubleaux reposant en bec de flûte
sur le tailloir ne présentaient pas une structure conforme aux principes
de la voûte portée sur des arcs saillants; principes qui veulent que chacun
de ces arcs conserve sa forme et sa dimension dans la totalité de
son développement. Les maîtres essayèrent donc d'autres combinaisons,
D'abord ils pensèrent que l'arc-doubleau, qui ne porte pas charge, pouvait
être diminué de largeur, ce qui laissait, en apparence, plus de lit
aux premiers claveaux des archivoltes et permettait à la voûte de prendre
plus bas sa naissance. Pour quelque temps, ils s'en tinrent à ce dernier
parti, en trichant, autant que faire se pouvait, soit en donnant plus de
profondeur au tailloir que de largeur, soit en posant le premier claveau
un peu en encorbellement sur ce tailloir, de manière à le dégager. Cependant
la structure des voûtes elles-mêmes avait suivi ces progrès. Faites
d'abord de moellons jetés sur forme, on établit bientôt leur naissance
en pierre, puis on essaya de les construire entièrement en moellons
taillés, appareillés. Pour des appareilleurs qui n'étaient pas familiers
avec l'art du trait,--nous parlons des premières années du XII<sup>e</sup> siècle,--il
n'était point aisé de tracer l'appareil de voûtes d'arête tournantes;
aussi ces premières voûtes appareillées présentent-elles les coupes les
plus bizarres, les expédients les plus naïfs. À défaut d'expérience, ces
artistes avaient la ténacité, entrevoyaient un but défini, et ce n'est pas
un petit enseignement qu'ils nous donnent quand nous voulons suivre
pas à pas les étapes qu'ils ont faites dans l'art de la construction, sans
abandonner un seul jour la voie tracée dès leurs premiers essais. Leurs
déductions s'enchaînent avec une rigueur de logique dont on ne saurait
trouver l'équivalent à une autre époque; et c'est dans l'Île-de-France
particulièrement que l'on constate la persistance des constructeurs à
poursuivre les conséquences d'un principe admis.
 
Les bas côtés du chœur de l'église collégiale de Poissy étaient élevés
de 1125 à 1130. Portées du côté du sanctuaire sur des colonnes monostyles,
les voûtes de ce collatéral possèdent déjà des arcs-doubleaux
séparatifs et des archivoltes dont les naissances sont au même niveau;
il en résulte que les voûtes d'arête naissent dans l'angle rentrant formé
par les extrados de ces arcs qui sont <i>à peu près</i> indépendants. Nous disons
 
[Illustration: Fig. 18.]
 
à peu près, parce que l'architecte a triché afin de dégager, autant que
faire se pouvait, les naissances de ces arcs sans charger trop inégalement
les colonnes. Pour cela, il a donné un peu plus de saillie extérieurement
aux tailloirs des chapiteaux, et ceux-ci ne sont pas carrés, mais leurs
côtés normaux à la courbe du chevet (voyez la figure 18, en A). Ce constructeur
a, de plus, doublé ces archivoltes du côté du collatéral, afin
de surhausser les voûtes, et de faire que l'extrados de cet arc doublant
eût un rayon plus étendu. De <i>a</i> en <i>b</i>, il existe un épais formeret dont le
rayon - vu l'écartement des piles engagées P, P--est beaucoup plus
grand que ne sont les rayons des archivoltes et arcs-doubleaux. Aussi
l'architecte a-t-il placé la naissance de ce formeret au-dessous de celle
des autres arcs, ainsi que l'indique la coupe C faite sur l'axe OA. Malgré
l'abaissement de cette naissance, la clef du formeret s'élève au-dessus
de celle des archivoltes doublées, et la voûte présente une section rampante,
qui du reste est favorable à l'introduction de la lumière. Il s'agissait
de bander les voûtes qui n'ont point encore d'arcs ogives (diagonaux).
Ces voûtes étant construites en moellon piqué, le constructeur
a procédé ainsi que l'indique la perspective (fig. 19). Il a enchevêtré les
claveaux à la rencontre des berceaux formant arêtes au moyen de coupes
biaises faites sur le tas. On conçoit que cette structure ne pouvait être
très-solide, et que ces arêtes ne se soutenaient que parce que les angles
qu'elles forment sont très-obtus. L'aspect n'en était pas satisfaisant,
aussi on ne tarda guère à parer à ces inconvénients. Mais il nous faut
jeter un coup d'œil sur ce qui se faisait vers la même époque dans d'autres
provinces où l'école romane avait jeté un vif éclat.
 
En Auvergne, dès la fin du XI<sup>e</sup> siècle, l'école des constructeurs avait
apporté, ainsi que nous l'avons vu, dans la structure des voûtes tournantes,
des perfectionnements notables, sans toutefois chercher avec
autant de ténacité que le faisaient les écoles du Nord la solution des
problèmes posés.
 
[Illustration: Fig. 19.]
 
Nous trouvons un exemple curieux de ce fait dans l'église Saint-Julien
de Brioude, dont le chœur fut entièrement reconstruit en 1140. Avant
de passer outre et de suivre la marche rapide des constructeurs du nord
de la France, il est nécessaire de nous arrêter un instant devant les
voûtes du collatéral absidal de ce monument. Pendant qu'à Saint-Denis
en France, Suger faisait reconstruire l'église de son abbaye d'après un
système de structure entièrement nouveau, on élevait l'abside de l'église
de Brioude. Là le système annulaire, sans arcs-doubleaux, est encore
admis; seules les archivoltes donnant sur le sanctuaire se détachent de
la voûte, qui se compose d'un berceau annulaire pénétré par des berceaux
normaux à la courbe du sanctuaire, et formant, par conséquent, des
voûtes d'arête. Au droit des fenêtres qui éclairent le collatéral, entre
les chapelles, des berceaux d'un diamètre plus petit que ceux des travées
pénètrent le berceau annulaire. Mais ce qui doit faire l'objet d'un
examen attentif dans ces voûtes, c'est qu'elles sont complétement
appareillées et non plus construites en blocages ou en moellons enduits,
ou encore en moellons taillés et enchevêtrés comme dans le collatéral
de l'église Saint-Louis de Poissy.
 
De leur côté, les Auvergnats cherchaient aussi le progrès, mais seulement
dans le mode d'exécution, sans rien changer au système roman.
Voici (fig. 20) l'appareil d'une de ces voûtes d'arête tournantes. En A
est l'archivolte donnant sur le sanctuaire.
 
[Illustration: Fig. 20.]
 
On voit que les architectes auvergnats n'avaient pas encore, au milieu
du XII<sup>e</sup> siècle, admis les arcs-doubleaux séparatifs, et que la voûte de
pierre repose directement sur le tailloir du chapiteau. Tout irrégulier
qu'il est, l'appareil des arêtes est conforme à la théorie, composé de
pierres d'un assez gros volume taillées avec soin. Entre les chapelles
absidales, voici (fig. 21) comment sont disposées les pénétrations des
baies qui éclairent le collatéral. Les colonnes engagées portent la voûte
elle-même, et non les arcs, qui, dans les provinces du Nord, à cette époque,
sont déjà chargés de la soutenir. Cependant, dans la première
travée du bas côté du chœur de l'église de Notre-Dame du Port, à
Clermont, dont la construction est de plus de cinquante ans antérieure
à celle de l'église de Saint-Julien de Brioude, on remarque un arc-doubleau
séparatif, très-peu saillant, il est vrai, en partie noyé par
conséquent dans la voûte même, mais enfin qui indique déjà la tendance
à diviser les voûtes annulaires par travées. Cet exemple ne fut pas suivi
dans le collatéral circulaire de Brioude, dont les voûtes sont encore
 
[Illustration: Fig. 21.]
 
franchement romanes comme combinaison, mais construites avec plus
de savoir et de soins. Ayant constaté la tendance de cette province
centrale à ne pas abandonner ses traditions romanes, même pour la
construction des voûtes tournantes posées sur piles isolées qui exigeaient
des combinaisons entièrement neuves, nous allons suivre la marche des
perfectionnements rapides introduits dans la structure des voûtes appartenant
aux édifices du Nord.
 
En se reportant aux figures 1, 2, 5 et 8 de cet article, on observera
que les voûtes romaines, qui présentent une structure parfaitement
homogène, si on ne les considère que superficiellement, se composent
en fait, de nerfs et de parties neutres, ou, si l'on préfère cette définition,
d'une membrure et de remplissages rendus aussi légers et aussi inertes
que possible. Nous avons donné les deux raisons principales qui avaient
fait adopter ce parti: la première, l'économie des cintres de charpente;
la seconde, l'avantage de bander les voûtes suivant une méthode rapide
qui assurait l'homogénéité de leur structure, une égale dessiccation des
mortiers, et qui permettait d'obtenir, en même temps qu'une parfaite solidité,
la plus grande légèreté possible. Nous avons vu que, dans la construction
des voûtes d'arête, les Romains noyaient des arêtiers de brique dans
l'épaisseur même de la voûte, comme ils noyaient des arcs-doubleaux
dans l'épaisseur des berceaux et des côtes dans l'épaisseur des coupoles.
Cette méthode était judicieuse, inattaquable au point de vue de la solidité;
l'était-elle autant au point de vue de l'art? Si l'architecture a pour
objet de ne dissimuler aucun des procédés de structure qu'elle emploie,
mais au contraire de les accuser en leur donnant les formes convenables,
il est évident que les Romains ont souvent méconnu ce principe; car,
les voûtes enduites, recouvertes intérieurement de stucs et de peintures,
suivant des combinaisons indépendantes de la membrure, il était impossible
de savoir si ces voûtes possédaient ou non des arcs-doubleaux,
des nerfs dans leur contexture. Cette ossature résistante, jugée nécessaire
à sa stabilité, n'était pas toujours visible; si elle est en partie accusée
dans la coupole du Panthéon, elle ne l'est pas dans les voûtes des
thermes d'Antonin Caracalla, dans celles de la basilique de Constantin,
dans la grande salle des thermes de Dioclétien. La question est ainsi
réduite à ses limites les plus étroites. Toute structure ne doit-elle pas
être pour l'architecte le motif d'une disposition compréhensible pour
l'œil. Les Grecs, tant vantés comme artistes, avec raison, et si peu compris,
s'il s'agit d'appliquer leurs principes, ont-ils fait autre chose, dans
leur architecture, que de considérer la structure comme la raison déterminante
de toute forme? En ont-ils jamais dissimulé les moindres membres?
Et ces petits édifices de la Syrie centrale, dont nous avons parlé
plus haut, ne sont-ils pas la plus vive expression de ce sentiment du Grec,
qui le porte, dans les choses d'architecture, à considérer toute structure
comme l'élément constitutif de la forme visible, même après qu'il
a subi l'influence romaine, influence si contraire aux goûts du Grec.
 
Mais ces Grecs des bas temps n'ont pas, dans la Syrie centrale, fait
des voûtes d'arête sur de grandes dimensions. Ils n'ont accepté, de
l'héritage romain, que l'arc, le berceau et la coupole. Cependant ils se
sont appropriés ces formes en y ajoutant leurs dispositions rationnelles,
et ces tendances sont assez marquées pour que les Occidentaux, qui
virent ces monuments à la fin du XI<sup>e</sup> siècle, aient pu suivre cette voie,
mais en allant beaucoup plus loin que n'avaient pu le faire les habitants
de ces petites cités semées sur le chemin de la Perse à Byzance.
 
Or, on peut le demander à tous les gens de bonne foi: admettre le
principe de la structure des voûtes romaines, et s'inspirer de l'esprit
analytique du Grec, de son goût pour le vrai, de son sentiment inné de
la forme, pour, de ces éléments, constituer un système complet, n'est-ce
pas un progrès? Et est-on en droit de repousser comme suranné ce
système, si d'ailleurs on ne sait que reproduire la forme apparente de la
structure romaine, sans y prendre même ce qui en constitue le mérite
principal, l'économie des moyens et la simplicité d'exécution? Il suffit,
pensons-nous, de poser ces questions, pour que chacun puisse déterminer
où s'est arrêté le progrès et où commence la décadence.
 
Adopter la voûte romaine, mais raisonner ainsi que l'ont fait ces
artistes occidentaux du XII<sup>e</sup> siècle, est, à nos yeux, une des révolutions
les plus complètes, les mieux justifiées qui aient jamais été faites dans
le domaine de l'architecture. Que se sont-ils dit ces artistes? «En construisant
leurs voûtes, les Romains ont considéré deux objets, une ossature
et un remplissage neutre; mais de ces deux objets distincts ils n'ont
tiré qu'une forme apparente, une concrétion, confondant ainsi la chose
qui soutient, la chose essentielle et la chose soutenue, inerte. Si l'intention
est excellente, si le résultat matériel est satisfaisant, le résultat,
comme art, est vicieux; car dans l'art de l'architecture, qui est une sorte
de création, la fonction réelle de chaque membre doit être accusée par
une forme en rapport avec cette fonction. Si une voûte ne peut se soutenir
que par un réseau de nerfs, ce réseau n'est pas destiné par l'art
à être caché, il doit être apparent, d'autant plus apparent, qu'il est plus
utile. Les Grecs ont admis cette loi, sans souffrir d'exceptions...» Que
les architectes occidentaux aient fait ce raisonnement en plein XII<sup>e</sup> siecle,
nous ne l'affirmerons pas; mais leurs monuments le font pour eux, et
cela nous suffit.
Les architectes romans avaient adopté tout d'abord la voute en berceau
comme étant la plus simple et la plus facile à construire. Déjà, vers
la fin du XI<sup>e</sup> siècle, ils avaient nervé ces berceaux, non plus par des
arcs plus résistants, comme nature de matériaux, noyés dans l'épaisseur
même de la voûte, mais par des arcs-doubleaux saillants<span id="note12"></span>[[#footnote12|<sup>12</sup>]] donnant une
plus grande résistance à ces berceaux au droit des points d'appui. La
poussée continue de ce genre de voûtes les fit bientôt abandonner. Restaient
donc, pour voûter de grands espaces, des salles, des nefs, la voûte
d'arête et la coupole sur pendentifs, parfaitement connue alors en
Occident, puisque, depuis plus d'un siècle, des coupoles sur pendentifs
avaient été construites dans l'ouest et le centre de la France<span id="note13"></span>[[#footnote13|<sup>13</sup>]]. La voûte
d'arête romaine, formée par la pénétration de deux demi-cylindres, donnait,
comme courbe de pénétration, une courbe plate qui inquiétait,
avec raison, des constructeurs ne possédant plus les excellents mortiers
de l'empire<span id="note14"></span>[[#footnote14|<sup>14</sup>]]. La coupole sur pendentifs demandait beaucoup de hauteur
et exigeait un cintrage de charpente compliqué et très-dispendieux.
Ces maîtres du XII<sup>e</sup> siècle cherchèrent donc, comme nous l'avons déjà
dit, un moyen terme entre ces deux structures; ils rehaussèrent la voûte
d'arête à la clef, ainsi, du reste, que l'avaient fait les Byzantins (voyez
fig. 10). Mais,--et c'est alors qu'apparaît la véritable innovation dans
l'art du constructeur,--ils firent sortir de la voûte d'arête romaine ou
byzantine le nerf noyé dans son épaisseur, le construisirent en matériaux
appareillés, résistants, et le posèrent sur le cintre de charpente; puis,
au lieu de maçonner la voûte autour, ils la maçonnèrent par-dessus,
considérant alors cet arc laissé saillant, en sous-œuvre, comme un cintre
permanent. Dans le porche de l'église abbatiale de Vézelay on voit déjà
deux voûtes ainsi construites (1130 environ); mais c'est dans l'église
abbatiale de Saint-Denis (1140) que le système est complétement développé.
Là les voûtes sont plutôt des coupoles que des voûtes d'arête,
mais elles sont toutes, sans exception, nervées parallèlement et diagonalement
par des arcs de pierre saillants, et ces arcs sont tous en tiers-point,
c'est-à-dire formés d'arcs de cercle brisés à la clef. Les déductions
logiques de ce système ne se font pas attendre. Dans la voûte
romaine, formée de cellules, comme nous l'avons vu figure 1 et suivantes,
le remplissage de ces cellules est <i>maintenu</i>, mais est inerte, n'affecte
aucune courbure qui puisse en reporter le poids sur les parois des cellules.
Puisque les constructeurs du XII<sup>e</sup> siècle détachaient les nerfs de la voûte,
qu'ils en faisaient comme un cintrage permanent, il était naturel de
<i>voûter</i> les remplissages sur ces nerfs, c'est-à-dire de leur donner en tout
sens une courbure qui reportât réellement leur pesanteur sur les arcs.
Ainsi la <i>voûte</i> était un composé de plusieurs voûtes, d'autant de voûtains
qu'il y avait d'espaces laissés vides entre les arcs. Du système concret
romain,--malgré les différents membres qui constituaient la voûte
romaine,--les maîtres du XII<sup>e</sup> siècle, en séparant ces membres, en leur
donnant à chacun leur fonction réelle, arrivaient au système élastique.
Bien mieux, ils inauguraient un mode de structure par lequel on évitait
toutes les difficultés dont nous avons indiqué plus haut quelques-unes,
et qui leur donnait la liberté de voûter, sans embarras, sans dépenses
extraordinaires, tous les espaces, si irréguliers qu'ils fussent, en prenant
les hauteurs qui leur convenaient, soit pour les naissances des
arcs, soit pour les niveaux des clefs.
 
Les voûtes du porche de Vézelay (1130), dont quelques-unes déjà sont
bandées sur des arcs diagonaux, sont maçonnées en moellons irréguliers
noyés dans le mortier, mais ce maçonnage ne reporte pas exactement
sur les arêtes la charge des triangles maçonnés; celles-ci enlevées, la
voûte tiendrait encore, comme se tiennent les voûtes du même édifice
dépourvues de ces arcs diagonaux. Ici l'arc diagonal est plutôt un
moyen de donner de la résistance à un point faible, de l'accuser, qu'une
structure commandée par une nécessité, C'est un expédient, non un
principe. Il ne serait donc pas exact de considérer les nerfs saillants,
les arcs ogives (pour leur donner leur véritable nom) des voûtes du
porche de Vézelay. comme la première tentative d'un principe nouveau;
c'est un acheminement vers un principe qui n'est pas encore entrevu.
En effet, dans l'art de l'architecture, et surtout dans la pratique de cet
art, les principes ne naissent pas tout formés dans le cerveau des constructeurs,
il y a toujours comme une intuition des principes avant
l'énoncé de ces principes. Remplacer des cintres provisoires de bois par
des cintres permanents de pierre, était une idée ingénieuse, déduite de
la théorie romaine sur la solidité des voûtes; ce n'était pas un nouveau
principe: ce n'est pas un principe nouveau de faire saillir <i>sous</i> la voûte
le nerf noyé <i>dans</i> la voûte; c'est une simple déduction logique. Mais
considérer ces nerfs, ressortis de la voûte, comme une membrure indépendante,
et combiner, sur cette membrure, des successions de voûtes
qui ne peuvent se soutenir que parce qu'elles portent sur cette membrure,
c'est alors un nouveau principe qui s'établit, qui n'a plus de rapport
avec le principe de la structure romaine; c'est une découverte, et
une découverte si importante dans l'art de la construction, que nous
n'en connaissons pas qui puisse lui être comparée. Les constructeurs
s'affranchissaient ainsi de toutes les difficultés qui se présentent lors de
l'établissement des voûtes sur des plans irréguliers, et notamment sur
des plans curvilignes. Il faut se placer à ce point de vue, si l'on veut se
rendre compte de la valeur de cette innovation; ne pas considérer seulement
l'apparence des voûtes, mais leur mode de structure. Or, il existe
beaucoup de voûtes nervées qui ne sont point des voûtes en arcs d'ogive,
c'est-à-dire qui ne sont point construites d'après ce principe ignoré
jusqu'alors, consistant en une succession de voûtes portées sur des arcs
bandés en tous sens, quelle que soit la configuration du plan à couvrir.
Nous avons essayé, dans l'article <sc>Construction</sc>, de faire ressortir la différence
entre le principe de la coupole nervée, et le principe de la voûte
en arcs d'ogive, bien qu'en apparence ces deux voûtes aient le même
aspect<span id="note15"></span>[[#footnote15|<sup>15</sup>]], ou peu s'en faut; il semblerait que nos développements à ce
sujet ne sont pas assez étendus, puisque de savants critiques n'ont pas
paru apprécier toute l'importance de cette différence. Cependant elle est
telle, que le système de coupole nervée, successivement amélioré, amplifié, conduit à une structure bornée dans les moyens et qui ne peut
aboutir à des résultats étendus, tandis que le système de la voûte en
arcs d'ogive se prête à toutes les combinaisons possibles, sans qu'il en
résulte jamais pour le constructeur des difficultés d'exécution, soit dans
le tracé, soit dans le mode de cintrage, soit dans l'appareil. C'est d'abord
dans l'église de l'abbaye de Saint-Denis, bâtie par Suger, qu'apparaît
franchement l'application de ce dernier système. Dans des articles dus
à notre savant ami F. de Verneilh, trop tôt enlevé aux études archéologiques<span id="note16"></span>[[#footnote16|<sup>16</sup>]],
il est dit que les voûtes du chœur de l'église abbatiale de
Saint-Denis sont une déduction, une conséquence de celles qui pourtournent
le chœur de l'église collégiale de Poissy, dont nous avons
montré la structure (fig. 18 et 19). Nous ne pouvons nous rendre à cette
opinion; les voûtes du collatéral circulaire de Poissy n'accusent point
l'origine du principe admis dans l'église de Saint-Denis. Ces voûtes de
Poissy sont des voûtes romanes qui essayent de s'affranchir des difficultés
tenant au mode de structure roman, mais qui ne laissent en rien soupçonner
le nouveau système inauguré à Saint-Denis. Nous persistons
donc à dire que les embryons de ce système nous font défaut, qu'ils
n'existent plus, ou que l'église de Saint-Denis présente tout à coup
en 1140 un premier exemple complet de ce mode de structure des
voûtes. On va en juger.
 
La figure 22 présente en A le plan d'une demi-chapelle du tour du
chœur de l'église abbatiale de Saint-Denis, avec le double collatéral
pourtournant. Ce plan étant donné, que l'on se pose le problème de le
voûter à l'aide du système romain ou du système roman, la solution
sera impossible.
 
Par quels artifices de pénétrations pourrait-on voûter les chapelles?
Par des coupoles? Peut-être; mais alors il faudrait que ces coupoles
reposassent sur des arcs, établir des pendentifs, et alors prendre une
hauteur considérable. D'ailleurs ces pendentifs biais, irréguliers, produiraient
un très-mauvais effet. En établissant son plan, l'architecte de
l'abside de Saint-Denis savait comment il allait le voûter; ou, pour parler
plus vrai, c'était le système de voûtes à employer qui lui donnait les
dispositions de son plan. D'abord le cercle intérieur qui lui sert à tracer
le périmètre de la chapelle rencontre en <i>a</i> le tailloir de la colonne
monostyle <i>b</i>, de sorte que les branches d'arcs ogives <i>ac</i>, <i>de</i>, <i>ec</i>, sont égales
entre elles. Ayant tracé l'arc-doubleau <i>f</i> et l'archivolte g<i>,</i> il prend le
milieu de l'axe <i>gf</i>, en <i>i</i>, et il trace les deux branches d'arcs ogives <i>bi</i>, <i>hi</i>,
puis il trace les arcs-doubleaux <i>hb</i>, <i>bi</i>. Il est clair que tous ces arcs sont
indépendants; l'architecte est le maître de placer où bon lui semble
leur naissance. Mais (et c'est là où apparaissent les conséquences forcées
du nouveau système adopté), s'il eût tracé ces arcs en plein cintre,
ou il eût fallu que les naissances de ces arcs eussent été à des niveaux
 
[Illustration: Fig. 22.]
 
très-différents, si l'on eût voulu que leurs clefs fussent élevées à un même
niveau, puisque ces arcs sont de diamètres très-différents, et alors surgissaient
les difficultés que nous avons signalées plus haut pour fermer
les remplissages triangulaires voûtés; ou si les naissances de ces arcs
eussent été placées au même niveau, leurs clefs atteignaient des niveaux
très-variables. L'architecte emploie donc l'arc en tiers-point ou brisé,
qui lui assure toute liberté pour donner aux clefs les niveaux convenables.
Ainsi, le rabattement B indique en <i>l'b'</i> l'arc-doubleau <i>lb</i>, en <i>b'h'</i>
l'arc-doubleau <i>bh</i>, en <i>c'e'</i> une des branches d'arcs ogives de la chapelle,
en <i>ob'</i> l'arc-doubleau <i>bf</i>, en <i>b''i'</i> la branche d'arc ogive <i>bi</i>, et en <i>b''p</i>
celle <i>hi</i>. Il résulte de ce tracé que les clefs <i>cfi</i> sont au même niveau, et
que les clefs des deux arcs-doubleaux <i>hb</i>, <i>bl</i>, sont aussi sur une même
ligne de niveau, inférieure à celle des trois clefs <i>cfi</i>. Reste, sur cette
ossature, à bander les triangles voûtés, lesquels reposent sur ces arcs en
tiers-point. Les lignes de clefs de ces remplissages aboutissent nécessairement
au point culminant de chacun de ces arcs et donnent les projections
ponctuées <i>iq</i>, <i>cr</i>, et passent par la ligne d'axe <i>cg</i>. Une petite difficulté
se présentait dans la partie pleine de la chapelle.
 
L'architecte avait dû percer les fenêtres D, non pas au milieu de la
courbe <i>ke</i>, mais plus rapprochées de la pile centrale <i>e</i>, afin d'échapper le
contre-fort C. Or, l'archivolte de cette fenêtre tenant lieu de formeret, sa
clef se trouve en <i>t</i>; la ligne de clefs <i>ct</i> divisait donc très-irrégulièrement
le triangle <i>kec</i>; et il restait, de <i>k</i> en <i>s</i>, un espace entre l'extrados de cette
archivolte et celui de la branche d'arc <i>kc</i>, qui pouvait embarrasser le
maçon chargé de bander la voûte sur le triangle <i>kec</i>. La figure perspective
E montre en F comment cette petite difficulté fut résolue. Le remplissage
voûté commence comme commencerait une coupole sur une
partie circulaire; puis la surface courbe, gauchissant à mesure qu'elle
s'élève, va chercher l'extrados de l'archivolte et celui de la branche
d'arc ogive. En G, une projection horizontale indique la disposition des
rangs de moellons taillés, à la naissance de la surface courbe entre les
arcs. Sur le tracé perspectif E on voit que les archivoltes des fenêtres
faisant fonction de formerets pénètrent dans la branche d'arc ogive
d'axe, à sa naissance. On remarquera aussi que les naissances des arcs
ogives de la chapelle sont à un niveau plus bas que les naissances des
autres arcs, et que, par suite, les tailloirs des chapiteaux descendent d'une
assise (voy. en <i>y</i>). Sauf quelques tâtonnements, quelques points vaguement
étudiés, le système est complet, franc; la liberté de l'architecte
est acquise, et de ce premier essai il est facile d'arriver aux
conséquences les plus étendues. Le tracé perspectif E montre bien que
les remplissages triangulaires en moellons taillés reportent leur charge
sur les nervures, sont bandés sur leur extrados, et que celles-ci remplissent
exactement, à Saint-Denis déjà, l'office de cintres permanents portant
la voûte ou plutôt une réunion de voûtes. Par un reste de respect
pour la tradition, peut-être aussi par un défaut de confiance absolue en
la bonté du système nouveau, les clefs des formerets et arcs-doubleaux latéraux sont tenues plus bas que celles des arcs ogives, afin de laisser
encore à la réunion des voûtains triangulaires une forme générale <i>domicale</i>.
Ce parti persista jusqu'aux premières années du XIII<sup>e</sup> siècle.
 
Ce qui prouve combien le système de voûtes admis dans la reconstruction
de l'église abbatiale de Saint-Denis est radical, est nouveau, ce sont
les monuments contemporains de celui-ci ou même un peu postérieurs,
dans lesquels on aperçoit encore des hésitations, des restes de traditions
romanes dont les architectes n'osent ou ne peuvent s'affranchir. À ce
point de vue, les voûtes de la cathédrale de Sens méritent un examen
approfondi. M. Challe, au Congrès scientifique d'Auxerre de 1859, a
parfaitement établi que la cathédrale de Sens ne pouvait avoir été reconstruite
après l'incendie de 1184; mais on ne peut admettre qu'elle ait
été commencée par l'archevêque Henri de France dès son intronisation,
c'est-à-dire en 1122, dix ans avant le narthex de l'église abbatiale de
Vézelay. Les caractères de l'architecture, des profils et de la sculpture
ne peuvent faire supposer que la cathédrale de Sens ait été commencée
avant 1140, peu avant la mort de l'archevêque Henri. Et en effet, les
textes disent qu'il commença cet édifice, mais ils ne disent pas à quel
moment de son épiscopat cette fondation eut lieu. Or, c'est en 1137 que
l'abbé Suger commence la reconstruction de son église; en trois ans et
trois mois il avait achevé le chœur. En admettant que la cathédrale
de Sens soit contemporaine de l'église de Saint-Denis, on y travaillait
encore en 1170, et son édification était poursuivie avec lenteur.
 
La cathédrale de Sens ne peut donc passer pour avoir servi de point
de départ pour les travaux de Saint-Denis, et les voûtes de Saint-Étienne
de Sens accusent une indécision (surtout les voûtes basses), des tâtonnements
qui n'apparaissent plus à Saint-Denis.
 
Examinons (fig. 23) une demi-travée de la nef de la cathédrale de
Sens. Les voûtes des collatéraux A possèdent des arcs-doubleaux C qui
sont plein cintre (voy. le rabattement C'). Mais les travées de la nef
étant doubles, c'est-à-dire alternativement composées de grosses piles P
pour porter les arcs-doubleaux et les arcs ogives des hautes voûtes, et
de piles intermédiaires S composées de colonnes accouplées destinées
à porter seulement les arcs de recoupement de ces voûtes hautes, les
arcs ogives des voûtes basses se placent assez gauchement sur ces piles.
Les arcs ogives rabattus en D ont leurs deux branches inégales, celle <i>ab</i>
étant plus courte que celle <i>bc</i>. En <i>c</i>, le constructeur, n'ayant pas réservé
une colonnette pour recevoir cette branche <i>bc</i>, a dû poser un corbeau
dans la hauteur du sommier de l'arc-doubleau et de l'arc formeret
(voy. le tracé perspectif G); ainsi a-t-il pu diminuer une partie de la
différence de longueur entre les deux branches des arcs ogives. Ces
branches d'arcs ogives reposent d'autre part sur la saillie du tailloir des
chapiteaux des colonnes accouplées S et sur des colonnettes engagées
tenant aux grosses piles. Bien que les arcs-doubleaux C soient plein
cintre, les archivoltes E de la nef sont en tiers-point (voy. leur rabatte-*
 
[Illustration: Fig. 23.]
 
ment en E'). D'ailleurs les clefs des arcs ogives atteignent un niveau <i>d</i>
supérieur au niveau des clefs des arcs-doubleaux et des archivoltes; de
sorte que ces voûtes sont fortement bombées et construites en moellons
taillés, comme il a été dit ci-dessus. Ce mélange du plein cintre et de
l'arc en tiers-point pour les arcs-doubleaux et archivoJtes ne se trouve
nulle part à Saint-Denis dans les constructions de Suger. À Saint-Denis,
les branches d'arcs sont plus adroitement placées. On n'y voit point
de ces culs-de-lampe qui paraissent avoir été un expédient à Sens, et
que nous retrouvons aussi dans les voûtes basses d'un autre monument
de la Champagne, à Notre-Dame de Châlons-sur-Marne. Maintenant, si
nous passons aux voûtes hautes, faites quelques années plus tard (d'autant
que, comme nous l'avons dit, les travaux à Sens furent conduits
avec lenteur), nous trouvons un système de voûtes très-intéressant à
étudier, en ce qu'il éclaircit plusieurs questions touchant la construction
de ces parties importantes de nos édifices de la fin du XII<sup>e</sup> siècle. Ces
voûtes hautes sont sur plan carré avec arc-doubleau de recoupement;
méthode adoptée, sauf de rares exceptions, pour les nefs de la seconde
moitié du XII<sup>e</sup> siècle et du commencement du XIII<sup>e</sup><span id="note17"></span>[[#footnote17|<sup>17</sup>]]. À Sens, cette disposition
des voûtes hautes est parfaitement accusée par la forme et la
dimension des piles. Les arcs ogives (arcs diagonaux) PM sont plein
cintre<span id="note18"></span>[[#footnote18|<sup>18</sup>]]; leur rabattement est en <i>pm</i>. L'arc-doubleau de recoupement SM
est rabattu en <i>sm</i>. Les arcs-doubleaux PO sont rabattus en <i>ro</i>. Pour les
formerets (anciens), ils étaient plein cintre et sont rabattus en <i>nt</i>. On observera
que la courbe d'extrados de l'arc ogive (rabattue) vient rencontrer
en <i>v</i> le formeret au niveau de l'extrados de sa clef (en projection verticale),
de sorte que la ligne des clefs du remplissage triangulaire M<i>g</i>
(en projection horizontale) est donnée par la courbe d'extrados <i>vm</i>.
Le demi-triangle M<i>gh</i> est donc une section de coupole, et pourrait être
construit suivant le mode propre à ce genre de voûtes, c'est-à-dire par
une suite de rangs de moellons concentriques. C'est là un point qu'il
ne faut pas perdre de vue, car il indique clairement que, comme nous
prétendons l'établir dans l'article [[Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 6, Ogive|Ogive]], la forme de la coupole préoccupait
encore les architectes de la première période dite gothique.
Cependant les rangs de moellons de ces remplissages sont posés parallèlement
à la ligne M<i>g</i> des clefs, afin de reporter le poids de ces remplissages
en entier sur les arcs-doubleaux et arcs ogives. Mais on pourra
objecter que les formerets plein cintre n'existant plus et ayant été remplacés
à la fin du XIII<sup>e</sup> siècle par d'autres, en tiers-point et beaucoup
plus élevés, nous n'établissons notre tracé que sur une hypothèse. Voici
donc (fig. 24) la preuve de l'exactitude du tracé précédent. En A, est le
plan horizontal de la naissance de ces grandes voûtes de la cathédrale
de Sens. B est l'arc-doubleau; C, l'arc ogive; D, l'arc-doubleau de recoupement.
 
[Illustration: Fig. 24.]
 
En E, est tracée la coupe, suivant le grand axe, de cette portion
de voûte. Les colonnettes <i>c</i> existent encore en place avec leurs chapiteaux,
et dans les travées du chœur les branches <i>be</i> d'arcs formerets
ont été laissées au-dessous des formerets surélevés à la fin du XIII<sup>e</sup> siècle.
Ces éléments suffiraient pour indiquer la hauteur et la forme précise
des anciens formerets qu XII<sup>e</sup> siècle. Mais voici qui vient encore appuyer
notre restitution. Tout le long de la nef, la corniche F du XII<sup>e</sup> siècle est
conservée; au-dessous est une ornementation de petits arcs plein
cintre qui reposent sur une arcature qui autrefois s'ouvrait nécessairement
au-dessus des voûtes, ainsi que l'indique la coupe G. La corniche F
était surélevée pour permettre aux entraits de la charpente de passer
au-dessus de l'extrados des voûtes; et cette arcature G donnait du jour
et de l'air sous le comble. Dans le chœur de l'église abbatiale de Vézelay,
qui date de 1180 à 1190, les formerets sont également plein cintre et
ainsi disposés en contre-bas des clefs de la voûte. Les voûtes hautes de
l'église Notre-Dame de Châlons-sur-Marne possèdent, dans le chœur,
des formerets plein cintre surbaissés. Il n'y a donc rien dans cette disposition
qui ne soit conforme à la structure des voûtes des édifices voisins
de Sens ou appartenant à la même province. La ligne ponctuée <i>gh</i>
indique la place des formerets refaits à la fin du XIII<sup>e</sup> siècle, formerets
qui enveloppent de grandes fenêtres à meneaux dont les archivoltes
viennent aujourd'hui pénétrer les restes de l'arcature autrefois ajourée
au-dessus des voûtes. La figure 25 donne cette arcature à l'extérieur;
les traces encore en place et de nombreux fragments permettent de
la restituer sans difficultés<span id="note19"></span>[[#footnote19|<sup>19</sup>]]. En perçant les nouvelles fenêtres, les architectes
du XIII<sup>e</sup> siècle se sont contentés de boucher les baies donnant autrefois
sous le comble, et d'entailler les pieds-droits et archivoltes plein
cintre suivant la courbe de l'archivolte de ces nouvelles baies. On voit
encore en place, sur quelques points, les chapiteaux C, des portions
d'archivoltes et toute la partie supérieure B. En A, sont les arrivées des
arcs-boutants qui datent de la construction primitive. Cette arcature
supérieure donnant au-dessus des voûtes se retrouve dans beaucoup
d'églises romanes des provinces rhénanes, et avait pénétré jusque dans
les parties orientales de la Champagne. Sa présence à Sens n'en est pas
moins un fait assez remarquable.
 
Il ressort de cette étude que les voûtes hautes de Saint-Étienne de
Sens étaient très-bombées, présentaient des triangles concaves fortement
inclinés vers l'extérieur; que les constructeurs n'osaient encore s'affranchir
de la forme génératrice donnée par la coupole, quant au tracé, bien
qu'ils eussent déjà adopté le mode de structure des voûtains triangulaires
de remplissages reportant les charges sur les arcs-doubleaux et
formerets; du moins cela paraît-il probable, puisque ce mode est adopté
pour les voûtes des collatéraux, plus anciennes, et pour les voûtes hautes
des chœurs de Vézelay et de Notre-Dame de Châlons-sur-Marne, qui sont
 
<br><br>
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<span id="footnote2">[[#note2|2]] : Notamment aux voûtes des thermes d'Antonin Caracalla.
 
<span id="footnote3">[[#note3|3]] : La voûte du Panthéon d'Agrippa a 43 mètres 36 centimètres de diamètre.
 
<span id="footnote4">[[#note4|4]] : Il faut dire que ces deux coupoles sont élevées sur pendentifs; mais la nature des
lézardes qui se sont produites dans la coupole de Saint-Pierre de Rome n'indique pas
que ces désordres soient dus uniquement à des tassements. Il y a eu ruptures dans la
calotte même causées par un léger relèvement de la zone des reins de la coupole. Les
déchirures causées par des tassements se sont au contraire produites (et cela devait être)
à la base même de la demi-sphère, ce qui motiva la pose d'un cercle de fer à cette
base; ces lézardes sont suivant les longitudes. Les fissures observées à l'extrados de la
zone en contre-bas de la lanterne sont au contraire suivant les latitudes, et produisent
une pression à l'intrados qui fit détacher des parties d'enduits et de mosaïques.
 
<span id="footnote5">[[#note5|5]] : Un jeune ingénieur français, M. Choisy, va publier prochainement un travail très-complet
sur la structure des voûtes romaines, d'après les monuments. Ce recueil, que
nous avons eu entre les mains, donne en détail les divers procédés employés par ces
grands constructeurs, et démontre, de la manière la plus évidente, que l'économie dans
la dépense était une de leurs principales préoccupations. Nous engageons les architectes
qui veulent sérieusement connaître les procédés employés par les Romains dans les constructions
à recourir aux travaux de M. Choisy sur cette matière.
 
<span id="footnote6">[[#note6|6]] : Voyez la <i>Syrie centrale; architecture civile et religieuse du</i> I<sup>er</sup> <i>au</i> VII<sup>e</sup> <i>siècle</i>, par
M. le comte Melchior de Vogüé. Baudry, éditeur.
 
<span id="footnote7">[[#note7|7]] : Voyez <i>Entretiens sur l'architecture</i>.
 
<span id="footnote8">[[#note8|8]] : Voyez la <i>Syrie centrale</i>, pl. xvi.
 
<span id="footnote9">[[#note9|9]] : L'exemple du temple de Diane de Nîmes est une exception. Il ne faut pas perdre
de vue que les monuments romains élevés dans la Province sont, beaucoup plus que
ceux d'Italie, pénétrés de l'esprit grec, surtout en se rapprochant de Marseille. Il est intéressant de constater les analogies qui existent entre ces monuments antiques de la Province romaine et ceux de la Syrie centrale.
 
<span id="footnote10">[[#note10|10]] : Nous expliquerons tout à l'heure en quoi consiste ce mode.
 
<span id="footnote11">[[#note11|11]] : Toute cette théorie est développée dans l'article [[Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 4, Construction|Construction]].
 
<span id="footnote12">[[#note12|12]] : Voyez [[Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 4, Construction|Construction]], fig. 3.
 
<span id="footnote13">[[#note13|13]] : Voyez [[Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 4, Coupole|Coupole]].
 
<span id="footnote14">[[#note14|14]] : Voyez [[Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 4, Construction|Construction]], fig. 4.
 
<span id="footnote15">[[#note15|15]] : Voyez [[Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 4, Construction|Construction]], fig. 62 et suivantes jusqu'à la figure 72 <i>bis</i>.
 
<span id="footnote16">[[#note16|16]] : Voyez les <i>Annales archéologiques</i>, t. XXIII, p. 1 à 18 et 115 à 132.
 
<span id="footnote17">[[#note17|17]] : Voyez [[Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 4, Construction|Construction]], [[Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 6, Ogive|Ogive]], [[Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 9, Travée|Travée]].
 
<span id="footnote18">[[#note18|18]] : Aujourd'hui le centre de ces arcs serait en I; mais il y a eu, après le décintrage, un
léger abaissement de la clef, puis plus tard un faible écartement des murs, qui a dû déformer
quelque peu ces arcs, dont les centres devaient être posés sur la ligne supérieure
des tailloirs.
 
<span id="footnote19">[[#note19|19]] : C'est gràce à l'obligeance de M. Lance, architecte diocésain de Sens, et aux sondages
intelligents faits par son inspecteur, M. Lefort, que nous avons pu relever exactement
cette arcature, qui présente une disposition si curieuse. Dans notre restitution, la forme
des fenêtres est seule douteuse, bien que les pieds-droits de ces fenêtres soient encore
accusés à l'extérieur et coïncident avec les pieds-droits de l'arcature du triforium. (Voyez
[[Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 9, Triforium |Triforium ]].)