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personne. J’entends personne au point de vue pratique. Esthétiquement, le nombre des types humains est trop restreint pour qu’on n’ait pas bien souvent, dans quelque endroit qu’on aille, la joie de revoir des gens de connaissance, même sans les chercher dans les tableaux des vieux maîtres, comme faisait Swann. C’est ainsi que dès les premiers jours de notre séjour à Balbec, il m’était arrivé de rencontrer Legrandin, le concierge de Swann, et {{Mme}} Swann elle-même, devenus, le premier, garçon de café, le second un étranger de passage que je ne revis pas, et la dernière un maître baigneur. Et une sorte d’aimantation attire et retient si inséparablement les uns auprès les autres certains caractères de physionomie et de mentalité que quand la nature introduit ainsi une personne dans un nouveau corps elle ne la mutile pas trop. Legrandin changé en garçon de café gardait intacts sa stature, le profil de son nez et une partie du menton ; {{Mme}} Swann dans le sexe masculin et la condition de maître baigneur avait été suivie non seulement par sa physionomie habituelle, mais même par une certaine manière de parler. Seulement elle ne pouvait pas m’être de plus d’utilité entourée de sa ceinture rouge et hissant, à la moindre houle, le drapeau qui interdit les bains, car les maîtres baigneurs sont prudents, sachant rarement nager, qu’elle ne l’eût pu dans la fresque de la Vie de Moïse où Swann l’avait reconnue jadis sous les traits de la fille de Jethro. Tandis que cette {{Mme}} de Villeparisis était bien la véritable, elle n’avait pas été victime d’un enchantement qui l’eût dépouillée de sa puissance, mais était capable au contraire d’en mettre un à la disposition de la mienne qu’il centuplerait, et grâce auquel, comme si j’avais été porté par les ailes d’un oiseau fabuleux, j’allais franchir en quelques instants les distances sociales infinies, au moins à Balbec, qui me séparaient de Mlle de Stermaria.
personne. J’entends personne au point de vue pratique. Esthétiquement, le nombre des types humains est trop restreint pour qu’on n’ait pas bien souvent, dans quelque endroit qu’on aille, la joie de revoir des gens de connaissance, même sans les chercher dans les tableaux des vieux maîtres, comme faisait Swann. C’est ainsi que dès les premiers jours de notre séjour à Balbec, il m’était arrivé de rencontrer Legrandin, le concierge de Swann, et {{Mme}} Swann elle-même, devenus, le premier, garçon de café, le second un étranger de passage que je ne revis pas, et la dernière un maître baigneur. Et une sorte d’aimantation attire et retient si inséparablement les uns après les autres certains caractères de physionomie et de mentalité que quand la nature introduit ainsi une personne dans un nouveau corps elle ne la mutile pas trop. Legrandin changé en garçon de café gardait intacts sa stature, le profil de son nez et une partie du menton ; {{Mme}} Swann dans le sexe masculin et la condition de maître baigneur avait été suivie non seulement par sa physionomie habituelle, mais même par une certaine manière de parler. Seulement elle ne pouvait pas m’être de plus d’utilité entourée de sa ceinture rouge et hissant, à la moindre houle, le drapeau qui interdit les bains, car les maîtres baigneurs sont prudents, sachant rarement nager, qu’elle ne l’eût pu dans la fresque de la ''Vie de Moïse'' où Swann l’avait reconnue jadis sous les traits de la fille de Jethro. Tandis que cette {{Mme}} de Villeparisis était bien la véritable, elle n’avait pas été victime d’un enchantement qui l’eût dépouillée de sa puissance, mais était capable au contraire d’en mettre un à la disposition de la mienne qu’il centuplerait, et grâce auquel, comme si j’avais été porté par les ailes d’un oiseau fabuleux, j’allais franchir en quelques instants les distances sociales infinies, au moins à Balbec, qui me séparaient de {{Mlle}} de Stermaria.