« L’Athéisme allemand et le socialisme français - M. Charles Grün et M. Proudhon » : différence entre les versions
Contenu supprimé Contenu ajouté
mAucun résumé des modifications |
m match et typographie |
||
Ligne 1 :
{{journal|L'athéisme Allemand et le socialisme français - M. Charles Grün et M. Proudhon|[[Auteur:Saint-René Taillandier|Saint-René Taillandier]]|[[Revue des Deux Mondes]] T.24 1848}}
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 24.djvu/283]]==
<center>M. Charles Grün et M. Proudhon</center>
:I.
La révolution de février a mis brusquement en évidence toutes les églises, toutes les écoles, toutes les sectes socialistes qui jusque-là, malgré le talent de quelques chefs et les cris confus des néophytes,
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 24.djvu/284]]== d’un éclat inespéré suivies La défaite du socialisme devait être rapide ; le meilleur moyen, en effet, de réduire à
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 24.djvu/285]]== l’homme : sans que leurs écrits aient été lus et étudiés, elles se sont trouvées immédiatement en possession de la notoriété publique. Est-ce à dire que le socialisme soit bien connu ? Je ne le pense pas. Il reste à
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 24.djvu/286]]== mon cher Villegardelle, et vous êtes si peu habile ! » M. Proudhon a grandement raison de faire ainsi la police de son parti. Voilà donc deux origines distinctes :
Nous avons pour cela le meilleur des guides et les plus précieux renseignemens. Ces ressemblances de M. Proudhon et des athées de
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 24.djvu/287]]== les progrès de nos socialistes et contrôler leurs doctrines avec <center>I</center>
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 24.djvu/288]]==
::Madam' Veto avait promis ▼
::De faire égorger tout Paris.
En attendant, la Belgique fournit à M. Grün
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 24.djvu/289]]== tout-à-fait inattendus. « La France Un des plus curieux chapitres que M. Grün ait consacrés à la Belgique est celui où il a si vivement reproduit le portrait en pied de M. Jacob Kats. M. Jacob Kats est le véritable apôtre du socialisme populaire. Il faut
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 24.djvu/290]]== À part cet enthousiasme, fort naturel chez le jeune hégélien, la description Ces acteurs qui, sans se soucier du parterre ébahi, ont laissé la pièce interrompue, M. Charles Grün va les suivre sous leurs habits de ville, et, avant de juger les différentes sectes socialistes constituées en France depuis une dizaine
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 24.djvu/291]]== pensée anti-religieuse, Robespierre eût été M. Charles Grün continue sa critique et reproche à M. Pierre Leroux ce
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 24.djvu/292]]== et de là est sortie la religion de '' On doit comprendre maintenant le dépit
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 24.djvu/293]]== couteau de la guillotine ; vous irez à M. Charles Grün abandonne M. Pierre Leroux pour
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 24.djvu/294]]== que le goût de Si les sympathies de
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 24.djvu/295]]== dit le dernier mot de la philosophie germanique. M. Grün, enfin, demande à ces honnêtes publicistes mille choses que ceux-ci seront fort empêchés de lui donner ; de là un désenchantement qui «
On voit que la plaisanterie de M. Grün a changé ici de caractère. Ordinairement, sa gaieté est inaltérable ; aucun sentiment de tristesse ne vient troubler la franchise de ses bouffonneries, et le missionnaire hégélien est sans pitié dans la mise en scène de ses héros. Le fantasque poète d'''Atta-Troll'', justifiant avec esprit les cruautés satiriques de son
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 24.djvu/296]]==
::Aut videt, aut vidisse putat per nubila lunam.
Cependant,
Je ne suivrai pas M. Grün dans ses recherches un peu trop personnelles sur le socialisme démocratique. Le portrait de M. Louis Blanc y est crayonné de la façon la plus joyeuse, sans méchanceté, je me hâte de le dire, sans malveillance aucune, mais avec cette richesse
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 24.djvu/297]]==
par l’innocence philosophique de son adversaire, il croit enfin que le nom de Dieu est surtout un mot sonore dont le rhétoricien a besoin pour l’ordonnance de ses périodes. Malgré son peu de sympathie pour cette rhétorique ambitieuse, M. Grün, après avoir réfuté sans peine les écrits de M. Louis Blanc, voulut, pour l’acquit de sa conscience, lui révéler les lumières de la dialectique allemande. N’oublions pas que M. Grün est missionnaire et qu’il a charge d’ames. Les saint-simoniens ont disparu ; M. Pierre Leroux, convaincu de son infaillibilité, ne se dédira jamais sur le compte de Schelling ; les fouriéristes ne sont plus que l’ombre d’une école ; essayons, s’est dit le patient apôtre, essayons si M. Louis Blanc pourra comprendre la philosophie hégélienne. Vains efforts ! M. Grün a beau s’évertuer, il a beau évangéliser de son mieux l’auteur de ''l’Organisation du travail'' : bien loin de le convertir, il ne réussit même pas à lui faire soupçonner le premier mot du problème. M. Louis Blanc est tout occupé de sa personne, de son rôle, de ses brochures ; il écoute avec la distraction d’un penseur, interrompt avec la fatuité d’un marquis, et ne s’aperçoit pas, l’imprudent ! qu’il pose devant le plus impitoyable des peintres. Blessé dans ses prétentions apostoliques, M. Grün demande à son intarissable gaieté des consolations et des vengeances qui ne lui manquent jamais ; sa conversation avec M. Louis Blanc est une excellente scène de comédie.
Ne trouvez-vous pas que le voyage de M. Charles Grün est intéressant ? Malgré la répulsion que l’athéisme inspire, je me sens naître, je l’avoue, quelque sympathie pour ce socialiste enthousiaste, pour ce réformateur de la terre et du ciel, qui s’en vient, armé de sa lanterne, cherchant un homme intelligent parmi ses confrères parisiens. J’aime cette franchise, j’estime cette impartialité courageuse qui lui fait signaler si hardiment toute la pauvreté de son parti. Le voici qui sort de la maison où habite le chef des Icariens. Est-il gai ou triste ? L’un et l’autre peut-être. Écoutez ce qu’il écrit sur son journal de voyage et pardonnez-moi l’exactitude de ma traduction ; je ne suis pas responsable des espiègleries de mon guide. « J’ai été aujourd’hui pour la deuxième fois chez ''papa'' Cabet, et je suis revenu au logis tout disloqué. Quand il est dans une sphère qui lui répugne, l’homme éprouve un cauchemar moral. Deux fois dans ma vie, j’ai ressenti un cauchemar physique, et je préférerais absolument cette douleur à celle dont j’ai souffert aujourd’hui, si je n’avais ''l’humour'' nécessaire pour transformer en un sujet de divertissement ce qui me fut d’abord une oppression insupportable. Contre les cauchemars du corps, on n’a pas cette ressource. Déjà, pendant notre conversation d’aujourd’hui, recourant à mon hygiène habituelle, je m’amusai à me figurer ''papa'' Cabet comme Icare en personne. Il ressemble, en effet, à un dictateur, mais à un de ces dictateurs sensibles, philanthropes, au cœur plus mou que le
▲Je ne suivrai pas M. Grün dans ses recherches un peu trop personnelles sur le socialisme démocratique. Le portrait de M. Louis Blanc y est crayonné de la façon la plus joyeuse, sans méchanceté, je me hâte de le dire, sans malveillance aucune, mais avec cette richesse d'espièglerie qui est décidément le caractère de M. Grün. Tout ce qu'il dit de l'organisation du travail est excellent. Les erreurs des jeunes hégéliens sont quelquefois monstrueuses; elles sont rarement vulgaires. Le souffle qui les porte, après tout, est le souffle d'un maître. Comment ne seraient-ils pas frappés de l'indigence d'un système qui voit dans la société un seul homme, l'ouvrier des villes, et dans l'univers des idées une seule question, la concurrence? M. Grün aime à discuter la philosophie de chacun des socialistes : où chercher, où découvrir, hélas ! la philosophie de M. Louis Blanc? Il est vrai que M. Louis Blanc a du moins l'étiquette d'une théodicée. Il parle souvent de Dieu, de quel Dieu? on ne sait, mais enfin il en parle, et c'est lui, dit M. Grün, qui est le représentant de la Providence au sein de la démocratie socialiste. M. Grün ne manque jamais de provoquer en duel les socialistes qui admettent un Dieu; ici cependant il renonce à la discussion, il est désarmé par l'innocence philosophique de son adversaire, il croit enfin que le nom de Dieu est surtout un mot sonore dont le rhétoricien a besoin pour l'ordonnance de ses périodes. Malgré son peu de sympathie pour cette rhétorique ambitieuse, M. Grün, après avoir réfuté sans peine les écrits de M. Louis Blanc, voulut, pour l'acquit de sa conscience, lui révéler les lumières de la dialectique allemande. N'oublions pas que M. Grün est missionnaire et qu'il a charge d'ames. Les saint-simoniens ont disparu; M. Pierre Leroux, convaincu de son infaillibilité, ne se dédira jamais sur le compte de Schelling; les fouriéristes ne sont plus que l'ombre d'une école; essayons, s'est dit le patient apôtre, essayons si M. Louis Blanc pourra comprendre la philosophie hégélienne. Vains efforts ! M. Grün a beau s'évertuer, il a beau évangéliser de son mieux l'auteur de ''l'Organisation du travail'' : bien loin de le convertir, il ne réussit même pas à lui faire soupçonner le premier mot du problème. M. Louis Blanc est tout occupé de sa personne, de son rôle, de ses brochures; il écoute avec la distraction d'un penseur, interrompt avec la fatuité d'un marquis, et ne s'aperçoit pas, l'imprudent! qu'il pose devant le plus impitoyable des peintres. Blessé dans ses prétentions apostoliques, M. Grün demande à son intarissable gaieté des consolations et des vengeances qui ne lui manquent jamais; sa conversation avec M. Louis Blanc est une excellente scène de comédie.
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 24.djvu/298]]==
On conçoit que toutes ces visites inutiles, toutes ces prédications en pure perte aient dû jeter à la longue quelque découragement dans la pensée du missionnaire. J’admire cependant l’espoir opiniâtre qui le soutient toujours ; j’admire aussi qu’un hégélien ait une prédilection si vive pour la légèreté française. Du reste, il a été largement récompensé de l’obstination de sa foi ; il a trouvé enfin le vrai penseur socialiste ! Oui, il a trouvé chez ce peuple ignorant, qui connaît encore
▲Ne trouvez-vous pas que le voyage de M. Charles Grün est intéressant? Malgré la répulsion que l'athéisme inspire, je me sens naître, je l'avoue, quelque sympathie pour ce socialiste enthousiaste, pour ce réformateur de la terre et du ciel, qui s'en vient, armé de sa lanterne, cherchant un homme intelligent parmi ses confrères parisiens. J'aime cette franchise, j'estime cette impartialité courageuse qui lui fait signaler si hardiment toute la pauvreté de son parti. Le voici qui sort de la maison où habite le chef des Icariens. Est-il gai ou triste? L'un et l'autre peut-être. Écoutez ce qu'il écrit sur son journal de voyage et pardonnez-moi l'exactitude de ma traduction; je ne suis pas responsable des espiègleries de mon guide. « J'ai été aujourd'hui pour la deuxième fois chez ''papa'' Cabet, et je suis revenu au logis tout disloqué. Quand il est dans une sphère qui lui répugne, l'homme éprouve un cauchemar moral. Deux fois dans ma vie, j'ai ressenti un cauchemar physique, et je préférerais absolument cette douleur à celle dont j'ai souffert aujourd'hui, si je n'avais ''l'humour'' nécessaire pour transformer en un sujet de divertissement ce qui me fut d'abord une oppression insupportable. Contre les cauchemars du corps, on n'a pas cette ressource. Déjà, pendant notre conversation d'aujourd'hui, recourant à mon hygiène habituelle, je m'amusai à me figurer ''papa'' Cabet comme Icare en personne. Il ressemble, en effet, à un dictateur, mais à un de ces dictateurs sensibles, philanthropes, au coeur plus mou que le beurre frais, tels enfin que les sages et les rois de Fénelon, Il est grand, assez robuste; sa figure est ronde, ses petits yeux sont bien ouverts, et sa bouche annonce le souverain, je veux dire le souverain communiste. La contradiction de ces deux mots si absurdement accouplés s'expliquera d'elle-même pour tous ceux qui ont eu une heure d'entretien avec Icare... » Cette heure d'entretien sera féconde pour la verve de M. Grün, et M. Cabet paiera cher le cauchemar qu'il a donné à son visiteur. Si jamais on n'a mieux mis à nu la fastueuse indigence de M. Louis Blanc, il serait difficile de railler avec plus de franchise le pontificat burlesque de M. Cabet. Bien de si divertissant que la solennelle protection accordée à l'Allemagne par le dictateur. M. Cabet n'est pas un philosophe qui cherche, ce n'est pas non plus une négation perpétuelle comme M. Pierre Leroux et M. Proudhon; c'est le révélateur d'une société toute prête. Il possède, ainsi que Fourier, une panacée universelle; il a le secret qui peut guérir en un instant toutes les misères du monde. C'est pour cela qu'il est si confiant en lui-même et si ignorant de tout ce qui n'est pas lui. J'ai bien peur que M. Grün ne perde encore sa peine. M. Cabet accueille d'abord très amicalement le missionnaire de l'athéisme, non pas comme missionnaire, il est vrai, mais au contraire comme un infidèle, comme un malheureux égaré qu'il veut amener dans le giron du communisme icarien. Il sourit quand M. Grün lui parle des profondes transformations philosophiques de l'Allemagne, puis il ajoute avec une gravité imperturbable : Comment se fait-il que les Allemands n'aient pas encore traduit mon ''Voyage en Icarie''? - « Que devais-je répondre, s'écrie M. Grün, pour ne pas chagriner le bonhomme? Force était bien de mentir; je lui dis que nous préférions nous en tenir à ses brochures, où nous apprenions le grand art de la polémique, et notez bien que personne, en Allemagne, ne soupçonne seulement l'existence de ces brochures! » - M. Grün ramène la conversation sur l'école hégélienne; il explique au bonhomme l'athéisme de Feuerbach et semble employer à dessein les formules les plus abstraites de cette subtile et sophistique philosophie. M. Cabet, qui n'y voit que du feu, n'abandonne pas pour cela son attitude dictatoriale; il avoue seulement qu'il n'a pas encore « approfondi la matière. » Je le crois bien, et M. Grün n'avait pas besoin de cette naïve déclaration.
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 24.djvu/299]]==
« Quand on entre du quai Malaquais dans la rue de Seine, on voit à gauche une autre rue qui forme un petit angle avec celle-ci. Un soir, vers cinq heures, étant précisément à cet endroit, je demandai la rue Mazarine.
▲On conçoit que toutes ces visites inutiles, toutes ces prédications en pure perte aient dû jeter à la longue quelque découragement dans la pensée du missionnaire. J'admire cependant l'espoir opiniâtre qui le soutient toujours; j'admire aussi qu'un hégélien ait une prédilection si vive pour la légèreté française. Du reste, il a été largement récompensé de l'obstination de sa foi; il a trouvé enfin le vrai penseur socialiste! Oui, il a trouvé chez ce peuple ignorant, qui connaît encore moins Hegel que Saint-Simon et Fourier, il a trouvé au milieu de ces socialistes ridicules, entre les fouriéristes et les organisateurs du travail, entre M. Louis Blanc et M. Cabet, il a trouvé l'homme extraordinaire qui manie la dialectique hégélienne aussi bien que s'il l'avait inventée, et qui l'emploie contre la société et contre Dieu avec la froide exaltation d'un Stirner ou d'un Feuerbach. Quoi! Stirner et Feuerbach, ici, à Paris, sur ce pavé brûlant où s'allume si vite l'incendie des révolutions! Quelle joie pour M. Charles Grün! Le plus souvent, c'est dans les universités des petites villes, c'est dans la solitude des monastères de la science, c'est à Halle, à Bonn, à Heidelberg, à Tübingen, que siègent les oracles révolutionnaires de l'Allemagne. Ils méditent, ils écrivent, et de ces retraites pacifiques sortent les redoutables formules qui foudroient la vieille société et font rentrer Dieu dans le néant. Cependant, autour de ces grands hommes, la foule des philistins continue son vulgaire train de vie; on croit à Dieu, on croit au devoir, et l'on s'efforce d'être honnête. Bien plus, ces philistins ignorent peut-être qu'ils ont la gloire de posséder dans leurs murs les saint Jean et les saint Paul de ''l'humanisme''. N'est-ce pas à cette influence des petites villes qu'il faut attribuer la propagation si lente du nouvel évangile? Mais ici, sur un sol volcanique, dans la capitale de l'émeute, quelles destinées inattendues vont s'ouvrir pour la philosophie hégélienne! M. Charles Grün en est ébloui.
« Je me
▲« Quand on entre du quai Malaquais dans la rue de Seine, on voit à gauche une autre rue qui forme un petit angle avec celle-ci. Un soir, vers cinq heures, étant précisément à cet endroit, je demandai la rue Mazarine. - La rue à gauche, me dit-on.- C'est là que se séparent les deux chemins d'Hercule: à droite, la large route des pacifiques fouriéristes: et à gauche ?... A gauche, rue Mazarine, n° 36, habite Proudhon.
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 24.djvu/300]]==
▲«Je me l'étais représenté comme un homme d'une quarantaine d'années, aux traits durs, aux cheveux noirs, au visage défiant, le front accablé de profonds et douloureux soucis, mais pourtant avec cette bienveillance ineffaçable qui se lisait sur la physionomie de Jean-Jacques Rousseau et de Louis Boerne. Il faut, me disais-je, pour n'être pas confondu avec les voyageurs anglais et les vulgaires touristes de l'Allemagne, il faut conquérir pour moi cette bienveillance, il faut pénétrer jusque derrière le rempart où s'abrite cet esprit blessé. En vérité, comment pouvais-je me figurer l'auteur du mémoire : ''Qu'est-ce que la propriété''? l'auteur de la ''Lettre à M. Considérant'', lettre pour laquelle il eut à comparaître devant le jury du Doubs, l'ancien ouvrier imprimeur qui se plonge depuis long-temps déjà dans des études sans fin, le prolétaire qui cherche la science sociale dans l'intérêt du prolétariat, et qui, récompensé de son courage par un procès devant les assises, a subi durant de longues années le supplice bien autrement terrible du dédain public; ce penseur solitaire, audacieux, impitoyable, comment pouvais-je me le figurer, si ce n'est comme un homme aigri par les souffrances morales?
« Lorsque
Quel bonheur plus grand aurais-je pu désirer ? Après une masse
« Proudhon est le seul Français complètement libre de préjugés que
M. Grün continue
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 24.djvu/301]]== de christianisme chez le prédicateur athée. M. Grün veut bien nous apprendre à ce propos que la première femme Cette victoire,
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 24.djvu/302]]== nouvelle, je crois que la découverte de M. Proudhon aura précisément le même sort que cette religion de Malgré
Ce livre est intitulé ''de la Création de
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 24.djvu/303]]== toute religion et toute philosophie, ces deux développemens de notre esprit étant, dit-il, à jamais épuisés, et ne pouvant plus rien produire dans « Prolétaire, prolétaire, est-ce bien à toi de nous efféminer ainsi ? Soldat armé de la torche incendiaire pour brûler les temples des dieux ! Spartacus, dont le cri pousse les esclaves à une guerre
La jeune école hégélienne avait déclaré avec M. Feuerbach
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 24.djvu/304]]== pas pour <center>II</center>
Lorsque M. Charles Grün vint visiter à Paris nos écrivains socialistes, M. Proudhon
Les deux volumes de M. Proudhon embrassent
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 24.djvu/305]]== les systèmes. Je laisse de côté cette dernière partie de Avant de philosopher, M. Proudhon
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 24.djvu/306]]== où ils ==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 24.djvu/307]]== écarts. Il faudrait aussi prier ==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 24.djvu/308]]== « Je commence par le problème qui contient tous les autres. Quel est le Dieu de M. Proudhon ? Aussi bien, ce Dieu, quel
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 24.djvu/309]]== la division du travail poussée à ==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 24.djvu/310]]== cent gueules de la division du travail et le dragon indompté des machines, que deviendra Est-ce là seulement le cri
Quand M. Proudhon attaque la Providence, il ne reproduit pas, en
Quand M. Proudhon attaque la Providence, il ne reproduit pas, en apparence du moins, la vieille objection du mal physique et du mal moral; on sait qu'il aime l'extraordinaire, et l'emploi de ce raisonnement mille fois réfuté aurait médiocrement satisfait l'orgueil du novateur. Aussi, pour mieux signaler aux connaisseurs l'originalité de son blasphème, il commence par réfuter lui-même la logique des vulgaires athées. Cette réfutation est un des meilleurs chapitres de l'auteur, et il y trouve matière à d'admirables peintures. M. Proudhon repousse à la fois et les socialistes qui affirment la bonté absolue, la bonté originelle de la nature humaine, et les athées qui, reconnaissant le mal dans l'homme, s'arment de ce fait pour nier la Providence. Il établit que le mal est en nous, et il n'en accuse pas le créateur. Je veux citer la page éloquente où M. Proudhon résume toutes les misères et toutes les contrariétés de notre nature. On jugera peut-être qu'il les exagère, comme faisait Pascal par des motifs bien différens; mais l'apothéose de l'homme a pris, depuis une vingtaine d'années, des proportions si monstrueuses, Hegel, Saint-Simon, Fourier et leurs disciples ont tellement infecté les esprits d'un titanique orgueil, que le contre-poison peut être, sans grand dommage, administré d'une main vigoureuse. « L'homme, abrégé de l'univers, résume et syncrète en sa personne toutes les virtualités de l'être, toutes les scissions de l'absolu; il est le sommet où ces virtualités, qui n'existent que par leur divergence, se réunissent en faisceau, mais sans se pénétrer ni se confondre. L'homme est donc tout à la fois, par cette agrégation, esprit et matière, spontanéité et réflexion, mécanisme et vie, ange et brute. Il est calomniateur comme la vipère, sanguinaire comme le tigre, glouton comme le porc, obscène comme le singe, et dévoué comme le chien, généreux comme le cheval, ouvrier comme l'abeille, monogame comme la colombe, sociable comme le castor et la brebis. Il est de plus homme, c'est-à-dire raisonnable et libre, susceptible d'éducation et de perfectionnement. L'homme jouit d'autant de noms que Jupiter : tous ces noms, il les porte écrits sur son visage, et, dans le miroir varié de la nature, son infaillible instinct sait les reconnaître. Un serpent est beau à la raison; c'est la conscience qui le trouve odieux et laid. Les anciens, aussi bien que les modernes, avaient saisi cette constitution de l'homme par agglomération de toutes les virtualités terrestres; les travaux de Gall et de Lavater ne furent, si j'ose ainsi dire, que des essais de désagrégement du syncrétisme humain, et le classement qu'ils firent de nos facultés, un tableau en raccourci de la nature. L'homme enfin, comme le prophète dans la fosse aux lions, est véritablement livré aux bêtes.... Il ne s'agit donc plus que de savoir s'il dépend de l'homme, nonobstant les contradictions que multiplie autour de lui l'émission progressive de ses idées, de donner plus ou moins d'essor aux virtualités placées sous son empire, ou, comme disent les moralistes, à ses passions; en d'autres termes, si, comme l'Hercule antique, il peut vaincre l'animalité qui l'obsède, la légion infernale qui semble toujours prête à le dévorer. » L'auteur établit très bien que l'homme, créature libre et intelligente, peut triompher de l'ennemi intérieur. Cet ennemi, d'ailleurs, ce n'est pas un Dieu jaloux qui le lui oppose: l'homme est une créature, c'est-à-dire un être fini, limité, et en même temps un composé d'élémens contraires; sans cette limitation et cette composition, il n'existerait pas; il n'a donc pas le droit de se plaindre, et Dieu est justifié. Jusque-là, rien de mieux; le mal moral et le mal physique ont leur raison d'être; l'objection des athées est mise à néant. M. Proudhon est ici dans la grande voie de la vérité et de la saine philosophie; par malheur, sa logique particulière vient réclamer ses droits, et c'est elle qui, comme le cheval de l'Arioste, emportera son cavalier dans la lune.▼
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 24.djvu/311]]==
▲
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 24.djvu/312]]==
termes, si, comme l’Hercule antique, il peut vaincre l’animalité qui l’obsède, la légion infernale qui semble toujours prête à le dévorer. » L’auteur établit très bien que l’homme, créature libre et intelligente, peut triompher de l’ennemi intérieur. Cet ennemi, d’ailleurs, ce n’est pas un Dieu jaloux qui le lui oppose : l’homme est une créature, c’est-à-dire un être fini, limité, et en même temps un composé d’élémens contraires ; sans cette limitation et cette composition, il n’existerait pas ; il n’a donc pas le droit de se plaindre, et Dieu est justifié. Jusque-là, rien de mieux ; le mal moral et le mal physique ont leur raison d’être ; l’objection des athées est mise à néant. M. Proudhon est ici dans la grande voie de la vérité et de la saine philosophie ; par malheur, sa logique particulière vient réclamer ses droits, et c’est elle qui, comme le cheval de l’Arioste, emportera son cavalier dans la lune.
A force de chercher partout des antinomies, ou, en
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 24.djvu/313]]== la déduction, la mobilité, le temps. Dieu et Cette logique, il faut
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 24.djvu/314]]== celle-là ? Si M. Proudhon
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 24.djvu/315]]== presque semblables, toute la théodicée de M. Proudhon ? et ne sommes-nous pas autorisé à dire, comme M. Thiers à propos des systèmes financiers de notre philosophe, que M. Proudhon, je ne crains pas de le dire, est aveuglé par sa fausse logique. Infatué de sa méthode, il marche droit dans
Moi-même, doit ajouter M. Proudhon, moi qui possède comme eux cette merveilleuse dialectique, quels résultats ai-je obtenus par elle ? Un Dieu incapable de prévoir, un Dieu antisocial, anticivilisateur, antihumain, et en face un homme, créature finie, progressive et prévoyante, un être libre qui engagé avec Dieu dans une effroyable lutte dont le prix est le gouvernement du monde marche chaque jour à une victoire certaine. Tels sont les résultats de ma dialectique, résultats non pas seulement nouveaux, mais antipathiques à la foi du genre humain. Or, ma dialectique ne
Enfin, ajouterait-il encore, si, malgré tant de motifs de doute, je persiste à croire que ma méthode est achevée et ses conclusions irréfutables, suis-je plus assuré pour cela
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 24.djvu/316]]== dois donc, au-dessus des contradictions, placer la synthèse qui les efface. Au lieu ==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 24.djvu/317]]== prince, «
Maintenant, ce logicien livré aux contradictions, c’est-à-dire, pour
Maintenant, ce logicien livré aux contradictions, c'est-à-dire, pour parler sa langue énergique, livré aux bêtes, savez-vous comment il se juge lui-même dans le résumé de son livre? Écoutez son ''exegi monumentum'' : « On a dit de Newton, pour exprimer l'immensité de ses découvertes, qu'il avait révélé l'abîme de l'ignorance humaine. Il n'y a point ici de Newton, et nul ne peut revendiquer dans la science économique une part égale à celle que la postérité assigne à ce grand homme dans la science de l'univers; mais j'ose dire qu'il y a ici plus que ce qu'a jamais deviné Newton. La profondeur des cieux n'égale pas la profondeur de notre intelligence au sein de laquelle se meuvent de merveilleux systèmes Que dirai-je plus? C'est la création même, prise, pour ainsi dire, sur le fait! » Il y avait au XIIIe siècle, dans les grandes écoles de la scolastique, un vigoureux dialecticien nommé Simon de Tournay. Un jour qu'il avait admirablement établi la divinité du Christ et ravi l'auditoire, il s'écria : « O petit Jésus! petit Jésus! (''Jesule! Jesule''!) autant j'ai exalté ta loi, autant je pourrais la rabaisser, si je voulais. » Les chroniques rapportent avec un pieux effroi que le sophiste fut incontinent privé de sa raison. Cet homme qui régnait dans les écoles, ce dialecticien enivré de sa logique, ne sut bientôt plus que balbutier au hasard et devint la risée des enfans.▼
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 24.djvu/318]]==
▲
Si cette critique est aussi exacte que
Une chose est commune à M. Proudhon et à ses maîtres,
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 24.djvu/319]]== cet écrivain dont les blasphèmes ont dépassé tout ce Ce
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 24.djvu/320]]== est donc rouverte au mysticisme, au fanatisme, et nous retournons sur nos pas ; moi au contraire, en reconnaissant un Dieu, je proclame M. Proudhon répétera peut-être ces lignes étranges, qui sont la conclusion de son dialogue avec les humanistes : « Pour moi, je regrette de le dire, car je sens
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 24.djvu/321]]== souscrire à cette déification de notre espèce, qui Eh bien ! cette situation
==[[Page:Revue l’univers. » De même, après avoir soutenu que le dogme de Que serait-ce si M. Proudhon ne revenait pas seulement à la philosophie véritable, et si, se rejetant en arrière ; il allait aboutir au mysticisme ! Parler de mysticisme à propos
Nous n’en demandons pas tant à M. Proudhon ; il nous suffirait qu’il
Nous n'en demandons pas tant à M. Proudhon; il nous suffirait qu'il rentrât dans la grande famille spiritualiste dont les chefs sont la pure expression et l'éternel honneur du genre humain. Qu'est-ce donc qui s'oppose à tous les bons instincts de cette intelligence troublée? Qu'est-ce qui comprime violemment ces secrètes aspirations d'une conscience qui s'ignore et les fait éclater çà et là en des fusées mystiques? M. Proudhon lui-même nous révèle ce secret quand il s'écrie, à propos des oeuvres de bienfaisance dont la fondation est un des plus sérieux mérites de ce temps-ci : « J'avoue que la charité de tant de personnes dut sexe, les plus distinguées par la naissance, l'éducation et la fortune, et qui se font les hospitalières de leurs soeurs en Jésus-Christ en attendant qu'une société meilleure leur permette de devenir leurs collaboratrices et leurs compagnes, me pénètre et me touche, et je me ferais horreur s'il échappait à ma plume, en parlant des devoirs que ces nobles dames accomplissent avec tant d'amour et que rien ne leur impose, un seul mot qui respirât l'ironie ou le dédain. O saintes et courageuses femmes! vos coeurs ont devancé les temps, et c'est nous, ''misérables praticiens, faux philosophes, faux savans'', qui sommes responsables de l'inutilité de vos efforts. Puissiez-vous un jour recevoir votre récompense! mais puissiez-vous ignorer à jamais ce qu'une dialectique suscitée de l'enfer, car c'est la société qui l'a mise en mon ame, me forcera tout à l'heure à dire de vous! » Vous le voyez, il s'en accuse à voix haute, sa dialectique vient de l'enfer. Il ajoute, il est vrai, que cet enfer est la société elle-même; qu'importe? Il n'avoue pas moins que c'est la haine qui l'inspire, et cette confession, malgré l'arrogance de l'accent, indique peut-être les émotions confuses du repentir.▼
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 24.djvu/323]]==
▲
Il dit encore : «
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 24.djvu/324]]== au besoin, et qui ensuite, impuissante à rétablir <center>IV</center>
Nous avons vu M. Charles Grün et M. Proudhon, les deux interprètes les plus distingués des partis extrêmes en Allemagne et en France, nous prouver, pièces en mains,
Le sentiment du devoir, le sentiment de la liberté, nous ne demandons que cela, et le socialisme est vaincu. Avec le devoir, nous retrouvons la morale et ses conséquences fécondes, nous retrouvons la sainteté de la famille,
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 24.djvu/325]]== droit, telle Et
|