« Poètes et romanciers modernes de la Grande Bretagne - Charles Dickens » : différence entre les versions
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{{journal|Poètes et romanciers modernes de la Grande Bretagne - Charles Dickens|[[Arthur Dudley]]|[[Revue des Deux Mondes]]T. 21, 1848}}
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:''Dombey-and-Son''. – Londres, 1847-48.
Dans un pays qui possède
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 21.djvu/908]]== sait remuer et entraîner les masses, de Richard Cobden, par exemple ; Dickens est démocratiquement, puissamment populaire. Il Ce qui prouverait au besoin
Il existe en Angleterre un genre
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 21.djvu/909]]== qu’elles ont de plus abject et de plus révoltant. Des deux personnages les plus marquans de la pièce de Gay, de Peachum et du fameux capitaine Macheath, deux écoles distinctes en Angleterre ont fait comme leur type souverain. Paul Clifford, que nous venons de nommer, et le Turpin Quant à ce qui se rapporte à
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 21.djvu/910]]== des guerres et des grands événemens devait naturellement se ressentir de son origine. Ce De ce jour, le ''slang'', la langue de ''Tom and Jerry'', devint en quelque sorte la langue des clubs et des salons, et nous ne serions pas fort en peine de citer plus
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 21.djvu/911]]== les voleurs de grand chemin, ou les voleurs de grand chemin les grands seigneurs. » Gay se tient constamment au-dessus de son sujet, tandis que les autres, à Dickens, né en 1812, fils de sténographe, suivit la profession de son père, et,
Dans ce livre des ''Sketches'' se découvrent certaines pages, des meilleures que Dickens ait écrites. Quant à
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 21.djvu/912]]== les passans <ref> ''Nouvelle Héloïse'', vol. II, lettre XXVII. </ref> ? » Que Nous le répétons, les défauts de Dickens tiennent surtout à sa condition et à ses premières habitudes littéraires. Disposant de peu de temps et de moins
Le dernier roman de Dickens paraît, comme son premier, par livraisons ; il y a loin cependant de ''Pickwick'' à ''Dombey-and-son''. Dans celui-ci, pas un préjugé britannique
Dans son roman nouveau, Dickens attaqué surtout une classe que
Dans son roman nouveau, Dickens attaqué surtout une classe que l'on peut en quelque sorte regarder comme le type de la nation anglaise en ce qu'elle a de plus positif et de plus puissant. M. Dombey, avec son habit bleu boutonné jusqu'au menton, sa cravate blanche et ses bottes qui crient à chaque pas, représente, dans toute sa ''respectabilité'' inflexible, cette ''middling class'' souveraine qui, lorsqu'elle se produit dans l'industrie ou la banque, a nom Baring, Coutts ou Arkwright, et, lorsqu'elle gouverne les affaires de l'état, s'appelle sir Robert Peel. Cette morgue bourgeoise est fort intéressante à étudier, et le négociant de la Cité, dont les vaisseaux sillonnent toutes les mers, et qui, se concentrant dans la perpétuelle préoccupation de sa fortune, arrive à ne s'envisager que comme une abstraction, une raison sociale, une ''maison'' enfin, est un des types les plus curieux de l'Angleterre. Ce n'est point là la société proprement dite, le monde, et, pour avoir fait connaissance avec ces rois de Leadenhall-street, on n'aura pas la plus légère idée des salons du West-End. C'est quelque chose de plus, c'est l'expression la plus complète de la nation (la nation officielle s'entend). On l'a souvent dit, Londres ne manque pas de ressemblance avec les républiques italiennes; seulement, à Venise ou à Cènes, on entrait aristocrate dans le commerce, tandis que nos voisins arrivent par le commerce à l'aristocratie. De là toute la différence; puis aussi le climat peut bien entrer en ligne de compte. Qui sait ce que seraient devenus les Mocenigo, les Doria, les Dandolo, si, au lieu de se refléter dans l'azur de l'Adriatique, leurs palais se fussent baignés dans l'onde boueuse de la Tamise? L'impénétrable brouillard qui, pendant huit mois de l'année, enveloppe la Cité de Temple-Bar à Blackfriars-Bridge, épaissit terriblement les esprits. Si donc une fois on a eu le courage de passer un jour de Noël dans le voisinage de Bow-Bells, et qu'on ait goûté du ''plum-pudding'' et du ''fog'', on s'étonnera moins que les marchands de Londres ne ressemblent pas aux marchands de Venise, et on sera mieux en état d'apprécier M. Dombey. Dans ce qu'on appelle la bonne société, il faut, pour saisir les nuances nationales, un tact autrement délicat que celui de l'auteur de ''Pickwick''; mais, pour connaître l'Anglais dans ce qu'il a de plus essentiellement ''lui'', il suffit du ''country gentleman'' et du ''city merchant''. Le premier, Fielding, dans ''squire'' Western, l'a immortalisé; le second, Dickens, vient de s'en emparer avec un succès presque égal.▼
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M. Dombey,
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 21.djvu/914]]== sociale. M. Dombey est impitoyable pour tout ce qui Mme Dombey morte, il reste à son mari deux enfans, dont
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 21.djvu/915]]== comédiens ambulans. Dans ''Dombey-and-son'', tout le monde part. Florence et son frère partent pour Brighton, M. Dombey pour Leamington, Walter Gay pour les Grandes-Indes, et Solomon Gills pour on ne sait où. Le principal moyen poétique de Charles Dickens réside, comme chez les Allemands, dans
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 21.djvu/916]]== quelque sorte la scène, les vagues, les éternelles et murmurantes vagues. Les deux personnages les plus remarquables et les plus originaux du nouveau roman de Dickens sont, sans contredit, le fils Dombey et mistriss Skewton. Lorsque
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 21.djvu/917]]== serre chaude qui fournit à foison les primeurs de tous les vices. Encore un coup, si vous voulez vous faire une idée de ce Un jour vient pourtant où
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 21.djvu/918]]== Elle La partie réelle du drame achevée, le lyrisme reprend son cours. « Nuit après nuit se passe, dit
Nulle part, ni dans Scott, ni dans Lewis même (les deux écrivains anglais qui ont le mieux exploité le sentiment de
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 21.djvu/919]]== préoccupé des hautes questions philosophiques soulevées par le poète pour se laisser émouvoir à la vue Si l’auteur de ''Pickwick'' s’était borné à évoquer l’élément terrible, il se fût assuré une réputation qui ne lui eût rien laissé à envier aux plus
Si l'auteur de ''Pickwick'' s'était borné à évoquer l'élément terrible, il se fût assuré une réputation qui ne lui eût rien laissé à envier aux plus célèbres parmi les Allemands. Dickens unit, chose fort rare, les deux genres du terrible : le fantastique et le réel. Si parfois les faits qu'il raconte sont d'une vérité à faire dresser les cheveux, il sait aussi les entourer de ce mystère qui tient de la fable, et s'adresse surtout à l'imagination. Ainsi, dans ''Barnaby Rudge'' par exemple, avec quelle admirable puissance d'exécution ce double effet de terreur se développe! Rudge lui-même est d'une réalité absolue; mais la cloche! c'est là que Dickens montre une habileté et un talent merveilleux à concilier le fantastique et le réel. Rudge, le père de l'idiot Barnaby, a tué son maître, M. Reuben Haredale, il y a de cela vingt-deux ans. En lui portant le coup fatal, le meurtrier n'a pu empêcher que la main de sa victime ne saisît le cordon d'une cloche qui pendait près de son lit, et dont le son pouvait servir dans l'occasion à rallier autour du château les voisins d'une lieue à la ronde. Aux derniers gémissemens de l'homme qu'il a égorgé se mêle pour l'assassin la plainte funèbre d'une voix d'airain. Il fuit, et, pour cacher son crime, en commet un autre. Quelques mois après, on découvre dans un étang le corps d'un homme noyé, revêtu des habits de Rudge, l'intendant, lequel a disparu en même temps qu'un garçon jardinier la nuit de l'assassinat de M. Haredale. Le jardinier dès-lors porte la peine du double meurtre; mais Rudge ne peut demeurer dans son exil volontaire. Le sang versé le poursuit, et il revient. « Aussi sûrement que l'aimant attire le fer, dit-il en parlant de sa victime, aussi sûrement cet homme mort, du fond de son tombeau, pouvait m'attirer à lui quand et comme il voulait. » Cette influence mystérieuse sera la cause de sa perte, et là où s'est commis le forfait aura lieu l'expiation.▼
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Dans les émeutes de
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 21.djvu/921]]== se boucha les oreilles, et, avec un cri épouvantable, se mit à courir par la campagne comme un fou. Toujours, toujours la cloche sonnait et semblait le suivre. La clarté devenait plus brillante, les hurlemens plus distincts, la chute de corps pesans ébranlait La cloche, sonnée au milieu du tumulte par une main invisible, attire Rudge (car
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::This look of thine will hurl my soul front heaven
::And fiends will snatch at it.
On le voit, Dickens ne se pique guère de variété dans ses inventions, et ce ne serait point chose difficile que de trouver dans chacun de ses romans des personnages à tous égards analogues à ceux que
Si Dickens peint avec une puissance rare ces natures brutales qui n’ont de cadre convenable que la cour d’assises, il montre une habileté non moins grande à représenter ce qui est appauvri, opprimé,
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vécu dans l’estime d’eux-mêmes ; réfléchissez qu’il y en a des millions à l’heure qu’il est, des millions, pensez-y, qui de cette estime n’ont jamais su le nom, auxquels aucune chance n’a été offerte de l’apprendre ! Allez, vous qui ne parlez que de la « douce paix de la conscience » et d’une « honnête fierté ; » allez dans les mines, les factoreries, les forges ; visitez les hideuses profondeurs où se cache l’ignorance, l’abîme où une criminelle incurie précipite une trop grande portion de l’humanité, et dites quelle plante peut germer ou s’ouvrir dans un air si infect que la flamme de l’intelligence s’y éteint aussitôt qu’on l’allume !
▲Si Dickens peint avec une puissance rare ces natures brutales qui n'ont de cadre convenable que la cour d'assises, il montre une habileté non moins grande à représenter ce qui est appauvri, opprimé, déchu. Je ne connais qu'un mot pour rendre exactement tout ce qu'ont de craintif, de touchant, de souffreteux, ces malheureux dont le bonheur passé ne sert plus qu'à mesurer l'étendue de la misère présente: c'est le mot italien ''avvilito'', lequel ne signifie nullement ''avili'', dans notre sens, mais bien plutôt déprimé. Dans ces caractères-là, l'auteur de ''Pickwick'' atteint au pathétique plus sûrement, selon moi, que dans ceux, que l'on a tant vantés, où tout l'intérêt repose sur une souffrance physique ou sur une infortune franchement accusée. De ceux-ci aux autres, il y a toute la différence du mendiant au pauvre honteux. On se raidit quelquefois contre les personnages d'un roman qui jouent d'office les rôles intéressans, et, fatigué de leur lamentable psalmodie, on leur refuse l'aumône de sa sympathie, tandis que l'on donne tout ce que l'on a à qui ne demande rien. A notre avis, il n'existe pas de comparaison possible entre la troupe rachitique des Smike, des Nelly Trent, des Marchioness qui sont autant d'anneaux de cette chaîne dont le fils Dombey tient le bout, et les types, bien autrement originaux, de Newman Noggs, John Carker, Chuffy et d'autres de la même famille. Dickens a compris admirablement ce qui pouvait rester d'honnêteté primitive dans des coeurs égarés, et une place distinguée lui est due comme moraliste pour l'indulgence qu'il a mise à traiter la question de la faillibilité humaine, et pour le courage avec lequel il a dit en toute occasion, à la puritaine Angleterre, que l'intolérance et la dureté de coeur n'étaient point des vertus chrétiennes. Il y a à ce sujet un passage, dans ''Martin Chuzzlewit'', trop remarquable pour que nous ne le citions pas. Martin, l'orgueilleux par excellence, l'homme qui, du point de vue de son égoïsme, professe le culte de sa dignité, se voit vaincu à la fin par une indigence absolue. Afin d'obtenir les quelques shellings nécessaires pour l'empêcher de mourir de faim, il porte sa montre au mont-de-piété; ensuite, et peu à peu, toute sa garde-robe y passe. Les premières fois, il n'ose pas sortir de chez lui; chaque passant lui fait peur et semble l'épier; il tremble devant les ivrognes attardés qui trébuchent au soleil levant à la sortie du cabaret. Plus tard, il s'habitue à sa honte nécessiteuse; il ose même se montrer en plein midi sur le seuil de l'ignoble endroit où la détresse dispute un morceau de pain à l'usure; et pourtant, lui si fier, si superbe, il ne lui a fallu, dit l'auteur, que cinq semaines pour atteindre le dernier échelon de cette échelle immense ! » Puis il continue« Vous tous, moralistes, qui parlez du bonheur et de la dignité humaine, comme de choses innées dans chaque sphère de la vie, comme d'une lumière qui éclaire chaque grain de sable sur la grande voie que Dieu nous a ouverte, voie si douce sous les roues de vos voitures, si dure pour qui la parcourt pieds nus, réfléchissez un peu lorsque vous contemplez la chute rapide de ces hommes qui, une fois pourtant, ont vécu dans l'estime d'eux-mêmes; réfléchissez qu'il y en a des millions à l'heure qu'il est, des millions, pensez-y, qui de cette estime n'ont jamais su le nom, auxquels aucune chance n'a été offerte de l'apprendre! Allez, vous qui ne parlez que de la « douce paix de la conscience » et d'une «honnête fierté;» allez dans les mines, les factoreries, les forges; visitez les hideuses profondeurs où se cache l'ignorance, l'abîme où une criminelle incurie précipite une trop grande portion de l'humanité, et dites quelle plante peut germer ou s'ouvrir dans un air si infect que la flamme de l'intelligence s'y éteint aussitôt qu'on l'allume!
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▲C'est moins encore ici la puissance du langage de Dickens qui nous frappe que la faveur avec laquelle on accueille un pareil langage en Angleterre. L'auteur de ''Chuzzlewit'' n'est pas seul à demander ainsi grace pour les classes opprimées. D'Israëli dans ''Sybil'', Bulwer dans ''Lucretia'', lady Georgina Fullerton dans un fort beau chapitre de ''Grantley Manor'' sur les « vertus des pauvres, » soutiennent de leurs voix éloquentes un choeur qui retentit de toutes parts dans la hautaine Albion. Le peuple est à la mode, et la philanthropie dans l'air. Les idées humanitaires trouvent leurs partisans également dans la grande dame et dans l'écrivain populaire, dans le protectioniste de la chambre des communes et dans le dandy littéraire. Puis, remarquez comme ce mouvement coïncide avec un état anormal de toutes choses: avec d'antiques immunités détruites et d'exorbitans privilèges arrachés aux mains d'une oligarchie ébranlée par les masses affamées et menaçantes; avec la liberté des cultes octroyée officiellement, et une explosion de tendances irréprimables, spontanées, vers la religion catholique. Tout cela donne à penser; mais l'Anglais qui, ainsi que le reste des humains, a les défauts de ses qualités, pour vouloir trop agir, ne pense presque jamais, ou pense lorsqu'il n'y a plus rien à faire, c'est-à-dire lorsqu'il est trop tard. Sans cela, on eût dû s'apercevoir, il y a long-temps déjà, que, de tous les écrivains que la société anglaise a comblés de faveur et de louanges aveugles, nul ne lui était plus dangereux que Charles Dickens. Tant que, se bornant à des créations comme ''Pickwick'', il s'est contenté d'amuser ses lecteurs, le péril pouvait n'être pas imminent; mais les idées plus sérieuses lui sont promptement venues, et même dans ceux de ses ouvrages que nous appellerions volontiers de second ordre, dans ''Oliver Twist'' et ''Nicholas Nickleby'', pour n'en citer que deux, il serait facile d'indiquer telle page où, à propos d'un bedeau d'église ou d'un dîner de vieil avoué, n'importe ! le procès est fait aux conventions les plus sacrées, où la ''respectabilité'' britannique est impitoyablement battue en brèche. C'est la vieille histoire de Mme Du Barry applaudissant au ''Mariage de Figaro''. On est amusé, c'est ce qu'il faut, et l'on n'en demande pas davantage.
Qui pourrait nier
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 21.djvu/926]]== homme qui à Mantoue entraîne Dickens dans la plus absurde des excursions, sous prétexte de lui « faire voir la ville, » et Il est de ces sujets dangereux que
l’Adriatique n’est-elle point chargée des imprécations de Shylock et des plaintes de Desdemone ? A tout prendre, Dickens atteint à
Le principal défaut de Dickens (nous laissons de côté toute question de goût, il
Ce qui ne constitue pas un des caractères les moins curieux du talent de Dickens,
talent a des rapports intimes, et ARTHUR DUDLEY.
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