« De l’état de la poésie en Allemagne » : différence entre les versions
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{{journal|De l’état de la poésie en Allemagne|[[Auteur:Saint-René Taillandier|Saint-René Taillandier]]|[[Revue des Deux Mondes]] T.17 1847}}
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 17.djvu/544]]==
<center>La dernière saison poétique</center>
:I. ''Ketch und Schwert (la Coupe et
Voilà deux années déjà que M. Henri Heine a publié sa vive et moqueuse fantaisie, ''
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 17.djvu/545]]== en possession Ce
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 17.djvu/546]]== leurs fantasques évolutions Entendons-nous bien toutefois et
Le plus original, le plus distingué, à coup sûr, des poètes que
« Moi qui viens du pays des hussites, je crois que
« Moi qui viens du pays des hussites, je crois aux paroles devenues chair, je crois que les pensées deviennent légion, je crois que toute poésie est une sainte ''épée''. »
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Il n'a pas besoin, en effet, de se tracer un programme, épître au roi de Prusse, épître à M. Herwegh, etc.; non, il est trop sûr de lui-même. Quel que soit le sujet où se prendra son coeur, les généreuses pensées y naîtront sans effort. Le commencement du recueil, ''Voix intérieures (innere Stimmen''), contient de gracieux détails, mais l'originalité de l'auteur ne s'est pas encore dessinée. C'est là d'ailleurs un thème tellement épuisé, en Allemagne surtout, qu'il faut pour le renouveler ou le mysticisme éthéré de Kerner, ou la grace accomplie d'Henri Heine. Bien qu'il chante avec émotion le toit paternel, j'aime mieux l'entendre quand il quitte le seuil et qu'il embrasse peu à peu tout l'horizon de la Bohème. Il y a deux Bohèmes, on le sait : la forte Bohême du XVe siècle, la fille aînée de l'esprit moderne, la mère de Jean Huss et de Jean Ziska, et celle d'aujourd'hui, qui se cherche péniblement elle-même, privée de sa langue et séparée de tous ses souvenirs. Voilà les deux pays que M. Hartmann rapproche et confronte, pour ainsi dire, dans ses douloureuses élégies. Ce qui l'indigne surtout, c'est que la Bohème ait perdu jusqu'au sentiment de ses misères. On pleure les récentes infortunes de la Pologne; « mais toi, s'écrie-t-il, ô mon pays! tu es pareil au cerf que l'épieu du chasseur a frappé au fond de la forêt obscure; il a expiré solitaire, inconnu ; son noble sang a séché depuis des siècles sur les bruyères mortes, et nul n'y songe plus désormais. » Le coeur ouvert à ces tragiques souvenirs, il mêlera volontiers dans ses plaintes toutes les douleurs qui ressemblent à la sienne. Il n'est pas jaloux de la Pologne au point de lui refuser des hymnes funèbres; bien au contraire, s'il peint en traits éloquens les victimes des pays voisins, il croira chanter encore la douleur qui remplit son ame. De là ces nobles ballades où frémit une inspiration vraiment sincère; j'en citerai une qui me semble empreinte d'une beauté originale et forte :▼
▲Il
« En Hongrie, trois hommes égarés pendant la nuit et
« Leurs regards,
«
«
« Je
« Alors le second : « Si tu bois à la patrie, je ne bois pas avec toi. Je boirais à ma honte, car la race de Jacob est une feuille volante qui ne jette pas duracines dans la poussière de
« Fais
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 17.djvu/548]]== gaiement, et « Le troisième, prêt à boire, sent sa lèvre se glacer. Il se demande tout bas Puis je boire à ma patrie ? la Pologne vit-elle encore ? est-elle morte ? suis-je comme eux un fils sans mère ?
« Et de nouveau les voilà silencieusement assis, les buveurs au front morne. Devant eux sont les verres
M. Maurice Hartmann réussit très bien dans ces vifs tableaux. Son livre contient toute une série de petits poèmes nettement composés, sobrement écrits, et éclairés
<center>LE VOYAGE DU FIANCÉ.</center>
« Deux chevaliers étrangers sont assis dans la barque ; ils descendent le courant du fleuve rapide.
« Le Rhin est muet, le Rhin est profond ; mainte fée ensorcelée dort au fond des grottes.
«
« Je vais à Cologne, aux bords du Rhin ; je vais épouser la nièce de
« Mais
« Ils tirent leurs épées, le fer brille ; le chevalier blond tombe dans les flots.
« Le chevalier noir est assis, seul, appuyé sur son épée ; son
« Et tandis
Je recommande encore ''les Deux Vaisseaux, la Rose du Rutli'', les ''Élégies bohémiennes''.
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 17.djvu/549]]== mère ; il monte sur On ne saurait nier le talent qui brille dans ces compositions, et il
« Sois tranquille, femme ; quand une flèche me blesserait mortellement dans la bataille, on
« Il va au combat et revient le
« Je serais bien fou, vraiment ! dire un mot qui
Alors le père : « Le temps me manque pour te
«
« Il ne
Ajoutez à ces dramatiques ballades des mélodies toutes charmantes, la gracieuse et intrépide chanson ''Si
Il ne faut pas demander à M. Emmanuel Geibel la forte et vivace inspiration de M. Hartmann : M. Geibel est un poète aimable,
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 17.djvu/550]]== des régions plus douces ; « Aux bords de la Sprée, en Prusse,
« Singulier personnage ! à moitié homme, à moitié enfant. Je croirais volontiers
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 17.djvu/551]]== il ira Rien
« Toi qui habites les hauteurs de ces monts, Pallas aux yeux bleus, jette un regard ami sur le poète. Eros
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 17.djvu/552]]== avec esprit. Il comprend avec un rare bonheur tout le mérite de la forme, et il est vraiment homme du sud par bien des côtés ; il craint les nuages, il a horreur des inventions pénibles ; la clarté élégante de « Les alouettes babillent dès le matin, et le ciel étend sa belle clarté bleue sur les cimes de la riche vallée. Oh ! que
Tout cela est dit avec une finesse et une grace assez rares en Allemagne, et qui font de ce recueil une lecture piquante. Par malheur, le livre ne finit pas là, M. Geibel revient à Berlin, et la Prusse lui sera aussi funeste que la Grèce lui a été favorable. On conçoit, en effet, que ce poète aimable, que cet insouciant dilettante, sera fort dépaysé quand il reviendra sur la terre natale. Il trouvera une transformation déjà bien sérieuse, des émotions nouvelles et profondes, de graves problèmes bruyamment agités ; or, paresseux comme il
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 17.djvu/553]]== héros de la maison de Souabe ; elle frappait les rimeurs ou les tribuns dont la lourde emphase évoquait ridiculement ces gothiques souvenirs. Je regrette que M. Geibel ne se soit pas rappelé cette vive et spirituelle leçon ; il aurait pu Un écrivain connu par
«
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 17.djvu/554]]== fleur, ou qui me fuyaient quand je croyais les saisir. Oh ! que ton sort soit plus heureux ! Cette malédiction de la médiocrité, puisses-tu ne jamais la connaître ! Que ta vie soit un chant complet et large, un plein et vigoureux accord Voeux charmans et confession sincère !
Hélas !
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 17.djvu/555]]== n’ait donné à M. Schefer une excuse dont celui-ci a profité trop aisément. Le mysticisme sentimental de Jean-Paul laisse encore une large place à Cette obstination du mysticisme allemand, dans une époque comme la nôtre et chez un poète qui appartient à
Le premier poème de M. Schefer, ''le Bréviaire des laiques'', avait charmé bien des esprits, malgré
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 17.djvu/556]]== saison, à chaque mois, à chaque jour de Ce titre
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 17.djvu/557]]== annoncé, et par M. Schefer, et par M. de Sallet ; je Véritable scolastique, en effet ! Les livres de M. Schefer nous reportent sans cesse au moyen-âge. On croit étudier un de ces artistes catholiques profondément pénétrés
Je ne sais si la poésie de M. Charles Beck doit nous donner cette vivifiante lumière ; mais, à coup sûr, elle nous ramènera au milieu du monde, en face de
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 17.djvu/558]]== la réalité la plus pressante. Il Il y a chez M. Beck un vrai
::Au banquet du bonheur bien peu sont conviés,
::Tous
::Une loi, qui
::Dit aux uns : Jouissez ! aux autres : Enviez !
Loi terrible ! pour en scruter les mystères, pour la réviser, pour
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 17.djvu/559]]== indignation si hautaine, jointe à une si grande stérilité Si les vers de M. Beck sont pleins
Il serait impossible pourtant
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 17.djvu/560]]== composition la grace charmante, la tendresse inquiète, qui font de cette mansarde attristée un si touchant tableau, et cependant son Je désirerais bien avoir à signaler ici, dans le ''Reineke Fuchs'' que vient de nous donner un poète de Berlin, le rajeunissement
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Je ne veux pas cependant terminer ce tableau rapide par le livre de M. Glassbrenner ; après les beaux vers de M. Maurice Hartmann, après les élégantes fantaisies de M. Geibel, et même après les intéressans efforts de Léopold Schefer et
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 17.djvu/562]]== éclatante des chevaliers de la Table-Ronde. Il est facile de saisir dans le livre publié par M. Rückert des rapprochemens lumineux entre cette chevalerie arabe du IXe siècle et celle qui va se former, deux siècles plus tard, au sein de la société chrétienne. On est heureux de retrouver dans la poésie allemande contemporaine ces belles études qui faisaient jadis sa gloire.
SAINT-RENÉ TAILLANDIER.
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