« Du beau et de l’art » : différence entre les versions
Contenu supprimé Contenu ajouté
mAucun résumé des modifications |
m match et typographie |
||
Ligne 1 :
{{journal|Du beau et de l'art|[[Auteur:Victor Cousin|Victor Cousin]]|[[Revue des Deux Mondes]] T.11 1845}}
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/779]]==
<center>Des facultés de l'ame qui concourent à la perception du beau. - Des différens genres de beauté et de leur harmonie. - Du génie et de l'art. - Des principaux arts, de leur but commun et de leurs moyens différens. - Architecture et sculpture. - Musique et peinture. - Suprématie de la poésie.</center>▼
▲<center>Des facultés de
L'esthétique, ou la théorie du beau et de l'art, est la partie de la philosophie qui a été le plus négligée parmi nous. On ne rencontre pas une seule ligne sur ce grand sujet avant le père André et Diderot. Diderot, qui avait des éclairs de génie, où tout fermentait sans venir à maturité, a semé çà et là une foule d'aperçus ingénieux et souvent contradictoires <ref> ''Pensées sur la Sculpture'', etc. -''Le Salon de 1765'', etc.</ref> ; il n'a pas laissé une théorie sérieuse. Dans une école contraire et meilleure, disciple de saint Augustin et de Malebranche, le père André a composé sur le beau un livre estimable, où il y a plus d'abondance que de profondeur, plus d'élégance que d'originalité <ref> ''OEuvres philosophiques'' du p. André; bibliothèque Charpentier. </ref>. Condillac, qui a écrit tant de volumes, n'a pas même un seul chapitre sur le beau. Ses successeurs ont traité la beauté avec le même dédain; ne sachant trop comment l'expliquer dans leur système, ils ont trouvé plus commode de ne la point apercevoir. Grace à Dieu, elle n'en subsiste pas moins et dans l'ame et dans la nature. Nous allons essayer d'en recueillir les traits essentiels sans les altérer par aucun préjugé systématique; nous en laisserons paraître la variété, et nous tâcherons aussi d'en saisir l'harmonie. Nous l'étudierons successivement dans l'homme qui la connaît et qui la sent, dans les objets de tout genre qui la contiennent, dans le génie qui la reproduit, dans les principaux arts qui l'expriment chacun à leur manière selon les moyens dont ils disposent.▼
▲
Commençons par interroger l'ame en présence du beau.▼
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/780]]==
aussi d’en saisir l’harmonie. Nous l’étudierons successivement dans l’homme qui la connaît et qui la sent, dans les objets de tout genre qui la contiennent, dans le génie qui la reproduit, dans les principaux arts qui l’expriment chacun à leur manière selon les moyens dont ils disposent.
<center>I.</center>
Quoique les objets sensibles soient ceux qui, chez la plupart des hommes, provoquent le plus souvent le jugement du beau, ils
En vain on a tenté de réduire le beau à
Sans doute la beauté est presque toujours agréable aux sens, ou du moins elle ne doit pas les blesser. La plupart de nos idées du beau nous viennent par la vue et par
Mais si une sensation agréable accompagne souvent
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/781]]== pas belles, et que parmi les choses agréables celles qui le sont le plus ne sont pas les plus belles : marque assurée que Or, tandis que tous nos sens nous donnent des sensations agréables, deux seulement ont le privilège
Ceci nous conduit au fondement essentiel de la distinction de
Quand un objet vous plaît, si
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/782]]== pour les autres comme pour vous, celle de la raison. Vous vous croyez le droit Confondez la raison et la sensibilité ; réduisez
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/783]]== le principe, et de reconnaître que le jugement du beau est un jugement absolu, et, comme tel, radicalement différent de la sensation. Enfin, et
Après avoir distingué
Plus
La philosophie de la sensation
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/784]]== de la sensation agréable à ce signe manifeste que cette émotion suit le jugement du beau, et que la sensation le précède <ref> Voyez dans la ''Revue des deux Mondes'', 1er août 1845, l’article ''Du mystucusle'', où se trouve exposée la différence du sentiment et de la sensation. </ref>. En second lieu,
Le désir est fils du besoin. Il suppose donc en celui qui
Le désir est enflammé, impétueux, douloureux. Le sentiment du beau, libre de tout désir et en même temps de toute crainte, élève et échauffe
Le sentiment du beau est si peu le désir que
Laissez-moi prendre un exemple vulgaire. Devant une table chargée de mets et de vins délicieux, le désir de la jouissance
Le propre de la beauté
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/785]]== la Vénus du Capitole ou la sainte Cécile excitent en vous des désirs sensuels, vous Le sentiment du beau est donc un sentiment spécial, comme
Quand vous avez sous les yeux un objet dont les formes sont parfaitement déterminées et
Considérez au contraire un objet aux formes vagues et indéfinies, et qui pourtant soit très beau ;
Voilà deux sentimens très différens. Aussi leur a-t-on donné des noms différens ;
Il intervient encore dans la perception du beau une autre faculté, non moins nécessaire que le jugement et le sentiment, qui les anime et les vivifie,
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/786]]==
Lorsque la sensation, le jugement et le sentiment se sont produits en moi à
La mémoire est double : non-seulement je me souviens que
Le don
Maintenant il est assez clair
Vous voyez quelle est l’étendue de l’imagination ; elle n’a point de
Vous voyez quelle est l'étendue de l'imagination; elle n'a point de bornes. Son caractère distinctif est d'ébranler fortement l'ame en présence de tout objet beau, et de l'ébranler tout aussi fortement par le seul ressouvenir, ou même à l'idée d'un objet imaginaire. On la reconnaît à ce signe, qu'elle produit à l'aide de ses représentations la même impression, et même une impression plus vive, que la nature à l'aide des objets réels. Si la beauté absente ou rêvée n'agit pas sur vous autant et plus que la beauté présente, vous pouvez avoir mille autres dons; celui de l'imagination vous a été refusé.▼
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/787]]==
▲
Aux yeux de
Si le sentiment agit sur
Disons-le : cette passion pure et ardente, ce culte de la beauté qui fait le grand artiste, ne se peut rencontrer que dans un homme
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/788]]== En effet, le sentiment du beau peut éveiller en chacun de nous devant tout objet beau ; mais quand cet objet a disparu, si son image ne subsiste pas vivement retracée, le sentiment Un mot encore sur une faculté qui
Si, après avoir entendu une belle
Si donc vous ne vous représentez pas vivement les belles choses, vous ne les jugerez pas comme il faut ; mais,
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/789]]== une raison supérieure, différente de Outre
<center>II.</center>
Après avoir étudié le beau en nous-mêmes, dans les facultés qui le perçoivent et
Il en est une, bien grossière, qui définit le beau, ce qui plaît aux sens, ce qui leur procure une impression agréable. Nous ne nous arrêterons pas à cette opinion ; nous
Un empirisme un peu plus raffiné met l’utile à la place de l’agréable,
Un empirisme un peu plus raffiné met l'utile à la place de l'agréable, c'est-à-dire change la forme du même principe. Le beau n'est plus l'objet qui nous procure dans le moment présent une sensation agréable, mais fugitive; c'est l'objet qui est de nature à nous procurer souvent cette même sensation, ou qui peut nous servir à nous en procurer souvent de semblables. Il ne faut pas un grand effort d'observation ni de raisonnement pour se convaincre que l'utilité n'a rien à voir avec la beauté. Ce qui est utile n'est pas toujours beau, ce qui est beau n'est pas toujours utile; ce qui est à la fois utile et beau est beau par un autre endroit que son utilité. Voyez un levier, une poulie : assurément rien de plus utile. Cependant vous n'êtes pas tenté de dire que cela soit beau. Avez-vous découvert un vase antique, admirablement travaillé : vous vous écriez que ce vase est beau, sans vous aviser de rechercher à quoi il vous servira. Enfin, la symétrie et l'ordre sont des choses belles, et en même temps ce sont des choses utiles, soit parce qu'elles ménagent l'espace, soit parce que les objets disposés symétriquement sont plus faciles à trouver quand on en a besoin; mais ce n'est point là ce qui fait pour nous la beauté de la symétrie, car nous saisissons immédiatement ce genre de beauté, et c'est souvent assez tard que nous reconnaissons l'utilité qui s'y rencontre. Il arrive même quelquefois qu'après avoir admiré la beauté d'un objet, nous n'en pouvons deviner l'usage, bien qu'il en ait un. L'utile est donc entièrement différent du beau, loin d'en être le fondement.▼
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/790]]==
▲
Une théorie célèbre et bien ancienne met le beau dans la parfaite convenance des moyens ; relativement à leur fin. Ici le beau
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/791]]== entre la convenance et On a cru trouver le beau dans la proportion, et
Ce que nous disons de la proportion, on le peut dire de
Toutes ces théories, qui ramènent la beauté à
La plus vraie théorie du beau est celle qui le compose de deux élémens contraires et également nécessaires,
Il y a
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/792]]== parce que ses diverses parties sont soumises à une juste mesure. Un objet sublime est celui qui par des formes, non pas disproportionnées en elles-mêmes, mais moins arrêtées et plus difficiles à saisir, éveille en nous le sentiment de Voilà déjà deux espèces distinctes de beauté ; mais la réalité est inépuisable, et à tous les degrés de la réalité il y a de la beauté.
Dans les objets sensibles, les couleurs, les sons, les figures, les mouvemens, sont capables de produire
Si du monde des sens nous nous élevons à celui de
Enfin, si nous considérons le monde moral et ses lois,
Après avoir énuméré toutes ces différences, ne pourrait-on pas les réduire ? Elles sont incontestables ; mais dans cette diversité
Ou les diversités que nous avons signalées dans la beauté sont telles
Prétend-on que cette unité est une chimère ? Alors la beauté physique, la beauté morale et la beauté intellectuelle sont étrangères
Je ne retire ni la distinction du beau et du sublime, ni les autres
Je ne retire ni la distinction du beau et du sublime, ni les autres distinctions tout à l'heure indiquées; mais il faut réunir après avoir distingué. Ces distinctions et ces réunions ne sont pas contradictoires c'est la vérité, c'est la beauté même, dont la grande loi est l'unité aussi bien que la variété. Tout est un et tout est divers. Nous avons distingué la beauté en trois grandes classes : la beauté physique, la beauté intellectuelle et la beauté morale. Le moment est venu de rechercher l'unité de ces trois sortes de beautés. Or, mon opinion est qu'elles se résolvent dans une seule et même beauté, la beauté morale, en entendant par là, avec la beauté morale proprement dite, toute beauté spirituelle.▼
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/793]]==
▲
Mettons cette opinion à
Placez-vous devant cette statue
Au lieu
==[[Page:Revue c’est qu’elle exprime la beauté de son ame. Peut-être en toute autre circonstance la figure de cet homme est-elle commune, triviale même ; ici, illuminée et comme transfigurée par Au plus haut point de grandeur morale, Socrate expire : vous
Considérez la figure de
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/795]]== à travers les enveloppes les plus grossières. Contemplons la nature avec les yeux du corps, mais aussi avec les yeux de La forme ne peut être une forme toute seule ; elle doit être la forme de quelque chose. La beauté physique est donc le signe
Toutes les beautés que nous venons
Dieu, étant le principe de toutes choses, doit être à ce titre celui de la beauté parfaite et de toutes les beautés naturelles qui
Ne faut-il pas être esclave des sens et des apparences pour
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/796]]==
La beauté physique sert
La beauté intellectuelle, cette splendeur du vrai, quel en peut être le principe, sinon le principe nécessaire de toute vérité ?
La beauté morale comprend deux élémens distincts, également, mais diversement beaux, la justice et la charité, le respect des hommes et
Ainsi Dieu est le principe des trois ordres de beauté que nous avons distingués : la beauté physique, la beauté intellectuelle, la beauté morale.
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/797]]== présente ? Dieu est à la fois doux et terrible. En même temps Ainsi
« Beauté éternelle, non engendrée et non périssable, exempte de décadence comme
« Pour arriver à cette beauté parfaite, il faut commencer par les beautés
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/798]]== élever sans cesse en passant pour ainsi dire par tous les degrés de « O mon cher Socrate, continua
<center>III.</center>
Quelles sont les facultés qui servent à cette libre reproduction du beau ? Les mêmes qui servent à le reconnaître et à le sentir. Le goût porté au degré suprême,
Trois facultés entrent dans cette faculté complexe qui se nomme le goût,
Ces trois facultés sont assurément nécessaires au génie, mais elles ne lui suffisent point. Ce qui distingue essentiellement le génie du goût,
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/799]]==
On a dit
Si le génie crée, il
La réponse est très simple. Non, le génie
Sans doute, en un sens,
Le véritable artiste sent et admire profondément la nature ; mais tout dans la nature
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/800]]== tel visage une bouche, à tel autre des yeux, sans une règle qui préside à ce choix et dirige ces emprunts, La beauté morale est le fonds de toute vraie beauté. Ce fonds est un peu couvert et voilé dans la nature ;
La vraie fin de
Deux extrémités également dangereuses : un idéal mort, ou
Il importe, à mon sens, de suivre ce principe dans l’enseignement
Il importe, à mon sens, de suivre ce principe dans l'enseignement des arts. On demande si les élèves doivent commencer par l'étude de l'idéal ou du réel. Je n'hésite point à répondre. Par l'un et par l'autre. La nature elle-même n'offre jamais le général sans l'individuel, ni l'individuel sans le général. Toute figure est composée de traits individuels qui la distinguent de toutes les autres et font sa physionomie propre, et en même temps elle a des traits généraux qui constituent ce qu'on appelle la figure humaine. Ce sont ces linéamens constitutifs, c'est ce type qu'on donne à retracer à l'élève qui débute dans l'art du dessin. Il serait bon aussi, je crois, pour le préserver du sec et de l'abstrait, de l'exercer de bonne heure à la copie de quelque objet naturel, surtout d'une figure vivante. Ce serait mettre les élèves à la vraie école de la nature; ils s'accoutumeraient ainsi à ne jamais sacrifier aucun des deux élémens essentiels du beau, aucune des deux conditions impérieuses de l'art.▼
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/801]]==
▲
Mais en réunissant ces deux élémens, ces deux conditions, il les faut distinguer et savoir les mettre à leur place. Il
Au commencement de notre siècle,
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/802]]== étant toujours très imparfait, et plusieurs modèles ne pouvant composer une beauté unique. Le procédé véritable de «
« Phidias <ref> ''Orator''. « Neque enim ille artifex (Phidias) cùm faceret Jovis formam aut Minervae, contemplabatur aliquem à quo similitudinem duceret ; sed ipsius in mente insidebat species pulchritudinis eximia quaedam, quam intuens in eâque defixus ad illius similitudinem artem et manum dirigebat. »</ref>, ce grand artiste, quand il faisait une statue de Jupiter ou de Minerve,
Ce procédé de Phidias
Il est encore une théorie qui revient par un détour à
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/803]]== une pièce de théâtre serait de vous persuader que vous êtes en présence de la réalité. Ce Mais, dit-on, le but du poète n’est-il pas d’exciter la pitié et la terreur ?
Mais, dit-on, le but du poète n'est-il pas d'exciter la pitié et la terreur? Oui, mais d'abord en une certaine mesure; ensuite il doit y mêler quelque autre sentiment qui tempère ceux-là ou les fasse servir à une autre fin. Si celle de l'art dramatique était seulement d'exciter au plus haut degré la pitié et la terreur, l'art serait le rival impuissant de la nature. Tous les malheurs représentés à la scène sont bien languissans devant ceux dont nous pouvons tous les jours nous donner le triste spectacle. Le premier hôpital est plus rempli de pitié et de terreur que tous les théâtres du monde. Que doit faire le poète dans la théorie que nous combattons? Transporter à la scène la réalité le plus possible, et nous émouvoir fortement en ébranlant nos sens par la vue de douleurs affreuses. Le grand ressort du pathétique serait alors la représentation de la mort, surtout celle du dernier supplice. Tout au contraire, c'en est fait de l'art dès que la sensibilité est trop excitée. Pour reprendre un exemple que nous avons déjà employé, qui constitue la beauté d'une tempête, d'un naufrage? qui nous attache à ces grandes scènes de la nature? Ce n'est certes pas la pitié et la terreur : ces sentimens poignans et déchirans nous éloigneraient bien plutôt. Il faut une émotion toute différente de celles-là, et qui en triomphe, pour nous retenir sur le rivage. Cette émotion, c'est le pur sentiment du beau et du sublime excité et entretenu par la grandeur du spectacle, par la vaste étendue de la mer, le roulis des vagues écumantes, le bruit imposant du tonnerre. Mais songeons-nous un seul instant qu'il y a là des malheureux qui souffrent et qui peut-être vont périr? Dès-là, ce spectacle nous devient insupportable. Il en est ainsi de l'art. Quelques sentimens qu'il se propose d'exciter en nous, ils doivent toujours être tempérés et dominés par celui du beau. Produit-il seulement la pitié et la terreur au-delà d'une certaine limite, surtout la pitié et la terreur physique, il révolte, il ne charme plus; il manque l'effet qui lui appartient pour un effet étranger et vulgaire.▼
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/804]]==
▲
Par ce même motif, je ne puis accepter une autre théorie qui, confondant le sentiment du beau avec le sentiment moral et religieux, met
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/805]]== est le sentiment du beau, ce La religion aussi est sa fin, à elle-même ; elle
Mais
Renfermons bien notre pensée dans ses justes limites. En revendiquant
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/806]]== Dès que On cite sans cesse la Grèce antique et
Encore une fois, n’exagérons rien ; distinguons, ne séparons pas ; unissons
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/807]]== sur des sons incertains et fugitifs, sur des paroles Ainsi exprimer
Le problème de
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/808]]==
Par leur objet, tous les arts sont égaux ; tous ne sont arts que parce
Nous
Il ne reste donc que deux sens auxquels tout le monde reconnaît le privilège
On
Les arts
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/809]]== ceux dont le but est Il en faut dire autant de
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/810]]== et de Bossuet <ref> Il y a telle ''Provinciale'' qui, pour la véhémence et la vigueur, ne peut être comparée Le seul objet de
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/811]]== que Semblables par leur but commun, tous les arts diffèrent par les effets particuliers
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/812]]==
de remuer et d’ébranler l’ame plus profondément encore que la peinture.
Depuis le ''Laocoon'' de Lessing, il
Ainsi les arts ont un but commun et des moyens radicalement différens. De là les règles générales communes à tous, et les règles particulières à chacun
En effet, toute classification suppose un principe qui serve de mesure commune.
On a cherché un tel principe dans le plaisir, et le premier des arts a paru celui qui donne les jouissances les plus vives ; mais nous avons prouvé que
Cette mesure
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/813]]==
suprême, l’art qui s’en rapproche le plus est le premier de tous les arts.
Tous les arts vrais sont expressifs, mais ils le sont diversement. Prenez la musique ;
La musique paie la rançon du pouvoir immense qui lui a été donné ; elle éveille plus que tout autre le sentiment de
Le domaine de la musique est le sentiment, mais là même son pouvoir est plus profond qu’étendu, et si elle exprime certains sentimens avec une force incomparable, elle n’en exprime qu’un très petit nombre.
Le domaine de la musique est le sentiment, mais là même son pouvoir est plus profond qu'étendu, et si elle exprime certains sentimens avec une force incomparable, elle n'en exprime qu'un très petit nombre. Par voie d'association, elle peut les réveiller tous; mais directement elle n'en produit guère que deux, les plus simples, les plus élémentaires, la tristesse et la joie, avec leurs mille nuances. Demandez à la musique d'exprimer l'héroïsme, la résolution vertueuse, et bien d'autres sentimens où interviennent assez peu la tristesse et la joie: elle en est aussi incapable que de peindre un lac ou une montagne. Elle s'y prend comme elle peut : elle emploie le large, le rapide, le fort, le doux, etc.; mais c'est à l'imagination à faire le reste, et l'imagination ne fait que ce qui lui plaît. Sous la même mesure, celui-ci met une montagne, et celui-là l'Océan; le guerrier y puise des inspirations héroïques, le solitaire des inspirations religieuses. Sans doute, les paroles déterminent l'expression musicale, mais le mérite alors est à la parole, non à la musique, et quelquefois la parole imprime à la musique une précision qui la tue et lui ôte ses effets propres, le vague, l'obscurité, la monotonie, mais aussi l'ampleur et la profondeur, j'allais presque dire l'infinitude. Je n'admets nullement cette fameuse définition du chant, une déclamation notée. Une simple déclamation bien accentuée est assurément préférable à des accompagnemens étourdissans; mais il faut laisser à la musique son caractère, et ne lui enlever ni ses défauts ni ses avantages. Il ne faut pas surtout la détourner de son objet, et lui demander ce qu'elle ne saurait donner. Elle n'est pas faite pour exprimer des sentimens compliqués et factices, ou terrestres et vulgaires. Son charme singulier est d'élever l'ame vers l'infini. Elle s'allie donc naturellement à la religion, surtout à cette religion de l'infini qui est en même temps la religion du coeur; elle excelle à transporter aux pieds de l'éternelle miséricorde l'ame tremblante sur les ailes du repentir, de l'espérance et de l'amour. Heureux ceux qui à Rome, au Vatican, dans les solennités du culte catholique, ont entendu les mélodies de Léo, de Durante, de Pergolèse, sur le vieux texte consacré ! Ils ont un moment entrevu le ciel, et leur ame a pu y monter, sans distinction de rang, de pays, de croyance même, par les degrés qu'elle choisit elle-même, par ces degrés invisibles et mystérieux, composés et tissus, pour ainsi dire, de tous les sentimens simples, naturels, universels, qui, sur tous les points de la terre, tirent du sein de la créature humaine un soupir vers un autre monde <ref> Je n'ai pas eu le bonheur d'entendre moi-même la musique religieuse du Vatican. Je laisserai donc parler un juge compétent, M. Quatremère de Quincy,<br/>▼
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/814]]==
▲
«
Nous avons cité ce beau morceau, et nous aurions pu en citer beaucoup
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/815]]==
Entre la sculpture et la musique, ces deux extrêmes opposés, est la peinture, presque aussi précise que
Mais
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/816]]==
La parole est
Songez-y. Quel monde
Dites à
Ils la proclament eux-mêmes, car ils prennent la poésie pour leur propre mesure ; ils estiment et ils demandent
Quand les autres arts veulent imiter les œuvres de la poésie, la plupart du temps ils s’égarent, ils perdent leur propre génie, sans dérober celui de la poésie. Mais la poésie bâtit à son gré des palais
Quand les autres arts veulent imiter les oeuvres de la poésie, la plupart du temps ils s'égarent, ils perdent leur propre génie, sans dérober celui de la poésie. Mais la poésie bâtit à son gré des palais et des temples, comme l'architecture; elle les fait simples ou magnifiques; tous les ordres lui obéissent ainsi que tous les systèmes; les différens âges de l'art lui sont égaux; elle reproduit, s'il lui plaît, le classique ou le gothique, le beau ou le sublime, le mesuré ou l'infini. Lessing a pu comparer avec la justesse la plus exquise Homère au plus parfait sculpteur, tant les formes que ce ciseau merveilleux donne à tous les êtres sont déterminées avec netteté ! Et quel peintre aussi qu'Homère! et, dans un genre différent, le Dante! La musique seule a quelque chose de plus pénétrant que la poésie, mais elle est vague, elle est bornée, elle est fugitive. Outre sa netteté, sa variété, sa durée, la poésie a aussi les plus pathétiques accens. Rappelez-vous les paroles que Priam laisse tomber aux pieds d'Achille en lui redemandant le cadavre de son fils, plus d'un vers de Virgile, des scènes entières du ''Cid'' et de ''Polyeucte'', la prière d'Esther agenouillée devant Dieu, les choeurs d'''Esther'' et d'''Athalie''. Dans le chant célèbre de Pergolèse, ''Stabat Mater dolorosa'', on peut demander ce qui émeut le plus de la musique ou des paroles. Le ''Dies irœ, dies illa'', récité seulement, est déjà de l'effet le plus terrible. Dans ces paroles formidables, tous les coups portent pour ainsi dire; chaque mot renferme un sentiment distinct, une idée à la fois profonde et déterminée. L'intelligence avance à chaque pas, et le coeur s'élance à sa suite. La parole humaine, idéalisée par la poésie, a la profondeur et l'éclat de la note musicale, mais elle est lumineuse autant que pathétique; elle parle à L'esprit comme au coeur; elle est en cela inimitable et inaccessible, qu'elle réunit en elle tous les extrêmes et tous les contraires dans une harmonie qui redouble leur effet réciproque, et où tour à tour comparaissent et se développent toutes les images, tous les sentimens, toutes les idées, toutes les facultés humaines, tous les replis de l'ame, toutes les faces des choses, tous les mondes réels et tous les mondes intelligibles !▼
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/817]]==
▲
Arrêtons-nous. Gardons-nous de franchir le seuil de la métaphysique, et
V. COUSIN.
|