« La Philosophie des mathématiques de Kant » : différence entre les versions

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[235] La question fondamentale de la ''Critique de la Raison pure'' est : « Comment des jugements synthétiquesmathématiques ''a priori'' sont-ils possibles ? » Qu’il existe de tels jugements, c’est ce dont Kant ne doute pas un instant, car ce sont de tels jugements qui constituent, selon lui, la métaphysique et la mathématique pure. Expliquer comment ces jugements sont légitimes en mathématique et illégitimes en métaphysique, tel paraît être le but de la ''Critique de la Raison pure'' ; tel est en tout cas l’objet de la ''Méthodologie transcendentale''. « La mathématique fournit l’exemple le plus éclatant d’une raison pure qui réussit à s’étendre d’elle-même sans le secours de l’expérience » (B. 740, cf. p. 8 et 752) ; et cet exemple a été séducteur pour la métaphysique. Celle-ci peut-elle légitimement aspirer à la certitude apodictique en employant la même méthode que la [236] mathématique ? Telle est la question (B. 872). Or « la métaphysique est la connaissance rationnelle par concepts ; la mathématique est la connaissance rationnelle par construction de concepts » (B. 865, 741). Qu’est-ce que construire un concept ? C’est « exposer l’intuition ''a priori'' qui lui correspond ». La construction des concepts n’est donc possible que si nous possédons des intuitions ''a priori''. Celles-ci nous sont fournies par les deux formes ''a priori'' de la sensibilité, l’espace et le temps. C’est donc l’''Esthétique transcendentale'' qui est chargée de répondre à cette question : « Comment les mathématiques pures sont-elles possibles ? » (B. 55, 73.) Par là se trouvent déterminés à la fois l’objet des mathématiques et la portée de leur méthode. Leur objet ne peut être que la grandeur, « car seul le concept de grandeur se laisse construire » (B. 742) ; et l’espace et le temps sont les seules « grandeurs originaires » (B. 753). Leur méthode ne peut s’appliquer qu’à ce qui peut être objet d’intuition, et d’intuition ''a priori'' : elle ne peut donc s’appliquer ni aux concepts purs et simples, ni aux intuitions empiriques, par exemple aux qualités sensibles (B. 743). La mathématique ne peut avoir pour objets que les concepts qu’on peut construire, à savoir la ''figure'', détermination d’une intuition ''a priori'' dans l’espace, la ''durée'', division du temps, et le ''nombre'', résultat général de la synthèse d’un seul et même objet dans l’espace et dans le temps, qui par suite mesure la grandeur d’une intuition (B. 752). Ainsi c’est la méthode, et non l’objet, qui distingue essentiellement la mathématique de la métaphysique, et c’est la méthode de la mathématique qui détermine son objet. Par là s’explique que les jugements mathématiques puissent être à la fois synthétiques (comme les jugements empiriques) et ''a priori'' (comme les jugements analytiques). Ils sont synthétiques, parce qu’ils reposent sur une synthèse effectuée dans l’intuition ; et ils sont ''a priori'', parce que cette intuition est elle-même ''a priori''.
 
Kant caractérise la méthode mathématique en l’opposant à [237] la méthode de la philosophie. La mathématique seule a des ''axiomes'', c’est-à-dire des principes synthétiques ''a priori'', « parce qu’elle seule peut, en construisant un concept, lier ''a priori'' et immédiatement ses prédicats dans l’intuition de son objet » (B. 760). La philosophie ne peut pas avoir d’axiomes, car elle ne peut pas sortir du concept pour le lier à un autre concept. La mathématique seule a des ''définitions'', car seule elle crée ses concepts par une synthèse arbitraire ; par suite, ses définitions sont indiscutables et ne peuvent être erronées. Au contraire, on ne peut pas à proprement parler définir, soit les objets empiriques, soit les concepts ''a priori'', on ne peut que les décrire, et cette description est toujours discutable, car on ne sait jamais si l’on a épuisé la compréhension d’un concept préalablement donné. Enfin la mathématique seule a des ''démonstrations'' proprement dites, car « on ne peut appeler démonstration qu’une preuve apodictique, en tant qu’elle est intuitive » (B. 762). La philosophie ne peut pas effectuer des démonstrations sur ses concepts, car il lui manque « la certitude intuitive ». La conclusion de cet examen est la séparation complète, l’opposition absolue de la mathématique, non seulement par rapport à la métaphysique, mais par rapport à la philosophie tout entière, et notamment à la logique. Car la logique repose sur des principes analytiques, qui paraissent se réduire au principe de contradiction ; et elle ne permet d’établir que des jugements analytiques. Si la mathématique peut légitimement énoncer des jugements synthétiques ''a priori'', c’est parce qu’« elle ne s’occupe d’objets et de connaissances que dans la mesure où ceux-ci se laissent représenter dans l’intuition » (B. 8). Il est manifeste, d’ailleurs, que si Kant insiste tellement sur la différence des méthodes de la mathématique et de la métaphysique, c’est par réaction contre le rationalisme de Wolff, qui prétendait, comme Leibniz, appliquer à la philosophie la méthode mathématique, comme étant la seule méthode logique et apodictique.