« Le Christianisme et la Philosophie » : différence entre les versions

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{{journal|Le christianisme et la philosophie|[[Auteur:Émile Saisset|Emile Saisset ]]|[[Revue des Deux Mondes]] T.9 1845}}
 
==__MATCH__:[[Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 9.djvu/1027]]==
 
<center>Introduction philosophique à l’étude du christianisme, par M. l’archevêque de Paris <ref> Chez Le Clère, rue Cassette, 19.</ref></center>
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Le mot célèbre de Diderot : ''Toutes les religions du monde ne sont que des sectes de la religion naturelle'', caractérise à merveille l’opinion qui dominait au XVIIIe siècle sur la nature et la valeur des institutions religieuses. A en croire les philosophes de cette époque, les religions n’ont pas été un instrument nécessaire et fécond, mais un obstacle pour la civilisation ; elles ont corrompu la religion naturelle au lieu de la perfectionner, n’y ajoutant guère qu’un amas de superstitions et d’erreurs, ouvrage de la crédulité des faibles et de la politique des puissans. L’histoire des religions nous offre le triste spectacle des égaremens de l’humanité, toujours crédule et toujours trompée ; car au fond, les religions n’ont point d’assiette solide dans la nature de l’homme : ce sont des institutions tout artificielles, sans racine profonde et sans rapport intime avec la destinée morale et religieuse du genre humain. Toutes les religions sont également fausses, sinon également malfaisantes. Moïse et Orphée, Zoroastre et Confucius, Mahomet et Jésus-Christ, sont des imposteurs ou des fous.
 
Voilà bien la philosophie des religions telle que le XVIIIe siècle l’a conçue. Allez de Voltaire et de David Hume à Boulanger et à. Dupuis, descendez du brillant ''Essai sur les moeursmœurs'', de l’ingénieuse esquisse sur l’''Histoire naturelle des Religions'' à l’indigeste compilation de l’''Origine des cultes'' et à la rhétorique déclamatoire du ''Christianisme dévoilé'', vous retrouverez partout les mêmes idées. Montesquieu et Rousseau font seuls peut-être exception à cette loi générale ; encore ne serait-il pas difficile d’en trouver de sensibles traces dans le célèbre dialogue du philosophe et de l’inspiré, aussi bien que dans plus d’un endroit piquant des ''Lettres Persanes'' ; mais quel progrès de ce spirituel badinage à la profondeur, à la majesté de l’''Esprit des Lois'' ! Dans ce livre immortel, le plus beau monument que le XVIIIe siècle nous ait laissé, l’influence éminemment bienfaisante et civilisatrice des religions, et entre toutes du christianisme, est marquée en traits pleins de force et d’éclat. Vous sentez à chaque page les germes d’une philosophie des religions qui surpasse l’horizon du XVIIIe siècle, et fait de Montesquieu presque notre contemporain.
 
Il est clair aujourd’hui pour tout esprit de quelque étendue que cette théorie du XVIIIe siècle sur les religions est radicalement fausse. Elle repose sur une des hypothèses les plus étranges qui jamais aient été imaginées, l’hypothèse d’une religion parfaite, placée au berceau des sociétés, et qui se serait de plus en plus obscurcie et dépravée sous l’influence des religions positives. Cette hypothèse vaut bien celle qu’imaginait Rousseau quand il peignait l’homme de la nature, primitivement innocent et heureux, mais corrompu par la civilisation, théorie fantastique et creuse qui s’est condamnée elle-même en se formulant dans ce paradoxe fameux : « L’homme qui pense est un animal dépravé. » Rousseau et Diderot ont fait comme les poètes qui chantaient l’âge d’or, lesquels, plaçant dans le passé du genre humain cette perfection qui est en effet dans ses destinées à venir, substituaient un souvenir stérile et un vain regret à de saintes et fécondes espérances.
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::Et qui ne ressemble aux mortels ni par la figure ni par l’esprit.
 
Le dieu de l’école d’Élée est une conception déjà admirable ; mais cette unité sublime qui le caractérise est une unité abstraite qui accable la pensée et reste étrangère à la vie. Qui a conçu Dieu pour la première fois comme une intelligence, pure de tout mélange, source de l’ordre et de l’harmonie de l’univers ? C’est encore un philosophe, c’est Anaxagore, à qui Aristote, saisi d’admiration pour un de ses plus glorieux prédécesseurs, accorde ce magnifique éloge : « Quand un homme vint dire pour la première fois qu’il y avait, dans la nature comme dans les animaux, une intelligence qui est la cause de l’arrangement et de la beauté de la nature, cet homme parut seul avoir conservé sa raison au milieu des folies de ses devanciers <ref> Aristote, ''Métaphys., I, 3.</ref>. » Ce dieu déjà si épuré est encore bien éloigné de l’homme. Il est l’architecte de l’univers physique ; il n’est point le législateur du monde moral. Socrate vient annoncer aux hommes le dieu de la conscience, le suprême et incorruptible arbitre de nos destinées, le juge et le père de tous les hommes. Élève de Socrate, héritier d’Anaxagore et de Parménide, interprète accompli de la sagesse de l’antiquité, Platon en recueille tous les trésors et les assemble dans ces immortels dialogues, véritables évangiles de la philosophie où toutes les grandes vérités morales et religieuses sont développées tour à tour dans des cadres merveilleux et enchaînées l’une à l’autre par leurs rapports les plus profonds, tantôt enlacées dans les noeudsnœuds d’une dialectique sévère, tantôt déployées dans la majesté d’une vaste et haute synthèse, voilées quelquefois sous les graces d’une allégorie ingénieuse ou sous les amples développemens d’un mythe épuré, revêtues enfin du plus beau langage qu’ait entendu l’oreille des hommes. Sans doute, ces grandes vérités sont engagées dans un système de philosophie destiné à périr : Aristote, après Platon, proposera un autre système ; mais toutes les vérités essentielles sont dans le monde, elles n’en sortiront plus. Qui a mieux connu qu’Aristote l’unité, la spiritualité, l’intelligence de Dieu, ce moteur immobile de sa philosophie dont l’essence sublime est tout entière dans ces deux mots : intelligible et désirable, ''νοητόν χαί όρεχτόν'' <ref> Aristote, Métaphys., XII, 8. </ref>. L’école stoïcienne a hérité de cette profonde métaphysique, et quelquefois sans doute elle l’a altérée ; mais qu’elle est grande dans l’ordre moral, l’école de Chrysippe et de Cléante, de Caton et de Brutus, d’Épictète et de Marc Aurèle ! N’eût-elle découvert que le principe de la fraternité du genre humain, cela suffirait à sa gloire. Or, c’est bien le stoïcisme, quelque silence discret que garde sur ce point M. l’archevêque de Paris, c’est le stoïcisme et non le christianisme qui a reconnu pour la première fois que les hommes sont frères, et frères en Dieu. Le germe de cette conception admirable est dans Socrate : « Je ne suis, disait ce grand homme, ni Athénien, ni Grec, mais citoyen du monde <ref> Plutarque, ''De Exil'', 7. </ref>. » Noble parole, digne d’un chrétien, et qui n’empêchait pas Socrate de combattre bravement à Délium, et d’emporter à Potidée sur ses robustes épaules Alcibiade blessé. Le stoïcisme a répandu dans le monde grec et romain pendant quatre siècles cette généreuse doctrine qui fut saluée par le peuple romain au théâtre dans un vers bien connu de Térence, et que Lucain n’exprimait pas avec moins de force dans ce beau vers
 
::Nec tibi, sed toti genitum se credere mundo.
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ÉMILE SAISSET.
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