« Revue littéraire - 30 septembre 1843 » : différence entre les versions

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de Boccace, l’Italie, veuve de ses gloires : est-ce qu’elle n’étale pas avec orgueil aux yeux distraits de l’Europe son titre de prédilection, les pages animées de son Manzoni ? En France aussi, en France plus qu’ailleurs, le roman semble être privilégié ; long-temps la littérature en a fait son enfant gâté : tendresse de vieux parens pour le dernier venu de la famille !
 
Considérez plutôt si l’histoire de ces succès du roman n’est pas une histoire exceptionnelle ! Prenez au hasard un autre genre, le premier venu, et voyez si, à travers les destinées et les phases diverses de la littérature française, ce genre n’a pas eu tour à tour ses victoires, ses défaites, son règne ses intervalles. Que devient l’éloquence religieuse après Massillon ? Que devient la comédie après Molière ? S’il y a encore réussite çà et là, ce n’est plus qu’une exception, une niche faite en passant à la fortune. Tout, au contraire, favorise jusqu’au bout le roman : les révolutions littéraires, au lieu de le ruiner, l’enrichissent ; il gagne à toutes les banqueroutes intellectuelles, et il se trouve à la fin que ce parvenu, long-temps dédaigné, survit aux plus puissans et rajeunit avec les années, tandis que les autres se rident. Je n’exagère rien. Depuis trois cents ans, il n’a guère eu que de bonnes chances : comptons plutôt. A. peine y a-t-il deux ou trois ouvrages du XVIe siècle que tout le monde lise encore : eh bien ! l’un de ces ouvrages est un roman bouffon, le ''Gargantua''. Plus tard, dès que la perfection se montre dans les lettres, on a aussitôt des chefs-d’œuvre de ce côté, et le roman français entre dans la plénitude de sa gloire avec ''la Princesse de Clèves'' ; l’ère de Louis XIV se clot à peine, qu’il triomphe de nouveau et avec éclat dans ''Gil-Blas''. Pour lui, le XVIIIe siècle n’aura que des couronnes : ''Candide, Manon Lescaut. Paul et Virginie'', peintures immortelles où l’ironie dans son amertume, la passion dans ses entraînemens, les sentimens du cœur dans leur pureté charmante, sont à jamais fixés sous le pinceau des maîtres. La révolution elle-même, tout en coupant court au mouvement poétique, n’arrêta pas le roman dans sa glorieuse carrière. ''Adèle de Sénange'' a été écrite en pleine terreur. L’empire, à son tour, qui frappa la littérature tout entière de stérilité et d’impuissance, n’atteignit pas non plus ce genre heureux que tout jusque-là avait épargné : ''René, Corinne, Adolphe'', sont des créations véritables. En notre époque même, confuse et incertaine, où une vitalité si réelle est mêlée dans les lettres à tant de causes de dépérissement, c’est le roman encore qui, avec la poésie lyrique, laissera les monumens les plus durables, quelques-unes de ces œuvres peut-être qu’épargnera la main du temps. Si profond, en effet, que soit le dégoût général que ne manqueront pas de laisser tant d’excès intellectuels, une dispersion à ce degré fâcheuse du talent, un emploi à ce point coupable des plus belles facultés, l’avenir, soyons-en assurés, accordera une notable place au roman contemporain. Certes, plus d’une page restera où se liront les noms quelque peu disparates qui ont signé ''Colomba, Valentine, Thérèse Aubert, Volupté, les Caprices de Marianne, Stello, Notre-Dame de Paris''. Quelles que soient, en effet, les inéinégalités
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galités qui déparent plusieurs de ces œuvres brillantes, à quelque destinée contraire d’immobilité, de progrès où de décadence que semblent réservés ; ces talens si divers, il y a assurément dans ce groupe d’élite plus d’un front sur lequel demeurera l’auréole.
 
Dans la poésie purement lyrique, la littérature française de notre âge l’emporte évidemment sur les écrivains des deux derniers siècles : ainsi la strophe de Lamartine a plus de souffle que celle de J.-B. Rousseau, et l’éclat nous frappe plutôt dans les ''Feuilles d’Automne'' que dans les odes de Lamotte ; il faudrait être pessimiste pour préférer une stance de Chaulieu à un couplet de Béranger. Là est notre conquête la plus sûre, conquête vraiment glorieuse, et qui suffira sans doute à sauver notre renommée, que tant de folles ambitions et tant de chutes risqueraient certainement de compromettre aux yeux de l’histoire littéraire. On peut le dire avec assurance, le roman aussi nous fera honneur. Sur ce point, si nous n’avons pas dépassé ceux qui sont venus avant nous, ceux qui ont pour eux l’avantage de la chronologie, nous les avons au moins continués dignement, nous avons repris leurs traditions avec originalité, avec succès ; ce n’est pas tout-à-fait comme au théâtre.
 
Il est toujours habile de garder ses avantages : de là selon nous, la nécessité d’un contrôle sévère et continu à l’égard de la poésie lyrique et du roman. Là est le danger aujourd’hui, parce que là était la gloire hier. Par malheur, à cette grande rénovation poétique qui s’était annoncée avec tant d’éclat, il y a vingt ans, et qui déjà même avait élevé plus d’un glorieux monument, succèdent, depuis quelques années, un calme, une atonie, qui ne sont ni sans dégoût ni sans désenchantement. Il faut bien le dire, une décadence marquée (quoique passagère, on doit l’espérer) a envahi bien des talens, entre les plus hauts comme entre les plus humbles, tandis qu’en revanche les monotones tentatives des débutans n’ont pas cessé d’expirer obscurément dans la banalité de l’imitation ou dans les efforts d’une originalité impuissante. A coup sûr, ce n’est pas afficher des goûts misanthropiques et singuliers que de préférer les ''Méditations'' à ''la Chute d’un Ange'', ou, pour prendre un exemple moins considérable, les ''Iambes'' aux ''Rimes Héroïques''. Je ne veux pas dire qu’il n’y ait point d’exceptions, des exceptions même très éclatantes ; mais, en somme, et sans toucher davantage aux noms propres, on peut dire que la plupart de nos poètes sont loin d’être dans leur phase ascendante. Ce résultat général est incontestable. Aussi, le devoir devient chaque jour plus impérieux pour la critique de se montrer à cet endroit inflexible et vigilante. Puisque les belles inspirations lyriques qui ont fait l’honneur des lettres sous la restauration semblent aujourd’hui toucher à leur déclin, l’heure des complaisances est passée. Il importe d’avertir à temps les talens vrais, et de leur montrer les voies perfides où ils s’égarent ; il importe de repousser sans pitié ceux qui n’ont que les faux airs et les prétentions du génie. Là, peut-être, est le seul remède. Combien ne serait-il point triste, je le demande, d’être entraînés à la suite d’une réaction inintelligente et mesquine, mais légitimée en
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en partie par les excès et l’intempérance d’aujourd’hui ! combien ne serait-il pas triste d’être à la fin ramenés vers ces procédés factices, vers cette poésie brillantée et de convention, dont on pouvait croire le régime à jamais fini !
 
C’est la même chose, c’est bien pis encore pour le roman. Le roman, qui, en faisant naguère les délices de nos loisirs, faisait aussi la gloire de notre littérature, se compromet de plus en plus par toute sorte de déportemens lesquels s’affichent avec d’autant plus d’impudence, qu’on les signale avec moins de rigueur. Ici, qu’on le remarque, ce ne sont plus seulement, comme pour la poésie, des instincts mauvais de l’esprit, des causes purement morales qui pervertissent le talent : il n’y a plus seulement à dénoncer la vanité qui traîne après elle la négligence, l’obstination que suit forcément la bizarrerie, tous les leurres enfin qui accompagnent le dédain des conseils et la substitution fatale de l’improvisation à la sobriété et aux patiens labeurs. D’autres et de plus fâcheux élémens de décadence, des raisons d’abaissement bien autrement intimes et beaucoup trop souvent personnelles, auraient besoin d’être signalés en détail aux sévères jugemens du public. C’est là, il en faut convenir une grande et très sérieuse difficulté pour ceux qui jugent : en mêlant de si près le faste et le bruit de leur vie au tumulte de leurs œuvres, en confondant sans cesse l’homme avec l’écrivain, en faisant leurs compositions tout-à-fait solidaires de leur biographie, certains romanciers ont fait des appréciations littéraires et de l’art du critique une tâche véritablement délicate et épineuse. Si l’on voulait être tout-à-fait vrai, si on voulait chercher expressément la cause secrète de telle accumulation besogneuse de livres médiocres, le motif de tel avortement continu, de telle chute prématurée, il faudrait trop fréquemment toucher aux personnes et introduire dans la scrupuleuse exactitude des comptes rendus certaines insinuations bonnes pour les pamphlets. Avec les poètes, du moins on n’a pas à sortir des nobles sphères de l’esprit ; le vertige de l’amour-propre peut les perdre, mais ce n’est là, après tout, que l’exagération d’une qualité réelle et qui n’est pas sans noblesse, le sentiment de la dignité. Ici, sans compter ces perfides suggestions de la vanité qui ont bien aussi leur part, il faudrait de plus accorder une place très notable à des motifs fort peu littéraires. Derrière l’orgueil, en effet, se cachent les intérêts du métier, et sous la fécondité de l’auteur je devine les calculs de l’industriel. Par leur nature même, on le comprend, ces sortes de remarques ne peuvent être que très générales : la politesse veut que chacun n’ait à se les appliquer que dans les monologues de sa conscience. C’est l’affaire du public d’ailleurs de faire les lots.
 
Il est arrivé au roman ce qui arrive aux conquérans : le succès l’a perdu. Quoi qu’on en puisse dire dans certaine préface, ce n’est pas encore un lieu commun de déplorer la pernicieuse influence exercée par la publicité quotidienne et fragmentaire des journaux sur les œuvres d’imagination ; quand ce sera un lieu commun, comme il est évident que les lieux communs sont vrais, le public, par son indifférence, forcera bien les écrivains à abandonner cette forme
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forme mauvaise, ce gaspillage organisé, cette dilapidation régulière des facultés inventives. L’engouement une fois passé, on sera unanime à reconnaître que nos avertissemens, que nos redites, si l’on veut, étaient légitimes. Mon Dieu ! Cassandre n’avait la prétention d’être ni amusante ni variées, mais était-ce sa faute ? On est bien forcé de se répéter devant l’aveuglement et l’obstination.
 
Devenu, à la longue et par l’abus, une sorte d’habitude pour le lecteur, autorisé d’ailleurs par le bon accueil qu’on lui faisait de toutes parts, le roman peu à peu s’est cru tout permis. Cette forme facile se prêtait à tous les caprices, à toutes les prétentions : toutes les prétentions, tous les caprices s’étalèrent à leur aise dans le roman. On se l’explique : chaque passion trouvait là un cadre commode pour se glisser, à l’aide du déguisement, jusqu’au public, et surprendre ainsi sa paresse. On eut donc tour à tour des romans socialistes et des romans néo-chrétiens ; en un mot, la philosophie qui n’eût pas eu de lecteurs sous forme de livre, les religions qui n’eussent pas trouvé un adepte sous forme d’évangile, les prédications contre le mariage et la famille qui, à l’état de sermons, n’eussent pas rencontré un auditeur, tout cela se fit roman. — Est-ce que nos charmans héros d’autrefois auraient disparu pour jamais ? — Il me semble vraiment que je n’en reconnais plus un seul. Panurge lui-même disserte sur la réforme pénitentiaire, Sancho raisonne à perte de vue sur l’émancipation de la femme, et Pangloss a quitté son rôle d’optimiste pour celui de poète incompris ; voici Julie qui s’échappe des bras de Saint-Preux pour fonder une religion, et c’est Virginie, je crois, qui développe en personne devant Paul une théorie complète du divorce. Aspirations mystiques, déclamations humanitaires, amplifications sociales, rien n’y manque. Mais, par hasard, n’auriez-vous pas l’indignité de préférer à tout ce beau jargon le moindre couplet de la chansonnette de Mignon ? Je soupçonnerais même volontiers que l’oncle Tobie vous en dit davantage à lui seul, rien que quand il siffle, devant les boulingrins de son fidèle Trim, son refrain de ''lili burello''.
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mesure, dans cette dispersion sans relâche, l’habile dramaturge n’a-t-il pas compromis pour le drame ce même talent que l’habile romancier compromettait pour le roman ? A lire les derniers volumes de M. de Balzac, à entendre ces vaudevilles et ces mélodrames que M. Dumas ne craint plus de risquer sur les scènes du boulevard, il faudrait plus que de l’optimisme pour se refuser à le reconnaître.
 
Mais tenons-nous au roman. Les derniers volumes échappés à la plume de M. de Balzac et de M. Frédéric Soulié suffiraient à nous convaincre, dès le premier regard, que ces inépuisables conteurs d’autrefois en sont maintenant aux expédiens, et cherchent en vain à déguiser l’épuisement de leur imagination, à renouveler par l’effort cette source désormais tarie. Il y a eu au moins, dans le retentissement qui s’est fait autour des ''Mystères de Paris'', un résultat suprême qu’on ne saurait contester : c’est la substitution de M. Eugène Sue à M. Soulié et à M. de Balzac sur le trône du roman-feuilleton Il faut d’abord constater ce changement de dynastie ; il faut enregistrer le sort des vaincus, sauf à dire demain notre avis sur le vainqueur, sauf à ranger plus tard à sa vraie place le dernier venu de ces suzerains de papier, dont l’empire est aussi capricieux, aussi durable à peu près que le sont les fantaisies de la curiosité publique et les bizarres engouemens de la mode. On ne serait pas édifié d’ailleurs sur cette petite révolution, que le titre même des plus récens écrits de M. de Balzac et de M. Soulié suffirait à attester la chose. D’eux-mêmes, en effet, ils semblent en convenir, d’eux-mêmes ils courbent le front devant ce maître nouveau, qui s’avance en triomphateur, porté sur le pavois du feuilleton par un journal grave, qui, jusque-là avait prétendu diriger et contenir l’opinion, au lieu de se mettre simplement à sa remorque. Voyant que M. Sue était applaudi de la foule, et tenait haut la bannière bariolée des ''Mystères de Paris'', M. de Balzac et M. Soulié ont renoncé subitement à tout amour-propre, et les voilà aujourd’hui qui viennent humblement recevoir l’investiture des mains du nouveau monarque. L’abdication semblera à tous évidente et complète. Le croirait-on ? c’est sous le titre collectif de ''Mystères de la Province'' qu’ont paru et le dernier roman de l’auteur des ''Scènes de la Vie parisienne'' et le dernier ouvrage de l’auteur des ''Mémoires du Diable''. Il faut voir là, sans contredit, le plus grand succès qu’ait encore obtenu M. Sue. Mettre ses rivaux à ses pieds, les voir vêtus de ses couleurs, parés de sa cocarde, enrôlés à sa suite, quoi, je le demande, de plus significatif ? Rois hier, sujets aujourd’hui, nous venons à peine à temps pour noter ce changement de règne. Avant de régler nos comptes avec le vainqueur, qu’on nous permette au moins d’ensevelir les morts ; ce sera vite fait. Mais ne sommes-nous point trop sévère à l’égard de M. Sue ? Aujourd’hui, nous n’avons pas le droit de lui en vouloir. Voilà que M. de Balzac, M. Soulié et leurs collaborateurs des ''Mystères de la Province'' ne savent pas obtenir tous ensemble la vingtième partie du succès qu’enlève à lui seul M. Eugène Sue. Ce contraste frappant est après tout le résultat le plus clair, le moins
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contestable de la réussite des ''Mystères de Paris''. Vraiment, c’est bien quelque chose.
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depuis onze ans, leur correspondance d’amour n’a pas été interrompue un moment. L’épreuve n’a coûté ni à l’un ni à l’autre, et tous deux demeurent fidèles comme au premier jour. Après avoir échoué plusieurs fois dans ses projets d’ambition, l’infatigable avocat qui, le jour où elle sera libre, veut pouvoir offrir à sa maîtresse un nom, la fortune, une grande position, l’avocat Savaron est venu tenter encore une fois la lutte sur un autre terrain C’est en vue de la députation qu’il s’est établi en province, et il touche presque à l’accomplissement de ses désirs. La connaissance dérobée de ces secrets ne fait qu’enflammer la jalouse passion de Rosalie ; plus elle se réjouit des lettres brûlantes qu’on lui livre, plus son exaltation redouble. L’élection de Savaron comme député de Besançon était assurée, on était à la veille du vote, quand un billet d’Italie arriva, qui annonçait la mort subite du duc d’Argaiolo. Dans cette décisive conjoncture, Rosalie n’hésita point : elle supprima désormais les lettres des deux amans, et, simulant l’écriture de l’avocat, elle écrivit à la duchesse comme pour rompre, sous le prernier prétexte, une liaison qui avait résisté à tant d’épreuves. Quelques jours se passèrent de la sorte dans le silence ; Savaron était en proie à de mortelles inquiétudes. Enfin il apprit par le journal que la duchesse d’Argaiolo venait d’épouser en secondes noces le duc de Rhétoré. A ce coup inattendu, le député de demain quitta brusquement Besançon et n’y reparut jamais. Bientôt après, Mlle Rosalie de Watteville, apprit que M. Savaron avait fait ses vœux à la Grande-Chartreuse. L’impitoyable fille ne se crut pas encore assez vengée : sachant que la duchesse était alors à Paris, elle entreprit le voyage exprès pour remettre elle-même à sa victime les lettres suppprimée par elle, et qui établissaient que ce n’était point là une perfidie d’amant, mais une vengeance de rivale. A son retour, Mlle de Watteville fut mutilée par l’explosion d’un des bateaux à vapeur de la Loire. Aujourd’hui triste, défigurée, pleine de funèbres souvenirs, elle vit dans la solitude. Devenue veuve, la mère de Rosalie vient d’épouser M. de Soulas, dont sa fille naguère avait refusé la main.
 
J’ai voulu, par une première analyse, laisser au lecteur son libre jugement. Voilà où en est tombé M. de Balzac. Non-seulement ce ne sont plus des caractères, des sentimens, des mœurs véritables qu’il peint, mais son imagination est même à bout de ces vulgaires combinaisons du drame par lesquelles il est si facile à un écrivain exercé de renouveler l’intérêt qui faiblit. Une duchesse qui attend la mort de son mari pour épouser un inconnu qu’elle a rencontré en voyage ; un avocat de Paris qui va s’établir dans une ville de province qu’il n’a jamais vue, afin de s’y faire nommer député ; une jeune fille qui corrompt la fidélité d’un domestique, qui vole des lettres, qui fait un faux et qui enfin tue moralement deux personnes pour se venger d’un amour qu’elle ressent seule et que sa victime ignore : tels sont les étranges héros de ''Rosalie''. Jamais l’auteur d’''Eugénie Grandet'' n’était à beaucoup près descendu si bas, et il se trouve, par malheur, que la pauvreté de la mise en œuvre correspond trop bien à la bizarre insignifiance de la conception. Le style
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style est lourd, épais ; il n’a plus rien de la fraîcheur des premières années il sent la fatigue, il trahit incessamment l’effort. C’est M. de Balzac lui-même qui, dans son langage choisi, compare certains ''talens éreintés'' à ces ténors qui ont baissé d’une note et que ''lésinent'' dès-lors les directeurs de théâtre L’allusion semble transparente : elle n’échappera certainement qu’à M. de Balzac. Quand on est un maréchal de France littéraire, c’est un fâcheux dénouement que de devenir l’obscur collaborateur des ''Mystères de la Province'', et, dans cette concurrence collective faite à M. Sue, de n’avoir pas à détacher de la grande œuvre de ''la Comédie humaine'' une autre page que la laide histoire d’une petite fille qui est voleuse par dépit et faussaire par haine amoureuse. Décidément, je crois que le ténor a baissé d’une note.
 
L’ambition de peindre la société tout entière et de construire à lui seul une œuvre qui, dans son ensemble, corresponde à l’humanité même, telle est toujours l’idée fixe que poursuit M. de Balzac, telle est la chimère à laquelle il tient chaque jour davantage ; c’est sa ''recherche de l’absolu'', et on serait très mal venu à ne pas la prendre au sérieux. Pour ma part, je serais seulement curieux de savoir à quel type, à quel caractère humain correspondra, dans cette classification générale, le personnage de Rosalie : le plus sage peut-être serait de la ranger au chapitre des rêves, entre les créations purement fantastiques. — Dans ''David Séchard'', il n’y a plus de mythe, et le but auquel a visé M. de Balzac est infiniment plus clair : c’est tout bonnement l’histoire, la vieille histoire du génie incompris. Déjà M. de Vigny, dans son éloquent plaidoyer de ''Chatterton'', avait voulu nous intéresser aux secrètes souffrances d’un poète, d’un homme qui, selon la foule, ne savait faire autre chose qu’aligner des lignes noires sur du papier blanc. M. de Balzac tente de raffiner là-dessus et nous montre les misères de l’inventeur dans une autre sphère, à un degré inférieur. L’inventeur, cette fois, n’écrit plus sur du papier, mais il fait du papier, et nous n’en sommes pas moins tenus d’admirer, sans mot dire, la hauteur de son génie. On fait, dit-on, là-dessus un vaudeville, une parodie qui pourra être spirituelle, et qui s’appellera : ''David Séchard ou les Souffrances du Papetier''.