« La Fontaine de Boileau (Revue des Deux Mondes) » : différence entre les versions

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==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 3.djvu/855]]==
 
<pages index="Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 3.djvu" from=855 to=860 />
<center>LA FONTAINE DE BOILEAU <ref> Il est indispensable, en lisant la pièce qui suit, d’avoir présente à la mémoire la satire VI de Boileau à Lamoignon, dans laquelle il parle de Bâville et de la vie qu’on y mène. </ref>, EPITRE.</center>
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<references/>
<center>A Madame la comtesse Molé</center>
 
<poem>
Dans les jours d’autrefois qui n’a chanté Bâville ?
Quand septembre apparu délivrait de la ville
Le grave Parlement assis depuis dix mois,
Bâville se peuplait des hôtes de son choix,
Et, pour mieux animer son illustre retraite,
Lamoignon conviait et savant et poète.
Guy Patin accourait, et d’un éclat soudain
Faisait rire l’écho jusqu’au bout du jardin,
</poem>
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 3.djvu/856]]==
<poem>
Soit que, du vieux Sénat l’ame tout occupée,
Il poignardât César en proclamant Pompée,
Soit que de l’antimoine il contât quelque tour.
Huet, d’un ton discret et plus fait à la cour,
Sans zèle et passion causait de toute chose,
Des enfans de Japhet, ou même d’une rose.
Déjà plein du sujet qu’il allait méditant,
Rapin <ref> Auteur du poème latin des ''Jardins'' : voir au livre III un morceau sur Bâville et deux odes latines du même.</ref> vantait le parc et célébrait l’étang.
Mais voici Despréaux, amenant sur ses traces
L’agrément sérieux, l’à-propos et les graces.
 
O toi, dont, un seul jour, j’osai nier la loi,
Veux-tu bien, Despréaux, que je parle de toi,
Que j’en parle avec goût, avec respect suprême,
Et comme t’ayant vu dans ce cadre qui t’aime ?
 
Fier de suivre à mon tour des hôtes dont le nom
N’a rien qui cède en gloire au nom de Lamoignon,
J’ai visité les lieux, et la tour, et l’allée
Où des fâcheux ta muse épiait la volée ;
Le berceau plus couvert qui recueillait tes pas ;
La fontaine surtout, chère au vallon d’en bas,
La fontaine en tes vers ''Polycrène'' épanchée,
Que le vieux villageois nomme aussi ''la Rachée'' <ref> Une ''rachée'' on appelle ainsi les rejetons nés de la racine après qu’on a coupé le tronc. Les ormes qui ombrageaient autrefois la fontaine avaient probablement été coupés pour repousser en ''rachée'' : dejà le nom. </ref>,
Mais que plus volontiers, pour ennoblir son eau,
Chacun salue encor ''Fontaine de Bouleau''.
Par un des beaux matins des premiers jours d’automne,
Le long de ces coteaux qu’un bois léger couronne,
</poem>
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 3.djvu/857]]==
<poem>
Nous allions, repassant par ton même chemin
Et le reconnaissant, ton Épître à la main.
Moi, comme un converti, plus dévot à ta gloire,
Épris du flot sacré, je me disais d’y boire :
Mais, hélas ! ce jour-là, les simples gens du lieu
Avaient fait un lavoir de la source du dieu,
Et de femmes, d’enfans, tout un cercle à la ronde
Occupaient la naïade et m’en altéraient l’onde.
Mes guides cependant, d’une commune voix,
Regrettaient le bouquet des ormes d’autrefois,
Hautes cimes long-temps à l’entour respectées,
Qu’un dernier possesseur à terre avait jetées.
Malheur à qui, docile au cupide intérêt,
Déshonore le front d’une antique forêt,
Ou dépouille à plaisir la colline prochaine !
Trois fois malheur, si c’est au bord d’une fontaine !
 
Était-ce donc présage, ô noble Despréaux,
Que la hache tombant sur ces arbres si beaux
Et ravageant l’ombrage où s’égaya ta muse ?
Est-ce que des talens aussi la gloire s’use,
Et que, reverdissant en plus d’une saison,
On finit, à son tour, par joncher le gazon,
Par tomber de vieillesse, ou de chute plus rude,
Sous les coups des neveux dans leur ingratitude ?
Ceux surtout dont le lot, moins fait pour l’avenir,
Fut d’enseigner leur siècle et de le maintenir,
De lui marquer du doigt la limite tracée,
De lui dire où le goût modérait la pensée,
Où s’arrêtait à point l’art dans le naturel,
Et la dose de sens, d’agrément et de sel,
Ces talens-là, si vrais, pourtant plus que les autres
Sont sujets aux rebuts des temps comme les nôtres,
Bruyans, émancipés, prompts aux neuves douceurs,
</poem>
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 3.djvu/858]]==
<poem>
Grands écoliers riant de leurs vieux professeurs.
Si le même conseil préside aux beaux ouvrages,
La forme du talent varie avec les âges,
Et c’est un nouvel art que dans le goût présent
D’offrir l’éternel fond antique et renaissant.
Tu l’aurais su, Boileau ! Toi dont la ferme idée
Fut toujours de justesse et d’à-propos guidée,
Qui d’abord épuras le beau règne où tu vins,
Comment aurais-tu fait dans nos jours incertains ?
J’aime ces questions, cette vue inquiète,
Audace du critique et presque du poète.
Prudent roi des rimeurs, il t’aurait bien fallu
Sortir, chez nous, du cercle ou ta raison s’est plu.
Tout poète aujourd’hui vise au parlementaire ;
Après qu’il a chanté, nul ne saura se taire :
Il parlera sur tout, sur vingt sujets au choix ;
Son gosier le chatouille et veut lancer sa voix.
Il faudrait bien les suivre, Ô Boileau, pour leur dire
Qu’ils égarent le souffle où leur doux chant s’inspire,
Et qui diffère tant, même en plein carrefour,
Du son rauque et menteur des trompettes du jour.
 
Dans l’époque, à la fois magnifique et décente,
Qui comprit et qu’aida ta parole puissante,
Le vrai goût dominant, sur quelques points borné,
Chassait du moins le faux autre part confiné ;
Celui-ci hors du centre usait ses représailles ;
Il n’aurait affronté Chantilly ni Versailles,
Et, s’il l’avait osé, son impudent essor
Se fût brisé du coup sur le balustre d’or.
Pour nous, c’est autrement : par un confus mélange
Le bien s’allie au faux, et le tribun à l’ange.
Les Pradons seuls d’alors visaient au Scudery :
Lequel de nos meilleurs peut s’en croire à l’abri ?
</poem>
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 3.djvu/859]]==
<poem>
Tous cadres sont rompus ; plus d’obstacle qui compte ;
L’esprit descend, dit-on ; la sottise remonte ;
Tel même qu’on admire en a sa goutte au front,
Tel autre en a sa douche, et l’autre nage au fond.
Comment tout démêler, tout dénoncer, tout suivre,
Aller droit à l’auteur sous le masque du livre,
Dire la clé secrète, et, sans rien diffamer,
Piquer pourtant le vice et bien haut le nommer ?
Voilà, cher Despréaux, voilà sur toute chose
Ce qu’en songeant à toi souvent je me propose,
Et j’en espère un peu mes doutes éclaircis
En m’asseyant moi-même aux bords où tu t’assis.
Sous ces noms de Cotins que ta malice fronde,
J’aime à te voir d’ici parlant de notre monde
A quelque Lamoignon qui garde encor ta loi :
Qu’auriez-vous dit de nous, Royer-Collard et toi ?
 
Mais aujourd’hui laissons tout sujet de satire ;
A Bâville aussi bien on t’en eût vu sourire,
Et tu tachais plutôt d’en détourner le cours,
Avide d’ennoblir tes tranquilles discours,
De chercher, tu l’as dit, sous quelque frais ombrage,
Comme en un Tusculum, les entretiens du sage,
Un concert de vertu, d’éloquence et d’honneur,
Et quel vrai but conduit l’honnête homme au bonheur.
 
Ainsi donc, ce jour-là, venant de ta fontaine,
Nous suivions au retour les coteaux et la plaine,
Nous foulions lentement ces doux prés arrosés,
Nous perdions le sentier dans les endroits boisés,
Puis sa trace fuyait sous l’herbe épaisse et vive :
Est-ce bien ce côté ? n’est-ce pas l’autre rive ?
A trop presser son doute, on se trompe souvent ;
</poem>
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 3.djvu/860]]==
<poem>
Le plus simple est d’aller. Ce moulin par devant
Nous barre le chemin ; un vieux pont nous invite,
Et sa planche en ployant nous dit de passer vite :
On s’effraie et l’on passe, on rit de ses terreurs ;
Ce ruisseau sinueux a d’aimables erreurs.
Et riant, conversant de rien, de toute chose,
Retenant la pensée au calme qui repose,
On voyait le soleil vers le couchant rougir,
Des saules ''non plantés'' les ombres s’élargir,
Et sous les longs rayons de cette heure plus sûre
S’éclairer les vergers en salles de verdure,
— jusqu’à ce que, tournant par un dernier coteau,
Nous eûmes retrouvé la route du château,
Où d’abord, en entrant, la pelouse apparue
Nous offrit du plus loin une enfant accourue,
Jeune fille demain en sa tendre saison,
Orgueil et cher appui de l’antique maison,
Fleur de tout un passé majestueux et grave,
Rejeton précieux où plus d’un nom se grave,
Qui refait l’espérance et les fraîches couleurs,
Qui sait les souvenirs et non pas les douleurs,
Et dont, chaque matin, l’heureuse et blonde tête,
Après les jours chargés de gloire et de tempête,
Porte légèrement tout ce poids des aïeux,
Et court sur le gazon, le vent dans ses cheveux.
</poem>
 
:SAINTE-BEUVE.
:Au Marais, ce 22 août.