« Histoire de l’école d’Alexandrie par M. Matter » : différence entre les versions

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Jules-César incendia le quartier de la ville qui contenait la première. Rien n’égale l’activité que déployèrent les savans du musée sous la dynastie des Lagides. Pendant que les rois prescrivaient des voyages maritimes, des chasses lointaines, entretenaient à grands frais des collections d’animaux rares et précieux, achetaient de tous côtés des ouvrages, payaient au poids de l’or les manuscrits d’Aristote, et instituaient dans Alexandrie des jeux et des combats poétiques, les membres du musée et tous les savans que la bibliothèque, le musée et la libéralité des princes attiraient à Alexandrie, s’occupaient sans relâche de la révision, de la transcription, du classement des manuscrits. Les Zénodote, les Ératosthène, les Apollonius, les Callimaque, présidèrent successivement à la bibliothèque, et c’est sous cette habile direction que les diorthotes et les chorisontes accomplirent leur œuvre patiente. Tous les poètes, tous les historiens, tous les philosophes, furent revus, commentés, annotés. Les éditions excellentes, des abrégés et des compilations sans nombre, furent le fruit de tout ce travail, et Callimaque, au nom du musée, publia une classification par pléiades des poètes, des savans, des philosophes. Les illustres parmi les vivans et parmi les morts furent présentés officiellement dans l’ordre de leur mérite respectif à l’admiration des peuples, et le musée devint comme un tribunal qui dispensa la gloire, et jugea sans appel toutes les productions de l’esprit humain.
 
Il est remarquable qu’au milieu de cette activité, les critiques et les philologues abondent, tandis que les historiens, les poètes, et surtout les philosophes, font défaut. Ainsi, d’un côté, Alexandrie semble être devenue le plus grand centre d’activité littéraire, car elle possède une bibliothèque qui efface toutes les autres, et même celle de Pergame, la gloire et la passion des Attales ; elle a, dans son musée et à la tête de sa bibliothèque, des savans dont l’érudition et la sagacité n’ont pas été surpassées ; mais si l’on cherche le mouvement philosophique, on trouve que les chefs des écoles grecques refusent les honneurs du musée, et daignent à peine envoyer quelqu’un de leurs disciples pour y tenir leur place. Arcésilas et Carnéade, dans l’académie ; Critolaüs, parmi les péripatéticiens, Cléanthe, Chrysippe, Zénon de Tarse dans l’école stoïcienne, pour celle d’Épicure, Polystrate et Basilides, ce sont là les véritables chefs de la philosophie de ce temps. Il semble que cette civilisation factice, produite par l’or des Ptolémées, ne puisse aboutir qu’à des travaux d’érudits et de compilateurs. Il n’y a là qu’une apparence de mouvement et de prospérité : on y conserve, on y entretient le trésor amassé par les poètes et les Philosophes,
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et les Philosophes, mais on n’y ajoute plus. Il n’importe ; cette érudition, pour un temps stérile, produira plus tard ses fruits. Quoique les écoles philosophiques de la Grèce n’aient à Alexandrie que des représentans obscurs, elles y sont cependant représentées ; les traditions religieuses de l’Égypte s’y conservent au fond des sanctuaires ; les Arabes, les Perses et surtout les Juifs remplissent la ville ; toutes ces doctrines placées en présence, et qui vivent ensemble sans se combattre, fournissent au moins la matière d’une érudition qui pourra devenir féconde ; c’est l’avenir d’un éclectisme le plus érudit et le plus compréhensif qui fut jamais.
 
Il y avait peut-être une cause à cette stérilité philosophique, et si M. Matter, qui la remarque sans l’expliquer, avait comparé la situation des esprits à cette époque en Grèce et dans Alexandrie, il aurait trouvé le secret de cette infériorité des philosophes alexandrins. En Grèce, où les écoles socratiques avaient jeté tant d’éclat dès leur principe, où elles répondaient si bien au caractère national, où la présence d’écoles rivales entretenait le feu sacré dans tous les esprits, un grand mouvement philosophique n’était pas seulement naturel, il était en quelque sorte nécessaire. Mais l’Égypte, toute grecque qu’on avait voulu la faire, était demeurée l’Égypte. Ce vieux peuple, fier de sa vieillesse et de ses traditions, serré autour de ses prêtres et regardant toujours le passé, n’avait pu être entamé dans ses mœurs et dans ses croyances. Le génie plus mobile des vainqueurs avait subi au contraire l’influence des mœurs égyptiennes. Quelques sophistes venus des îles, et qui formaient la cour frivole et dissolue des Lagides, conservaient toute la légèreté de leur caractère national ; mais les membres du musée, fixés à Alexandrie, attachés à l’Égypte, placés sous la présidence d’un prêtre, avaient contracté à la longue une certaine affinité avec cette immuable civilisation, et quelque chose de religieux, de sacerdotal, s’était peu à peu glissé dans leurs esprits. Les Lagides eux-mêmes, dont la politique était d’amener une fusion qui ne se réalisa jamais complètement, s’étaient appliqués avec persévérance à faire naître et à entretenir chez les Grecs le respect des traditions, cette première religion de l’Égypte. La philosophie n’avait donc en Égypte qu’un intérêt de pure spéculation, et la tendance commune des esprits les portait à s’attacher aux dogmes traditionnels et à respecter tout ce qu’avaient consacré les siècles. L’érudition mise à la place de la réflexion, la foi implicite que réclame chaque religion accordée à toutes simultanément, les doctrines philosophiques assimilées aux dogmes religieux, tel est le caractère général qui se