« De la popularité de Napoléon » : différence entre les versions

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Lorsque sur le rocher de Sainte-Hélène, loin de cette scène du monde qu’il avait remplie si long-temps, Napoléon se rendait à lui-même ce compte que Dieu et la postérité allaient lui demander bientôt, sa vie lui apparaissait sous ces deux faces, et vainement essayait-il de faire concorder l’une avec l’autre. De là ces conversations singulières où les explications les plus étranges sont données aux évènemens les plus authentiques, où, pour excuser des actes réprouvés par l’opinion, on dispose tout un long avenir dans lequel ces actes devaient changer de caractère et de nature ; de là ces commentaires destinés à la fois et à dévoyer l’histoire et à se tromper soi-même. Mais en vain le grand homme, rendu à sa conscience et à la solitude, essayait-il de systématiser sa vie ; le décousu de ses plans, la mobilité de ses projets, l’inanité même de sa gloire, revenaient peser sur sa tête. Se dégageant alors des vanités de la terre, il rappelait dans son cœur ce Dieu de ses premières années, sous la main duquel il avait marché en aveugle instrument de sa providence et de sa justice : sublimes communications où dut s’illuminer pour lui la mystérieuse obscurité de sa vie ! sublime retour qui abaissa dans son néant celui devant lequel s’était tu le monde !
 
Alexandre, César, Charlemagne, Napoléon, quatre ouvriers marqués entre tous pour creuser le lit où s’épanche le flot des siècles ! L’un, ouvrant l’Asie aux investigations de l’Europe et préparant l’union féconde du génie grec avec celui de l’Orient ; l’autre, conviant tous les peuples aux mêmes droits et à la même œuvre, et déblayant le sol où doit s’élever bientôt le grand édifice dont la Judée pose la premièpremière
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 22.djvu/868]]==
re pierre ; Charlemagne, constituant l’Europe moderne sur la papauté et sur l’empire ; Napoléon, substituant à la hiérarchie féodale l’élément d’une organisation nouvelle, obscure encore, mais déjà puissante ; ces noms-là appartiennent à l’humanité tout entière, aucun peuple ne doit les revendiquer au point de vue d’une nationalité égoïste et jalouse.
 
Et c’est cette tombe si grande entre toutes que l’on aurait voulu jeter sur une place publique, au milieu d’une foule distraite et bruyante ; ce sont ces restes que l’émeute eût insultés de ses clameurs et qu’un patriotisme de caserne aurait inhumés au pied d’un monument tout militaire, comme ceux d’un soldat mort sur la brèche ! La France échappera, grace au ciel ! à cette double profanation de la mémoire des grands hommes et de la religion des tombeaux. C’est assez dans sa capitale d’une sépulture glacée, où la mort semble habiter sans consolation et sans réveil, et dont les hommes illustres à laquelle on l’a vouée se défendront par respect pour leur ame immortelle ! Saint Denis est plutôt la sépulture officielle des familles princières que le tombeau des grands hommes, fils de leurs œuvres ; c’est le blason perpétué dans la mort, l’étiquette héraldique assise au seuil de l’éternité. La Madeleine est un monument commencé sans but, exécuté sans inspiration, où toutes les croyances sont mal à l’aise, parce que toutes y sont faussées ; cette église, dont on pourrait faire à volonté un théâtre, une bourse ou un bazar, et que le peuple n’entoure pas plus de ses respects que de son silence, n’est pas un séjour assez austère pour recevoir le dépôt que l’Angleterre rend à la France en signe de réconciliation et de paix. C’est à l’ombre de la croix et non pas au pied des colonnes triomphales que les peuples libres se donnent la main, et une sépulture chrétienne peut seule, selon une noble parole, ensevelir à jamais ce qui survit encore de tant d’inimitiés séculaires.