« De la popularité de Napoléon » : différence entre les versions

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{{journal|De la popularité de Napoléon|[[Auteur:Louis de Carné|Louis de Carné]]|[[Revue des Deux Mondes]] T.22, 1840}}
 
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La France donne à l’Europe, depuis deux semaines, un spectacle dont elle doit éprouver le besoin de se rendre compte à elle-même ; car il n’en est pas de plus propre à provoquer de sérieuses méditations. A peine un ministre eut-il annoncé à la tribune législative qu’une pieuse restitution était sur le point de s’accomplir, que l’assemblée, faisant trêve et aux divisions qui la partagent et aux intérêts si vivement excités, sembla subir la puissance d’un souvenir prestigieux, et laissa éclater une acclamation semblable à la voix long-temps contenue de tout un peuple. Sortie de l’enceinte législative, la grande nouvelle circula comme font les bruits populaires, jusqu’aux extrémités du royaume ; et à cette heure le seul évènement pour la France, des grèves de la Bretagne aux chaumières des Pyrénées, c’est que les restes de l’empereur vont, après vingt années, traverser l’Océan pour reposer aux bords de la Seine, dans son dernier tombeau, selon son dernier vœu. Il n’est pas un vieux soldat qui ne se redresse sur le soc de sa charrue, pas un enfant qui n’écoute avec un redoublement d’attention les merveilleuses histoires de l’empire ; il n’est guère de familles, il n’est pas assurément de lieu public où ne se soit produit de quelque manière ce sentiment de toutes les classes comme de tous les âges ; l’on dirait que l’unité nationale s’est concentrée tout entière dans une seule pensée et autour d’une seule mémoire.
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La France doit vivre par une idée ; il lui faut un rôle en Europe, une œuvre à parfaire dans le drame infini dont chaque époque déroule une page. Espérer la parquer dans le soin de ses intérêts et de son bien-être, et parce qu’en une certaine région les ames se sont flétries au contact de l’égoïsme, croire qu’on aurait raison du génie national, c’est à la fois impertinence et folie. On amortira certaines résistances, on corrompra certains hommes ; mais on n’ira pas, Dieu merci ! jusqu’au cœur de la nation, et toujours il battra pour les grandes choses. Que la France apprenne donc, en méditant sur cette tombe, le rôle nouveau que lui font les temps ; qu’après avoir entr’ouvert par le fer le sol européen, où elle ensemença ses idées ; elle sache les faire mûrir par sa modération et par sa prudence ; qu’elle se porte la tutrice de tous les faibles, la protectrice de toutes les libertés menacées et de toutes les nationalités vraiment vivantes ; qu’elle accepte sans marchander en Afrique sa part difficile dans l’œuvre le la civilisation des peuples ; que vouée tout entière à une activité désintéressée, mais vigilante, elle protège l’Europe et l’Asie contre la double ambition qui les menace ; qu’elle apparaisse enfin dans le monde politique comme la vivante expression de la justice et du droit. Alors elle n’aura rien à regretter des gloires de l’empire, rien à craindre de ses souvenirs, et le pouvoir cessera de chercher à travers tant de tâtonnemens et d’obscurités un but pour ses efforts, un point d’appui pour ses épreuves.
 
Efforts laborieux, épreuves multipliées, tâtonnemens et obscurités inévitables ! Lorsqu’une société s’est reposée sur le bras d’un grand homme, en devenant un instrument entre ses mains, si cet homme disparaît soudain de la scène du monde, il se fait alors un vide immense qu’il faut parfois plusieurs générations pour combler. Accoutumés à s’abdiquer eux-mêmes en face de ce substitut de la Providence, ne discutant pas plus devant sa force que devant la foudre ou la tempête, les peuples perdent pour un temps quelque peu de la spontanéité de leur pensée et de la liberté de leur action, et toutes choses se produisent dans une confusion inévitable. Ainsi nous poursuivons depuis un quart de siècle le développement de certains principes, la conciliation de certaines idées, destinées à trouver place dans l’organisation nouvelle que l’empire eut mission de préparer pour l’Europe ; mais la forme définitive de ces idées est loin d’être encore nettement dessinée, et le monde ne pressent pas plus clairement le but vers lequel il se dirige, qu’aux temps orageux qui marquèrent la chute du vaste édifice élevé par Charlemagne. Puisse cependant la France garder religieusement sa foi en elle-même ! puisse son gouvernement comprendre que la première condition de durée qui lui soit imposée par la Providence, c’est d’accepter dans toute sa plénitude une glorieuse initiative ! La France n’abdiquera les souvenirs de l’empire que sous condition de rester grande aux yeux du monde comme aux siens. Cette condition remplie dans la mesure que comporte l’esprit de nos libres et pacifiques institutions, laissez faire les ridicules parodistes et les apologistes boursouflés ; le pays sifflera les uns et méprisera les autres. Il verra combien est rapide la pente par laquelle la démagogie glisse dans la servitude, et il en respectera davantage cet ordre constitutionnel dont le mécanisme difficile nourrit et entretient, il est trop vrai, bien des misères, mais qui nous épargne du moins aux yeux du monde cet éclatant et dernier scandale de répudier aux pieds du despotisme les principes au nom desquels nous avons remué l’Europe.