« Chronique de la quinzaine - 31 janvier 1840 » : différence entre les versions
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La comédie de ''l’École du Monde'' est assez agréable à la lecture ; elle n’a rien qui choque ; on ne laisse pas de s’intéresser à Émilie ; les autres caractères y sont assez bien esquissés ; on n’y manque pas aux usages ; il y a dans le dialogue de la correction, une certaine élégance, quelques traits spirituels. L’auteur se plaint qu’on l’ait traité en ''novateur'' ; il ne l’est pas le moins du monde, et il n’a pas là-dessus à se justifier. On lui a contesté encore la vérité des mœurs qu’il s’est piqué de rendre et l’espèce de haute société où il s’est voulu tenir. C’est M. Janin, dans les très spirituels feuilletons qui récidivent depuis quelque temps sous sa plume de plus en plus heureuse, c’est lui qui a intenté et soutenu l’accusation. Le grand monde, l’espèce de grand monde où s’est confiné M. Walewski, existe-t-il dans cette pureté au milieu de nous, ou n’est-il qu’une convention scénique ?
La question, s’il m’est permis d’intervenir en si grave controverse, n’est pas là à mon sens. M. Janin, dans ses feuilletons sur la pièce de M. Walewski, a contesté la réalité de ce grand beau monde, comme dans sa lettre sur ''l’École cles Journalistes'' il avait contesté la réalité du vilain monde des journaux. Je crois que l’un et l’autre existent plus qu’il ne l’a dit, et lui-même il le sait aussi bien que moi. Mais que fait M. Janin, quand il a un feuilleton à écrire ? Il considère son sujet en plein, sans tant de façon, rondement ; il voit ce qu’il en peut faire avec esprit, avec verve, avec bon sens à travers ; son parti pris, il va ; il s’agit, avant tout, que son feuilleton ait vie, qu’il se meuve, qu’il amuse ; son feuilleton, c’est sa pièce à lui, il faut qu’elle réussisse ; il ne l’écrit pas ce feuilleton, il le joue. Le plus ou moins de vrai et de réel dans le détail, que lui importe ? S’il a mis le doigt au milieu sur une idée juste et jaillissante, cela lui suffit. Il pousse au bout et il a gagné son jeu. Eh bien ! pour nous en tenir à M. Walewski, l’essentiel reproche à lui adresser, c’est de n’avoir pas fait en grand, avec son sujet, précisément comme M. Janin fait avec son feuilleton. Le mouvement dramatique, comique, voilà ce qui lui a surtout manqué. En petit comme en grand, ne l’a pas qui veut. Dampré est vrai, je le crois volontiers ; nous savons tous une quantité de Dampré qui ne sont occupés, en effet, qu’à ce genre de séduction et à tendre leurs filets soir et matin. C’est le Valmont des ''Liaisons dangereuses'', un peu moins sensuel et moins pressé d’arriver, c’est le don Juan, plus civilisé et sans trop d’esclandre. Mais il ne s’agit pas de savoir si Dampré et la duchesse, et chacun des personnages pris un à un, et trait pour trait, peuvent être plus ou moins des copies d’un certain monde réel ; il s’agit de savoir si tout cet ensemble est comique, intéressant, saisissant. Vous seriez La Bruyère et vous peindriez Onuphre (lequel est une critique pointilleuse et un contre-pied de Tartuffe
Le monde est plein de détails plus ou moins piquans à noter, à relever entre soi, mais qui ne sont matière à drame ni à comédie. Le monde restreint, choisi par M. Walewski pour les évolutions de son œuvre, peut exister quelque part, et il existe plus ou moins ; mais il n’offre guère rien que de glacé. M. Walewski, en voulant y être fidèle de ton, a précisément compromis sa pièce ; quand Molière a voulu faire rire aux dépens des ''précieuses'', il a eu grand soin de charger. D’ailleurs, les restes de l’hôtel Rambouillet étaient encore menaçans du temps de Molière, et voilà pourquoi il en voulait, avant tout, déblayer la scène, afin d’y établir son franc-parler. Ici, rien de moins menaçant pour le gros du public que ce coin de monde de Dampré, de la duchesse et du commandeur : n’étant ni plus menaçant ni plus amusant qu’il ne l’est, il n’y avait nulle urgence de s’en occuper.
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Les scènes ''assises'', dont il a été tant question, sont clairsemées de petits traits, de petites épigrammes anecdotiques qui ne seraient piquantes que si on en savait les personnalités, et qui ne peuvent, dans aucun cas, passer pour plaisantes. Nulle verve, nulle saillie, ni imprévu de détail ; toutes les surfaces semblent exactement frottées et polies. La plus grande invraisemblance dans une pièce si exacte d’étiquette est cette lettre remise à Dampré en pleine soirée chez la marquise, et décachetée devant tout le monde. Et que deviendrait la mince action de la pièce sans cela ?
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'''Confession générale''', par M. Frédéric Soulié
Dans tous les livres de M. Soulié se retrouve l’empreinte d’une imagination féconde. Certes, l’auteur n’est pas avare de descriptions, de personnages, de situations ; au besoin, il amplifie les évènemens, les descriptions se dilatent et s’étendent, les situations se compliquent à l’infini ; puis le romancier mène à sa guise les personnages, les pousse au hasard de la passion, les tuant quand ils le gênent, les mettant dehors sans reparler d’eux quand ils deviennent une entrave. Les caractères ne lui coûtent pas davantage, il les prodigue ; mais les traits sont partout appuyés, et le crayon pousse incessamment au noir. C’est que la main se fatigue à la longue dans cette continuelle mise en œuvre, dans cette fécondité sans arrêt que rien ne contrôle, qui se produit la même sous toutes les formes, qui donne aujourd’hui en feuilletons ce qu’elle doit donner demain en romans, en romans ce qu’elle doit traduire demain en drames. C’est l’histoire du repas des langues d’Ésope ; seulement le public pourrait bien n’être pas toujours d’aussi bonne humeur que Xantus. Hélas ! les feuilletons passent, les drames attirent un instant la foule curieuse pour disparaître bientôt de l’affiche ; et, quand les feuilletons du journal sont devenus des volumes, ce sont souvent des histoires aussi vieilles et aussi ennuyeuses que les vieilles nouvelles, que les vieux articles politiques du journal. Il y a un autre malheur ; les volumes s’accumulent et demeurent comme les témoins accusateurs du passé. Alors arrive le jour où chacun se demande ce qu’est devenu l’art en définitive dans de pareilles conceptions, et si cette hâte besogneuse, si cet entassement multiple des mêmes choses sous tant de formes, sont exclusivement intellectuels ; si, enfin, c’est bien là de la littérature ? - On prétend en bonne économie politique que la création des machines n’est pas à regretter ; mais les lettres ne ressemblent pas à l’industrie, et là il faut, avant tout, admirer l’ouvrier patient, consciencieux, qui se consacre à son œuvre et ne remplace pas la perfection par le nombre. Le génie lui-même ne suffirait pas à une semblable prodigalité d’improvisation. Décidément, au train dont y vont nos contemporains, Lope de Vega ne sera bientôt plus une exception. Il est vrai que les ''maréchaux de France littéraires'' ne peuvent se contenter, comme les humbles, de quelques sentinelles sûres, et qu’il leur faut tout au moins un gros corps d’armée. Peu importe donc le choix des recrues. Cela fait bonne figure dans la plaine.
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M. Soulié, employant à un endroit le mot ''désétouffer'', prévient en note que l’expression n’est pas française. C’est un avertissement qu’il aurait fallu rendre plus fréquent. Malgré toute sa verve et tout son talent, M. Soulié écrit trop pour écrire bien.
'''Le marquis de Létorière''', par M. Eugène Sue
Il est vrai que M. Sue pourrait prendre ici la critique en apparente contradiction. On lui a dit bien souvent : Pourquoi ces prétendues intentions philosophiques ? Faites plutôt de bons romans qui ne prouvent rien, qui n’aient point de prétention à la profondeur érudite, mais qui plaisent et amusent. Aujourd’hui M. Sue n’est pas ennuyeux à coup sûr, il n’est ni savant ni philosophe, et cependant, la lecture de son livre achevée, on est en droit de lui adresser la question de d’Alembert sur une tragédie de Racine : « Qu’est-ce que cela prouve ? » Seulement d’Alembert disait une sottise, et l’objection de la critique serait au contraire fort sensée. D’admirables vers ne touchaient pas une nature sèche de géomètre, rien de plus naturel. Mais où est dans le livre de M. Sue la valeur littéraire ? quelles nuances délicates de sentimens ont été surprises par l’observateur ? quels caractères dessinés ? quelle éternelle vérité mise en relief sous une forme rajeunie et éclatante ? Nous nous intéressons fort peu, pour notre part, à la théorie de ''l’art pour l’art'', comme on dit, ou à la théorie contraire de ''l’utilité sociale'' dans les lettres. En dehors de ces esthétiques transcendantes et fort peu applicables en réalité ; la suprême condition demeure toujours : la beauté. Je ne m’imagine pas que M. Sue ait eu la prétention d’y atteindre et qu’il ait voulu donner ''le Marquis de Létorière'' autrement que comme un conte qui se laisse lire et dont quelques pages sont d’un assez bon comique.
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Dix ou douze lignes des ''Mémoires'' apocryphes de Mme de Créquy ont servi de thème à cette histoire facilement racontée, et qui n’est pas assez prétentieuse pour que la critique y attache plus d’importance que l’auteur n’a prétendu lui en donner lui-même. C’est en somme un récit assez piquant ajouté à tous les romans qui le sont déjà. Mais cela suffit-il, et où est l’art ?
'''Chroniques chevaleresques d’Espagne et de Portugal''', publiées par M. Ferdinand Denis
'''Histoire des Français depuis les Gaulois''', par M. Th. Lavallée
M. Lavallée a divisé son travail en grandes époques. La première comprend l’histoire de la Gaule avant et pendant la conquête romaine ; viennent ensuite les invasions barbares ; puis, avec le Xe siècle, commence une époque nouvelle, que l’auteur appelle l’âge héroïque de la féodalité. L’église aspire et atteint en quelque sorte à la monarchie universelle ; mais, dans l’éternelle vicissitude des choses humaines, l’église descend bientôt de ce rang suprême. La monarchie féodale, appuyée sur les états-généraux, domine la société du XIVe au XVIe siècle, et fait place à son tour, lors de l’avènement des Bourbons, à la monarchie absolue. On arrive ainsi à 89. Sur cette route, il conviendrait peut-être de déplacer quelquefois les jalons. Une ère nouvelle ne commence pas ainsi pour les sociétés à telle année, à tel quantième, et il faut quelquefois se défier des époques, presque autant que des ''mythes'' et des ''élémens'' ; mais, pour être juste, on doit reconnaître que les divisions adoptées par M. Lavallée sont en général exactes. Elles attestent un remarquable esprit d’ordre et de méthode ; et si parfois elles donnent au livre une certaine sécheresse, je préfère encore, et de beaucoup, cette rigueur qui marche au but par la ligne droite, aux ambages et aux détours sans fin d’un lyrisme érudit, qui vise à l’épopée à propos des capitulaires. La méthode, la clarté, telles sont donc les qualités dominantes du livre de M. Lavallée, livre consciencieux où il y a bien des parties estimables, d’abord une connaissance suffisante des documens originaux et des travaux modernes, et aussi une grande sobriété de détails, et une impartialité d’autant plus remarquable, que l’auteur paraît fort épris du passé et des splendeurs du moyen-âge. Après avoir blâmé, quand il y a lieu, M. Lavallée fouille, jusque dans les replis les plus obscurs, les grandes mémoires historiques, et regarde jusqu’au fond de tous les souvenirs pour voir s’il n’y a pas aussi quelque chose à louer. Louis XI n’est pas seulement pour lui le terrible ami de Tristan ; c’est aussi le politique habile et fort qui suit, même à travers le sang, la voie qu’il s’est tracée, pour acquérir à son pays, au prix de ses propres remords, la force et l’unité. L’auteur est juste envers les erreurs, les ambitions de l’église, bien qu’il ait fait, dès les premières pages, une très religieuse profession de foi, et son respect pour les hautes et mystérieuses destinées du catholicisme n’entrave en rien la liberté de sa critique ; mais, par malheur, M. Lavallée n’a point échappé complètement à l’influence des idées ''humanitaires''. Il voit des élémens de progrès là où d’autres seraient disposés à ne voir que de tristes et lamentables désastres, et il se console volontiers de la honte de Courtray, de Crécy et d’Azincourt, attendu que ces impitoyables tueries de nobles et de barons tournaient, en dernière analyse, au plus grand profit des serfs et des vilains, qu’elles débarrassaient de maîtres incommodes. Je doute fort, du reste, que le lendemain de ces mémorables funérailles, ce système de compensation ait trouvé beaucoup de partisans, même parmi la ''pédaille'' des communes. En général, M. Lavallée n’est heureux ni dans l’idée ni dans la forme, quand il rencontre sur sa route « l’humanité en travail et en progrès. » Il est vrai qu’il a souvent occasion de la trouver hors de la voie droite et plus près de la perdition que du salut ; mais il ne se désole point pour cela, car le progrès arrive à son heure, et sous toutes les formes, et l’humanité finit ''par se raser toujours à la porte de l’avenir''. Nous engageons M. Lavallée à ne pas confondre en une même admiration les écrivains qu’il signale dans sa préface comme les sources habituelles de ses inspirations philosophiques, et je ne sais trop comment il ne s’est point perdu dans un labyrinthe inextricable, en suivant tour à tour Bossuet et M. Buchez. Herder et M. Ballanche, Vico et Saint-Simon. Si, comme nous l’espérons, M. Lavallée conduit jusqu’à nos jours son remarquable travail, il lui sera difficile, sans aucun doute, de dégager avec unité, d’après les systèmes divers de ces esprits élevés, ''la formule humanitaire et progressive'' de notre société moderne, surtout en la soumettant au contrôle des souvenirs officiels du ''Moniteur''.
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