« Lettre du prince Napoléon (Jérôme) » : différence entre les versions

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Monsieur,
 
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Les sentimens particuliers de l'auteur au sujet de l'empereur, de sa famille et de la période impériale, sentimens que l'indépendance de son caractère et de ses opinions ne lut permet pas de dissimuler, sont peut-être trop vifs pour pouvoir se concilier avec l'impartialité de l'historien. Toujours est-il que, volontairement ou faute d'une analyse assez approfondie de la question, M. d'Haussonville confond les deux élémens distincts dont se compose le mariage de Baltimore : l'élément civil et l'élément religieux. Il semblerait, à lire l'article du 1er mai, qu'il n'y avait pour l'empereur, pour la France de 1805, qui était déjà celle du code civil et du concordat, d'autre moyen de rompre le mariage du prince Jérôme et de Mlle Paterson que d'obtenir du pape une déclaration de nullité. Et, comme l'auteur arrête l'exposé de l'affaire à un premier refus du saint-siège, le lecteur se trouve induit à conclure que le mariage n'a jamais été régulièrement invalidé. Est-ce vraiment écrire l'histoire que de présenter le commencement d'un fait sans le compléter? L'auteur pourtant ne procède pas autrement : après avoir relaté le premier refus du pape, il n'ajoute pas que le souverain pontife a finalement reconnu la
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nullité du mariage contracté par mon père en Amérique, car c'est bien le pape Pie VII qui a fait bénir et célébrer par son représentant religieux le mariage du prince Jérôme avec la princesse Catherine de Wurtemberg, ma mère. Serait-il juste, en retraçant, par exemple, l'historique de la bataille de Marengo, de dire que les Français ont commencé par être battus, sans ajouter qu'un heureux retour offensif leur a fait gagner la bataille à la fin de la journée? Or j'ai cherché en vain dans l'exposé la simple conclusion que le saint-père avait reconnu le peu de fondement de ses premiers scrupules, et qu'il avait donné la bénédiction religieuse au second mariage du prince Jérôme.
 
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En 1803, après la rupture de la paix d'Amiens, Jérôme Bonaparte, jeté sur les côtes des États-Unis par les hasards d'une croisière aux Antilles interrompue par les Anglais, s'éprend de la fille d'un riche négociant de Baltimore, Mlle Elisabeth Paterson. Le 25 octobre, le jeune officier de marine signifie au consul-général de France à Washington, M. Pichon, que son intention est d'épouser prochainement cette jeune personne. M. Pichon, devinant toute la gravité qu'une pareille décision peut avoir pour l'avenir du frère du premier consul, rédige trois protestations; l'une adressée à Jérôme, l'autre à M. Paterson, la troisième à l'agent consulaire à Baltimore, avec ordre à ce dernier de remettre à M. Paterson
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la lettre qui lui est destinée et de dresser procès-verbal de cette remise. Ces trois pièces portent en substance : « La loi du 20 septembre 1792 déclare nul le mariage contracté par une personne âgée de moins de vingt et un ans sans le consentement de ses père et mère. Le code civil promulgué en mars 1803 établit la même cause de nullité, en étendant la limite d'âge jusqu'à vingt-cinq ans. Jérôme Bonaparte, âgé de dix-neuf ans, s'il contracte mariage sans le consentement de Mme Lætitia Bonaparte, sa mère, contractera un mariage invalidé par la loi de 1792 et par celle de 1803. »
 
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Pour se rendre bien compte de la nature de cet acte, il faut rappeler qu'aux termes du code civil tout Français qui se marie à l'étranger selon les formes usitées dans le pays où il se trouve contracte un mariage reconnu valable par la loi française, sous certaines conditions essentielles parmi lesquelles figure en premier lieu le consentement des parens qui, s'il n'est pas obtenu, entraîne la nullité du mariage. Dès que cet acte fut connu en France, on s'occupa d'en faire prononcer l'annulation. Si Jérôme n'avait été qu'un simple particulier, la déclaration de nullité n'aurait pas souffert la moindre difficulté : sa mère, Mme Laetitia Bonaparte, eût introduit auprès du tribunal de la Seine une demande en nullité de mariage fondée sur le défaut de son consentement, et le tribunal eût invalidé l'acte de Baltimore conformément aux principes les plus élémentaires du droit commun; mais à partir de mai 1804 la personne de Jérôme avait passé sous un droit exceptionnel. Les conséquences du sénatus-consulte du 28 floréal an XII soumettaient la famille de l'empereur à la juridiction du chef de l'état, Jérôme, pour le jugement de la validité de son mariage, relevait non plus d'un tribunal ordinaire, mais de son souverain, Napoléon Ier. Ce changement de situation entraîna nécessairement un changement de procédure. Le 22 février 1805, Mme Laetitia Bonaparte déposa entre les mains de M. Raguideau, notaire à Paris, une protestation contre le mariage de son fils, et les 2 et 21 mars l’empereur signa deux décrets qui frappaient cette union de nullité. Ce
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ne fut nullement un acte de souveraineté politique qu'accomplit ainsi l'empereur; ce fut un acte judiciaire, sa compétence et sa juridiction personnelles se trouvant substituées, en ce qui regardait les membres de sa famille, à celles de la justice ordinaire. Ces décrets, rédigés par Cambacérès, légiste consommé, sont conçus dans cet esprit : la nullité du mariage ne résulte pas de l'absence du consentement impérial; à l'époque de la célébration du mariage à Baltimore, Jérôme n'avait pas besoin du consentement de son frère pour se marier; la nullité prononcée résulte uniquement du défaut du consentement maternel.
 
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Il m'est impossible de suivre ce long procès à travers la filière
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judiciaire qu'il a parcourue jusqu'à ce que toutes les juridictions aient été épuisées. Sous quelque forme que se soient produites les protestations contre la nullité du mariage de 1803, elles ont été condamnées par le conseil de famille, par le tribunal de la Seine, par la cour impériale. Je regrette vivement que la persistance de l'esprit de parti à entretenir le public d'une affaire si complètement et si irrévocablement terminée me force à citer encore les termes dont la justice s'est servie pour reconnaître la vérité et nous donner gain de cause. Je me bornerai au dernier considérant de l'arrêt de la cour impériale en date du 1er juillet 1861, considérant qui résume tout le procès :
 
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L'empereur n'avait eu garde de les confondre. Par les décrets de mars 1805, il avait résolu l'une définitivement ; au mois de mai de la même année, il demanda au pape de résoudre l'autre, en déclarant religieusement nulle l'union contractée devant l'évêque Caroll. C'était uniquement par convenance religieuse et dans l'intérêt du catholicisme que l'empereur s'adressait au saint-siège, car, à tout prendre, il n'avait pas besoin de son intervention pour rendre à son frère la liberté matrimoniale, telle que la comportait la loi française. L'auteur de l'article se trompe dans cette circonstance en parlant ironiquement de ces sentimens de Napoléon. Sa sincérité ne pourrait sérieusement être mise en cause : il lui répugnait de donner, dans sa propre famille, l'exemple de l'indifférence religieuse, et d'être le premier, dans la personne de son frère, à se priver d'une sanction que la législation n'imposait pas aux citoyens, mais
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dont sa politique recommandait le respect. A cette ouverture, le pape répondit par un refus, et M. d'Haussonville cite à peu près en entier la lettre du saint-père.
 
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Quels qu'eussent été les motifs de sa première résistance, le pape n'y persista pas; s'il ne rendit pas lui-même une bulle pour l'annulation du mariage, il permit que l'officialité diocésaine de Paris prononçât cette annulation par décision du 6 octobre 1806. Le 23 août 1807, le mariage religieux du roi Jérôme et de la princesse Catherine de Wurtemberg fut célébré en grande pompe dans la chapelle des Tuileries. Le prince primat, assisté de plusieurs évêques, officia et donna la bénédiction nuptiale aux époux. Le prince primat n'était ni un prélat français ni un sujet de Napoléon. C'était un prince souverain. On ne supposera probablement pas qu'il ait célébré le mariage de Jérôme sans l'assentiment du pape et en opposition, sur un si grave sujet, avec l'autorité de l'église et du saint-siège; cette célébration n'est-elle pas la reconnaissance de la radicale nullité du premier, mariage au point de vue religieux?
 
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Enfin j'ajouterai que, sous la restauration, ce même pape Pie VII donna pendant quelque temps à Rome un généreux asile au prince Jérôme, errant et proscrit, et prodigua à ma mère, quoique protestante, les marques d'une estime et même d'une affection toute particulière dont j'aime à me souvenir. En agissant ainsi, peut-on croire qu'il fût encore sous l'empire des préoccupations que lui avait inspirées la lettre de juin 1805 sur la validité canonique du mariage de Baltimore? C'est ce que personne n’a jamais soutenu, pas même le célèbre avocat de la légitimité que j'ai eu pour adversaire devant les différentes juridictions dans toutes les phases de cette longue affaire, et dont les éloquentes plaidoiries ont visiblement influencé les jugemens de M. d'Haussonville.
 
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L’auteur de l'article du 1er mai, nous le reconnaissons, indique la source où il a puisé ces révélations d'une si grossière invraisemblance; mais sans qu'un seul mot de sa part donne à entendre qu'il ne les accueille qu'avec réserve, sinon avec défiance. Cette source est un livre qui a paru en 1858 sous le titre de ''Mémoires du comte Miot de Mélito''. Je demande à l'opinion publique de condamner formellement ce système littéraire, en vertu duquel un fait, parce qu'il est rapporté dans un écrit imprimé, acquiert pour un auteur le caractère de la certitude historique au point d'être enregistré par lui sans commentaires. Il n'y a pas de
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fausseté, d'erreur, de calomnie, qu'il ne soit possible d'accréditer au moyen d'une authenticité de cette nature. Je le dis en thèse générale, mais quant aux mémoires du comte Miot de Mélito je puis préciser les motifs qui auraient dû les faire accueillir avec plus de circonspection par un écrivain du caractère de M. d'Haussonville. Veut-on que des mémoires sur une personnalité aussi exposée aux passions politiques de nos jours que l'est celle de Napoléon Ier et de ses frères puissent être consultés en qualité de documens historiques, il faut évidemment qu'ils n'aient pas été rédigés et publiés sous une inspiration notoirement hostile. Il faut une preuve quelconque de la vérité des documens invoqués. Or quelle apparence de réalité ont les lettres ou les conversations citées dans les mémoires du comte Miot de Mélito? Aucune. Si c'est le comte Miot de Mélito qui a écrit ces mémoires, ce n'est pas lui qui les a publiés. Je ne sais pas quelles sont les notes qu'a pu laisser cet ancien serviteur du roi Joseph, qui a rompu dans la dernière partie de sa carrière les liens politiques qui l'avaient attaché à ma famille. Ce qui est certain, c'est que ces notes, tombées par suite d'alliance de famille entre les mains du général wurtembergeois Fleischmann, ont été publiées par ce dernier longtemps après la mort du comte de Mélito. M. le général Fleischmann était un étranger qui a combattu contre nous, et qui, aimant peu la France, s'est inspiré des ennemis de l'empire et a fait une œuvre de parti. Est-il besoin d'insister sur la valeur historique des mémoires publiés par ce personnage? Ce n'est pas la première fois que les faussetés des mémoires du comte Miot de Mélito ont été rectifiées. Si j'ai bonne mémoire, un de mes cousins, le prince Pierre Bonaparte, a exigé et obtenu une rectification qui concernait son père, le prince Lucien, dans le premier volume de cet ouvrage.