« Chronique de la quinzaine - 30 novembre 1839 » : différence entre les versions

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{{journal|[[Revue des Deux Mondes]], tome 20, 1839|[[Auteur:Victor de Mars|V. de Mars]]|Chronique de la quinzaine.- 30 novembre 1839}}
 
 
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Jusqu’ici l’acte du sultan ne nous frappe que comme un calque dont on veut se faire une arme politique.
 
La déclaration est évidemment l’œuvre d’un Turc élevé à la hâte et à l’école parisienne. Le calque n’est pas trop maladroit, mais c’en est un. Chose singulière ! ce qu’il y a d’emprunté, et qu’on nous permette de le dire, de tiré par les cheveux, c’est le peu qu’on y trouve d’oriental, de musulman. On s’est dit qu’il en fallait ; on a tâché d’y en mettre. Mais cela n’y coule pas de source ; l’Orient et l’Occident s’y touchent ; il n’y a pas d’amalgame. On dit qu’un des hommes les plus influens de notre presse quotidienne a reconnu dans la pièce turque jusqu’aux phrases de ses conversations avec un illustre élève. Nous sommes
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disposés à le croire : diffuse, étalant avec pompe de banales vérités, elle sent l’écolier. A cause de l’éloignement, le maître n’a pu la corriger.
 
Quelle qu’elle soit, elle suffit au seul but que très probablement la Porte s’est proposé. Elle abolit les confiscations ; elle promet une justice régulière ; elle assure que soit en hommes, soit en argent, on ne percevra plus que des impôts modérés et réguliers, que la propriété individuelle sera respectée, que tous les habitans de l’empire seront également protégés contre le pouvoir arbitraire et les violentes exactions des pachas. C’est dire aux Turcs, aux habitans de la Syrie, voire même aux Égyptiens : « Le gouvernement légitime vous promet, et fera pour vous, ce que l’usurpateur n’a pas pu ni ne peut faire. Méhémet-Ali est obligé de vous opprimer pour soudoyer ses armées, ses flottes, et réaliser les projets de son immense ambition. » C’est ainsi que les Bourbons parlaient de l’empereur, et qu’ils promettaient l’abolition des droits réunis et de la conscription. Le coup est de bonne guerre, parce que, en effet, Méhémet-Ali ne peut ni désarmer, ni ménager la bourse de ses sujets, et que, d’ailleurs, lui et ses peuples sont trop Turcs encore pour qu’il pût leur appliquer avec succès les méthodes adroites et fécondes de la finance européenne. La solennité politique et religieuse de la promulgation, et surtout la présence du corps diplomatique, ont dû frapper l’esprit des Osmanlis et des rayas. L’Europe a paru sanctionner, par la présence de ses représentans, les promesses du jeune sultan ; elle a paru dire aux habitans de l’empire : Ceci n’est pas un vain jeu, c’est un engagement solennel que la Porte a pris non-seulement vis-à-vis de ses peuples, mais vis-à-vis de l’Europe. Ayez donc foi dans ses promesses, et confiance dans l’avenir. Ce qui revient à dire : Repoussez les séductions des agens du pacha, secouez son joug, ralliez-vous autour de l’étendard sacré ; l’Europe applaudira à vos efforts, et vous en serez récompensés par une administration régulière et libérale.
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Cette dernière guerre serait plaisante en apparence, sérieuse au fond.
 
On ne jette jamais impunément certaines idées aux peuples, surtout dans les temps de crise et de transition. L’Europe en a fait l’expérience, et l’expérience n’est pas achevée. L’Allemagne, la Pologne, l’Italie, loin d’oublier les promesses
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qu’on leur avait faites, ruminent toujours les idées qu’on leur avait jetées comme un appât. L’Orient, nous nous en réjouissons, n’oubliera pas la déclaration de Gulhané. Quelque peu orientale qu’elle soit pour la forme et pour le fond, quel qu’ait été le but du gouvernement turc, et quelque peu d’empressement qu’il montre à la faire exécuter, elle a proclamé un mot qui trouvera toujours de l’écho dans le cœur humain. Elles ont beau être accoutumées à l’adoration du pouvoir et à la politique du fatalisme, les mots de justice et d’égalité font toujours tressaillir les nations ; ils réveillent des idées, ils excitent des sentimens que nous portons avec nous, et que les institutions ne peuvent jamais oblitérer complètement. Les réformes de Sélim et de Mahmoud, le spectacle des luttes et des guerres civiles qui déchirent depuis longues années l’empire du croissant, le retentissement des grandes révolutions européennes, enfin cet esprit des temps nouveaux, qui, lorsque son jour est arrivé, pénètre partout, altère et modifie toutes choses, ont profondément remué l’Orient et l’ont préparé à de nouvelles destinées que nul ne peut deviner, mais dont l’accomplissement paraît certain.
 
La déclaration de Gulhané n’a été, ce nous semble, qu’un stratagème politique, qu’une ruse honnête. On n’a pas songé aux besoins moraux de la Turquie ; probablement on n’y songe pas le moins du monde. Qu’importe ? C’est presque toujours ainsi qu’agit l’homme ; il accomplit toute autre chose que ce à quoi il pense. D’ailleurs, pourquoi cet expédient ? Pourquoi l’a-t-on imaginé ? On a donc reconnu qu’il pouvait agir sur les esprits et être bon à quelque chose. C’est reconnaître que les habitans de l’empire commencent à ouvrir les yeux. En les conviant à Gulhané, on les a conviés à un spectacle, ne fût-il qu’une comédie, dont on a compris qu’ils peuvent goûter le dénouement. On ne convie pas à de pareilles fêtes des aveugles et des sourds ; ce serait du temps et des frais perdus.
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En attendant, la question d’Orient ne paraît pas marcher à son terme ; loin de là, elle se complique. A supposer que le sultan et le pacha se mettent d’accord, avec ou sans l’intervention de l’Occident, reste la question plus grave encore des relations de la Porte et de l’Égypte avec les puissances européennes. Le traité d’Unkiar-Skelessi sera-t-il renouvelé ? Comment le sera-t-il ? Au profit de qui ?
 
Nous avons fait remarquer, en parlant d’une première tentative russe pour attirer l’Angleterre dans son alliance, que c’était là un essai qui devait se renouveler. Le cabinet russe n’abandonne pas facilement ses projets et celui-là était d’accord à la fois avec son ambition ses sympathies et ses antipathies. Aussi n’a-t-il jamais été abandonné. Rien, au contraire, n’est omis pour gagner le cabinet de Saint-James. Ses exploits et ses envahissemens dans l’Inde ? On ferme les yeux, on en fait semblant du moins. Ses démêlés avec la Perse ? On conseille à la Perse de céder, de tout accorder. Son humeur contre MéhémetAli ? On la partage. Reste ce qui forme, en apparence du moins, le nœud de la question, Constantinople, l’entrée des Dardanelles. La Russie n’hésite pas.
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Elle offre, dit-on, à l’Angleterre de lui faire accorder par la Porte l’entrée de quatre bâtimens de guerre ; la concession ira probablement plus loin, elle s’étendra aux huit vaisseaux que lord Palmerston veut avoir le droit de faire ranger en bataille devant les murs du sérail.
 
Quoi qu’il en soit de ces bruits, nous ne ferons pas au ministère l’injure de croire qu’il ne sait pas à quoi s’en tenir à cet égard. Il n’a sans doute pas oublié que le jour où une flotte anglaise pourrait se déployer devant Constantinople, sans se trouver à côté d’une flotte française pour le moins aussi forte, dussions-nous franchir le passage de vive force, que ce jour-là serait le dernier pour tout ministère qui aurait eu l’étrange courage de rester les bras croisés devant un arrangement qui serait une insulte pour la France. Au surplus, quels que soient les efforts et l’habileté de la diplomatie russe, et les velléités quelque peu téméraires de tel ou tel homme d’état à Londres, nous persistons à croire que le bon sens anglais l’emportera. On compte avec la nation en Angleterre, et la nation sait, malgré toutes les déclamations d’une partie de la presse anglaise, combien l’alliance anglo-française est dans l’intérêt bien entendu des deux peuples.
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En attendant, les craintes qu’inspire la démagogie sont une cause ou un prétexte d’inaction aux frontières. Deux brigades de la grande armée sont rappelées dans l’intérieur pour le maintien de l’ordre. Elles marcheront probablement vers l’Andalousie, où les agitateurs sont plus à redouter, et où ils pourraient plus facilement recevoir de criminels encouragemens. Quoi qu’il en soit, rien n’annonce un coup décisif contre Cabrera avant le printemps, et s’il était vrai que le comte d’Espagne ne fût tombé qu’en vertu d’ordres et d’injonctions dont la junte insurrectionnelle de la Catalogne n’était que le docile instrument, on ne pourrait guère espérer qu’une convention analogue à celle de Bergara vînt mettre fin à la guerre civile. Au milieu de ces difficultés, quel sera le rôle de l’Angleterre à Madrid ? Voudrait-elle exterminer les révolutionnaires au Canada, les sabrer à New-Port et les caresser en Espagne ? Nous verrons bien.
 
La Hollande a reconnu la reine Isabelle et nous fait des ouvertures pour un traité de commerce. Cette démarche mérite toute l’attention de notre
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gouvernement. Il est temps de sortir des fausses voies où nous ont jetés une politique étroite et des intérêts par trop égoïstes. Il faut bien le dire : nous n’en sortirons jamais par des mesures générales, par des lois proprement dites. Tout le monde en sait la raison. Que le gouvernement use de son droit ; qu’il procède par des traités. Les chambres se résigneront à trouver dans un traité particulier, conclu avec telle ou telle puissance amie, ce qu’elles ne voudraient pas adopter dans un projet de loi générale et applicable à toutes les provenances. La Belgique, la Hollande, l’association allemande, l’Espagne, la Suisse, voilà les marchés qu’il faut ouvrir ou conserver à la France, renonçant enfin à la stupide prétention de vendre sans jamais acheter, de faire accepter nos produits en repoussant ceux de nos voisins. Ce serait par trop singulier qu’un ministère où siégent MM. Duchâtel et Passy laissât échapper les occasions qui sont offertes de rectifier l’absurde système que la restauration a imposé à la France.
 
Décidément, le ministère est aussi avare de lettres que M. Viennet en est prodigue. M. Bérenger aussi n’aime pas à être informé de ce qui le concerne par ''le Moniteur'' ou par son portier, s’il y a des portiers dans la Drôme. On dit que M. le président du conseil a réparé l’oubli par une lettre irrésistible ; on ajoute cependant que si elle a donné un membre de plus à la pairie, elle n’a pas assuré une voix de plus au ministère dans la chambre des pairs.
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La mort de M. de Blacas est un fait qui n’est pas sans quelque importance à l’endroit du duc de Bordeaux et des manœuvres légitimistes. M. de Blacas, par ses antécédens et sa vieille expérience, était le conseiller le mieux écouté à la petite cour de Goeritz, et il n’aimait pas les coups de tête et les aventures romanesques. Il se rappelait qu’après de vaines et peu dignes tentatives, les Bourbons n’étaient enfin rentrés en France qu’à la suite d’évènemens fabuleux et tout-à-fait indépendans de leurs efforts et de leur volonté. La France, qui n’a pas aujourd’hui à déplorer les égaremens d’une ambition effrénée, veut la dynastie et le gouvernement de son choix. Elle l’a proclamé en 1830, elle vient de le répéter avec toute l’énergie d’une profonde affection au fils du roi. Le voyage du duc d’Orléans est un grand évènement.
 
Nous ne parlons pas de son excursion en Afrique. Il faut sans doute le remercier de tout le bien qu’il y a fait et de sa vive sollicitude pour le bien-être de l’armée. S’étant rencontré en Algérie avec les fantaisies quelque peu aventureuses de M. le gouverneur-général, le prince a marché aux Portes-de-Fer. II le devait. Il s’y est montré brave, hardi, intelligent, ami du soldat, habile à le diriger, doué de ce coup d’œil et de ce sang-froid qui grandissent l’homme sur le terrain, au milieu des dangers. Qui en doutait ? Le duc d’Orléans avait déjà fait ses preuves ; l’armée le connaissait. L’expédition a réussi ; Dieu en soit loué. Mais sérieusement était-ce là un but à proposer à l’activité du prince royal ? Qu’on se demande ce qu’on aurait pensé, ce qu’on aurait dit, si une intempérie obstinée, si des torrens de pluie, comme il en tombe en Afrique, eussent arrêté la marche de l’expédition, et si l’armée, enfoncée dans les boues épouvantable du sol africain, eût été cruellement décimée par la disette, les
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maladies et les souffrances ? Et tout cela pour faire la découverte d’un chemin et pour échanger quelques rares coups de fusil avec une poignée de Kabaïles ! Encore une fois, on ne doit que des éloges au prince. Se trouvant sur les lieux, il devait marcher aux Portes-de-Fer ; il ne pouvait pas se séparer de bataillons français au moment où ils allaient affronter un péril. Mais l’héritier du trône de France ne doit être appelé qu’à la gloire des grandes choses. Il n’a rien à lui, pas même sa vie ; et ce qui appartient à l’état, ce qui lui est un gage précieux, ne doit être employé qu’aux choses qui intéressent la grandeur et l’avenir de la France.
 
C’est le voyage du prince royal dans les départemens du Midi qui est un grand évènement. Il a scellé le pacte d’alliance de la dynastie de juillet avec la partie de l’empire qu’on prétendait faussement lui être le moins affectionnée On se connaît maintenant. Le temps des sottes calomnies est passé sans retour. S’ils renouvelaient leurs perfides insinuations, les ennemis de notre royauté rencontreraient toujours une de ces réponses foudroyantes : Nous l’avons vu, nous l’avons entendu ; il comprend nos besoins, il sait les affaires ; il nous a secourus, il a intercédé pour nous ; et le peuple n’est pas oublieux.
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Il faut le dire ; nul, les ministres y compris, ne répond hardiment : - Il le doit et il le peut. Ce qu’on entend de plus favorable se réduit à dire : - Il n’y a pas autre chose sous la main, il ne faudrait pas recommencer la crise, les incompatibilités de personnes sont toujours les mêmes, les amours-propres sont toujours aussi intraitables.
 
Ceux qui prétendent approfondir davantage la question ajoutent qu’au fond il n’est aucune partie de la chambre d’où puisse partir une attaque immédiate et sérieuse. Les 221, ou, si l’on veut et pour éviter les ''quiproquo'' auxquels vient de donner lieu le ''Journal de Saône-et-Loire'', que le ministère et le centre gauche opposant ont également interprété à leur avantage, - les centres proprement dits, peu agressifs de leur nature, n’ont aucune raison de se presser. Le ministère a eu beau publier quelques paroles peu mesurées sur leur compte, les centres savent que, pour toute administration qui ne voudra pas bouleverser
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le pays, il n’y a pas de majorité possible sans eux, qu’au fond c’est avec eux que tout ministère marche et doit marcher, et qu’il ne faut pas trop s’indigner des expédiens ingénieux, des paroles adroites qu’on est forcé d’employer pour gagner quelques voix de plus. Dès-lors les 221 attendent les évènemens. Le ministère leur paraît faible ; ils ne croient pas à sa durée, ils ne s’évertueront pas pour la prolonger, mais ils espèrent qu’il pourra se modifier, se renforcer sans secousses et par des hommes qui leur inspirent confiance.
 
Les doctrinaires doivent tout naturellement suivre les mêmes erremens. D’un côté, ils ont une part directe aux affaires ; de l’autre, ils trouvent dans le ministère précisément cette partie du centre gauche avec laquelle ils sympathisaient le plus par leurs théories constitutionnelles et économiques, la partie avec laquelle il y avait véritable coalition.
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===THEATRE-FRANÇAIS===
 
Mlle
Mlle Rachel a reparu avant-hier sur la scène, dans le rôle d’Émilie de ''Cinna''. Jamais public à la fois plus nombreux et plus choisi n’a accueilli avec plus d’enthousiasme, on pourrait dire avec plus d’affection, une artiste justement aimée ; jamais aussi la jeune et charmante tragédienne ne s’est montrée mieux inspirée. Pendant une assez longue maladie, qui heureusement n’était pas si grave qu’on l’a dit, des bruits inquiétans avaient circulé. On avait craint que Mlle° Rachel ne pût jouer de l’hiver ; on avait dit que sa voix avait perdu de cette force, de cet accent pénétrant qui a tant de grace et de puissance. Hâtons-nous de déclarer qu’il n’en est rien, et que la voix n’est pas plus changée que le talent. Émilie a reparu dans tout son éclat, dans toute la simplicité de sa grandeur, dans toute l’énergie de sa passion. Nous n’avons rien à redouter pour l’admirable et précieux talent qui nous a rendu Corneille et Racine, et, grace au ciel, nous n’aurons, cette fois encore, qu’une occasion de plus de dire aux nouvellistes de mauvais augure, comme aux critiques de mauvaise volonté :
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Mlle Rachel a reparu avant-hier sur la scène, dans le rôle d’Émilie de ''Cinna''. Jamais public à la fois plus nombreux et plus choisi n’a accueilli avec plus d’enthousiasme, on pourrait dire avec plus d’affection, une artiste justement aimée ; jamais aussi la jeune et charmante tragédienne ne s’est montrée mieux inspirée. Pendant une assez longue maladie, qui heureusement n’était pas si grave qu’on l’a dit, des bruits inquiétans avaient circulé. On avait craint que Mlle° Rachel ne pût jouer de l’hiver ; on avait dit que sa voix avait perdu de cette force, de cet accent pénétrant qui a tant de grace et de puissance. Hâtons-nous de déclarer qu’il n’en est rien, et que la voix n’est pas plus changée que le talent. Émilie a reparu dans tout son éclat, dans toute la simplicité de sa grandeur, dans toute l’énergie de sa passion. Nous n’avons rien à redouter pour l’admirable et précieux talent qui nous a rendu Corneille et Racine, et, grace au ciel, nous n’aurons, cette fois encore, qu’une occasion de plus de dire aux nouvellistes de mauvais augure, comme aux critiques de mauvaise volonté :
 
::Les gens que vous tuez se portent à merveille.
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::Mais je vivrais à toi, si tu l’avais voulu.
 
On ne reconnaît pas assez à Mlle Rachel la faculté de rendre de tels sentimens. La cause en est peut-être que son premier rôle a été celui d’Hermione, personnage odieux qui n’a jamais l’air tendre, même quand il l’est réellement, parce qu’il se montre toujours plus méchant qu’il n’est à plaindre. Le public s’est habitué à ne voir guère la jeune artiste que sous le semblant d’un caractère farouche, presque intraitable, et peut-être Mlle Rachel elle-même s’est-elle, de son côté, trop accoutumée à se laisser voir ainsi. Il n’en est pas moins vrai qu’elle est, quand elle veut, aussi passionnée, aussi tendre, - si tendresse il y a, - que Corneille, qui, il est vrai, ne l’est pas souvent ; mais arrêtons-nous là : il ne faut pas, même pour louer justement, dire du mal des maîtres, et il faut,
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avant tout, se souvenir qu’avant-hier il y avait quelque chose à cette représentation qui était plus noble que Mlle Rachel, plus intelligent que le public, plus grand que tous ; c’était la tragédie de ''Cinna''.
 
Au reste, le Théâtre-Français est en veine de prospérité pour cette saison. La nouvelle pièce de M. Scribe, ''la Calomnie'', reçue avec acclamation ces jours derniers, doit assurer, dit-on, au fécond et spirituel auteur un rang désormais incontestable, et le mettre hors de pair dans la comédie telle qu’on la peut tenter de nos jours. On parle surtout d’un second acte d’une verve et d’un courage peu vulgaire. La rentrée de Mlle Rachel, la comédie de M. Scribe et le drame de George Sand, en voilà plus qu’il ne faut pour assurer la prospérité d’un hiver.
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— Le succès des ''Lettres sur l’Histoire de France'' est consacré, et ce livre, devenu classique, n’est pas de ceux sur lesquels puisse influer la crise momentanée de la librairie. Aussi la sixième édition vient-elle de paraître il y a quelques jours <ref>Chez Just-Tessier, quai des Atigustins, n° 37.</ref>, en même temps qu’une troisième réimpression de ''Dix ans d’Études historiques'', recueil qui contient, on le sait, les divers articles et fragmens isolés de M. Thierry. Ce dernier livre, qui est le nécessaire complément des œuvres de l’illustre écrivain, a été augmenté cette fois d’un travail important et encore inédit sur quatorze historiens de la France antérieurs à Mézeray. Ce long et intéressant morceau, qui comprend l’examen des écrits de Nicole Gilles, Paul-Émile, Robert Gaguin, Du Haillan, Papyre-Masson, Fauchet, Du Tillet, Pasquier, Hotman, Belleforest, Jean de Serres, Jacques Charron et Scipion Dupleix ; ce morceau, disons-nous, se rapporte à la même date à peu près que ''l’Histoire de la.Conquête''. A l’élévation et à la sûreté des fragmens, à l’étendue de l’érudition, à la perfection du style, on reconnaît en effet la manière et la maturité d’un maître.
 
V. DE MARS
=== no match ===
MARS