« Théatre français - Mademoiselle de Belle-Isle par M. Alexandre Dumas » : différence entre les versions

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{{journal|[[Revue des Deux Mondes]], tome 18, 1839|[[catégorie:Textes anonymes|*]]|Revue théâtrale, 1839 }}
 
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<center>Théâtre-français : Mlle de Belle-Isle par M. Alexandre Dumas</center>
 
 
Entre tant de gens de talent qui se fourvoient, et qui semblent, à chacune de leurs œuvres nouvelles, vouloir réaliser sur eux-mêmes la décadence dont parle le vieux Nestor à l’égard des générations successives, c’est un vrai plaisir qu’un succès soudain, brillant, facile, qui, pour l’un d’eux, remet toutes choses sur le bon pied, et montre qu’une veine heureuse n’est point du tout tarie. M. Alexandre Dumas est un auteur aimé du public, et l’on a applaudi de bon cœur sa spirituelle et vive comédie. On a retrouvé de primesaut l’auteur de ''Henri III'', d’''Antony'', même d’''Angèle'' : de la rapidité, du trait, du mouvement, un entrain animé, impétueux, habile, qui laisse peu de trêve aux objections, qui amuse avant tout et enlève, qui touche quelquefois. La vocation dramatique de M. Dumas est si nettement décidée, qu’il y a lieu de s’étonner qu’il s’en détourne jamais pour des écrits dont l’intérêt unique est encore un reflet de ce talent de scène qui lui a été donné. Dans ses pièces même de théâtre, il a, une ou deux fois, essayé d’un certain genre qui passe, avec raison, pour plus noble, plus sérieux et plus profond. Quoique de tels efforts, s’ils étaient suivis avec constance, soient de ceux qu’il y a presque obligation à favoriser, et quoique l’auteur de Christine ait paru un moment vouloir les poursuivre, nous croyons que c’est au théâtre surtout que l’effort ne doit point paraître trop prolongé. Si l’on a une vraie veine, l’important est de la développer et de la pousser un peu haut sans doute, mais avant tout de la reconnaître et de la suivre, M. Dumas qui, en un ou deux momens, avait pu sembler forcer la sienne, a bien plutôt, le reste du temps, donné à regretter qu’il en abusât en sens contraire par son trop de facilité à la répandre et à l’égarer dans des collaborations peu dignes de lui. Aujourd’hui il se retrouve lui seul et lui-même tout entier, à son vrai point naturel ; il ressaisit le genre de son talent dans la direction la plus ouverte et la plus sûre. Qu’il y demeure et qu’il y marche : sans beaucoup de fatigue et avec autant de bonheur, il peut faire souvent ainsi (1)<ref>L’échec de ''l’Alchimiste'' au théâtre de la Renaissance vient trop à point confirmer notre remarque. Entre ces drames à grande prétention poétique et les mélodrames où il n’y en a plus du tout, n’est-il donc pas un juste-milieu de carrière et comme une portée naturelle de talent ? Le succès de ''Mademoiselle de Belle-Isle'' semble assez l’indiquer à M. Dumas. Qu’il s’accoutume à pointer de ce côté, entre l’empyrée et le boulevard : ''ni si haut, ni si bas''.</ref>.
 
Le sujet, inventé ou non, se rapporte à cette bienheureuse époque du XVIIIe siècle, qui est devenue, depuis près de dix années, la mine la plus commode et la plus féconde de drames et de romans. J’ai ouï dire à quelques vieillards qu’à leur sens, l’époque où il aurait été le plus doux et le plus amusant de vivre, eût été à partir de 1715 environ, dans toute la longueur du siècle, et en ayant bien soin de mourir à la veille de 89. Je ne sais si nous en sommes venus à penser comme ces vieillards ; mais, à fréquenter nos théâtres et à lire nos nouvelles, on le dirait quelquefois. Sous la restauration, l’idéal, c’est-à-dire ce qu’on n’avait pas, se reportait à la gloire de l’empire et aux luttes de la révolution ; depuis 1830, c’est-à-dire depuis que nous sommes devenus vainqueurs et glorieux apparemment, notre idéal se repose et semble être aux délices de Capoue, à ce bon XVIIIe siècle d’avant la révolution, que, dès Louis XIV jusqu’après Pompadour, nous confondons volontiers sous le nom de ''Régence''. Nous remontons sans doute au moyen-âge aussi ; mais c’est là, surtout au théâtre, une fièvre chaude, un peu factice, et qu’il est difficile de faire partager au grand nombre : au lieu qu’avec le XVIIIe siècle, nous ne nous sentons pas tellement éloignés que cela ne rentre aisément dans nos goûts au fond et dans nos mœurs, sauf un certain ton, un certain vernis convenu qu’on jette sur les personnages, un peu de poudre et de mouches qui dépayse et rend le tout plus piquant. Jusqu’à quel point est-on fidèle dans cette prétendue reproduction de belles mœurs à notre usage ? Je ne l’oserai dire, et peu de gens d’ailleurs s’en soucient. Depuis les Mémoires de Saint-Simon, qui ne s’attendait guère, le noble duc, à ces ovations finales de vaudeville (s’il l’avait su, de colère il en aurait suffoqué), jusqu’à ce qu’on appelle les Mémoires du duc de Richelieu et contre lesquels s’élevait si moralement Champfort, plus que rongé pourtant des mêmes vices, dans toutes ces pages on taille aujourd’hui à plaisir, on découpe des sujets romanesques ou galans, on prend le fait, on invente le dialogue : ici serait l’écueil si le théâtre n’avait pas ses franchises à part, si ceux qui écoutent étaient les mêmes tant soit peu que ceux qui ont vécu alors ou qui ont vu ce monde finissant. Mais nos parterres, ni même nos orchestres, ne sont pas tout-à-fait composés de Talleyrands : le dialogue parait donc suffisamment vrai ; s’il étonnait par momens, on se dirait : ''C’était comme cela alors''. Le genre ''Régence'' couvre tout. Le Louis XIV même s’y confond ; pas tant de nuances ; les finesses de ton seraient perdues ; l’optique de la scène grossit. Que l’ensemble remue et vive et amuse, c’est bien assez.
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Voilà dix ans à peu près qu’''Henri III'' a paru, et que les premières promesses du drame moderne ont brillamment et bruyamment éclaté. A entendre nos espérances d’alors, il semblait que, pour l’entier triomphe d’un genre plus vrai et des jeunes talens qui s’y sentaient appelés, il ne manquât qu’un peu de liberté à la scène et de laisser-faire. Le laisser-faire est venu : après dix années, non plus de tâtonnemens et d’essais, mais d’excès en tous sens et de débordemens, on est trop heureux de retrouver quelque chose qui rappelle le premier jour, et qui délasse un peu à tout prix. Oh. ! que le rôle serait beau pour un auteur dramatique qui le comprendrait et qui aurait en lui a veine ! Le public est si las ; il serait si reconnaissant d’être tant soit peu amusé ou touché ; il donnerait si volontiers les mains à son plaisir !
 
 
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<small>(1) L’échec de ''l’Alchimiste'' au théâtre de la Renaissance vient trop à point confirmer notre remarque. Entre ces drames à grande prétention poétique et les mélodrames où il n’y en a plus du tout, n’est-il donc pas un juste-milieu de carrière et comme une portée naturelle de talent ? Le succès de ''Mademoiselle de Belle-Isle'' semble assez l’indiquer à M. Dumas. Qu’il s’accoutume à pointer de ce côté, entre l’empyrée et le boulevard : ''ni si haut, ni si bas''.</small>