« La Princesse de Clèves (édition originale)/Deuxième partie » : différence entre les versions

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— Je le veux croire, repartit la Reine, parce que je le ſouhaite ; & je le ſouhaite, parce que je déſire que vous ſoyez entièrement attaché à moy, & qu’il ſerait impoſſible que je fuſſe contente de votre amitié ſi vous étiez amoureux. On ne peut ſe fier à ceux qui le ſont ; on ne peut s’aſſurer de leur ſecret. Ils ſont trop diſtraits & trop partagez, & leur maîtreſſe leur fait une première occupation qui ne s’accorde point avec la manière dont je veux que vous ſoyez attaché à moi. Souvenez-vous donc que c’eſt ſur la parole que vous me donnez, que vous n’avez aucun engagement, que je vous choiſis pour vous donner toute ma confiance. Souvenez-vous que je veux la voſtre tout entière ; que je veux que vous n’ayez ni ami, ni amie, que ceux qui me ſeront agréables, & que vous abandonniez tout autre ſoyn que celuy de me plaire. Je ne vous ferai pas perdre celuy de votre fortune ; je la conduirai avec plus d’application que vous-meſme, et, quoy que je faſſe pour vous, je m’en tiendrai trop bien récompenſée, ſi je vous trouve pour moy tel que je l’eſpère. Je vous choiſis pour vous confier tous mes chagrins, & pour m’aider à les adoucir. Vous pouvez juger qu’ils ne ſont pas médiocres. Je ſouffre en apparence, ſans beaucoup de peine, l’attachement du Roy pour la ducheſſe de Valentinois ; mais il m’eſt inſupportable. Elle gouverne le roi, elle le trompe, elle me mépriſe, tous mes gens ſont à elle. La Reine, ma belle-fille, fière de ſa beauté & du crédit de ſes oncles, ne me rend aucun devoir. Le connétable de Montmorency eſt maître du Roy & du royaume ; il me hait, & m’a donné des marques de ſa haine, que je ne puis oublier. Le maréchal de Saint-André eſt un jeune favori audacieux, qui n’en uſe pas mieux avec moy que les autres. Le détail de mes malheurs vous ferait pitié ; je n’ay oſé juſqu’icy me fier à perſonne, je me fie à vous ; faites que je ne m’en repente point, & ſoyez ma ſeule conſolation » . Les yeux de la Reine rougirent en achevant ces paroles ; je penſai me jeter à ſes pieds, tant je fus véritablement touché de la bonté qu’elle me témoignait. Depuis ce jour-là, elle eut en moy une entière confiance, elle ne fit plus rien ſans m’en parler, & j’ay conſervé une liaiſon qui dure encore. »
 
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*peu prés: peu près
*bon jour: bonjour
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