« La Princesse de Clèves (édition originale)/Première partie » : différence entre les versions

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|[[Auteur:Madame de La Fayette|Madame de La Fayette]]
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<pages index="La Fayette - La Princesse de Clèves - tome 1.djvu" from=6 to=216 />ſouhaitoit ardemment. Il s’en falloit peu meſme que ce manquement ne fît une rupture entre les deux rois. Henri VIII ne pouvoit ſe conſoler de n’avoir pas épouſé la Reine ma mère ; et, quelque autre princeſſe françaiſe qu’on luy propoſat, il diſçoit toujours qu’elle ne remplaceroit jamais celle qu’on luy avoit oſtée. Il eſt vrai auſſi que la Reine ma mère étoit une parfaite beauté, & que c’eſt une choſe remarquable que, veuve d’un duc de Longueville, trois rois aient ſouhaité de l’épouſer ; ſon malheur l’a donnée au moindre, & l’a miſe dans un royaume où elle ne trouve que des peines. On dit que je luy reſſemble : je crains de luy reſſembler auſſi par ſa malheureuſe deſtinée, et, quelque bonheur qui ſemble ſe préparer pour moi, je ne ſaurais croire que j’en jouiſſe.
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{{Page|La Fayette - La Princesse de Clèves - tome 1.djvu/84|num=79}} d'enfants, quoiqu'il aimât cette duchesse, il parut quasi résolu de se démarier pour épouser la reine ma mère. Madame de Valentinois qui craignait une femme qu'il avait déjà aimée, et dont la beauté et l'esprit pouvaient diminuer sa faveur, s'unit au connétable, qui ne souhaitait pas aussi que le roi épousât une sœur de messieurs de Guise. Ils mirent le feu roi dans leurs sentiments, et quoiqu'il haït mortellement la duchesse de Valentinois, comme il aimait la reine, il travailla avec eux pour empêcher le roi de se démarier ; mais pour lui ôter absolument la pensée d'épouser la reine ma mère, ils firent son mariage avec le roi d'Écosse, qui était veuf de madame Magdeleine, sœur du roi, et ils le firent parce qu'il était le plus prêt à conclure, et manquèrent aux engagements qu'on avait avec le roi d'Angleterre, qui la souhaitait ardemment. Il s'en fallait peu même que ce manquement ne fît une rupture entre les deux rois. Henri VIII ne pouvait se consoler de n'avoir pas épousé la reine ma mère ; et, quelque autre princesse française qu'on lui proposât, il disait toujours qu'elle ne remplacerait jamais celle qu'on lui avait ôtée. Il est vrai aussi que la reine ma mère était une parfaite beauté, et que c'est une chose remarquable que, veuve d'un duc de Longueville, trois rois aient souhaité de l'épouser ; son malheur l'a donnée au moindre, et l'a mise dans un royaume où elle ne trouve que des peines. On dit que je lui ressemble : je crains de lui ressembler aussi par sa malheureuse destinée, et, quelque bonheur qui semble se préparer pour moi, je ne saurais croire que j'en jouisse.
 
MademoiselleMademoiſelle de Chartres dit à la reineReine que ces tristestriſtes pressentimentspreſſentiments étaient siſi mal fondésfondez, qu'ellequ’elle ne les conserveraitconſerveroit pas longtemps, et& qu'ellequ’elle ne devaitdevoit point douter que sonſon bonheur ne répondît aux apparences.
 
PersonnePerſonne n'osaitn’oſçoit plus penserpenſer à mademoisellemademoiſelle de Chartres, par la crainte de déplaire au roi, ou par la penséepenſée de ne pas réussirréuſſir auprès d'uned’une personneperſonne qui avaitavoit espéréeſpéré un prince du sangſang. MonsieurMonſieur de Clèves ne fut retenu par aucune de ces considérationsconſidérations. La mort du duc de Nevers, sonſon père, qui arriva alors, le mit dans une entière liberté de suivreſuivre sonſon inclination, et, sitôtſitoſt que le temps de la bienséancebienſéance du deuil fut passépaſſé, il ne songeaſongea plus qu'auxqu’aux moyens d'épouserd’épouſer mademoisellemademoiſelle de Chartres. Il seſe trouvaittrouvoit heureux d'end’en faire la propositionpropoſition dans un temps où ce qui s'étaits’étoit passépaſſé avaitavoit éloigné les autres partis, et& où il étaitétoit quasiquaſi assuréaſſuré qu'onqu’on ne la luiluy refuseraitrefuſeroit pas. Ce qui troublaittroubloit saſa joie, étaitétoit la crainte de ne luiluy êtreeſtre pas agréable, et& il eût préféré le bonheur de luiluy plaire à la certitude de l'épouserl’épouſer sansſans en êtreeſtre aimé.
 
Le chevalier de GuiseGuiſe luiluy avaitavoit donné quelque sorteſorte de jalousiejalouſie ; mais comme elle étaitétoit plutôtplutoſt fondée surſur le mérite de ce prince que surſur aucune des actions de mademoisellemademoiſelle de Chartres, il songeaſongea seulementſeulement à tâchertacher de découvrir qu'ilqu’il étaitétoit assezaſſez heureux pour qu'ellequ’elle approuvâtapprouvat la penséepenſée qu'ilqu’il avaitavoit pour elle. Il ne la voyaitvoyoit que chez les reines, ou aux assembléesaſſemblées ; il étaitétoit difficiledifficyle d'avoird’avoir une conversationconverſation particulière. Il en trouva pourtant les moyens, et& il luiluy parla de sonſon desseindeſſein et& de saſa passionpaſſion avec tout le respectreſpect imaginable ; il la pressapreſſa de luiluy faire connaître quels étaient les sentimentsſentiments qu'ellequ’elle avaitavoit pour luiluy, et& il luiluy dit que ceux qu'ilqu’il avaitavoit pour elle étaient d'uned’une nature qui le rendraitrendroit éternellement malheureux, siſi elle n'obéissaitn’obéiſſçoit que par devoir aux volontésvolontez de madame saſa mère.
 
Comme mademoisellemademoiſelle de Chartres avaitavoit le cœur très tres-noble et très& tres-bien fait, elle fut véritablement touchée de reconnaissancereconnaiſſance du procédé du prince de Clèves. Cette reconnaissancereconnaiſſance donna à sesſes réponsesréponſes et& à sesſes paroles un certain air de douceur qui suffisaitſuffiſçoit pour donner de l'espérancel’eſpérance à un homme aussiauſſi éperdument amoureux que l'étaitl’étoit ce prince : de sorteſorte qu'ilqu’il seſe flatta d'uned’une partie de ce qu'ilqu’il souhaitaitſouhaitait.
 
Elle rendit compte à saſa mère de cette conversationconverſation, et& madame de Chartres luiluy dit qu'ilqu’il y avaitavoit tant de grandeur et& de bonnes qualitésqualitez dans monsieurmonſieur de Clèves, et& qu'ilqu’il faisaitfaiſçoit paraître tant de sagesseſageſſe pour sonſon âgeage, que, siſi elle sentaitſentoit sonſon inclination portée à l'épouserl’épouſer, elle y consentiraitconſentiroit avec joie. MademoiselleMademoiſelle de Chartres répondit qu'ellequ’elle luiluy remarquaitremarquoit les mêmesmeſmes bonnes qualitésqualitez, qu'ellequ’elle l'épouseraitl’épouſeroit mêmemeſme avec moins de répugnance qu'unqu’un autre, mais qu'ellequ’elle n'avaitn’avoit aucune inclination particulière pour saſa personneperſonne.
 
Dès le lendemain, ce prince fit parler à madame de Chartres ; elle reçut la propositionpropoſition qu'onqu’on luiluy faisaitfaiſçait, et& elle ne craignit point de donner à saſa fille un mari qu'ellequ’elle ne pût aimer, en luiluy donnant le prince de Clèves. Les articles furent conclus ; on parla au roi, et& ce mariage fut suſu de tout le monde.
 
MonsieurMonſieur de Clèves seſe trouvaittrouvoit heureux, sansſans êtreeſtre néanmoins entièrement content. Il voyaitvoyoit avec beaucoup de peine que les sentimentsſentiments de mademoisellemademoiſelle de Chartres ne passaientpaſſaient pas ceux de l'estimel’eſtime et& de la reconnaissancereconnaiſſance, et& il ne pouvaitpouvoit seſe flatter qu'ellequ’elle en cachâtcachat de plus obligeants, puisquepuiſque l'étatl’état où ils étaient luiluy permettaitpermettoit de les faire paraître sansſans choquer sonſon extrêmeextreſme modestiemodeſtie. Il ne seſe passaitpaſſçoit guère de jours qu'ilqu’il ne luiluy en fît sesſes plaintes.
 
EstEſt-il possiblepoſſible, luiluy disaitdiſçait-il, que je puissepuiſſe n'êtren’eſtre pas heureux en vous épousantépouſant ? Cependant il esteſt vrai que je ne le suisſuis pas. Vous n'avezn’avez pour moi qu'unequ’une sorteſorte de bonté qui ne peut me satisfaireſatiſfaire ; vous n'avezn’avez ni impatience, ni inquiétude, ni chagrin ; vous n'êtesn’eſtes pas plus touchée de ma passionpaſſion que vous le seriezſeriez d'und’un attachement qui ne seraitſeroit fondé que surſur les avantages de votre fortune, et& non pas surſur les charmes de votre personneperſonne.
 
— Il y a de l'injusticel’injuſtice à vous plaindre, luiluy répondit-elle ; je ne saisſais ce que vous pouvez souhaiterſouhaiter au-delà de ce que je fais, et& il me sembleſemble que la bienséancebienſéance ne permet pas que j'enj’en fassefaſſe davantage.
 
— Il esteſt vrai, luiluy répliqua-t-il, que vous me donnez de certaines apparences dont je seraisſerais content, s'ils’il y avaitavoit quelque chosechoſe au-delà ; mais au lieu que la bienséancebienſéance vous retienne, c'estc’eſt elle seuleſeule qui vous fait faire ce que vous faites. Je ne touche ni votre inclination ni votre cœur, et& ma présencepréſence ne vous donne ni de plaisirplaiſir ni de trouble.
 
— Vous ne sauriezſauriez douter, reprit-elle, que je n'aien’aie de la joie de vous voir, et& je rougis siſi souventſouvent en vous voyant, que vous ne sauriezſauriez douter aussiauſſi que votre vue ne me donne du trouble.
 
— Je ne me trompe pas à votre rougeur, répondit-il ; c'estc’eſt un sentimentſentiment de modestiemodeſtie, et& non pas un mouvement de votre cœur, et& je n'enn’en tire que l'avantagel’avantage que j'enj’en dois tirer.
 
MademoiselleMademoiſelle de Chartres ne savaitſavoit que répondre, et& ces distinctionsdiſtinctions étaient au-dessusdeſſus de sesſes connaissancesconnaiſſances. MonsieurMonſieur de Clèves ne voyaitvoyoit que trop combien elle étaitétoit éloignée d'avoird’avoir pour luiluy des sentimentsſentiments qui le pouvaient satisfaireſatiſfaire, puisqu'ilpuiſqu’il luiluy paraissaitparaiſſçoit mêmemeſme qu'ellequ’elle ne les entendaitentendoit pas.
 
Le chevalier de GuiseGuiſe revint d'und’un voyage peu de jours avant les noces. Il avaitavoit vu tant d'obstaclesd’obſtacles insurmontablesinſurmontables au desseindeſſein qu'ilqu’il avaitavoit eu d'épouserd’épouſer mademoisellemademoiſelle de Chartres, qu'ilqu’il n'avaitn’avoit pu seſe flatter d'yd’y réussirréuſſir ; et& néanmoins il fut sensiblementſenſiblement affligé de la voir devenir la femme d'und’un autre. Cette douleur n'éteignitn’éteignit pas saſa passionpaſſion, et& il ne demeura pas moins amoureux. MademoiselleMademoiſelle de Chartres n'avaitn’avoit pas ignoré les sentimentsſentiments que ce prince avaitavoit eus pour elle. Il luiluy fit connaître, à sonſon retour, qu'ellequ’elle étaitétoit causecauſe de l'extrêmel’extreſme tristessetriſteſſe qui paraissaitparaiſſçoit surſur sonſon visageviſage, et& il avaitavoit tant de mérite et& tant d'agrémentsd’agréments, qu'ilqu’il étaitétoit difficiledifficyle de le rendre malheureux sansſans en avoir quelque pitié. AussiAuſſi ne seſe pouvait-elle défendre d'end’en avoir ; mais cette pitié ne la conduisaitconduiſçoit pas à d'autresd’autres sentimentsſentiments : elle contaitcontoit à saſa mère la peine que luiluy donnaitdonnoit l'affectionl’affection de ce prince.
 
Madame de Chartres admiraitadmiroit la sincéritéſincérité de saſa fille, et& elle l'admiraitl’admiroit avec raisonraiſon, car jamais personneperſonne n'enn’en a eu une siſi grande et& siſi naturelle ; mais elle n'admiraitn’admiroit pas moins que sonſon cœur ne fût point touché, et& d'autantd’autant plus, qu'ellequ’elle voyaitvoyoit bien que le prince de Clèves ne l'avaitl’avoit pas touchée, non plus que les autres. Cela fut causecauſe qu'ellequ’elle prit de grands soinsſoyns de l'attacherl’attacher à sonſon mari, et& de luiluy faire comprendre ce qu'ellequ’elle devaitdevoit à l'inclinationl’inclination qu'ilqu’il avaitavoit eue pour elle, avant que de la connaître, et& à la passionpaſſion qu'ilqu’il luiluy avaitavoit témoignée en la préférant à tous les autres partis, dans un temps où personneperſonne n'osaitn’oſçoit plus penserpenſer à elle.
 
Ce mariage s'achevas’acheva, la cérémonie s'ens’en fit au Louvre ; et& le soirſoyr, le roiRoy et& les reines vinrent souperſouper chez madame de Chartres avec toute la cour, où ils furent reçus avec une magnificence admirable. Le chevalier de GuiseGuiſe n'osan’oſa seſe distinguerdiſtinguer des autres, et& ne pas assisteraſſiſter à cette cérémonie ; mais il y fut siſi peu maître de saſa tristessetriſteſſe, qu'ilqu’il étaitétoit aiséaiſé de la remarquer.
 
MonsieurMonſieur de Clèves ne trouva pas que mademoisellemademoiſelle de Chartres eût changé de sentimentſentiment en changeant de nom. La qualité de sonſon mari luiluy donna de plus grands privilèges ; mais elle ne luiluy donna pas une autre place dans le cœur de saſa femme. Cela fit aussiauſſi que pour êtreeſtre sonſon mari, il ne laissalaiſſa pas d'êtred’eſtre sonſon amant, parce qu'ilqu’il avaitavoit toujours quelque chosechoſe à souhaiterſouhaiter au-delà de saſa possessionpoſſeſſion ; et, quoiqu'ellequoyqu’elle vécût parfaitement bien avec luiluy, il n'étaitn’étoit pas entièrement heureux. Il conservaitconſervoit pour elle une passionpaſſion violente et& inquiète qui troublaittroubloit saſa joie ; la jalousiejalouſie n'avaitn’avoit point de part à ce trouble : jamais mari n'an’a été siſi loin d'end’en prendre, et& jamais femme n'an’a été siſi loin d'end’en donner. Elle étaitétoit néanmoins exposéeexpoſée au milieu de la cour ; elle allaitalloit tous les jours chez les reines et& chez Madame. Tout ce qu'ilqu’il y avaitavoit d'hommesd’hommes jeunes et& galants la voyaient chez elle et& chez le duc de Nevers, sonſon beau-frère, dont la maisonmaiſon étaitétoit ouverte à tout le monde ; mais elle avaitavoit un air qui inspiraitinſpiroit un siſi grand respectreſpect, et& qui paraissaitparaiſſçoit siſi éloigné de la galanterie, que le maréchal de Saint-André, quoiquequoyque audacieux et& soutenuſoutenu de la faveur du roi, étaitétoit touché de saſa beauté, sansſans oseroſer le luiluy faire paraître que par des soinsſoyns et& des devoirs. PlusieursPluſieurs autres étaient dans le mêmemeſme état ; et& madame de Chartres joignaitjoignoit à la sagesseſageſſe de saſa fille une conduite siſi exacte pour toutes les bienséancesbienſéances, qu'ellequ’elle achevaitachevoit de la faire paraître une personneperſonnel'onl’on ne pouvaitpouvoit atteindre.
 
La duchesseducheſſe de Lorraine, en travaillant à la paix, avaitavoit aussiauſſi travaillé pour le mariage du duc de Lorraine, sonſon fils. Il avaitavoit été conclu avec madame Claude de France, secondeſeconde fille du roi. Les noces en furent résoluesréſolues pour le mois de février.
 
Cependant le duc de Nemours étaitétoit demeuré à Bruxelles, entièrement rempli et& occupé de sesſes desseinsdeſſeins pour l'Angleterrel’Angleterre. Il en recevaitrecevoit ou y envoyaitenvoyoit continuellement des courriers : sesſes espéranceseſpérances augmentaient tous les jours, et& enfin Lignerolles luiluy manda qu'ilqu’il étaitétoit temps que saſa présencepréſence vînt achever ce qui étaitétoit siſi bien commencé. Il reçut cette nouvelle avec toute la joie que peut avoir un jeune homme ambitieux, qui seſe voit porté au trônetroſne par saſa seuleſeule réputation. Son espriteſprit s'étaits’étoit insensiblementinſenſiblement accoutumé à la grandeur de cette fortune, et, au lieu qu'ilqu’il l'avaitl’avoit rejetée d'abordd’abord comme une chosechoſe où il ne pouvaitpouvoit parvenir, les difficultésdifficultez s'étaients’étaient effacées de sonſon imagination, et& il ne voyaitvoyoit plus d'obstaclesd’obſtacles.
 
Il envoya en diligence à Paris donner tous les ordres nécessairesnéceſſaires pour faire un équipage magnifique, afin de paraître en Angleterre avec un éclat proportionné au desseindeſſein qui l'yl’y conduisaitconduiſçait, et& il seſe hâtahata luiluy-mêmemeſme de venir à la cour pour assisteraſſiſter au mariage de monsieurmonſieur de Lorraine.
 
Il arriva la veille des fiançailles ; et& dès le mêmemeſme soirſoyr qu'ilqu’il fut arrivé, il alla rendre compte au roiRoy de l'étatl’état de sonſon desseindeſſein, et& recevoir sesſes ordres et& sesſes conseilsconſeils pour ce qu'ilqu’il luiluy restaitreſtoit à faire. Il alla ensuiteenſuite chez les reines. Madame de Clèves n'yn’y étaitétoit pas, de sorteſorte qu'ellequ’elle ne le vit point, et& ne sutſut pas mêmemeſme qu'ilqu’il fût arrivé. Elle avaitavoit ouï parler de ce prince à tout le monde, comme de ce qu'ilqu’il y avaitavoit de mieux fait et& de plus agréable à la cour ; et& surtoutſurtout madame la dauphine le luiluy avaitavoit dépeint d'uned’une sorteſorte, et& luiluy en avaitavoit parlé tant de fois, qu'ellequ’elle luiluy avaitavoit donné de la curiositécurioſité, et& mêmemeſme de l'impatiencel’impatience de le voir.
 
Elle passapaſſa tout le jour des fiançailles chez elle à seſe parer, pour seſe trouver le soirſoyr au bal et& au festinfeſtin royal qui seſe faisaientfaiſaient au Louvre. Lorsqu'elleLorſqu’elle arriva, l'onl’on admira saſa beauté et& saſa parure ; le bal commença, et& comme elle dansaitdanſçoit avec monsieurmonſieur de GuiseGuiſe, il seſe fit un assezaſſez grand bruit vers la porte de la salleſalle, comme de quelqu'unquelqu’un qui entrait, et& à qui on faisaitfaiſçoit place. Madame de Clèves acheva de danserdanſer et& pendant qu'ellequ’elle cherchaitcherchoit des yeux quelqu'unquelqu’un qu'ellequ’elle avaitavoit desseindeſſein de prendre, le roiRoy luiluy cria de prendre celuiceluy qui arrivait. Elle seſe tourna, et& vit un homme qu'ellequ’elle crut d'abordd’abord ne pouvoir êtreeſtre que monsieurmonſieur de Nemours, qui passaitpaſſçoit par-dessusdeſſus quelques siègesſièges pour arriver où l'onl’on dansaitdanſçait. Ce prince étaitétoit fait d'uned’une sorteſorte, qu'ilqu’il étaitétoit difficiledifficyle de n'êtren’eſtre pas surpriseſurpriſe de le voir quand on ne l'avaitl’avoit jamais vu, surtoutſurtout ce soirſoyr-là, où le soinſoyn qu'ilqu’il avaitavoit pris de seſe parer augmentaitaugmentoit encore l'airl’air brillant qui étaitétoit dans saſa personneperſonne ; mais il étaitétoit difficiledifficyle aussiauſſi de voir madame de Clèves pour la première fois, sansſans avoir un grand étonnement.
 
MonsieurMonſieur de Nemours fut tellement surprisſurpris de saſa beauté, que, lorsqu'illorſqu’il fut proche d'elled’elle, et& qu'ellequ’elle luiluy fit la révérence, il ne put s'empêchers’empeſcher de donner des marques de sonſon admiration. Quand ils commencèrent à danserdanſer, il s'élevas’éleva dans la salleſalle un murmure de louanges. Le roiRoy et& les reines seſe souvinrentſouvinrent qu'ilsqu’ils ne s'étaients’étaient jamais vus, et& trouvèrent quelque chosechoſe de singulierſingulier de les voir danserdanſer ensembleenſemble sansſans seſe connaître. Ils les appelèrent quand ils eurent fini, sansſans leur donner le loisirloiſir de parler à personneperſonne, et& leur demandèrent s'ilss’ils n'avaientn’avaient pas bien envie de savoirſavoir qui ils étaient, et& s'ilss’ils ne s'ens’en doutaient point.
 
— Pour moi, Madame, dit monsieurmonſieur de Nemours, je n'ain’ai pas d'incertituded’incertitude ; mais comme madame de Clèves n'an’a pas les mêmesmeſmes raisonsraiſons pour deviner qui je suisſuis que celles que j'aij’ai pour la reconnaître, je voudrais bien que Votre MajestéMajeſté eût la bonté de luiluy apprendre mon nom.
 
— Je crois, dit madame la dauphine, qu'ellequ’elle le saitſçoit aussiauſſi bien que vous savezſavez le sienſien.
 
— Je vous assureaſſure, Madame, reprit madame de Clèves, qui paraissaitparaiſſçoit un peu embarrasséeembarraſſée, que je ne devine pas siſi bien que vous pensezpenſez.
 
— Vous devinez fort bien, répondit madame la dauphine ; et& il y a mêmemeſme quelque chosechoſe d'obligeantd’obligeant pour monsieurmonſieur de Nemours, à ne vouloir pas avouer que vous le connaissezconnaiſſez sansſans l'avoirl’avoir jamais vu.
 
La reineReine les interrompit pour faire continuer le bal ; monsieurmonſieur de Nemours prit la reineReine dauphine. Cette princesseprinceſſe étaitétoit d'uned’une parfaite beauté, et& avaitavoit paru telle aux yeux de monsieurmonſieur de Nemours, avant qu'ilqu’il allâtallat en Flandre ; mais de tout le soirſoyr, il ne put admirer que madame de Clèves.
 
Le chevalier de GuiseGuiſe, qui l'adoraitl’adoroit toujours, étaitétoit à sesſes pieds, et& ce qui seſe venaitvenoit de passerpaſſer luiluy avaitavoit donné une douleur sensibleſenſible. Il prit comme un présagepréſage, que la fortune destinaitdeſtinoit monsieurmonſieur de Nemours à êtreeſtre amoureux de madame de Clèves ; et& soitſoyt qu'enqu’en effet il eût paru quelque trouble surſur sonſon visageviſage, ou que la jalousiejalouſie fit voir au chevalier de GuiseGuiſe au-delà de la vérité, il crut qu'ellequ’elle avaitavoit été touchée de la vue de ce prince, et& il ne put s'empêchers’empeſcher de luiluy dire que monsieurmonſieur de Nemours étaitétoit bien heureux de commencer à êtreeſtre connu d'elled’elle, par une aventure qui avaitavoit quelque chosechoſe de galant et& d'extraordinaired’extraordinaire.
 
Madame de Clèves revint chez elle, l'espritl’eſprit siſi rempli de tout ce qui s'étaits’étoit passépaſſé au bal, que, quoiqu'ilquoyqu’il fût fort tard, elle alla dans la chambre de saſa mère pour luiluy en rendre compte ; et& elle luiluy loua monsieurmonſieur de Nemours avec un certain air qui donna à madame de Chartres la mêmemeſme penséepenſée qu'avaitqu’avoit eue le chevalier de GuiseGuiſe.
 
Le lendemain, la cérémonie des noces seſe fit. Madame de Clèves y vit le duc de Nemours avec une mine et& une grâcegrace siſi admirables, qu'ellequ’elle en fut encore plus surpriseſurpriſe.
 
Les jours suivantsſuivants, elle le vit chez la reineReine dauphine, elle le vit jouer à la paume avec le roi, elle le vit courre la bague, elle l'entenditl’entendit parler ; mais elle le vit toujours surpasserſurpaſſer de siſi loin tous les autres, et& seſe rendre tellement maître de la conversationconverſation dans tous les lieux où il était, par l'airl’air de saſa personneperſonne et& par l'agrémentl’agrément de sonſon espriteſprit, qu'ilqu’il fit, en peu de temps, une grande impressionimpreſſion dans sonſon cœur.
 
Il esteſt vrai aussiauſſi que, comme monsieurmonſieur de Nemours sentaitſentoit pour elle une inclination violente, qui luiluy donnaitdonnoit cette douceur et& cet enjouement qu'inspirentqu’inſpirent les premiers désirsdéſirs de plaire, il étaitétoit encore plus aimable qu'ilqu’il n'avaitn’avoit accoutumé de l'êtrel’eſtre ; de sorteſorte que, seſe voyant souventſouvent, et& seſe voyant l'unl’un et& l'autrel’autre ce qu'ilqu’il y avaitavoit de plus parfait à la cour, il étaitétoit difficiledifficyle qu'ilsqu’ils ne seſe plussentpluſſent infiniment.
 
La duchesseducheſſe de Valentinois étaitétoit de toutes les parties de plaisirplaiſir, et& le roiRoy avaitavoit pour elle la mêmemeſme vivacité et& les mêmesmeſmes soinsſoyns que dans les commencements de saſa passionpaſſion. Madame de Clèves, qui étaitétoit dans cet âgeagel'onl’on ne croit pas qu'unequ’une femme puissepuiſſe êtreeſtre aimée quand elle a passépaſſé vingt-cinq ans, regardaitregardoit avec un extrêmeextreſme étonnement l'attachementl’attachement que le roiRoy avaitavoit pour cette duchesseducheſſe, qui étaitétoit grand-mère, et& qui venaitvenoit de marier saſa petite-fille. Elle en parlaitparloit souventſouvent à madame de Chartres : — EstEſt-il possiblepoſſible, Madame, luiluy disaitdiſçait-elle, qu'ilqu’il y aitoit siſi longtemps que le roiRoy en soitſoyt amoureux ? Comment s'ests’eſt-il pu attacher à une personneperſonne qui étaitétoit beaucoup plus âgéeagée que luiluy, qui avaitavoit été maîtressemaîtreſſe de sonſon père, et& qui l'estl’eſt encore de beaucoup d'autresd’autres, à ce que j'aij’ai ouï dire ?
 
— Il esteſt vrai, répondit-elle, que ce n'estn’eſt ni le mérite, ni la fidélité de madame de Valentinois, qui a fait naître la passionpaſſion du roi, ni qui l'al’a conservéeconſervée, et& c'estc’eſt aussiauſſi en quoiquoy il n'estn’eſt pas excusableexcuſable ; car siſi cette femme avaitavoit eu de la jeunessejeuneſſe et& de la beauté jointes à saſa naissancenaiſſance, qu'ellequ’elle eût eu le mérite de n'avoirn’avoir jamais rien aimé, qu'ellequ’elle eût aimé le roiRoy avec une fidélité exacte, qu'ellequ’elle l'eûtl’eût aimé par rapport à saſa seuleſeule personneperſonne, sansſans intérêtintéreſt de grandeur, ni de fortune, et& sansſans seſe servirſervir de sonſon pouvoir que pour des choseschoſes honnêteshonneſtes ou agréables au roiRoy mêmemeſme, il faut avouer qu'onqu’on auraitauroit eu de la peine à s'empêchers’empeſcher de louer ce prince du grand attachement qu'ilqu’il a pour elle. Si je ne craignais, continua madame de Chartres, que vous disiezdiſiez de moi ce que l'onl’on dit de toutes les femmes de mon âgeage qu'ellesqu’elles aiment à conter les histoireshiſtoires de leur temps, je vous apprendrais le commencement de la passionpaſſion du roiRoy pour cette duchesseducheſſe, et& plusieurspluſieurs choseschoſes de la cour du feu roi, qui ont mêmemeſme beaucoup de rapport avec celles qui seſe passentpaſſent encore présentementpréſentement.
 
— Bien loin de vous accuseraccuſer, reprit madame de Clèves, de redire les histoireshiſtoires passéespaſſées, je me plains, Madame, que vous ne m'ayezm’ayez pas instruiteinſtruite des présentespréſentes, et& que vous ne m'ayezm’ayez point appris les divers intérêtsintéreſts et& les diversesdiverſes liaisonsliaiſons de la cour. Je les ignore siſi entièrement, que je croyais, il y a peu de jours, que monsieurmonſieur le connétable étaitétoit fort bien avec la reine.
 
— Vous aviez une opinion bien opposéeoppoſée à la vérité, répondit madame de Chartres. La reineReine hait monsieurhoit monſieur le connétable, et& siſi elle a jamais quelque pouvoir, il ne s'ens’en apercevra que trop. Elle saitſçoit qu'ilqu’il a dit plusieurspluſieurs fois au roiRoy que, de tous sesſes enfants, il n'yn’y avaitavoit que les naturels qui luiluy ressemblassentreſſemblaſſent.
 
— Je n'eussen’euſſe jamais soupçonnéſoupçonné cette haine, interrompit madame de Clèves, après avoir vu le soinſoyn que la reineReine avait d'écrireavoit d’écrire à monsieurmonſieur le connétable pendant saſa prisonpriſon, la joie qu'ellequ’elle a témoignée à sonſon retour, et& comme elle l'appellel’appelle toujours mon compère, aussiauſſi bien que le roi.
 
— Si vous jugez surſur les apparences en ce lieu-ci, répondit madame de Chartres, vous serezſerez souventſouvent trompée : ce qui paraît n'estn’eſt presquepreſque jamais la vérité.
 
— « Mais pour revenir à madame de Valentinois, vous savezſavez qu'ellequ’elle s'appelles’appelle Diane de Poitiers ; saſa maisonmaiſon esteſt très illustretres-illuſtre, elle vient des anciens ducs d'Aquitained’Aquitaine, sonſon aïeule étaitétoit fille naturelle de Louis XI, et& enfin il n'yn’y a rien que de grand dans saſa naissancenaiſſance. Saint-Vallier, sonſon père, seſe trouva embarrasséembarraſſé dans l'affairel’affaire du connétable de Bourbon, dont vous avez ouï parler. Il fut condamné à avoir la têteteſte tranchée, et& conduit surſur l'échafaudl’échafaud. Sa fille, dont la beauté étaitétoit admirable, et& qui avaitavoit déjà plu au feu roi, fit siſi bien (je ne saisſais par quels moyens) qu'ellequ’elle obtint la vie de sonſon père. On luiluy porta saſa grâcegrace, comme il n'attendaitn’attendoit que le coup de la mort ; mais la peur l'avaitl’avoit tellement saisiſaiſi, qu'ilqu’il n'avaitn’avoit plus de connaissanceconnaiſſance, et& il mourut peu de jours après. Sa fille parut à la cour comme la maîtressemaîtreſſe du roi. Le voyage d'Italied’Italie et& la prisonpriſon de ce prince interrompirent cette passionpaſſion. Lorsqu'ilLorſqu’il revint d'Espagned’Eſpagne, et& que mademoisellemademoiſelle la régente alla au-devant de luiluy à Bayonne, elle mena toutes sesſes filles, parmi lesquellesleſquelles étaitétoit mademoisellemademoiſelle de PisseleuPiſſeleu, qui a été depuis la duchesseducheſſe d'Étampesd’Étampes. Le roiRoy en devint amoureux. Elle étaitétoit inférieure en naissancenaiſſance, en espriteſprit et& en beauté à madame de Valentinois, et& elle n'avaitn’avoit au-dessusdeſſus d'elled’elle que l'avantagel’avantage de la grande jeunessejeuneſſe. Je luiluy ai ouï dire plusieurspluſieurs fois qu'ellequ’elle étaitétoit née le jour que Diane de Poitiers avaitavoit été mariée ; la haine le luiluy faisaitfaiſçoit dire, et& non pas la vérité : car je suisſuis bien trompée, siſi la duchesseducheſſe de Valentinois n'épousan’épouſa monsieurmonſieur de Brézé, grand sénéchalſénéchal de Normandie, dans le mêmemeſme temps que le roiRoy devint amoureux de madame d'Étampesd’Étampes. Jamais il n'yn’y a eu une siſi grande haine que l'al’a été celle de ces deux femmes. La duchesseducheſſe de Valentinois ne pouvaitpouvoit pardonner à madame d'Étampesd’Étampes de luiluy avoir ôtéoſté le titre de maîtressemaîtreſſe du roi. Madame d'Étampesd’Étampes avaitavoit une jalousiejalouſie violente contre madame de Valentinois, parce que le roiRoy conservaitconſervoit un commerce avec elle. Ce prince n'avaitn’avoit pas une fidélité exacte pour sesſes maîtressesmaîtreſſes ; il y en avaitavoit toujours une qui avaitavoit le titre et& les honneurs ; mais les dames que l'onl’on appelaitappeloit de la petite bande le partageaient tour à tour. La perte du dauphin, sonſon fils, qui mourut à Tournon, et& que l'onl’on crut empoisonnéempoiſonné, luiluy donna une sensibleſenſible affliction. Il n'avaitn’avoit pas la mêmemeſme tendressetendreſſe, ni le mêmemeſme goût pour sonſon secondſecond fils, qui règne présentementpréſentement ; il ne luiluy trouvaittrouvoit pas assezaſſez de hardiessehardieſſe, ni assezaſſez de vivacité. Il s'ens’en plaignit un jour à madame de Valentinois, et& elle luiluy dit qu'ellequ’elle voulaitvouloit le faire devenir amoureux d'elled’elle, pour le rendre plus vif et& plus agréable. Elle y réussitréuſſit comme vous le voyez ; il y a plus de vingt ans que cette passionpaſſion dure, sansſans qu'ellequ’elle aitoit été altérée ni par le temps, ni par les obstaclesobſtacles.
 
— « Le feu roiRoy s'ys’y opposaoppoſa d'abordd’abord ; et& soitſoyt qu'ilqu’il eût encore assezaſſez d'amourd’amour pour madame de Valentinois pour avoir de la jalousiejalouſie, ou qu'ilqu’il fût poussépouſſé par la duchesseducheſſe d'Étampesd’Étampes, qui étaitétoit au désespoirdéſeſpoir que monsieurmonſieur le dauphin fût attaché à sonſon ennemie, il esteſt certain qu'ilqu’il vit cette passionpaſſion avec une colère et& un chagrin dont il donnaitdonnoit tous les jours des marques. Son fils ne craignit ni saſa colère, ni saſa haine, et& rien ne put l'obligerl’obliger à diminuer sonſon attachement, ni à le cacher ; il fallut que le roiRoy s'accoutumâts’accoutumat à le souffrirſouffrir. AussiAuſſi cette oppositionoppoſition à sesſes volontésvolontez l'éloignal’éloigna encore de luiluy, et& l'attachal’attacha davantage au duc d'Orléansd’Orléans, sonſon troisièmetroiſième fils. C'étaitC’étoit un prince bien fait, beau, plein de feu et& d'ambitiond’ambition, d'uned’une jeunessejeuneſſe fougueusefougueuſe, qui avaitavoit besoinbeſoin d'êtred’eſtre modéré, mais qui eût fait aussiauſſi un prince d'uned’une grande élévation, siſi l'âgel’age eût mûri sonſon espriteſprit.
 
— « Le rang d'aînéd’aîné qu'avaitqu’avoit le dauphin, et& la faveur du roiRoy qu'avaitqu’avoit le duc d'Orléansd’Orléans, faisaientfaiſaient entre eux une sorteſorte d'émulationd’émulation, qui allaitalloit jusqu'àjuſqu’à la haine. Cette émulation avaitavoit commencé dès leur enfance, et& s'étaits’étoit toujours conservéeconſervée. LorsqueLorſque l'Empereurl’Empereur passapaſſa en France, il donna une préférence entière au duc d'Orléansd’Orléans surſur monsieurmonſieur le dauphin, qui la ressentitreſſentit siſi vivement, que, comme cet Empereur étaitétoit à Chantilly, il voulut obliger monsieurmonſieur le connétable à l'arrêterl’arreſter, sansſans attendre le commandement du roi. MonsieurMonſieur le connétable ne le voulut pas, le roiRoy le blâmablama dans la suiteſuite, de n'avoirn’avoir pas suiviſuivi le conseilconſeil de sonſon fils ; et& lorsqu'illorſqu’il l'éloignal’éloigna de la cour, cette raisonraiſon y eut beaucoup de part.
 
— « La divisiondiviſion des deux frères donna la penséepenſée à la duchesseducheſſe d'Étampesd’Étampes de s'appuyers’appuyer de monsieurmonſieur le duc d'Orléansd’Orléans, pour la soutenirſoutenir auprès du roiRoy contre madame de Valentinois. Elle y réussitréuſſit : ce prince, sansſans êtreeſtre amoureux d'elled’elle, n'entran’entra guère moins dans sesſes intérêtsintéreſts, que le dauphin étaitétoit dans ceux de madame de Valentinois. Cela fit deux cabales dans la cour, telles que vous pouvez vous les imaginer ; mais ces intrigues ne seſe bornèrent pas seulementſeulement à des démêlésdémeſlez de femmes.
 
— « L'EmpereurL’Empereur, qui avaitavoit conservéconſervé de l'amitiél’amitié pour le duc d'Orléansd’Orléans, avaitavoit offert plusieurspluſieurs fois de luiluy remettre le duché de Milan. Dans les propositionspropoſitions qui seſe firent depuis pour la paix, il faisaitfaiſçoit espérereſpérer de luiluy donner les dix-septſept provinces, et& de luiluy faire épouserépouſer saſa fille. MonsieurMonſieur le dauphin ne souhaitaitſouhaitoit ni la paix, ni ce mariage. Il seſe servitſervit de monsieurmonſieur le connétable, qu'ilqu’il a toujours aimé, pour faire voir au roiRoy de quelle importance il étaitétoit de ne pas donner à sonſon successeurſucceſſeur un frère aussiauſſi puissantpuiſſant que le seraitſeroit un duc d'Orléansd’Orléans, avec l'alliancel’alliance de l'Empereurl’Empereur et& les dix-septſept provinces. MonsieurMonſieur le connétable entra d'autantd’autant mieux dans les sentimentsſentiments de monsieurmonſieur le dauphin, qu'ilqu’il s'opposaits’oppoſçoit par là à ceux de madame d'Étampesd’Étampes, qui étaitétoit sonſon ennemie déclarée, et& qui souhaitaitſouhaitoit ardemment l'élévationl’élévation de monsieurmonſieur le duc d'Orléansd’Orléans.
 
— « MonsieurMonſieur le dauphin commandaitcommandoit alors l'arméel’armée du roiRoy en Champagne et& avaitavoit réduit celle de l'Empereurl’Empereur en une telle extrémité, qu'ellequ’elle eût péri entièrement, siſi la duchesseducheſſe d'Étampesd’Étampes, craignant que de trop grands avantages ne nous fissentfiſſent refuserrefuſer la paix et& l'alliancel’alliance de l'Empereurl’Empereur pour monsieurmonſieur le duc d'Orléansd’Orléans, n'eûtn’eût fait secrètementſecrètement avertir les ennemis de surprendreſurprendre Épernay et& ChâteauChateau-Thierry, qui étaient pleins de vivres. Ils le firent, et& sauvèrentſauvèrent par ce moyen toute leur armée.
 
— « Cette duchesseducheſſe ne jouit pas longtemps du succèsſuccès de saſa trahisontrahiſon. Peu après, monsieurmonſieur le duc d'Orléansd’Orléans mourut à Farmoutier, d'uned’une espèceeſpèce de maladie contagieusecontagieuſe. Il aimaitaimoit une des plus belles femmes de la cour, et& en étaitétoit aimé. Je ne vous la nommerai pas, parce qu'ellequ’elle a vécu depuis avec tant de sagesseſageſſe et& qu'ellequ’elle a mêmemeſme caché avec tant de soinſoyn la passionpaſſion qu'ellequ’elle avaitavoit pour ce prince, qu'ellequ’elle a mérité que l'onl’on conserveconſerve saſa réputation. Le hasardhaſard fit qu'ellequ’elle reçut la nouvelle de la mort de sonſon mari, le mêmemeſme jour qu'ellequ’elle apprit celle de monsieurmonſieur d'Orléansd’Orléans ; de sorteſorte qu'ellequ’elle eut ce prétexte pour cacher saſa véritable affliction, sansſans avoir la peine de seſe contraindre.
 
— « Le roiRoy ne survécutſurvécut guère le prince sonſon fils, il mourut deux ans après. Il recommanda à monsieurmonſieur le dauphin de seſe servirſervir du cardinal de Tournon et& de l'amirall’amiral d'Annebauldd’Annebauld, et& ne parla point de monsieurmonſieur le connétable, qui étaitétoit pour lors relégué à Chantilly. Ce fut néanmoins la première chosechoſe que fit le roi, sonſon fils, de le rappeler, et& de luiluy donner le gouvernement des affaires.
 
— « Madame d'Étampesd’Étampes fut chasséechaſſée, et& reçut tous les mauvais traitements qu'ellequ’elle pouvaitpouvoit attendre d'uned’une ennemie toute-puissantepuiſſante ; la duchesseducheſſe de Valentinois seſe vengea alors pleinement, et& de cette duchesseducheſſe et& de tous ceux qui luiluy avaient déplu. Son pouvoir parut plus absoluabſolu surſur l'espritl’eſprit du roi, qu'ilqu’il ne paraissaitparaiſſçoit encore pendant qu'ilqu’il étaitétoit dauphin. Depuis douze ans que ce prince règne, elle esteſt maîtressemaîtreſſe absolueabſolue de toutes choseschoſes ; elle disposediſpoſe des charges et& des affaires ; elle a fait chasserchaſſer le cardinal de Tournon, le chancelier Ollivier, et& Villeroy. Ceux qui ont voulu éclairer le roiRoy surſur saſa conduite ont péri dans cette entrepriseentrepriſe. Le comte de Taix, grand maître de l'artilleriel’artillerie, qui ne l'aimaitl’aimoit pas, ne put s'empêchers’empeſcher de parler de sesſes galanteries, et& surtoutſurtout de celle du comte de BrissacBriſſac, dont le roiRoy avaitavoit déjà eu beaucoup de jalousiejalouſie ; néanmoins elle fit siſi bien, que le comte de Taix fut disgraciédiſgracié ; on luiluy ôtaoſta saſa charge ; et, ce qui esteſt presquepreſque incroyable, elle la fit donner au comte de BrissacBriſſac, et& l'al’a fait ensuiteenſuite maréchal de France. La jalousiejalouſie du roiRoy augmenta néanmoins d'uned’une telle sorteſorte, qu'ilqu’il ne put souffrirſouffrir que ce maréchal demeurâtdemeurat à la cour ; mais la jalousiejalouſie, qui esteſt aigre et& violente en tous les autres, esteſt douce et& modérée en luiluy par l'extrêmel’extreſme respectreſpect qu'ilqu’il a pour saſa maîtressemaîtreſſe ; en sorteſorte qu'ilqu’il n'osan’oſa éloigner sonſon rival, que surſur le prétexte de luiluy donner le gouvernement de Piémont. Il y a passépaſſé plusieurspluſieurs années ; il revint, l'hiverl’hiver dernier, surſur le prétexte de demander des troupes et& d'autresd’autres choseschoſes nécessairesnéceſſaires pour l'arméel’armée qu'ilqu’il commande. Le désirdéſir de revoir madame de Valentinois, et& la crainte d'end’en êtreeſtre oublié, avaitavoit peut-êtreeſtre beaucoup de part à ce voyage. Le roiRoy le reçut avec une grande froideur. MessieursMeſſieurs de GuiseGuiſe qui ne l'aimentl’aiment pas, mais qui n'osentn’oſent le témoigner à causecauſe de madame de Valentinois, seſe servirentſervirent de monsieurmonſieur le vidame, qui esteſt sonſon ennemi déclaré, pour empêcherempeſcher qu'ilqu’il n'obtîntn’obtînt aucune des choseschoſes qu'ilqu’il étaitétoit venu demander. Il n'étaitn’étoit pas difficiledifficyle de luiluy nuire : le roiRoy le haïssaithaïſſçait, et& saſa présencepréſence luiluy donnaitdonnoit de l'inquiétudel’inquiétude ; de sorteſorte qu'ilqu’il fut contraint de s'ens’en retourner sansſans remporter aucun fruit de sonſon voyage, que d'avoird’avoir peut-êtreeſtre rallumé dans le cœur de madame de Valentinois des sentimentsſentiments que l'absencel’abſence commençaitcommençoit d'éteindred’éteindre. Le roiRoy a bien eu d'autresd’autres sujetsſujets de jalousiejalouſie ; mais ou il ne les a pas connus, ou il n'an’a oséoſé s'ens’en plaindre.
 
— « Je ne saisſais, ma fille, ajouta madame de Chartres, siſi vous ne trouverez point que je vous ai plus appris de choseschoſes, que vous n'aviezn’aviez envie d'end’en savoirſavoir.
 
— Je suis trèsſuis tres-éloignée, Madame, de faire cette plainte, répondit madame de Clèves ; et& sansſans la peur de vous importuner, je vous demanderais encore plusieurspluſieurs circonstancescirconſtances que j'ignorej’ignore.
 
La passionpaſſion de monsieurmonſieur de Nemours pour madame de Clèves fut d'abordd’abord siſi violente, qu'ellequ’elle luiluy ôtaoſta le goût et& mêmemeſme le souvenirſouvenir de toutes les personnesperſonnes qu'ilqu’il avaitavoit aimées, et& avec qui il avaitavoit conservéconſervé des commerces pendant sonſon absenceabſence. Il ne prit pas seulementſeulement le soinſoyn de chercher des prétextes pour rompre avec elles ; il ne put seſe donner la patience d'écouterd’écouter leurs plaintes, et& de répondre à leurs reproches. Madame la dauphine, pour qui il avaitavoit eu des sentimentsſentiments assezaſſez passionnéspaſſionnez, ne put tenir dans sonſon cœur contre madame de Clèves. Son impatience pour le voyage d'Angleterred’Angleterre commença mêmemeſme à seſe ralentir, et& il ne pressapreſſa plus avec tant d'ardeurd’ardeur les choseschoſes qui étaient nécessairesnéceſſaires pour sonſon départ. Il allaitalloit souventſouvent chez la reineReine dauphine, parce que madame de Clèves y allaitalloit souventſouvent, et& il n'étaitn’étoit pas fâchéfaché de laisserlaiſſer imaginer ce que l'onl’on avaitavoit cru de sesſes sentimentsſentiments pour cette reine. Madame de Clèves luiluy paraissaitparaiſſçoit d'und’un siſi grand prix, qu'ilqu’il seſe résolutréſolut de manquer plutôtplutoſt à luiluy donner des marques de saſa passionpaſſion, que de hasarderhaſarder de la faire connaître au public. Il n'enn’en parla pas mêmemeſme au vidame de Chartres, qui étaitétoit sonſon ami intime, et& pour qui il n'avaitn’avoit rien de caché. Il prit une conduite siſi sageſage, et& s'observas’obſerva avec tant de soinſoyn, que personneperſonne ne le soupçonnaſoupçonna d'êtred’eſtre amoureux de madame de Clèves, que le chevalier de GuiseGuiſe ; et& elle auraitauroit eu peine à s'ens’en apercevoir elle-mêmemeſme, siſi l'inclinationl’inclination qu'ellequ’elle avaitavoit pour luiluy ne luiluy eût donné une attention particulière pour sesſes actions, qui ne luiluy permît pas d'end’en douter.
 
Elle ne seſe trouva pas la mêmemeſme dispositiondiſpoſition à dire à saſa mère ce qu'ellequ’elle pensaitpenſçoit des sentimentsſentiments de ce prince, qu'ellequ’elle avaitavoit eue à luiluy parler de sesſes autres amants ; sansſans avoir un desseindeſſein formé de luiluy cacher, elle ne luiluy en parla point. Mais madame de Chartres ne le voyaitvoyoit que trop, aussiauſſi bien que le penchant que saſa fille avaitavoit pour luiluy. Cette connaissanceconnaiſſance luiluy donna une douleur sensibleſenſible ; elle jugeaitjugeoit bien le péril où étaitétoit cette jeune personneperſonne, d'êtred’eſtre aimée d'und’un homme fait comme monsieurmonſieur de Nemours pour qui elle avaitavoit de l'inclinationl’inclination. Elle fut entièrement confirmée dans les soupçonsſoupçons qu'ellequ’elle avaitavoit de cette inclination par une chosechoſe qui arriva peu de jours après.
 
Le maréchal de Saint-André, qui cherchaitcherchoit toutes les occasionsoccaſions de faire voir saſa magnificence, suppliaſupplia le roi, surſur le prétexte de luiluy montrer saſa maisonmaiſon, qui ne venaitvenoit que d'êtred’eſtre achevée, de luiluy vouloir faire l'honneurl’honneur d'yd’y aller souperſouper avec les reines. Ce maréchal étaitétoit bien aiseaiſe aussiauſſi de faire paraître aux yeux de madame de Clèves cette dépensedépenſe éclatante qui allaitalloit jusqu'àjuſqu’à la profusionprofuſion.
 
Quelques jours avant celuiceluy qui avaitavoit été choisichoiſi pour ce souperſouper, le roiRoy dauphin, dont la santéſanté étaitétoit assezaſſez mauvaisemauvaiſe, s'étaits’étoit trouvé mal, et& n'avaitn’avoit vu personneperſonne. La reine, saſa femme, avaitavoit passépaſſé tout le jour auprès de luiluy. Sur le soirſoyr, comme il seſe portaitportoit mieux, il fit entrer toutes les personnesperſonnes de qualité qui étaient dans sonſon antichambre. La reineReine dauphine s'ens’en alla chez elle ; elle y trouva madame de Clèves et& quelques autres dames qui étaient le plus dans saſa familiarité.
 
Comme il étaitétoit déjà assezaſſez tard, et& qu'ellequ’elle n'étaitn’étoit point habillée, elle n'allan’alla pas chez la reineReine ; elle fit dire qu'onqu’on ne la voyaitvoyoit point, et& fit apporter sesſes pierreries afin d'end’en choisirchoiſir pour le bal du maréchal de Saint-André, et& pour en donner à madame de Clèves, à qui elle en avaitavoit promis. Comme elles étaient dans cette occupation, le prince de Condé arriva. Sa qualité luiluy rendaitrendoit toutes les entrées libres. La reineReine dauphine luiluy dit qu'ilqu’il venaitvenoit sansſans doute de chez le roiRoy sonſon mari, et& luiluy demanda ce que l'onl’on y faisaitfaiſçait.
 
L'onL’on disputediſpute contre monsieurmonſieur de Nemours, Madame, répondit-il ; et& il défend avec tant de chaleur la causecauſe qu'ilqu’il soutientſoutient, qu'ilqu’il faut que ce soitſoyt la sienneſienne. Je crois qu'ilqu’il a quelque maîtressemaîtreſſe qui luiluy donne de l'inquiétudel’inquiétude quand elle esteſt au bal, tant il trouve que c'estc’eſt une chosechoſe fâcheusefacheuſe pour un amant, que d'yd’y voir la personneperſonne qu'ilqu’il aime.
 
— Comment ! reprit madame la dauphine, monsieurmonſieur de Nemours ne veut pas que saſa maîtressemaîtreſſe aille au bal ? J'avaisJ’avais bien cru que les maris pouvaient souhaiterſouhaiter que leurs femmes n'yn’y allassentallaſſent pas ; mais pour les amants, je n'avaisn’avais jamais pensépenſé qu'ilsqu’ils pussentpuſſent êtreeſtre de ce sentimentſentiment.
 
MonsieurMonſieur de Nemours trouve, répliqua le prince de Condé, que le bal esteſt ce qu'ilqu’il y a de plus insupportableinſupportable pour les amants, soitſoyt qu'ilsqu’ils soientſoyent aimésaimez, ou qu'ilsqu’ils ne le soientſoyent pas. Il dit que s'ilss’ils sontſont aimésaimez, ils ont le chagrin de l'êtrel’eſtre moins pendant plusieurspluſieurs jours ; qu'ilqu’il n'yn’y a point de femme que le soinſoyn de saſa parure n'empêchen’empeſche de songerſonger à sonſon amant ; qu'ellesqu’elles en sontſont entièrement occupées ; que ce soinſoyn de seſe parer esteſt pour tout le monde, aussiauſſi bien que pour celuiceluy qu'ellesqu’elles aiment ; que lorsqu'elleslorſqu’elles sontſont au bal, elles veulent plaire à tous ceux qui les regardent ; que, quand elles sontſont contentes de leur beauté, elles en ont une joie dont leur amant ne fait pas la plus grande partie. Il dit aussiauſſi que, quand on n'estn’eſt point aimé, on souffreſouffre encore davantage de voir saſa maîtressemaîtreſſe dans une assembléeaſſemblée ; que plus elle esteſt admirée du public, plus on seſe trouve malheureux de n'enn’en êtreeſtre point aimé ; que l'onl’on craint toujours que saſa beauté ne fassefaſſe naître quelque amour plus heureux que le sienſien. Enfin il trouve qu'ilqu’il n'yn’y a point de souffranceſouffrance pareille à celle de voir saſa maîtressemaîtreſſe au bal, siſi ce n'estn’eſt de savoirſavoir qu'ellequ’elle y esteſt et& de n'yn’y êtreeſtre pas.
 
Madame de Clèves ne faisaitfaiſçoit pas semblantſemblant d'entendred’entendre ce que disaitdiſçoit le prince de Condé ; mais elle l'écoutaitl’écoutoit avec attention. Elle jugeaitjugeoit aisémentaiſément quelle part elle avaitavoit à l'opinionl’opinion que soutenaitſoutenoit monsieurmonſieur de Nemours, et& surtoutſurtout à ce qu'ilqu’il disaitdiſçoit du chagrin de n'êtren’eſtre pas au bal où étaitétoit saſa maîtressemaîtreſſe, parce qu'ilqu’il ne devaitdevoit pas êtreeſtre à celuiceluy du maréchal de Saint-André, et& que le roiRoy l'envoyaitl’envoyoit au-devant du duc de Ferrare.
 
La reineReine dauphine riaitrioit avec le prince de Condé, et& n'approuvaitn’approuvoit pas l'opinionl’opinion de monsieurmonſieur de Nemours.
 
— Il n'yn’y a qu'unequ’une occasionoccaſion, Madame, luiluy dit ce prince où monsieurmonſieur de Nemours consenteconſente que saſa maîtressemaîtreſſe aille au bal, qu'alorsqu’alors que c'estc’eſt luiluy qui le donne ; et& il dit que l'annéel’année passéepaſſée qu'ilqu’il en donna un à Votre MajestéMajeſté, ii trouva que saſa maîtressemaîtreſſe luiluy faisaitfaiſçoit une faveur d'yd’y venir, quoiqu'ellequoyqu’elle ne semblâtſemblat que vous y suivreſuivre ; que c'estc’eſt toujours faire une grâcegrace à un amant, que d'allerd’aller prendre saſa part a un plaisirplaiſir qu'ilqu’il donne ; que c'estc’eſt aussiauſſi une chosechoſe agréable pour l'amantl’amant, que saſa maîtressemaîtreſſe le voie le maître d'und’un lieu où esteſt toute la cour, et& qu'ellequ’elle le voie seſe bien acquitter d'end’en faire les honneurs.
 
MonsieurMonſieur de Nemours avaitavoit raisonraiſon, dit la reineReine dauphine en souriantſouriant, d'approuverd’approuver que saſa maîtressemaîtreſſe allâtallat au bal. Il y avaitavoit alors un siſi grand nombre de femmes à qui il donnaitdonnoit cette qualité, que siſi elles n'yn’y fussentfuſſent point venues, il y auraitauroit eu peu de monde.
 
SitôtSitoſt que le prince de Condé avaitavoit commencé à conter les sentimentsſentiments de monsieurmonſieur de Nemours surſur le bal, madame de Clèves avaitavoit sentiſenti une grande envie de ne point aller à celuiceluy du maréchal de Saint-André. Elle entra aisémentaiſément dans l'opinionl’opinion qu'ilqu’il ne fallaitfalloit pas aller chez un homme dont on étaitétoit aimée, et& elle fut bien aiseaiſe d'avoird’avoir une raisonraiſon de sévéritéſévérité pour faire une chosechoſe qui étaitétoit une faveur pour monsieurmonſieur de Nemours ; elle emporta néanmoins la parure que luiluy avaitavoit donnée la reineReine dauphine ; mais le soirſoyr, lorsqu'ellelorſqu’elle la montra à saſa mère, elle luiluy dit qu'ellequ’elle n'avaitn’avoit pas desseindeſſein de s'ens’en servirſervir ; que le maréchal de Saint-André prenaitprenoit tant de soinſoyn de faire voir qu'ilqu’il étaitétoit attaché à elle, qu'ellequ’elle ne doutaitdoutoit point qu'ilqu’il ne voulût aussiauſſi faire croire qu'ellequ’elle auraitauroit part au divertissementdivertiſſement qu'ilqu’il devaitdevoit donner au roi, et& que, sousſous prétexte de faire l'honneurl’honneur de chez luiluy, il luiluy rendraitrendroit des soinsſoyns dont peut-êtreeſtre elle seraitſeroit embarrasséeembarraſſée.
 
Madame de Chartres combattit quelque temps l'opinionl’opinion de saſa fille, comme la trouvant particulière ; mais voyant qu'ellequ’elle s'ys’y opiniâtraitopiniatrait, elle s'ys’y rendit, et& luiluy dit qu'ilqu’il fallaitfalloit donc qu'ellequ’elle fît la malade pour avoir un prétexte de n'yn’y pas aller, parce que les raisonsraiſons qui l'enl’en empêchaientempeſchaient ne seraientſeraient pas approuvées, et& qu'ilqu’il fallaitfalloit mêmemeſme empêcherempeſcher qu'onqu’on ne les soupçonnâtſoupçonnat. Madame de Clèves consentitconſentit volontiers à passerpaſſer quelques jours chez elle, pour ne point aller dans un lieu où monsieurmonſieur de Nemours ne devaitdevoit pas êtreeſtre ; et& il partit sansſans avoir le plaisirplaiſir de savoirſavoir qu'ellequ’elle n'iraitn’iroit pas.
 
Il revint le lendemain du bal, il sutſut qu'ellequ’elle ne s'ys’y étaitétoit pas trouvée ; mais comme il ne savaitſavoit pas que l'onl’on eût redit devant elle la conversationconverſation de chez le roiRoy dauphin, il étaitétoit bien éloigné de croire qu'ilqu’il fût assezaſſez heureux pour l'avoirl’avoir empêchéeempeſchée d'yd’y aller.
 
Le lendemain, comme il étaitétoit chez la reine, et& qu'ilqu’il parlaitparloit à madame la dauphine, madame de Chartres et& madame de Clèves y vinrent, et& s'approchèrents’approchèrent de cette princesseprinceſſe. Madame de Clèves étaitétoit un peu négligée, comme une personneperſonne qui s'étaits’étoit trouvée mal ; mais sonſon visageviſage ne répondaitrépondoit pas à sonſon habillement.
 
— Vous voilà siſi belle, luiluy dit madame la dauphine, que je ne sauraisſaurais croire que vous ayez été malade. Je pensepenſe que monsieurmonſieur le prince de Condé, en vous contant l'avisl’avis de monsieurmonſieur de Nemours surſur le bal, vous a persuadéeperſuadée que vous feriez une faveur au maréchal de Saint-André d'allerd’aller chez luiluy, et& que c'estc’eſt ce qui vous a empêchéeempeſchée d'yd’y venir.
 
Madame de Clèves rougit de ce que madame la dauphine devinaitdevinoit siſi justejuſte, et& de ce qu'ellequ’elle disaitdiſçoit devant monsieurmonſieur de Nemours ce qu'ellequ’elle avaitavoit deviné.
 
Madame de Chartres vit dans ce moment pourquoipourquoy saſa fille n'avaitn’avoit pas voulu aller au bal ; et& pour empêcherempeſcher que monsieurmonſieur de Nemours ne le jugeâtjugeat aussiauſſi bien qu'ellequ’elle, elle prit la parole avec un air qui semblaitſembloit êtreeſtre appuyé surſur la vérité.
 
— Je vous assureaſſure, Madame, dit-elle à madame la dauphine, que Votre MajestéMajeſté fait plus d'honneurd’honneur à ma fille qu'ellequ’elle n'enn’en mérite. Elle étaitétoit véritablement malade ; mais je crois que siſi je ne l'enl’en eusseeuſſe empêchéeempeſchée, elle n'eûtn’eût pas laissélaiſſé de vous suivreſuivre et& de seſe montrer aussiauſſi changée qu'ellequ’elle était, pour avoir le plaisirplaiſir de voir tout ce qu'ilqu’il y a eu d'extraordinaired’extraordinaire au divertissementdivertiſſement d'hierd’hier au soirſoyr.
 
Madame la dauphine crut ce que disaitdiſçoit madame de Chartres, monsieurmonſieur de Nemours fut bien fâchéfaché d'yd’y trouver de l'apparencel’apparence ; néanmoins la rougeur de madame de Clèves luiluy fit soupçonnerſoupçonner que ce que madame la dauphine avaitavoit dit n'étaitn’étoit pas entièrement éloigné de la vérité. Madame de Clèves avaitavoit d'abordd’abord été fâchéefachée que monsieurmonſieur de Nemours eût eu lieu de croire que c'étaitc’étoit luiluy qui l'avaitl’avoit empêchéeempeſchée d'allerd’aller chez le maréchal de Saint-André ; mais ensuiteenſuite elle sentitſentit quelque espèceeſpèce de chagrin, que saſa mère luiluy en eût entièrement ôtéoſté l'opinionl’opinion.
 
Quoique l'assembléel’aſſemblée de Cercamp eût été rompue, les négociations pour la paix avaient toujours continué, et& les choseschoſes s'ys’y disposèrentdiſposèrent d'uned’une telle sorteſorte que, surſur la fin de février, on seſe rassemblaraſſembla à CâteauCateau-CambresisCambreſis. Les mêmesmeſmes députésdéputez y retournèrent ; et& l'absencel’abſence du maréchal de Saint-André défit monsieurmonſieur de Nemours du rival qui luiluy étaitétoit plus redoutable, tant par l'attentionl’attention qu'ilqu’il avaitavoit à observerobſerver ceux qui approchaient madame de Clèves, que par le progrès qu'ilqu’il pouvaitpouvoit faire auprès d'elled’elle.
 
Madame de Chartres n'avaitn’avoit pas voulu laisserlaiſſer voir à saſa fille qu'ellequ’elle connaissaitconnaiſſçoit sesſes sentimentsſentiments pour le prince, de peur de seſe rendre suspecteſuſpecte surſur les choseschoſes qu'ellequ’elle avaitavoit envie de luiluy dire. Elle seſe mit un jour à parler de luiluy ; elle luiluy en dit du bien, et& y mêlameſla beaucoup de louanges empoisonnéesempoiſonnées surſur la sagesseſageſſe qu'ilqu’il avaitavoit d'êtred’eſtre incapable de devenir amoureux, et& surſur ce qu'ilqu’il ne seſe faisaitfaiſçoit qu'unqu’un plaisirplaiſir, et& non pas un attachement sérieuxſérieux du commerce des femmes. « Ce n'estn’eſt pas, ajouta-t-elle, que l'onl’on ne l'aitl’oit soupçonnéſoupçonné d'avoird’avoir une grande passionpaſſion pour la reineReine dauphine ; je vois mêmemeſme qu'ilqu’il y va très souventtres-ſouvent, et& je vous conseilleconſeille d'éviterd’éviter, autant que vous pourrez, de luiluy parler, et& surtoutſurtout en particulier, parce que, madame la dauphine vous traitant comme elle fait, on diraitdiroit bientôtbientoſt que vous êteseſtes leur confidente, et& vous savezſavez combien cette réputation esteſt désagréabledéſagréable. Je suisſuis d'avisd’avis, siſi ce bruit continue, que vous alliez un peu moins chez madame la dauphine, afin de ne vous pas trouver mêléemeſlée dans des aventures de galanterie. »
 
Madame de Clèves n'avaitn’avoit jamais ouï parler de monsieurmonſieur de Nemours et& de madame la dauphine ; elle fut siſi surpriseſurpriſe de ce que luiluy dit saſa mère, et& elle crut siſi bien voir combien elle s'étaits’étoit trompée dans tout ce qu'ellequ’elle avaitavoit pensépenſé des sentimentsſentiments de ce prince, qu'ellequ’elle en changea de visageviſage. Madame de Chartres s'ens’en aperçut : il vint du monde dans ce moment, madame de Clèves s'ens’en alla chez elle, et& s'enfermas’enferma dans sonſon cabinet.
 
L'onL’on ne peut exprimer la douleur qu'ellequ’elle sentitſentit, de connaître, par ce que luiluy venaitvenoit de dire saſa mère, l'intérêtl’intéreſt qu'ellequ’elle prenaitprenoit à monsieurmonſieur de Nemours : elle n'avaitn’avoit encore oséoſé seſe l'avouerl’avouer à elle-mêmemeſme. Elle vit alors que les sentimentsſentiments qu'ellequ’elle avaitavoit pour luiluy étaient ceux que monsieurmonſieur de Clèves luiluy avaitavoit tant demandésdemandez ; elle trouva combien il étaitétoit honteux de les avoir pour un autre que pour un mari qui les méritait. Elle seſe sentitſentit blesséebleſſée et& embarrasséeembarraſſée de la crainte que monsieurmonſieur de Nemours ne la voulût faire servirſervir de prétexte à madame la dauphine, et& cette penséepenſée la détermina à conter à madame de Chartres ce qu'ellequ’elle ne luiluy avaitavoit point encore dit.
 
Elle alla le lendemain matin dans saſa chambre pour exécuter ce qu'ellequ’elle avaitavoit résoluréſolu ; mais elle trouva que madame de Chartres avaitavoit un peu de fièvre, de sorteſorte qu'ellequ’elle ne voulut pas luiluy parler. Ce mal paraissaitparaiſſçoit néanmoins siſi peu de chosechoſe, que madame de Clèves ne laissalaiſſa pas d'allerd’aller l'aprèsl’après dînée chez madame la dauphine : elle étaitétoit dans sonſon cabinet avec deux ou trois dames qui étaient le plus avant dans saſa familiarité.
 
— Nous parlions de monsieurmonſieur de Nemours, luiluy dit cette reineReine en la voyant, et& nous admirions combien il esteſt changé depuis sonſon retour de Bruxelles. Devant que d'yd’y aller, il avaitavoit un nombre infini de maîtressesmaîtreſſes, et& c'étaitc’étoit mêmemeſme un défaut en luiluy ; car il ménageaitménageoit également celles qui avaient du mérite et& celles qui n'enn’en avaient pas. Depuis qu'ilqu’il esteſt revenu, il ne connaît ni les unes ni les autres ; il n'yn’y a jamais eu un siſi grand changement ; je trouve mêmemeſme qu'ilqu’il y en a dans sonſon humeur, et& qu'ilqu’il esteſt moins gai que de coutume.
 
Madame de Clèves ne répondit rien ; et& elle pensaitpenſçoit avec honte qu'ellequ’elle auraitauroit pris tout ce que l'onl’on disaitdiſçoit du changement de ce prince pour des marques de saſa passionpaſſion, siſi elle n'avaitn’avoit point été détrompée. Elle seſe sentaitſentoit quelque aigreur contre madame la dauphine, de luiluy voir chercher des raisonsraiſons et& s'étonners’étonner d'uned’une chosechoſe dont apparemment elle savaitſavoit mieux la vérité que personneperſonne. Elle ne put s'empêchers’empeſcher de luiluy en témoigner quelque chosechoſe ; et& comme les autres dames s'éloignèrents’éloignèrent, elle s'approchas’approcha d'elled’elle, et& luiluy dit tout bas : — EstEſt-ce aussiauſſi pour moi, Madame, que vous venez de parler, et& voudriez-vous me cacher que vous fussiezfuſſiez celle qui a fait changer de conduite à monsieurmonſieur de Nemours ?
 
— Vous êteseſtes injusteinjuſte, luiluy dit madame la dauphine ; vous savezſavez que je n'ain’ai rien de caché pour vous. Il esteſt vrai que monsieurmonſieur de Nemours, devant que d'allerd’aller à Bruxelles, a eu, je crois, intention de me laisserlaiſſer entendre qu'ilqu’il ne me haïssaithaïſſçoit pas ; mais depuis qu'ilqu’il esteſt revenu, il ne m'am’a pas mêmemeſme paru qu'ilqu’il seſe souvîntſouvînt des choseschoſes qu'ilqu’il avaitavoit faites, et& j'avouej’avoue que j'aij’ai de la curiositécurioſité de savoirſavoir ce qui l'al’a fait changer. Il seraſera bien difficiledifficyle que je ne le démêledémeſle, ajouta-t-elle : le vidame de Chartres, qui esteſt sonſon ami intime, esteſt amoureux d'uned’une personneperſonne surſur qui j'aij’ai quelque pouvoir, et& je sauraiſaurai par ce moyen ce qui a fait ce changement.
 
Madame la dauphine parla d'und’un air qui persuadaperſuada madame de Clèves, et& elle seſe trouva, malgré elle, dans un état plus calme et& plus doux que celuiceluy où elle étaitétoit auparavant.
 
Lorsqu'elleLorſqu’elle revint chez saſa mère, elle sutſut qu'ellequ’elle étaitétoit beaucoup plus mal qu'ellequ’elle ne l'avaitl’avoit laisséelaiſſée. La fièvre luiluy avaitavoit redoublé, et, les jours suivantsſuivants, elle augmenta de telle sorteſorte, qu'ilqu’il parut que ce seraitſeroit une maladie considérableconſidérable. Madame de Clèves étaitétoit dans une affliction extrêmeextreſme, elle ne sortaitſortoit point de la chambre de saſa mère ; monsieurmonſieur de Clèves y passaitpaſſçoit aussiauſſi presquepreſque tous les jours, et& par l'intérêtl’intéreſt qu'ilqu’il prenaitprenoit à madame de Chartres, et& pour empêcherempeſcher saſa femme de s'abandonners’abandonner à la tristessetriſteſſe, mais pour avoir aussiauſſi le plaisirplaiſir de la voir ; saſa passionpaſſion n'étaitn’étoit point diminuée.
 
MonsieurMonſieur de Nemours, qui avaitavoit toujours eu beaucoup d'amitiéd’amitié pour luiluy, n'avaitn’avoit pas cesséceſſé de luiluy en témoigner depuis sonſon retour de Bruxelles. Pendant la maladie de madame de Chartres, ce prince trouva le moyen de voir plusieurspluſieurs fois madame de Clèves, en faisantfaiſant semblantſemblant de chercher sonſon mari, ou de le venir prendre pour le mener promener. Il le cherchaitcherchoit mêmemeſme à des heures où il savaitſavoit bien qu'ilqu’il n'yn’y étaitétoit pas, et& sousſous le prétexte de l'attendrel’attendre, il demeuraitdemeuroit dans l'antichambrel’antichambre de madame de Chartres, où il y avaitavoit toujours plusieurspluſieurs personnesperſonnes de qualité. Madame de Clèves y venaitvenoit souventſouvent, et, pour êtreeſtre affligée, elle n'enn’en paraissaitparaiſſçoit pas moins belle à monsieurmonſieur de Nemours. Il luiluy faisaitfaiſçoit voir combien il prenaitprenoit d'intérêtd’intéreſt à sonſon affliction, et& il luiluy en parlaitparloit avec un air siſi doux et& siſi soumisſoumis, qu'ilqu’il la persuadaitperſuadoit aisémentaiſément que ce n'étaitn’étoit pas de madame la dauphine dont il étaitétoit amoureux.
 
Elle ne pouvaitpouvoit s'empêchers’empeſcher d'êtred’eſtre troublée de saſa vue, et& d'avoird’avoir pourtant du plaisirplaiſir à le voir ; mais quand elle ne le voyaitvoyoit plus, et& qu'ellequ’elle pensaitpenſçoit que ce charme qu'ellequ’elle trouvaittrouvoit dans saſa vue étaitétoit le commencement des passionspaſſions, il s'ens’en fallaitfalloit peu qu'ellequ’elle ne crût le haïr par la douleur que luiluy donnaitdonnoit cette penséepenſée.
 
Madame de Chartres empira siſi considérablementconſidérablement, que l'onl’on commença à désespérerdéſeſpérer de saſa vie ; elle reçut ce que les médecins luiluy dirent du péril où elle était, avec un courage digne de saſa vertu et& de saſa piété. Après qu'ilsqu’ils furent sortisſortis, elle fit retirer tout le monde, et& appeler madame de Clèves.
 
— Il faut nous quitter, ma fille, luiluy dit-elle, en luiluy tendant la main ; le péril où je vous laisselaiſſe, et& le besoinbeſoin que vous avez de moi, augmentent le déplaisirdéplaiſir que j'aij’ai de vous quitter. Vous avez de l'inclinationl’inclination pour monsieurmonſieur de Nemours ; je ne vous demande point de me l'avouerl’avouer : je ne suisſuis plus en état de me servirſervir de votre sincéritéſincérité pour vous conduire. Il y a déjà longtemps que je me suisſuis aperçue de cette inclination ; mais je ne vous en ai pas voulu parler d'abordd’abord, de peur de vous en faire apercevoir vous-mêmemeſme. Vous ne la connaissezconnaiſſez que trop présentementpréſentement ; vous êteseſtes surſur le bord du précipice : il faut de grands efforts et& de grandes violences pour vous retenir. Songez ce que vous devez à votre mari ; songezſongez ce que vous vous devez à vous-mêmemeſme, et& pensezpenſez que vous allez perdre cette réputation que vous vous êteseſtes acquiseacquiſe, et& que je vous ai tant souhaitéeſouhaitée. Ayez de la force et& du courage, ma fille, retirez-vous de la cour, obligez votre mari de vous emmener ; ne craignez point de prendre des partis trop rudes et& trop difficilesdifficyles, quelque affreux qu'ilsqu’ils vous paraissentparaiſſent d'abordd’abord ; ils serontſeront plus doux dans les suitesſuites que les malheurs d'uned’une galanterie. Si d'autresd’autres raisonsraiſons que celles de la vertu et& de votre devoir vous pouvaient obliger à ce que je souhaiteſouhaite, je vous dirais que, siſi quelque chosechoſe étaitétoit capable de troubler le bonheur que j'espèrej’eſpère en sortantſortant de ce monde, ce seraitſeroit de vous voir tomber comme les autres femmes ; mais siſi ce malheur vous doit arriver, je reçois la mort avec joie, pour n'enn’en êtreeſtre pas le témoin.
 
Madame de Clèves fondaitfondoit en larmes surſur la main de saſa mère, qu'ellequ’elle tenaittenoit serréeſerrée entre les siennesſiennes, et& madame de Chartres seſe sentantſentant touchée elle-mêmemeſme : — Adieu, ma fille, luiluy dit-elle, finissonsfiniſſons une conversationconverſation qui nous attendrit trop l'unel’une et& l'autrel’autre, et& souvenezſouvenez-vous, siſi vous pouvez, de tout ce que je viens de vous dire.
 
Elle seſe tourna de l'autrel’autre côtécoſté en achevant ces paroles, et& commanda à saſa fille d'appelerd’appeler sesſes femmes, sansſans vouloir l'écouterl’écouter, ni parler davantage. Madame de Clèves sortitſortit de la chambre de saſa mère en l'étatl’état que l'onl’on peut s'imaginers’imaginer, et& madame de Chartres ne songeaſongea plus qu'àqu’à seſe préparer à la mort. Elle vécut encore deux jours, pendant lesquelsleſquels elle ne voulut plus revoir saſa fille, qui étaitétoit la seuleſeule chosechoſe à quoiquoy elle seſe sentaitſentoit attachée.
 
Madame de Clèves étaitétoit dans une affliction extrêmeextreſme ; sonſon mari ne la quittaitquittoit point, et& sitôtſitoſt que madame de Chartres fut expirée, il l'emmenal’emmena à la campagne, pour l'éloignerl’éloigner d'und’un lieu qui ne faisaitfaiſçoit qu'aigrirqu’aigrir saſa douleur. On n'enn’en a jamais vu de pareille ; quoiquequoyque la tendressetendreſſe et& la reconnaissancereconnaiſſance y eussenteuſſent la plus grande part, le besoinbeſoin qu'ellequ’elle sentaitſentoit qu'ellequ’elle avaitavoit de saſa mère, pour seſe défendre contre monsieurmonſieur de Nemours, ne laissaitlaiſſçoit pas d'yd’y en avoir beaucoup. Elle seſe trouvaittrouvoit malheureusemalheureuſe d'êtred’eſtre abandonnée à elle-mêmemeſme, dans un temps où elle étaitétoit siſi peu maîtressemaîtreſſe de sesſes sentimentsſentiments, et& où elle eût tant souhaitéſouhaité d'avoird’avoir quelqu'unquelqu’un qui pût la plaindre et& luiluy donner de la force. La manière dont monsieurmonſieur de Clèves en usaituſçoit pour elle luiluy faisaitfaiſçoit souhaiterſouhaiter plus fortement que jamais, de ne manquer à rien de ce qu'ellequ’elle luiluy devait. Elle luiluy témoignaittémoignoit aussiauſſi plus d'amitiéd’amitié et& plus de tendressetendreſſe qu'ellequ’elle n'avaitn’avoit encore fait ; elle ne voulaitvouloit point qu'ilqu’il la quittâtquittat, et& il luiluy semblaitſembloit qu'àqu’à force de s'attachers’attacher à luiluy, il la défendraitdéfendroit contre monsieurmonſieur de Nemours.
 
Ce prince vint voir monsieurmonſieur de Clèves à la campagne. Il fit ce qu'ilqu’il put pour rendre aussiauſſi une visiteviſite à madame de Clèves ; mais elle ne le voulut point recevoir, et, sentantſentant bien qu'ellequ’elle ne pouvaitpouvoit s'empêchers’empeſcher de le trouver aimable, elle avaitavoit fait une forte résolutionréſolution de s'empêchers’empeſcher de le voir, et& d'end’en éviter toutes les occasionsoccaſions qui dépendraient d'elled’elle.
 
MonsieurMonſieur de Clèves vint à Paris pour faire saſa cour, et& promit à saſa femme de s'ens’en retourner le lendemain ; il ne revint néanmoins que le jour d'aprèsd’après.
 
— Je vous attendis tout hier, luiluy dit madame de Clèves, lorsqu'illorſqu’il arriva ; et& je vous dois faire des reproches de n'êtren’eſtre pas venu, comme vous me l'aviezl’aviez promis. Vous savezſavez que siſi je pouvais sentirſentir une nouvelle affliction en l'étatl’état où je suisſuis, ce seraitſeroit la mort de madame de Tournon, que j'aij’ai appriseappriſe ce matin. J'enJ’en aurais été touchée quand je ne l'auraisl’aurais point connue ; c'estc’eſt toujours une chosechoſe digne de pitié, qu'unequ’une femme jeune et& belle comme celle-là soitſoyt morte en deux jours ; mais de plus, c'étaitc’étoit une des personnesperſonnes du monde qui me plaisaitplaiſçoit davantage, et& qui paraissaitparaiſſçoit avoir autant de sagesseſageſſe que de mérite.
 
— Je fus très fâchétres-faché de ne pas revenir hier, répondit monsieurmonſieur de Clèves ; mais j'étaisj’étais siſi nécessairenéceſſaire à la consolationconſolation d'und’un malheureux, qu'ilqu’il m'étaitm’étoit impossibleimpoſſible de le quitter. Pour madame de Tournon, je ne vous conseilleconſeille pas d'end’en êtreeſtre affligée, siſi vous la regrettez comme une femme pleine de sagesseſageſſe, et& digne de votre estimeeſtime.
 
— Vous m'étonnezm’étonnez, reprit madame de Clèves, et& je vous ai ouï dire plusieurspluſieurs fois qu'ilqu’il n'yn’y avaitavoit point de femme à la cour que vous estimassiezeſtimaſſiez davantage.
 
— Il esteſt vrai, répondit-il, mais les femmes sontſont incompréhensiblesincompréhenſibles, et, quand je les vois toutes, je me trouve siſi heureux de vous avoir, que je ne sauraisſaurais assezaſſez admirer mon bonheur.
 
— Vous m'estimezm’eſtimez plus que je ne vaux, répliqua madame de Clèves en soupirantſoupirant, et& il n'estn’eſt pas encore temps de me trouver digne de vous. Apprenez-moi, je vous en supplieſupplie, ce qui vous a détrompé de madame de Tournon.
 
— Il y a longtemps que je le suisſuis, répliqua-t-il, et& que je saisſais qu'ellequ’elle aimaitaimoit le comte de Sancerre, à qui elle donnaitdonnoit des espéranceseſpérances de l'épouserl’épouſer.
 
— Je ne sauraisſaurais croire, interrompit madame de Clèves, que madame de Tournon, après cet éloignement siſi extraordinaire qu'ellequ’elle a témoigné pour le mariage depuis qu'ellequ’elle esteſt veuve, et& après les déclarations publiques qu'ellequ’elle a faites de ne seſe remarier jamais, aitoit donné des espéranceseſpérances à Sancerre.
 
— Si elle n'enn’en eût donné qu'àqu’à luiluy, répliqua monsieurmonſieur de Clèves, il ne faudraitfaudroit pas s'étonners’étonner ; mais ce qu'ilqu’il y a de surprenantſurprenant, c'estc’eſt qu'ellequ’elle en donnaitdonnoit aussiauſſi à EstoutevilleEſtouteville dans le mêmemeſme temps ; et& je vais vous apprendre toute cette histoirehiſtoire.
 
— Si elle n'en eût donné qu'à lui, répliqua monsieur de Clèves, il ne faudrait pas s'étonner ; mais ce qu'il y a de surprenant, c'est qu'elle en donnait aussi à Estouteville dans le même temps ; et je vais vous apprendre toute cette histoire.