« Poètes et romanciers modernes de la France/Charles-Hubert Millevoye » : différence entre les versions

Contenu supprimé Contenu ajouté
ThomasBot (discussion | contributions)
m Phe: match
Phe (discussion | contributions)
m split
Ligne 40 :
::Qui flotte encor sur l’abîme des temps,
 
a dit M. Delavigne d’après Horace. Millevoye a laissé au courant du flot sa feuille qui surnage ; son nom se lit dessus ; c’en est assez pour ne plus mourir. On m’apprenait dernièrement que cette ''Chute des Feuilles'', traduite par un poète russe, avait été de là retraduite en anglais par le docteur Bowring, et de nouveau citée en français, comme preuve, je crois, du génie rêveur et mélancolique des poètes du Nord. La pauvre feuille avait bien voyagé, et le nom de Millevoye s’était perdu en chemin. Une pareille inadvertance, n’est fâcheuse que pour le critique qui y tombe. Le nom de Millevoye, si loin que sa feuille voyage, ne peut véritablement s’en séparer. Ce bonheur qu’ont certains poètes d’atteindre, un matin, sans y viser, à quelque chose de bien venu, qui prend aussitôt place dans toutes les mémoires, mérite qu’on l’envie, et faisait, dire dernièrement devant moi à l’un de nos chercheurs moins heureux : «
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1837 - tome 10.djvu/660]]==
« Oh ! rien qu’un petit roman, qu’un petit poème, s’écriait-il ; quelque chose d’art, si petit que ce fût de dimension, mais que la perfection ait couronné, et dont à jamais on se souvînt ; voilà ce que je tente, ce à quoi j’aspire, et vainement ! Oh ! rien qu’un denier d’or marqué à mon nom, et qui s’ajouterait à cette richesse des âges, à ce trésor accumulé qui déjà comble la mesurer… » Et mon inquiet poète ajoutait : « Oh ! rien que ''le Cimetière'' de Gray, ''la Jeune Captive'' de Chénier, ''la Chute des Feuilles'' de Millevoye ! ».
 
Millevoye a surtout mérité ce bonheur, j’imagine, parce qu’il ne le cherchait pas avec intention et calcul. Il n’attachait point à ses élégies le même prix, je l’ai dit déjà, qu’à ses autres ouvrages académiques, et ce n’est que vers la fin qu’il parut comprendre que c’était là son principal talent. Facile, insouciant, tendre, vif, spirituel et non malicieux, il menait une vie de monde, de dissipation, ou d’étude par accès et de brusque retraite. Il s’abandonnait à ses amis ; il ne s’irritait jamais des critiques du dehors ; il cédait outre mesure aux conseils du dedans ; dès qu’on lui disait de corriger, il le faisait. D’une physionomie aimable, d’une taille élevée, assez blond, il avait, sauf les lunettes qu’il portait sans cesse, toute l’élégance du jeune homme. Un rayon de soleil l’appelait, et il partait soudain pour une promenade de cheval ; il écrivait ses vers au retour de là, ou en rentrant de quelque déjeuner folâtre. Aucune des histoires romanesques, que quelques biographes lui ont attribuées, n’est exacte ; mais il dut en avoir réellement beaucoup qu’on n’a pas connues. La jolie pièce du ''Déjeuner'' nous raconte bien des matinées de ses printemps. Il essayait du luxe et de la simplicité tour à tour ; et passait d’un entresol somptueux à quelque riante chambrette d’un village d’auprès de Paris. Il aimait beaucoup les chevaux, et les plus fringans. Après chaque livre ou chaque prix, il achetait de jolis cabriolets, avec lesquels il courait de Paris à Abbeville, pour y voir sa mère, sa famille, ses vieux professeurs ; il se remettait au grec près de ceux-ci. Il aimait tendrement sa mère ; quand elle venait à Paris, elle l’avait tout entier. Un jour, l’archi-chancelier Cambacérès, chez qui il allait souvent, lui dit : « Vous viendrez dîner chez moi demain.. » Je ne puis pas, monseigneur, répondit-il, je suis invité. » - « Chez l’empereur donc ? répliqua le second personnage de l’empire. » - « Chez ma mère, » repartit le poète. Ce petit trait
Ligne 67 :
::ompagnons dispersés de mon triste voyage„
::O mes amis, ô vous qui me fûtes si chers !
::
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1837 - tome 10.djvu/662]]==
 
::De mes chants imparfaits recueillez l’héritage,
::Et sauvez de l’oubli quelques-uns de mes vers.
::Et vous par qui je meurs, vous à qui je pardonne,
Ligne 105 :
 
Le troisième livre d’élégies de Millevoye se compose d’espèces de romances, auxquelles on en peut joindre quelques autres encadrées dans ses poèmes. J’avais lu la plupart de ces petits chants, j’avais lu ce ''Charlemagne'', cet ''Alfred'', où il en a inséré ; je trouvais l’ensemble élégant, monotone et pâli, et n’y sentant que peu, je passais, quand un contemporain de la jeunesse de Millevoye et de la nôtre encore, qui me voyait indifférent, se mit à me chanter d’une voix émue, et l’œil humide, quelques-uns de ces refrains, auxquels il rendit une vie d’enchantement ; et j’appris combien, un moment du moins, pour les sensibles et les amans d’alors, tout cela avait vécu, combien pour de jeunes cœurs, aujourd’hui éteints ou refroidis, cette légère poésie avait été une fois la musique de l’ame, et comment on avait usé de ces chants aussi pour charmer et pour aimer. C’était le temps de la mode d’Ossian et d’un Charlemagne enjolivé, le temps de la fausse Gaule poétique bien avant Thierry, des Scandinaves bien avant les cours d’Ampère, de la ballade avant Victor Hugo ; c’était le style 1813 ou de la reine-Hortense, ''le beau Dunois'' de M. Alexandre Delaborde, le
''
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1837 - tome 10.djvu/664]]==
''Vous me quittez pour aller à la gloire'' de M. de Ségur. Millevoye paya tribut à ce genre ; il en fut le poète le plus orné, le plus mélodieux. Son fabliau ''d’Emma'' et ''d’Eginhard'' offre toute une allusion chevaleresque aux mœurs de 1812, sur ce ton. Il nous y montre la vierge au départ du chevalier,
 
::Priant tout haut qu’il revienne vainqueur,