« Écrivains critiques et historiens littéraires de France - M. Villemain » : différence entre les versions
Contenu supprimé Contenu ajouté
m Phe: match |
m split |
||
Ligne 4 :
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1836 - tome 5.djvu/60]]==
Un sentiment qui semble naturel à la plupart des écrivains, critiques ou poètes, après le premier moment où l’on s’élançait avec union et enthousiasme dans la carrière, c’est la crainte d’être gêné dans sa libre expansion, d’être frustré dans sa part de louange par les hommes supérieurs qui continuent de nous primer, ou par les hommes distingués qui s’élèvent à côté de nous et nous pressent. Ce sentiment qui paraît être excité surtout aux époques de grande concurrence et de plénitude, au second ou au troisième âge des littératures très cultivées, sentiment utile et bon à vrai dire, en tant qu’il n’est qu’avertissement et aiguillon, devient faux s’il renferme une crainte sérieuse et une tristesse jalouse. A moins de venir à quelque époque encore brute, inégale et demi-barbare, à moins d’être un de ces hommes quasi fabuleux (Homère, Dante… Shakspeare en est le dernier), qui obscurcissent,
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1836 - tome 5.djvu/61]]==
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1836 - tome 5.djvu/62]]==
choisies, et dans la diminution. inévitable de ce qu’on peut appeler proprement ''génies créateurs'' ; par le nombre des talens distingués, ingénieux, intelligens instruits et nourris en toute matière d’art, d’étude et de pensée, séduisans à lire, éloquens à entendre, conservateurs avec goût, novateurs avec décence.
Ligne 16 :
ouvrant facilement et pour toujours les grandes et limpides sources primitives. M. Villemain, dans ses appréciations des écrivains et des poètes, remarque souvent, et il en a le droit plus que personne, l’importance durable de ces jeunes et antiques études, de ces études qu’avaient, en se jouant, Racine et Fénelon, qui eussent si bien contenu et affermi le beau génie de Lamartine, que M. de Châteaubriand se donna à force de vouloir, mais que si peu ont le courage ou la ressource de réparer, et que doivent regretter avec larmes ceux qui en chérissent le sentiment et à qui elles ont fait faute. Racine, dans la prairie de Port-Royal, lisait et savait par cœur ''Théagène'' en grec, comme nous écoliers, aux heures printanières, nous lisions ''Estelle'' et ''Numa'' ; mais, le livre jeté ou confisqué, il lui restait de plus le grec qu’il savait à toujours, l’accès direct et perpétuel d’Euripide et de Pindare.
Le jeune Villemain, indépendamment de ses exercices à la pension de M. Planche, suivait les cours du Lycée impérial (Louis-le-Grand) ; il y rencontra, pour professeur de rhétorique latine, M. Castel, et de rhétorique française de Lancival <ref name="Errata">corrections apportées, suite à l’ ERRATA. - Dans l’article de M. Sainte-Beuve sur M. Villemain, inséré dans notre précédent numéro, page 59, au lieu de : « il y (
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1836 - tome 5.djvu/64]]==
les vaincus, outre Victorin Fabre, qui obtint dans le rapport une mention singulière, on remarque plus d’un nom connu : Droz, Biot, etc. L’ouvrage, qui ravit avec tant d’aisance un prix si disputé, est demeuré un morceau précieux et charmant, sans trace aucune de hasard ni d’inexpérience. Toutes les graces naturelles et vives du talent de M. Villemain s’y sont du premier coup rassemblées.
Ligne 31 ⟶ 26 :
M. Villemain, à la différence de Victorin Fabre, se rattachait au XVIIIe siècle littéraire et philosophique aussi peu qu’il était possible à un jeune homme de son temps. Nourri des Grecs, des anciens, préférant en style parmi les modernes Pascal et Fénelon, il
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1836 - tome 5.djvu/66]]==
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1836 - tome 5.djvu/67]]==
et par besoin d’une honnête liberté dans la parole. Fontanes reprenait : « Mais que reste-t-il de vos orateurs anglais ? pas une page. » Et, lui, répondait : « Il reste l’Amérique. » Il est vrai que l’Amérique n’était pas et n’est pas encore une page bien littéraire, ce qu’appréciait le plus Fontanes.
Ligne 67 ⟶ 61 :
volumes, deux sur le moyen-âge, trois sur le dix-huitième siècle ; un sixième volume, qui complète ce siècle et en retrace le commencement, va paraître, refait de souvenir par l’auteur. Chacun dans cette lecture peut apprécier la marche du critique, le procédé savant des tableaux, la nouveauté expressive des figures, cette théorie éparse, dissimulée, qui est à la fois nulle part et partout, se retrouvant de préférence dans des faits vivans, dans des rapprochemens inattendus, et comme en action ; cette lumière enfin distribuée par une multitude d’aperçus et pénétrant tout ce qu’elle touche. Mais, malgré la révision de l’auteur, combien de qualités mobiles, de composés pour ainsi dire instantanés, ont disparu, ou du moins se sont modifiés en se fixant, et dont ceux qui ont assiduement entendu le maître, peuvent seuls rendre aujourd’hui témoignage ! Il y a l’accent qui insinuait, le geste qui achevait, la saillie qui osait, qui se reprenait et s’apaisait aussitôt, qui, comme une vague échappée et prête à faire écume, rentrait tout à coup au sein du discours avec grace, et la nuance de plaisir et de pensée, et l’impression née de cet ensemble ; il y a l’orateur, la merveille elle-même, comme disait moins poliment le rival vaincu du grand Athénien.
L’originalité de M. Villemain dans sa critique professée, ce qui lui constitue une grande place inconnue avant lui et impossible depuis à tout autre c’est de n’avoir pas été un critique de détail, d’application textuelle de quatre ou cinq principes de goût à l’examen des chefs-d’œuvre, un simple praticien éclairé, comme La Harpe l’a été à merveille dans les belles parties de son Cours ; c’est de n’avoir pas été un ''historien'' littéraire à proprement parler, et dans ce vaste pays mal défriché, dont on ne connaissait bien alors que quelques grandes capitales et leurs alentours, de ne s’être pas choisi un sujet circonscrit, tel ou tel siècle antérieur, y suivant pied à pied ses lignes d’investigation, y élargissant laborieusement son chemin, y instituant une littérature historique, scientifique en quelque sorte, ne reculant pas devant l’appareil de la dissertation, comme fait M. Fauriel pour prendre un excellent exemple, comme doivent faire et font les jeunes et savans professeurs qui, succédant dans la carrière à M. Villemain, veulent être originaux et utiles après lui. Son procédé est autre et tout complexe. M. Dubois dans
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1836 - tome 5.djvu/74]]==
''le Globe'' <ref> 7 mai 1828 et ailleurs.</ref> l’avait déjà très bien démêlé. M. Villemain, nourri de l’histoire de l’antiquité et des littératures modernes, de plus en plus attentif à n’asseoir son jugement des œuvres que dans une étude approfondie de l’époque et de la vie de l’auteur, et en cela si différent des critiques précédens qui s’en tiennent à un portrait général au plus, et à des jugemens de goût et de diction, ne diffère pas moins des autres appliqués et ingénieux savans ; sa manière est libre en effet, littéraire, oratoire, non asservie à l’investigation minutieuse et à la série des faits, plus à la merci de l’émotion et de l’éloquence. L’histoire, chez lui prête sa lumière à l’imagination, le précepte se fond dans la peinture. Cette admirable position, qu’il a tenue pendant six années ininterrompues, était singulièrement appropriée au cadre même de la Restauration, à ces générations mixtes, brillantes, excitées en tous sens, à cette jeune croisade empressée d’érudition hâtive et renaissante, d’imagination pleine d’espoir, et de générosité trop tôt satisfaite ou déçue, M. Villemain, dans le domaine infini de la connaissance littéraire, mena à sa suite et à coté de lui cette rapide jeunesse, ouvrant pour elle dans la belle forêt trois ou quatre longues perspectives, là même où les routes royales des grands siècles manquaient ; mais ces perspectives, si heureusement ouvertes par lui et qui suffisent à marquer son glorieux passage, se refermeraient derrière, si de nouveau-venus ne travaillaient à les tenir libres, à les limiter et à les paver pour ainsi dire c’est l’heure maintenant de ne plus traverser la forêt, comme Elisabeth à Windsor, comme François Ier en chasse brillante dans celle de Fontainebleau, mais de s’y établir en ingénieurs, hélas ! , et presque en géomètres, d’en mesurer les côtés et toutes les lignes.
Quel art chez M. Villemain construisait â chaque moment, soutenait et rendait vivante cette composition d’enseignement toujours libre et renouvelée ? comment cet assemblage, indéfinissable de tant d’élémens divers et fugitifs ne faisait-il jamais faute, et, pareil aux divins trépieds, s’animait-il de lui-même ? Comment se recréait-il sans cesse avec nouveauté et fraîcheur, après la sixième année comme au premier jour, aux regards émerveillés ? C’est là l’incomparable talent, le génie propre de M. Villemain, son ''art'' et son ''centre'' dans un sens aussi vrai qu’on le peut dire des poètes.
|