« Lettres sur les hommes d’État de France/04 » : différence entre les versions

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anglais contre la Porte ottomane. En 1801, M. Sébastiani, alors seulement colonel d’un régiment de dragons, qui s’était fait plus connaître par la part active qu’il avait prise au 18 brumaire, que par ses faits d’armes, avait été chargé d’une mission dans le Levant. Le ministère anglais ne pouvait avoir oublié la manière dont il s’était présenté à Alexandrie devant le général Stuart qu’il avait sommé d’évacuer cette ville, et de s’éloigner de ses eaux, aux termes du traité signé à Amiens entre la France et l’Angleterre. M. Sébastiani, jeune et beau, naturellement fier et vain de sa personne, regardé alors comme la fleur des élégans de l’armée, envoyé d’un gouvernement tout jeune aussi, tout fier aussi de ses succès, avait parlé d’un ton si haut, que ses paroles furent citées comme un des griefs de la Grande-Bretagne contre la France, dans le manifeste qui suivit la rupture de 1803. Son arrivée à Constantinople fut le signal d’une lutte entre les représentans des puissances, dans laquelle la France n’eut pour alliés que les seuls envoyés d’Espagne et de Hollande.
 
Le premier soin de M. Sébastiani fut de brouiller la Porte avec la Russie, et il fit alors avec succès ce que depuis le général Guilleminot tenta de faire sous le ministère de M. Sébastiani. Il employa tous les moyens de séduction et toutes les promesses pour obtenir la destitution des princes Ypsilanti et Morusi, vaïvodes de Valachie et de Moldavie, qui étaient tous deux dévoués à la Russie. Il livra à la Porte des preuves flagrantes de leur infidélité, montra la part que l’un d’eux avait prise aux troubles de la Servie, et fit si bien, que les deux princes furent déposés et remplacés par leurs ennemis Souzzo et Callimachi, avant que l’ambassadeur d’Angleterre et l’ envoyé de Russie n’eussent appris qu’une disgrace menaçait leurs créatures. Or, d’après le traité d’Yassy, les vaïvodes des deux principautés ne pouvaient être déposés par la Porte, sans le consentement du cabinet de Saint-Pétersbourg. M. Italinsky se vit forcé de demander ses passeports, et M. Arbuthnot, qui lui avait conseillé cette démarche, intimida si bien le divan, que tous les encouragemens de M. Sébastiani ne purent le maintenir dans sa résolution. Au grand chagrin de notre ambassadeur, les deux princes furent rétablis dans leurs vaïvodies. Cette lâcheté ne profita pas au divan, car tandis que M. Italinski demandait ses passeports, et
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et que M. Arbuthnot envoyait au divan menaces sur menaces par le jeune Wellesley Pole, qui annonçait aux ministres de Sélim qu’ils auraient incessamment à répondre de leur conduite devant une escadre anglaise, s’ils ne rétablissaient les vaïvodes dans leurs principautés, l’empereur Alexandre ne restait pas inactif.
 
A la première nouvelle de la destitution des princes de Valachie et de Moldavie, il ordonna au général Michelson d’entrer dans ces principautés avec le corps d’observation du Dniester, et, en peu de jours, l’armée turque, commandée par deux généraux, dont l’un était le célèbre pacha de Widdin, Passawan-Oglou, fut battue et repoussée jusqu’à Bukarest. La guerre se trouva ainsi allumée, les traités de l’Angleterre et de la Russie avec la Porte furent anéantis, et M. Italinski se vit menacé, à chaque instant, d’aller dans le château des Sept-Tours prendre la place laissée vide par le chargé d’affaires de France, M. Ruffin qui y avait subi une rude détention pendant toute la campagne d’Égypte. M. Sébastiani eut encore un beau rôle à jouer dans cette circonstance. Il se joignit à l’ambassadeur d’Angleterre pour représenter à la Porte que cet usage barbare était indigne d’elle, et il obtint, en faveur du représentant d’une nation ennemie de la France, la permission de s’embarquer pour Ténédos, sur un vaisseau anglais qui se trouvait alors mouillé dans le port de Constantinople.
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Dans ce peu d’heures, tout changea de face, en effet. Toutes les batteries de Constantinople, le long de Galata, de Péra, et de la côte d’Asie, qui n’étaient pas même armées à l’arrivée de la flotte anglaise, se trouvèrent garnies de canons, servis par leurs topchys. Les janissaires avaient déposé leurs bâtons blancs pour prendre leurs armes. Les vieillards, les enfans travaillaient avec ardeur aux redoutes, et devant le sérail s’élevait le grand étendard de poil de chameau noir, le sandjak-chérif qu’on dit avoir servi de portière à la chambre d’Aïsché la favorite du prophète, et qui annonce la présence du sultan à la tête de son armée.
 
Bientôt sur les deux rives, on vit s’élever de longs revêtemens qui les protégeaient ; les Arméniens, les Grecs, les Juifs, dirigés par des officiers francs, transportaient des terres et des fascines. A Tophané, où se trouve le dépôt de l’artillerie, on préparait avec activité des bateaux incendiaires, et une flottille de chaloupes canonnières se rassemblait près de la pointe du sérail. Le sérail présentait un aspect formidable. Deux batteries avaient été placées aux deux kiosques ; et sur la grande terrasse intérieure du jardin, ainsi que sur le quai de débarquement, s’élevait une grande redoute où s’agitait une troupe de jeunes travailleurs qu’il était facile de reconnaître, à leurs saillies et à leurs éclats de rire, pour des officiers français. Sélim, ayant pris la résolution de se défendre, avait appelé auprès de lui le général Sébastiani, et avait réclamé son secours ainsi que celui des officiers de sa nation qui se trouvaient à Constantinople. On pense bien que tous étaient accourus ; pas un seul ne manqua. Les portes du sérail leur avaient été ouvertes. Pour la première fois, des Francs purent parcourir librement ces jardins et ces galeries ouverts jusqu’alors seulement aux femmes et aux eunuques. L’ambassadeur français, qui conserva toute sa vie certaines formes orientales, et quelques habitudes de sultan, pénétra sans obstacles dans les appartemens les plus secrets, d’où les femmes du grand-seigneur s’étaient éloignées, il est vrai. Il s’arrêta, dit-on, avec admiration dans la bibliothèque du sérail, garnie de traités religieux, couverts de velours brodé d’or, et fermés par de nombreuses agrafes en pierreries. Je me refuse à
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à donner créance à certaines rumeurs ; à croire que l’amour de la science, sans doute, retint un moment dans ce lieu quelques étrangers, et les porta à feuilleter de précieux korans qui restèrent ouverts désormais sans pouvoir plus jamais se refermer. Ce serait une tache, et la défense de Constantinople est trop belle pour la laisser ternir par ces tristes imputations.
 
C’était, m’a-t-on dit, un curieux et pittoresque spectacle. Près d’Ingerlu-Kiosk, dans la batterie de la grande terrasse du sérail, on voyait un homme d’une haute taille, à l’œil bleu, vif et fin, qui encourageait quelques topchys à traîner un lourd canon turc. A deux pas de là, un jeune homme, vêtu d’un uniforme rouge brodé, l’écouvillon sur l’épaule, faisait faction à l’entrée de la batterie, aidé en cela par deux personnes impassibles et graves. L’un était le comte de Pontécoulant, membre du sénat impérial, aujourd’hui l’un des plus spirituels orateurs de la chambre des pairs et des salons de Paris ; l’autre, le brillant marquis d’Alménara, qui se plaisait à railler sans cesse M. Sébastiani de ses prétentions, mais qui cette fois, suivi de ses secrétaires d’ambassade, était venu le seconder avec loyauté et courage. Là on voyait, aussi, affublés, du sac de cuir, et faisant le service de simple canonnier, les secrétaires d’ambassade de France, MM. Lablanche et Latour-Maubourg. M. de Lascours, aide-de-camp du général Sébastiani, commandait un poste d’artilleurs turcs ; plusieurs officiers d’infanterie, arrivés tout récemment de Dalmatie, parcouraient, toutes les batteries de la côte, et le chargé d’affaires de Hollande, en souliers à boucles et en bas de soie, était venu s’asseoir flegmatiquement sur le quai du sérail, et encourageait au travail les Grecs et les Juifs, à force de ducats. Ce tableau était complété par la présence du sultan, suivi de tout son divan et accompagné par le général Sébastiani couvert de son plus brillant uniforme et dans tout l’éclat de sa parure militaire. Sélim examinait tous les travaux, établissait lui-même, dans les batteries les plus découvertes, chacun de ses ministres et les employés de leurs chancelleries, s’assurait de la portée des pièces, du calibre des boulets et il ne prit un peu de repos que lorsque plus de douze cents bouches à feu, régulièrement placées, eurent assuré la défense de son palais et de sa capitale, et forcé la flotte anglaise de reprendre le large.
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Tant que dura le règne de Sélim, le général Sébastiani continua à jouir de quelque crédit à Constantinople, en annonçant chaque jour que l’empereur Napoléon, son maître, ne tarderait pas à porter ses armes invincibles au cœur même de la Russie, et à faire rendre à sa fidèle alliée, la sublime Porte, les deux principautés de Moldavie et de Valachie, qui avaient été envahies. Malheureusement une conspiration, fort bien menée par le fameux Cabackhi-Oglou, renversa Sélim, et fit monter sur l’étrier impérial Mustapha IV, qui vivait jusqu’alors captif dans le sérail. M. Sébastiani eut beau corrompre, à force d’argent, ce Cabackhi qui gouvernait le divan, il eut beau se faire livrer les notes du nouvel ambassadeur d’Angleterre, lord Paget, par le drogman Aleco Souzzo, les ministres turcs ne lui laissèrent pas un moment de repos, et ne cessèrent pas un seul jour de lui demander quand son empereur tiendrait les promesses qu’il avait faites en son nom. Plusieurs fois M. Sébastiani, poussé à bout, inventa des sujets de ressentiment, et saisit de vains prétextes pour demander ses passeports, ce qui était un mauvais moyen de consolider l’alliance encore si fragile de la Turquie et de la France. Tantôt il faisait fermer ses malles et menaçait d’enlever son écusson, si les négociations secrètes de la Porte avec lord Paget ne cessaient à l’instant ; tantôt il exigeait, avec les mêmes menaces, la nomination d’un pacha de son choix, ou la mise en liberté de quelques voleurs esclavons qui se réclamaient de la France ; mais toutes ces démarches, habiles ou non, n’eurent pas de grands résultats. Les ministres turcs cédaient, il est vrai, mais ils devenaient de plus en plus pressans, et toutes les graces et les bonnes manières de l’ambassadeur ne purent leur faire oublier ses promesses. Enfin M. Sébastiani se souvint de la conduite que M. Arbuthnot avait tenue dans un moment aussi critique. Il l’imita, se mit au lit, et échappa à l’opiniâtre persécution des ministres de Mustapha, en s’enveloppant la tête de ses couvertures, comme avait fait Charles XII à Bender. Ainsi se termina son ambassade ; il ne tarda pas à obtenir son rappel, au moment où les Anglais obtenaient son expulsion, et légua à son successeur, M. de Latour-Maubourg, de nombreux embarras, que celui-ci eut grand’peine à surmonter.
 
L’ambassade de M. Sébastiani a laissé, sous tous les rapports, de profonds
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de profonds souvenirs à Constantinople ; mais il est surtout une famille qui ne l’oubliera pas, c’est celle du malheureux prince Aleco Souzzo, ce premier drogman de la Porte, qui livra à l’ambassadeur de France la copie des notes de lord Paget, qu’il était chargé de traduire. M. Sébastiani avait promis au prince Souzzo la protection et la reconnaissance de Napoléon, et surtout il s’était engagé à ne pas le compromettre auprès de la Porte, qui ne pouvait manquer de le soupçonner. Il paraît que les intérêts de la France l’emportèrent dans l’ame de M. Sébastiani sur toutes les autres considérations. A peine se trouva-t-il en possession de la copie des notes de l’ambassadeur anglais, qu’il se rendit devant le divan, éclata en reproches et en menaces, indiqua de point en point aux ministres turcs où en étaient leurs négociations avec l’Angleterre, et déclara qu’il partait à l’instant, si l’on ne consentait à les rompre. Elles furent rompues en effet ; mais le lendemain, en venant féliciter le divan de sa condescendance, M. Sébastiani put voir la tête d’Aleco Souzzo clouée devant la grande porte du sérail. Ses biens furent confisqués, et sa famille, plongée dans la misère, attend toujours la réalisation des promesses de M. Sébastiani.
 
Le général Sébastiani revint de cette ambassade de Constantinople la poitrine couverte d’une brillante plaque en pierreries de l’ordre du croissant, que lui avait accordé le sultan, et Napoléon lui donna la grande croix de la Légion-d’Honneur. Napoléon ne laissait échapper aucune occasion d’élever son compatriote. Ils étaient nés tous deux vers le même temps, l’un à Ajaccio, comme on sait, l’autre à la Porta d’Ampugnano, petit bourg près de Bastia, dont M. Sébastiani garde aujourd’hui le souvenir sur son blason, où figure une vaste porte qui fait à la fois allusion au lieu de sa naissance et à la gloire qu’il s’est acquise à Constantinople. Au nom de cette patrie commune, l’empereur ferma souvent les yeux sur les fautes de son général.
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L’élégance de M. Sébastiani, son esprit, ses bonnes manières produisaient peu d’impression dans les séances publiques de la chambre, mais il était écouté avec beaucoup d’attention dans les comités secrets, où il se livrait, sinon avec abandon, du moins avec une facilité rare, au talent de conversation qui le distingue. A la tribune, les étrangers qui avaient vu Foy et Lamarque avaient peine à reconnaître en lui un général de l’empire. Sa voix lente et ampoulée ne décelait guère un homme qui avait l’habitude du commandement militaire ; et ses gants blancs, qu’il ne quittait jamais, sa coiffure savamment combinée, les poses théâtrales qu’il prenait en face de la chambre quand il s’apprêtait à parler, eussent nui au discours le plus éloquent. Or, ceux de M. Sébastiani n’étaient pas de nature à atténuer l’effet que produisait sa personne. Il se posait en public avec trop de dignité et de hauteur pour se livrer à cette causerie fine et à cet esprit ''brocardeur'', comme dit Plutarque en parlant de Cicéron, qui constituent une grande partie de son mérite ; et comme l’ame et l’enthousiasme réel lui manquaient, il resta constamment au-dessous de tous les généraux ses collègues. Plusieurs fois cependant, durant le cours de sa vie politique au sein de l’opposition, M. Sébastiani saisit l’occasion de se placer avec distinction comme un défenseur ardent des intérêts et de la dignité de la France. On le vit réclamer, en 1821, avec beaucoup de chaleur, en faveur des donations du Mont-Napoléon de Milan. Il déclara qu’il venait dénoncer à la France l’état d’abaissement où l’avait réduite le gouvernement des Bourbons, qui avait refusé de s’interposer entre les donataires du Mont-Napoléon et le gouvernement autrichien, qu’il eût fallu sommer de reconnaître les titres fondés sur la conquête, et il s’éleva, mais indirectement, contre le général Foy, qui, dans un généreux élan, venait de s’écrier : « Des batailles gagnées nous avaient donné les donations ; des batailles perdues nous les ont fait perdre. Il n’y faut plus songer ! » Le général Sébastiani tenait davantage à ses conquêtes. Dans cette circonstance, il se montra plein d’énergie et de vigueur, et si la révolution de juillet eût parlé aux puissances étrangères le langage que M. Sébastiani voulait faire tenir par la restauration, il eût laissé des souvenirs plus glorieux dans son récent ministère.
 
Quelque temps après, M. Sébastiani remonta à la tribune pour appuyer
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appuyer la pétition de quelques anciens soldats de la garde qui avaient servi sous ses ordres en Espagne, et qui réclamaient leur solde arriérée ; mais cette fois, ce fut avec l’esprit de calme et le ton de modération dont il s’écartait rarement, et le général Foy eut à soutenir tout le poids de la discussion soulevée par son ancien compagnon d’armes. M. Sébastiani avait parlé de cette réclamation en quartier-maître. Il avait établi avec beaucoup de justesse les droits des créanciers, examiné les titres qu’ils avaient dans la liquidation générale, prouvé qu’on avait payé la solde arriérée des émigrés, et qu’on ne pouvait refuser d’un côté ce qu’on faisait de l’autre. Enfin, dit M. Sébastiani en rajustant sa cravate et son habit brodé, la pétition des réclamans est juste, et elle doit vous intéresser ; puis ; il quitta paisiblement la tribune. Foy s’y précipita après lui : « Vous intéresser, messieurs, s’écria-t-il, n’est pas seulement mon but en ce moment ; il s’agit de la solde gagnée sur le champ de bataille par des soldats qui ont combattu avec nous, à nos côtés, décorés, comme nous l’étions nous-mêmes, de la glorieuse cocarde tricolore ! » La chambre répondit à ces paroles par une effroyable explosion. - « Oui, messieurs, s’écria Foy en croisant ses bras sur sa poitrine, ce qui était son geste de défi et de colère, oui, messieurs, la glorieuse, à jamais glorieuse cocarde tricolore ! » Et seul sur la brèche, au milieu des cris et des rappels à l’ordre, il tint tête, en vrai soldat, à toute la cohorte royaliste, menée par les Dudon, les Castelbajac et les Marcellus, qui se ruaient sur lui avec fureur.
 
Le général Foy venait ainsi presque sans cesse, avec sa fougue et sa verve entraînante, au secours du général Sébastiani, dont la parole flasque et froide était souvent écrasée par les violentes apostrophes du côté droit. Toutefois il faut rendre justice au général Sébastiani ; ses motions furent presque toujours dictées par un esprit de droiture et de justice, et c’est l’honorer que les rappeler aujourd’hui. On doit surtout le louer de l’opiniâtreté qu’il mit dans cette session à exiger la publicité de la liste des pensions qui figurent, comme article secret, sur le budget des affaires étrangères. « Ce sont des pensions dont vous ne pouvez connaître ni la destination ni le titre, s’écriait M. Sébastiani. Or, dans un gouvernement représentatif, il ne doit y avoir rien de caché,
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Ces paroles ne sont pas celles d’un orateur éloquent, mais elles expriment une pensée d’honnête homme. Dans cette circonstance, Foy vint encore en aide au général Sébastiani ; il développa et mit en saillie sa pensée, toujours un peu nue, et s’empara du côté brillant de la question. Toutefois, M. Sébastiani avait courageusement commencé l’attaque, et il n’a pas dépendu de lui, sans doute, de réaliser plus tard, pendant son ministère, les salutaires réformes qu’il poursuivait alors avec tant de conscience. En général, M. Sébastiani s’entendait parfaitement, à cette époque, à tracer les devoirs d’un ministre des affaires étrangères : « On nous demande trois cent mille francs de plus pour ce ministère, disait-il alors ; je voterais avec plaisir pour ce département non-seulement trois cent mille francs, mais trois millions, pourvu qu’on les dépensât de manière à assurer à la France le rang et la dignité qui lui appartiennent dans la politique européenne. Quand je vois dans cet état politique trois souverains s’arroger le droit de juger les destinées du monde, je ne puis m’empêcher d’apercevoir une résolution monstrueuse dans la diplomatie européenne. Ne vous y méprenez pas. Une fausse sécurité vous trompe. Le mouvement du siècle a été arrêté un instant, mais le mouvement du siècle est le plus fort. A L’orateur passa ensuite aux autres ministères, et il ajouta : « Le ministère de la guerre n’est-il pas à blâmer ? Les places ne sont pas dans un état satisfaisant. La frontière de l’est est entièrement ouverte. Depuis que l’Autriche est en possession de l’Italie, Lyon et la portion de nos frontières qui dépend de sa défense ne sont plus suffisamment couvertes. Tandis que nous abandonnons, pour ainsi dire, les places qui importent à notre défense, l’Allemagne et la Belgique en élèvent de toutes parts sur nos frontières et dans l’intérieur de leurs états. Comment voulez-vous que les amis de leur pays, de la gloire de leur patrie, ne s’indignent pas d’une telle conduite ? Je sens qu’il est impossible de conserver tout le sang-froid qui convient à une discussion en jetant les yeux sur un état aussi misérable. »
 
M. Sébastiani
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ne fut pas réélu en 1824, et il ne rentra dans la chambre que vers le commencement de l’année 1826. Dans cette longue guerre qu’il soutint contre le ministère de M. de Villèle, M. Sébastiani se montra, comme de coutume, le partisan le plus chaud de la publicité, et il demanda avec beaucoup de persévérance la communication des transactions et des comptes relatifs à la guerre d’Espagne. Ce n’était cependant, comme autrefois, que dans les comités secrets qu’il déployait sa pensée avec quelque étendue. Là du moins il lui était permis de reprendre ses habitudes de salon et du monde, de s’admirer parler, et de s’entourer, comme dans son brillant hôtel, d’amis et de complaisans qui l’écoutaient avec déférence. Les exigences de la vie publique, telle que l’a faite le régime représentatif, convenaient peu au général Sébastiani, et sa nature demi-turque, demi-italienne, s’accommodait mal de cette multitude de petits devoirs et de petits soins qu’entraînent les fonctions d’un député qui veut parvenir. C’était une rude tâche pour le général Sébastiani, qui menait la vie d’un grand seigneur et d’un vieux seigneur de l’ancien régime, que de quitter ses flatteurs, ses créatures, ses nombreux laquais, et de venir, à l’issue du petit lever presque royal qu’il tenait dans ses somptueux appartemens du Faubourg-Saint-Honoré, solliciter quelques instans d’attention à la tribune, souffrir des attaques peu mesurées et de fâcheuses contradictions, ou quêter une mention auprès des journalistes. Ainsi jeté dans le parti libéral, M. Sébastiani se trouvait sans cesse à la gêne, et il était vraiment curieux de le voir se débattant contre les conséquences de sa situation. Jugez combien il dut se trouver heureux, après ce long martyre, quand la révolution de juillet l’eut doté d’un ministère, et lorsqu’il se vit enfin à la place qu’il convoitait depuis si long-temps dans le salon occupé successivement par M. de Richelieu, M. de Chateaubriand et M. de Polignac, recevant autour de son foyer non plus les gazetiers, comme il disait, non plus les gauches électeurs de Vervins, qui l’envoyèrent à la chambre quand les électeurs de la Corse l’eurent abandonné, mais des ministres, des ambassadeurs, et le nonce du pape, que M. Sébastiani retenait avec tant de grâce par ses glands de soie, dans une embrasure de croisée.
 
M. Sébastiani ne fut pas réélu en 1824, et il ne rentra dans la chambre que vers le commencement de l’année 1826. Dans cette longue guerre qu’il soutint contre le ministère de M. de Villèle, M. Sébastiani se montra, comme de coutume, le partisan le plus chaud de la publicité, et il demanda avec beaucoup de persévérance la communication des transactions et des comptes relatifs à la guerre d’Espagne. Ce n’était cependant, comme autrefois, que dans les comités secrets qu’il déployait sa pensée avec quelque étendue. Là du moins il lui était permis de reprendre ses habitudes de salon et du monde, de s’admirer parler, et de s’entourer, comme dans son brillant hôtel, d’amis et de complaisans qui l’écoutaient avec déférence. Les exigences de la vie publique, telle que l’a faite le régime représentatif, convenaient peu au général Sébastiani, et sa nature demi-turque, demi-italienne, s’accommodait mal de cette multitude de petits devoirs et de petits soins qu’entraînent les fonctions d’un député qui veut parvenir. C’était une rude tâche pour le général Sébastiani, qui menait la vie d’un grand seigneur et d’un vieux seigneur de l’ancien régime, que de quitter ses flatteurs, ses créatures, ses nombreux laquais, et de venir, à l’issue du petit lever presque royal qu’il tenait dans ses somptueux appartemens du Faubourg-Saint-Honoré, solliciter quelques instans d’attention à la tribune, souffrir des attaques peu mesurées et de fâcheuses contradictions, ou quêter une mention auprès des journalistes. Ainsi jeté dans le parti libéral, M. Sébastiani se trouvait sans cesse à la gêne, et il était vraiment curieux de le voir se débattant contre les conséquences de sa situation. Jugez combien il dut se trouver heureux, après ce long martyre, quand la révolution de juillet l’eut doté d’un ministère, et lorsqu’il se vit enfin à la place qu’il convoitait depuis si long-temps dans le salon occupé successivement par M. de Richelieu, M. de Chateaubriand et M. de Polignac, recevant autour de son foyer non plus les gazetiers, comme il disait, non plus les gauches électeurs de Vervins, qui l’envoyèrent à la chambre quand les électeurs de la Corse l’eurent abandonné, mais des ministres, des ambassadeurs, et le nonce du pape, que M. Sébastiani retenait avec tant de grâce par ses glands de soie, dans une embrasure de croisée.
Il est inutile de vous dire, monsieur, que, pour arriver là, le général Sébastiani
 
Il est inutile de vous dire, monsieur, que, pour arriver là, le général Sébastiani
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Sébastiani ne se compromit pas avec la populace des trois jours, que les honneurs vinrent trouver son mérite, et qu’il n’alla pas les ramasser dans la rue. Sans doute, il lui fallut faire quelques concessions aux circonstances, et aussi long-temps que le roi Louis-Philippe se laissa garder dans son Palais-Royal par des ouvriers en veste bleue, M. Sébastiani consentit à recevoir et à écouter patiemment les membres des sociétés populaires, et notamment de la fameuse société qui avait pris pour devise : ''Aide-toi, le ciel t’aidera''. Un des membres les plus influens du comité de ce club avait même reçu de M. Sébastiani, alors au ministère de la marine, un laissez-passer qui lui permettait de se présenter à toute heure du jour et de la nuit chez le ministre. Je n’ai pas besoin d’ajouter que ces touchantes et familières communications entre le comte Sébastiani et le parti démocratique ne durèrent pas long-temps.
 
D’autres communications, plus tendres et plus intimes, s’étaient établies entre M. Sébastiani et celui qui était devenu le personnage principal de la révolution. Vous me permettrez de ne pas m’étendre sur les motifs de cette sympathie ; qu’il vous suffise de savoir que bientôt on trouva que M. Sébastiani était merveilleusement propre à faire un ministre des affaires étrangères, et que tout le secret des négociations extérieures resta concentré entre ce personnage et lui.
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Trois grands évènemens signalèrent le passage de M. Sébastiani au ministère des affaires étrangères. La révolution de la Belgique, l’insurrection de la Pologne, et l’affaire qui motiva le rappel du général Guilleminot, notre ambassadeur à Constantinople. Il faudrait avoir l’intelligence corse et la finesse italienne de M. Sébastiani lui-même, jointes au génie retors et matois du personnage qui le seconda, ou, pour dire vrai, qu’il seconda dans cette affaire, si l’on voulait suivre dans leur marche tortueuse les négociations diplomatiques qui se firent au nom de la France, à l’occasion de la nomination d’un roi des Belges. M. Bresson, homme droit et intelligent, était alors chargé, en apparence du moins, de nos affaires à Bruxelles. Dans toutes les instructions qui lui furent adressées, on lui recommandait de combattre de toutes ses forces l’élection du jeune duc de Leuchtenberg, et de travailler en faveur du duc de Nemours. On s’engageait formellement à accepter le trône qu’on
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sollicitait hardiment de toutes parts. L’influence de M. Adair, envoyé en Belgique par l’Angleterre, ayant paru dangereuse, on alla jusqu’à employer des moyens diplomatiques, vraiment dignes d’un ministre de Louis XV ou d’un agent de Mme Dubarry, et l’on expédia à Bruxelles une séduisante personne du nom d’Ader, dont, à l’aide d’un changement de deux voyelles, on fit une parente de l’envoyé anglais, qu’elle s’efforça, par tous les charmes de sa figure et de son esprit, d’apparenter à la France. Tout le monde, poussé vers un même but, agissait de bonne foi et avec zèle. Quelle fut la surprise de M. Bresson, dont les démarches et les assurances formelles avaient enfin décidé les députés belges à offrir la couronne au duc de Nemours, quand il vit refuser cette couronne On eut peine, dans la colère qui l’animait, à l’empêcher d’éclater et de faire connaître la duplicité du ministre ; et le poste d’agent diplomatique à Berlin, qui lui fut conféré peu de temps après, put à peine calmer son juste ressentiment. Toutefois on avait gagné du temps. On se mit alors à prouver à l’Angleterre qu’on était bien modeste et modéré en se bornant à ne prendre que la moitié d’un trône qu’on pouvait posséder tout entier, et l’on travailla en silence à l’élection de Léopold, après avoir exigé de lui une solennelle promesse de mariage. On n’a certainement pas oublié les orages que firent naître dans la Chambre ces longues et ténébreuses négociations, et auxquels M. Sébastiani opposa un flegme si imperturbable. Pour le petit nombre des gens bien informés, il y avait plaisir à voir M. Sébastiani gravir lentement les degrés de la tribune, et là, une main dans la poche de sa culotte et l’autre sur son coeur, déclarer au nom de l’honneur, et avec toute la franchise d’un vieux soldat, qui n’avait pas appris à mentir sur les champs de bataille, que jamais il n’avait consenti à l’élection du duc de Nemours, et que jamais non plus il n’avait été question entre le roi et lui d’aucun arrangement de famille. Pendant ce temps, le comte de Celles lisait au congrès des lettres de M. Rogier, secrétaire de l’ambassade belge, qui infirmaient tous les dires de M. Sébastiani ; et pour achever d’obscurcir l’affaire, M. Sébastiani écrivait aux journaux et niait les paroles que lui prêtaient les lettres de M. Rogier. Enfin, il est bon de vous dire que les collègues de M. Sébastiani eux-mêmes ignoraient le secret de cette négociation, et que M. Sébastiani, l’agent
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et que M. Sébastiani, l’agent principal, la clé de voûte de ce souterrain édifice, poussait la déférence jusqu’à remettre à son maître, toutes cachetées, les dépêches qu’il recevait comme ministre. Ainsi, en de certains jours, M. Sébastiani et tout le ministère ont peut-être eu à défendre, à la tribune, des actes dont ils n’avaient pas la moindre connaissance. C’est de la sorte qu’on entend, en France, le gouvernement représentatif, depuis la révolution de juillet.
 
L’affaire de la Pologne fut moins compliquée. Il y eut là moins de faits équivoques et d’ambages. Quand un nonce s’écria douloureusement, dans la diète de Varsovie, que la Pologne périssait sans avoir même vu un courrier de la France, toutes les explications devinrent inutiles, et l’on sut à quoi s’en tenir sur l’intérêt que lui portait M. Sébastiani. Pendant toute cette guerre, il fallut journellement à M. Sébastiani plus de courage pour aller à la tribune combattre les sanglans reproches qui lui furent adressés, qu’il n’en eût fallu pour prendre en main la cause de la Pologne, au risque d’encourir la colère de l’empereur Nicolas.
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n’avait osé tenter dans l’ivresse de la victoire, ce que la branche aînée n’aurait jamais accordé ; il a réparé la triste faute politique que Napoléon, dans ses mémoires, reprochait à l’égoïste Angleterre ; la Belgique lui appartient. Par le Hanovre, elle s’ouvre tous les débouchés au nord de l’Allemagne ; par le Portugal, tous ceux de la Péninsule. La Belgique sera à la fois sa tête de pont pour la guerre, et un second Hanovre pour inonder de ses produits le nord de la France et le midi de l’Allemagne. Hâtons-nous donc de resserrer nos lignes de douanes, de doubler le nombre de nos employés, ce ne sont plus les draps de Verviers, c’est Manchester et Birmingham, avec leur industrie perfectionnée, qui sont à nos portes.
 
« L’esprit de jalousie et de rivalité qui si long-temps avait animé les deux nations commençait à s’éteindre, et vous le réveillez plus fort que jamais ; il n’est pas un Français qui ne se croie humilié, joué, dupé. Qui ne voit avec une douleur profonde que nous abandonnons ces champs où dorment les héros de Fleurus, de Jemmapes et de Waterloo ; ce beau pays qui, conquis par la victoire, réuni par les lois et l’assentiment des deux peuples, fut si long-temps à la France ! Une sage politique, et c’était celle de nos pères, cherchait à placer de petits états intermédiaires entre les grands états ; on évitait ainsi tout choc, tout prétexte de collision, et vous, non contens d’avoir les Prussiens à nos portes, vous faites franchir les mers à l’Angleterre pour lui livrer une partie de nos Gaules ! Ministres imprudens, les leçons du passé ne sont donc rien pour vous ? Ne savez-vous pas que trois cents ans de guerre et de calamités furent la suite de l’abandon de la Guyenne à l’Angleterre ? Les noms de Crecy, de Poitiers, d’Azincourt, sont-ils effacés de votre mémoire ? Croyez-vous que, placé à Bruxelles, un prince anglais ne soit pas plus dangereux pour Paris que lorsque, dans le XIII siècle, il régnait à Bordeaux ? Ah ! des torrens de sang anglais et français couleront peut-être un jour pour effacer la faute que vous commettez en ce moment ! Mais vous prétendez nous offrir quelques dédommagemens, quelques compensations. Voyons, expliquons-nous avec franchise, et ne cherchons pas à abuser la nation par des promesses qu’on ne pourrait tenir. » Abordant la question de la démolition
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molition des forteresses belges, il ne vit dans le discours de la couronne qu’une assurance vague, et qui laisse le champ ouvert à d’orageuses discussions. « Déjà, dit-il, elles ont commencé avec aigreur dans les journaux belges et dans les deux chambres du parlement anglais, où les réponses des ministres ont été peu satisfaisantes, et où, respirant toujours la vieille haine des Chatam et des Burke, le généralissime a déclaré qu’à l’exclusion de la France les quatre grandes puissances décideraient seules sur les places à démolir et les places à conserver. Ainsi, nous sommes encore sous le poids de la défaite ! Ainsi, la France de 1831 est traitée comme la France de 1815 ! Ainsi le canon de Paris n’a pas fait taire le canon de Waterloo ! »
 
Lamarque se demanda ensuite quelles places fortes seraient démolies, et il fut amené à cette conclusion que ce seraient les nôtres. « D’accord sans doute avec les pinces qu’elles nous imposaient, les puissances coalisées, continua-t-il, voulurent se réserver les moyens de rentrer en France sans trouver des obstacles. La formidable ligne qu’avait élevée le génie de Vauban fut donc tronquée sur trois points principaux : Landau ouvrit aux Autrichiens et aux Bavarois l’Alsace et les défilés des Vosges ; Sarrelouis livra la Lorraine aux Prussiens, qui, passant entre Metz et Sarreguemines, arrivent à Nancy sans rencontrer un mur qui les arrête ; mais la plus dangereuse de ces trouées, parce qu’elle mène directement sur Paris, est celle qu’a faite l’abandon aux Pays-Bas de Philippeville et de Marienbourg. Pénétrant entre Rocroi et Avesnes, l’ennemi marche sur Vervins, sur Laon, tourne Soissons, et fait dépendre d’une seule bataille le sort de notre capitale. Eh bien ! ce sera Philippeville bâtie par Vauban, ce sera Marienbourg et quelques bicoques qu’on offrira de détruire : on les détruira, et la trouée n’en existera pas moins ; mieux vaudrait les laisser debout, car nous les reprendrons un jour, et elles nous épargneront les millions que coûterait une nouvelle place. »
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et à reconnaître les parages de l’Istrie ; et sous le prétexte d’aller au carnaval de Venise, nos officiers de marine, descendus à terre, et voyageant à pied, firent un relevé semblable le long des côtes. La chancellerie de Vienne et la cour de Rome furent très pertinemment instruites de ces explorations ; et si l’Autriche ne nous déclara pas la guerre alors, on peut assurer que c’est parce que le cœur lui manqua. Il est certain du moins que ni l’envie ni une raison valable ne lui manquaient en ce moment.
 
Il y a peu de mois, on vit revenir à paris le général Sébastiani. A peine ses amis le reconnurent, tant la cruelle maladie, qui l’avait frappé, laissait de ravages sur ses traits. Pour lui, il semblait seul ne pas s’apercevoir que son corps et sa pensée avaient subi des altérations aussi vives. Il se montra partout, se traîna régulièrement chaque jour au château, continua de conférer avec le maître, à couver sous son aile le secret des négociations directes et annonça qu’il allait reprendre au plus vite le ministère des affaires étrangères qui languissait hors de ses mains. L’état florissant de la santé du général Sébastiani et le rétablissement complet de ses facultés physiques et morales furent même un jour officiellement annoncés au pays par le ''Moniteur'', et l’un de ses médecins qui s’avisa de lui recommander une vie calme et retirée, fut fortement réprimandé et renvoyé comme un conspirateur. Bientôt, en effet, M. Sébastiani fut nommé ministre. – « Ministre de quoi ? » demandait un jour, avec autant d’esprit que d’insolence, M. le duc de Fitz-James au duc de Broglie, qui l’interpellait en cette qualité à la chambre des pairs. Cette question fut adressée par la presse tout entière à M. Sébastiani le jour où parut l’ordonnance qui l’appelait au conseil. M. Sébastiani garda le silence, et cependant il lui était bien facile de répondre ; car, assis dans son fauteuil, sans portefeuille, sans attribution, il constitue à lui seul tout un ministère, un ministère placé au-dessus de l’autre, qui reçoit avant lui les nouvelles et les dépêches, qui a le secret des missions diplomatiques, le vrai chiffre des ambassades, où se font les véritables plans des sessions, les projets de gouvernement pour l’avenir, qui n’ouvre que parcimonieusement la main, et ne laisse tomber que de temps en temps quelques parcelles de sa pensée aux ministres responsables, en réalité ses subalternes et ses agens. A cette sommité
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cette sommité mystérieuse où il s’est placé, M. Sébastiani joue le rôle de la nymphe Egérie près d’un autre Numa ; dans ce régime de publicité qu’il comprenait et qu’il définissait si bien autrefois, il s’est créé une importance occulte, un emploi sans retentissement et sans nom, et une sorte de toute-puissance qui s’exerce à voix basse et se glisse à l’oreille. Ministre sans portefeuille, vous le verrez avant peu maréchal de France sans bâton, chancelier de la légion d’honneur, qui sait ? plus encore. L’ambition est aujourd’hui le seul plaisir qui le chatouille, et l’on s’est placé de telle sorte vis-à-vis de lui, qu’on ne peut rien refuser à cette ambition. Dire quelles confidences, quelle communauté de secrets, quelle association de démarches sinueuses l’ont amené là, c’est à quoi il faut renoncer pour aujourd’hui. Une nuit profonde recouvre encore ce foyer d’intrigues ; mais les projets qui s’y forment sont faits pour éclater ; et plus tôt qu’on ne pense, quelques vifs éclairs sillonneront ces ténèbres.
 
En attendant, on s’encourage à marcher, on se félicite, on fait mille rêves de pouvoir et de force dans cette ombre dont on s’entoure ; le cerveau travaille, on escalade dans la pensée les dernières marches du trône de Napoléon, on s’y voit placé en conquérant, la main sur la garde de l’épée, et dictant sa volonté absolue à la nation humblement agenouillée et engourdie dans la fange où l’on s’efforce de la plonger. On érige en public les statues de la loi, et l’on parle tout bas d’écraser de son talon toute résistance. Heureusement, ces projets ne sont pas à la taille de ceux qui les méditent ; ils avorteront, et à ce petit groupe à la fois audacieux et tremblant, qui conspire au coin d’une table, sous l’épaisseur d’un rideau, on peut adresser, en souriant de dédain, ces paroles d’un de nos meilleurs poètes : « mépris et pitié sur tous ces paralytiques qui croient se soutenir, s’entr’aider, qui s’en vont pêle-mêle, trébuchant et tombant sur leurs genoux infirmes, sans pouvoir soulever un roseau pour s’aider eux-mêmes ! Pauvres manchots qui parlent de la force de leurs bras ; pauvres boiteux qui se croient toujours prêts à courir ; pauvres menteurs qui répètent, sans honte et sans crainte, les mêmes offres toujours impuissantes, les mêmes sermens toujours trahis ! »