« Chronique de la quinzaine - 14 mars 1833 » : différence entre les versions

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{{journal|[[Revue des Deux Mondes]], tome 1, janv. - mars 1833|(Divers auteurs)|'''Chronique de la quinzaine'''<br />14 mars 1833}}
 
 
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La quinzaine qui s’achève, a été marquée par deux fautes graves, et que le pouvoir, si habile qu’il soit, aura grand’peine à effacer. La mémoire populaire, qui sommeille rarement, n’oubliera pas de si tôt ces deux lourdes bévues qui compromettent si étrangement la raison et la sagacité que le ministère s’attribue. Avons-nous besoin de le dire ? La destitution de M. Dubois et le procès de la cour d’assises ont porté une mortelle atteinte à la souveraine impartialité de M. Guizot, comme aussi à l’esprit fin, délié souple, ''injouable'' de M. Thiers. Après deux erreurs pareilles, l’historien des Stuarts et le panégyriste de la révolution française, auront mauvaise grâce à se vanter de leur capacité politique. La colère et l’imprévoyance sont mauvaises conseillères, et nous le voyons bien.
 
M. Dubois, de Nantes, qui, pendant six ans, fut un des organes les plus éloquens, un des interprètes les plus courageux de la pensée politique du pays, qui fit une guerre si vive et si acharnée aux projets désastreux de la restauration, qui, parmi toutes ces voix sans nom de la presse périodique, avait eu la gloire si rare et si difficile de constituer une puissance individuelle, celui même qui porta le premier coup au cabinet da 8 août, devait s’attendre
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aux boutades puériles, aux enfantines bouderies de son ancien ami. Il connaissait de longue main son irritabilité maladive, sa résistance opiniâtre à toute contradiction, si modérée qu’elle fût. Et aussi a-t-il fait preuve d’une résignation honorable et d’une politesse parfaite. Réveillé à deux heures du matin pour apprendre sa destitution, il ne s’est pas présenté au chevet du ministre malade pour demander justice et réparation ; il saura bien attendre ; quand le temps sera venu, il n’aura qu’un mot à dire pour revendiquer son droit. Il n’aura qu’à lire d’une voix paisible et claire la loi que M. Guizot ignorait, sans doute, quand il a voulu l’appliquer. S’il fallait en croire l’Excellence, elle pourrait congédier un conseiller de l’Université, et n’aurait pas la faculté de renvoyer un maître d’études. Est-il pardonnable d’avoir publié de si savantes leçons sur les codes ripuaire et bourguignon, et de ne pas soupçonner les arrêtés universitaires quand on veut être grand-maître ?
 
Il faudra bien que M. Guizot plie et se soumette, qu’il retire son ordonnance, ou qu’appelé devant le conseil d’état, il y vienne en bottes, la cravache à la main, comme l’élève de Mazarin et d’Anne d’Autriche, pour tancer ses juges.
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Mais comment M. Thiers se relèvera-t-il ? Que va-t-il faire de cette ingénieuse conspiration, si adroitement préparée, si comblée de larmes et de félicitations, de réconciliations et de dévoûmens, si utile en son temps, et si embarrassante aujourd’hui ? Après avoir tranché, pendant quelques semaines, du Frontin, du Mascarille et du Figaro, après avoir publiquement annoncé que les valets de Regnard, de Molière et de Beaumarchais n’étaient que des écoliers misérables, et qu’il en savait plus qu’eux tous, comment se tirera-t-il de ce mauvais pas ? Le chemin est glissant, et le pied d’un mulet pourrait à peine s’y tenir sûrement. Étourdi, vantard, gaspilleur de lui-même, protée inconstant qui se souvient un jour des promesses de M. de Calonne, et le lendemain des hardiesses de Mirabeau, comment jettera-t-il les ténèbres dans cette lumière importune, qui dessille les yeux et le menace de confusion ?
 
Il avait trouvé une Jeanne d’Arc chargée, comme son illustre aïeule, d’une mission céleste, prédestinée à sauver la monarchie, et voici que des amis indiscrets expliquent par des raisons très humaines le courage héroïque de mademoiselle Boury. Elle a détourné le bras qui allait frapper sa majesté pour acheter une auberge ; vit-on jamais pareille impertinence ? Encore si elle eût soutenu jusqu’au bout le rôle de la vierge de Vaucouleurs ! mais, non, elle chancèle et pâlit. Ses yeux noirs ne se lèvent plus qu’avec timidité sur l’auditoire étonné. Son front s’incline. Elle désavoue
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par son silence 1a destinée glorieuse qu’elle avait acceptée. Elle ne veut plus de l’immortalité à laquelle sa pudeur s’était résignée.
 
Pauvre M. Thiers je ne puis le blâmer, car je le plains de toute mon âme. Pour la première fois qu’il se mêle d’inventer, tant oser et si mal réussir ! Les deux accusés traduits en cour d’assises confondent par la netteté de leurs réponses la partialité captieuse du président et l’exaspération fébrile de M. Persil.
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Une chose m’attriste seulement, c’est qu’au lieu du costume local, M. Dupin n’ait pas choisi le costume allégorique. J’aurais tant aimé à voir les danseuses coiffées de tours et de bastions, comme les trente-deux villes que M. Huyot a demandées pour l’attique de l’Etoile ! C’eût été beaucoup mieux assurément, et plus gracieux que la poudre, louée à l’étourdie par l’héritier du trône, et portée à l’envi par des femmes lasses de leur jeunesse et de leur beauté.
 
Pour compléter dignement cette miniature historique, je vous parlerai de deux livres qui contrastent merveilleusement par leur sens et leur portée. ''La destination de l’homme'', de Fichte, que M. Barchou nous a donnée, interprétée par une belle et simple préface, est un des plus beaux monumens de la philosophie, comparable pour la grandeur, l’élévation et l’intimité aux meilleurs dialogues de Platon ; réunissant au même degré la lueur paisible de la raison, et l’éclat éblouissant de la poésie, comme aux temps de la Grèce de Périclès. Dans ''le Livre des femmes'', j’ai distingué particulièrement une ''vieille histoire'', qui ne mérite pas son titre, puisqu’elle raconte, avec un charme plein d’animation et de nouveauté, un épisode de la vie du cœur, la seule histoire qui ne vieillisse pas. Peut-être l’ironie y est-elle
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trop abondante ; mais elle se réfute elle-même en maint endroit, et ne convertit personne.
 
P. S. Ce soir le procès de Bergeron et de Benoit n’est point encore jugé. A notre avis, la décision du jury ne saurait être douteuse. Un fait imperceptible, inaperçu au milieu des mille évènemens que chaque jour enregistre, nous confirme dans cette espérance. Nous apprenons qu’une médaille destinée à consacrer le souvenir de l’attentat du 19 novembre, et du miracle qui a sauvé la France et le roi, demandée par un auguste personnage à l’un de nos plus habiles graveurs, vient d’être décommandée. Ceci est de bon augure pour la défense. Que ferait M. Persil de ces deux têtes dont le crime est révoqué en doute par les victimes elles-mêmes ?
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BULLETIN THÉATRAL.- 14 mars 1833.
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Oui, un galop ! il n’y a que cela dans la pièce. Vous croyez peut-être que j’en veux dire du mal. Point du tout ; la pièce est admirable, car le galop est divin. Et comment aurait-on pu amener le galop sans la pièce ? comment la pièce aurait-elle fini sans le galop ? Vous voyez bien que cela se tient. Remarquez, je vous prie, comme ce galop est amené
 
Vous savez que Gustave III a été assassiné par un de ses amis, nommé Ankastroëm, par la raison qu’il lui avait fait perdre son argent, en changeant la valeur des papiers publics. C’est une raison comme une autre, et qui vaut bien celle pour laquelle M. Levasseur tire un coup de pistolet à M. AdolpheNourrit, le seul crime de M. Nourrit étant, à ma connaissance, de chanter une ariette ou deux à mademoiselle Falcon. Ankastroëm était
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donc à couteau tiré depuis un an ou deux avec son bon roi. M. Levasseur est très bien avec M. Nourrit. C’est son favori, son confident intime : le premier acte s’ouvre là-dessus.
 
Je conviens que le caractère de Gustave est très bien compris par le costumier. Sa redingote verte est admirable. Nonchalamment couché sur un sopha, le sage monarque se fait jouer un ballet, pour se délasser des soins de son empire ; mais dussé-je passer pour un maniaque et un ignorant, je ne saurais approuver les roses-pompons de couleur écarlate qu’il porte à ses souliers.
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Au cinquième acte, voilà où j’en voulais venir, on danse le galop. Ceux qui n’ont pas vu ce galop, ne savent rien des choses de ce monde. Jamais l’éclat des bougies, le bruit d’une fête, le parfum des fleurs, la musique, la folie et la beauté, n’ont fait une heure de plaisir comparable à celle-là. Jamais les masques agaçans, les costumes bizarrement accouplés les dominos et les grotesques, n’ont fait ondoyer leurs mille couleurs avec plus de grâce et d’esprit sous l’éclatante lueur des lustres. Jamais un collégien lisant les Mille et une Nuits n’a vu passer dans ses rêves du soir une fantasmagorie plus voluptueuse et plus enivrante. L’ensemble en est éblouissant ; l’analyse en est amusante. Si c’est là ce qu’on appelle l’art du théâtre, son but est rempli. La réalité est vaincue ; et la magie n’ira pas plus loin.
 
Et je vous le demande, que nous importe le reste ? que nous importe à nous qui venons nous accouder sur un balcon deux heures après dîner, que l’art soit en décadence, que la vraie musique fasse bâiller, que les poèmes de nos opéras dorment debout ? que nous importe que les bouffes aient perdu la vogue, que l’admirable talent de Rubini s’épuise en difficultés et danse sur la corde comme l’archet de Paganini ? que nous importe qu’on
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en soit venu pour attirer la foule, jusqu’à faire de nos opéras des concerts, et de nos concerts des opéras, qu’on nous donne un acte de l’un, un acte de l’autre, qu’on mutile Don Juan (Don Juan !), qu’on n’ait plus ni le sens, commun ni l’envie de l’avoir, qu’avaient du moins nos pères que les principes soient à tous les diables, et madame Malibran en Angleterre ? Il nous reste un galop, et du moment qu’on danse qu’importe sur quel air ? j’aime autant mes yeux que mes oreilles.
 
Vous croyez peut-être que c’est par fantaisie que l’opéra est à la mode ? pas du tout ; il y a une raison à tout ce qui se fait sous la lune, et la Providence sait pourquoi un siècle porte des habits carrés plutôt qu’un autre. C’est l’éternelle sagesse elle-même qui a mis le moyen âge en pantalon collant, et pas un atome de poudre à la Richelieu n’est tombé impunément sur la nuque de la régence. Avez-vous été au Gymnase depuis peu ? aux Variétés ? à la Porte-Saint-Martin ? Êtes-vous convaincu qu’on y bâille ? je ne vous demande si vous êtes allé aux Français, car il paraît qu’à la lueur de certaines lampes mal entretenues d’une huile épaisse, il se joue chaque jour sous une voûte déserte au coin du Palais-Royal une certaine quantité de drames ignorés. Mais pour tout dire en un mot, êtes-vous allé hier, irez-vous demain ailleurs qu’à l’Opéra ? Là est le siècle tout entier. Que nos musiciens apprennent à jouer des contredanses ; qu’ils songent à entourer ce divin spectacle de languissantes mélodies, de molles sérénades ; à ce prix, on veut encore de leurs efforts ; que nos poètes sachent amener une fête, une orgie ; qu’ils placent à propos dans leur cadre douze légères folies armées de leurs grelots ; qu’on y assassine un roi ou deux, si vous y tenez, mais que nous ayons des bals à la cour, et des galops.
 
A propos de galop, voilà le carnaval qui se meurt. C’est aujourd’hui la mi-carême, bien qu’il n’y ait plus de carême. N’y a-t-il pas eu quelque part des criailleries contre notre carnaval de cette année ? Il appartient à un pédant ennuyé de vivre, d’injurier des mascarades. A qui diable une mascarade a-t-elle jamais fait tort de sa vie ? On se plaint que les jeunes gens aillent aux Variétés ; je demande où l’on veut qu’ils aillent. Le faubourg Saint-Germain n’a pas donné un bal ; il ne s’y prend pas une glace, il ne s’y attèle pas quatre chevaux par jour. La Chaussée-d’Antin bâille fort aussi, quoiqu’on y attèle beaucoup et qu’on y mange de même. Pourquoi le jour du bal de l’Opéra, lorsque le directeur a voulu faire une tentative hardie et nouvelle, personne n’y a-t-il répondu ? Pourquoi ce jour-là comme les autres, pas une femme du monde n’a-t-elle osé prendre le masque ? je ne dis pas le domino ; ce vieil et insipide oripeau se promène depuis long-temps dans le désert. Mais on nous parle des mœurs de la régence ; en quoi les nôtres valent-elles mieux ?
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Lorsque la reine de France, déguisée en marchande de violettes, venait avec sa cour à l’Opéra, l’esprit pouvait entrer dans les plaisirs de la soirée, et il sortait de ces lèvres de carton rose d’autres choses que les hurlemens de l’ivresse et les saletés du cabaret. Vous appelez ces mœurs infâmes ; vous repoussez les femmes dans leurs ménages, et vous entourez d’une grille de fer le berceau de leurs filles. Cela est très sage, très juste, très décent. Mais un jeune homme ne se marie pas à vingt ans, et tous les ans le mardi gras vient à son heure, qu’on veuille ou non de lui. Accorderez-vous à la jeunesse qu’elle ait des sens, des besoins de plaisir, parfois même des jours de folie ? Où voulez-vous qu’elle les passe ? C’est un Anglais silencieux qui glisse sous une table inondée de ''porter'', sans proférer une plainte, et qui s’éteint dans l’eau-de-vie avec le papier embrasé qui la brûle. Il faut aux Français des voitures pleines de masques, des torches, des théâtres ouverts, des gendarmes et du vin chaud. Tant pis pour le siècle où les cabarets sont pleins et où les salons sont vides. Donnez la terre aux saint-simoniens, à chacun une pioche et un bonnet de coton. Otez à l’or sa valeur, au plaisir son attrait ; faites de la société un champ de blé de la Beauce, où pas un épi ne dépasse l’autre. Vous n’aurez plus alors de ''jeunesse dorée'', ni de Longchamp sur le boulevard Italien. Mais tant que vous voulez vivre dans un pays libre, où chacun peut faire ce qu’il entend, où l’or est en cours, où le plaisir est à bon marché, ne vous étonnez pas que les jeunes gens aillent en masque ; et vous, législateur prudent et circonspect, qui prêchez la morale publique, souvenez-vous de Caton l’Ancien, qui félicitait un jeune homme en le voyant sortir d’un lieu de débauche.