« Le Comte Gatti » : différence entre les versions

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[[Catégorie:Poèmes]]
 
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1833 - tome 1.djvu/416]]==
 
<pages index="Revue des Deux Mondes - 1833 - tome 1.djvu" from=416 to=419 />
<div style="text-align:center;">LE COMTE GATTI.<ref>Fragment de ''l’Italie'', recueil inédit dont nous publierons incessamment plusieurs pièces.</ref></div>
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<references/>
 
A M. Tom Massé
 
<center>I</center>
 
<poem>
Un soir que je venais du ''Barbier de Séville'',
Qui faisait à ''Valle'' courir toute la ville,
Par la folle musique en marchant poursuivi,
Je vis des groupes noirs sur la place Trévi ;
Car un jeune officier, telle était la nouvelle,
S’était, non loin de là, fait sauter la cervelle.
La balle avait brisé le crâne, et tellement
Défiguré les traits qu’en ce même moment
Son père, magistrat, vieillard octogénaire,
Rentrant dans sa maison à son heure ordinaire,
Et voyant tant de gens, sans deviner son sort,
Leur avait demandé quel était ce corps mort.
</poem>
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1833 - tome 1.djvu/417]]==
<poem>
Il venait de l’apprendre. Or, sur la place obscure
La foule se pressait, voulant voir la blessure,
Comme elle fait partout, et j’entendais ces voix
Du peuple, nasillant et criant à la fois :
Ah ! quel malheur, Jésus ! ciel ! un si beau jeune homme !
Un fils unique auquel son vieux père économe
Amassait des écus ; se tuer, se damner,
Quand on a de quoi vivre et toujours à dîner ! ..
Puis une voix de femme : ah ! quelle horrible affaire !
Non, sor Gaëtano, je ne peux pas m’y faire ;
Moi, qui l’ai par la main promené tout petit
Dans le temps des Français ! Ah ! qui l’eût jamais dit !…
C’est moi qui le portais à côté de sa mère,
Alors que de l’exil revint notre saint père,
En dix-huit cent quatorze, au Vatican, le soir,
Et qui, dans mes deux bras l’élevant, lui fis voir,
Le beau feu d’artifice et l’ardente coupole !
Pauvre petit, je crois que j’en deviendrai folle !
Ce matin même encore à l’endroit que voilà,
Il m’a crié de loin : Bonjour, ''sora Nanna'' !…
Et dire qu’à jamais c’est une chose faite !…
Une vieille ajoutait, tout en branlant la tête
Je vous l’avais prédit, moi, qu’il finirait mal !
C’était un libertin, passant les nuits au bal,
Un vrai carbonaro, grand faiseur de mystère,
Hantant, matin et soir, ces païens d’Angleterre !
Jamais je ne l’ai vu priant dans le saint lieu ;
Car, lorsqu’il y venait, ce n’était pas pour Dieu,
Comme font les chrétiens et les dévotes âmes :
C’était pour présenter de l’eau bénite aux dames.
Aux pays du midi comme aux pays du nord,
Tel s’agite le peuple alors qu’un homme est mort
</poem>
 
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1833 - tome 1.djvu/418]]==
 
<center>II</center>
 
<poem>
Or, en les écoutant, je m’approchai, dans l’ombre,
D’un moine, qui, caché sous son grand manteau sombre,
Et libre en son parler d’hypocrite jargon,
Causait en s’appuyant sur le bras d’un dragon ;
Ce Gatti, disait-il, et vous pouvez me croire,
Car je le connaissais, et je sais son histoire,
Ce Gatti, donc, était garde-noble : ravi
D’amour, il faisait l’œil à la Campinovi,
Coquette du Corso, cette femme si belle
Qu’un Anglais, l’an dernier, s’empoisonna pour elle ;
Se voyant dédaigné, lassé de ses mépris,
D’un grand dégoût de vivre à la fin il fut pris
Il s’est tué. Nous donc, prions Dieu pour son âme !…
« Frère, lui répondis-je, ah ! prions pour la femme !
Pour la femme, qui fait qu’à cette heure de nuit,
Parmi ces inconnus, au milieu de ce bruit,
Un pire au désespoir, dont les vieilles paupières,
Suivant l’ordre, auraient dû se fermer les premières,
Tient le corps de son fils entre ses bras tremblans,
Et dans ce jeune sang trempe ses cheveux blancs !
Moine, je te le dis, ah ! prions pour la femme !
Ce sont elles, vois-tu, dont la vie est infâme,
Et qui, pour expier leurs plaisirs dépravés,
Devraient s’user la lèvre à baiser les pavés ! »
</poem>
 
<center>III</center>
 
<poem>
— Ah ! femmes d’Italie, en ce temps où nous sommes,
Si vous laissez mourir pour vous les jeunes hommes,
Ce n’est pas chasteté, ni devoir ; c’est qu’au fond,
Vous sentez mal un cœur, et son amour profond.
</poem>
==[[Page:Revue des Deux Mondes - 1833 - tome 1.djvu/419]]==
<poem>
Ne parlez donc jamais ici de Messaline,
Vous avez surpassé la luxure latine !
Et n’avons-nous pas vu la comtesse Galli
Et Pietro l’armurier aller à Tivoli,
En caratelle ouverte, un jour de promenade,
Et de leur sale amour nous faire ainsi parade !
Et pourtant cette femme est belle, et Raphaël
Aurait donné ses traits à la vierge du ciel !
Quant à celui qu’elle aime, il est laid : c’est un homme
De la classe ''mininte'', ainsi qu’on dit à Rome ;
Il trompe la comtesse, et la publique voix
Dit qu’il mange son bien et la bat quelquefois.
Mais il est fort : or donc, à parler sans scrupule,
Pour soutenir son bras, la Galli veut Hercule.
</poem>
 
<center>IV</center>
 
<poem>
Comme je m’enfonçais dans cet amer penser,
Ceux qui parlaient du mort allaient se disperser ;
Et je vis à leur place, en relevant la tête,
Des visages rians et des habits de fête :
C’étaient des gens masqués qui s’en allaient au bal,
Car on était alors au temps du carnaval.
</poem>
 
ANTONI DESCHAMPS.