« Ainsi parlait Zarathoustra (édition 1898) » : différence entre les versions

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==__MATCH__:[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra.djvu/213]]==
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra.djvu/213]]==
LE VOYAGEUR
 
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Il ne fait que me revenir, il est enfin de retour - mon propre moi, et voici toutes les parties de lui-même qui furent longtemps à l'étranger et dispersées parmi toutes les choses et tous les hasards.
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra.djvu/214]]==
 
Et je sais une chose encore: je suis maintenant devant mon dernier sommet et devant ce qui m'a été épargné le plus longtemps. Hélas! il faut que je suive mon chemin le plus difficile! Hélas! j'ai commencé mon plus solitaire voyage!
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Chez celui qui s'est toujours beaucoup ménagé, l'excès de ménagement finit par devenir une maladie. Béni soit ce qui rend dur! Je ne vante pas le pays où coulent le beurre et le miel!
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra.djvu/215]]==
 
Pour voir beaucoup de choses il faut apprendre à voir loin de soi: - cette dureté est nécessaire pour tous ceux qui gravissent les montagnes.
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Je suis devant ma plus haute montagne et devant mon plus long voyage: c'est pourquoi il faut que je descende plus bas que je ne suis jamais monté:
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra.djvu/216]]==
plus bas dans la douleur que je ne suis jamais descendu, jusque dans l'onde la plus noire de douleur! Ainsi le veut ma destinée: Eh bien! Je suis prêt.
 
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Hélas! pourquoi ma main n'a-t-elle pas assez de force! Que j'aimerais vraiment te délivrer des mauvais rêves! -
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra.djvu/217]]==
 
Tandis que Zarathoustra parlait ainsi, il se mit à rire sur lui-même avec mélancolie et amertume. Comment! Zarathoustra! dit-il, tu veux encore chanter des consolations à la mer?
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DE LA VISION ET DE L'ÉNIGME
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra.djvu/218]]==
 
 
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à vous qui êtes ivres d'énigmes, heureux du demi-jour, vous dont l'âme se laisse attirer par le son des flûtes dans tous les remous trompeurs:
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra.djvu/219]]==
 
car vous ne voulez pas tâtonner d'une main peureuse le long du fil conducteur; et partout où vous pouvez deviner, vous détestez de conclure -
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Zarathoustra, pierre de la sagesse, pierre lancée, destructeur d'étoiles! c'est toi-même que tu as lancé si haut, - mais toute pierre jetée doit - retomber!
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra.djvu/220]]==
 
Condamné à toi-même et à ta propre lapidation: ô Zarathoustra, tu as jeté bien loin la pierre, - mais elle retombera sur toi!"
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Le courage est le meilleur des meurtriers: le courage tue aussi la pitié. Et la pitié est l'abîme le plus profond: l'homme voit au fond de la souffrance, aussi profondément qu'il voit au fond de la vie.
 
Le courage cependant est le meilleur des meurtriers, le courage qui attaque: il finira par tuer la mort, car il dit: "
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra.djvu/221]]==
Comment? était-ce là la vie? Allons! Recommençons encore une fois!"
 
Dans une telle maxime, il y a beaucoup de fanfare. Que celui qui a des oreilles entende. -
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Mais si quelqu'un suivait l'un de ces chemins - en allant toujours plus loin: crois-tu nain, que ces chemins seraient en contradiction!" -
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra.djvu/222]]==
 
"Tout ce qui est droit ment, murmura le nain avec mépris. Toute vérité est courbée, te temps lui-même est un cercle."
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Ne devons-nous pas revenir et courir de nouveau dans cette autre rue qui monte devant nous, dans cette longue rue lugubre - ne faut-il pas qu'éternellement nous revenions? -"
 
Ainsi parlais-je et d'une voix toujours plus basse, car j'avais peur de mes propres pensées et de mes arrière-
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra.djvu/223]]==
pensées. Alors soudain j'entendis un chien hurler tout près de nous.
 
Ai-je jamais entendu un chien hurler ainsi? Mes pensées essayaient de se souvenir en retournant en arrière. Oui! Lorsque j'étais enfant, dans ma plus lointaine enfance:
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Et, en vérité, je n'ai jamais rien vu de semblable à ce que je vis là. Je vis un jeune berger, qui se tordait, râlant et convulsé, le visage décomposé, et un lourd serpent noir pendant hors de sa bouche.
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra.djvu/224]]==
 
Ai-je jamais vu tant de dégoût et de pâle épouvante sur un visage! Il dormait peut-être lorsque le serpent lui est entré dans le gosier - il s'y est attaché.
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Il n'était plus ni homme, ni berger, - il était transformé, rayonnant, il riait! Jamais encore je ne vis quelqu'un rire comme lui!
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra.djvu/225]]==
 
O mes frères, j'ai entendu un rire qui n'était pas le rire d'un homme, - - et maintenant une soif me ronge, un désir qui sera toujours insatiable.
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DE LA BÉATITUDE INVOLONTAIRE
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra.djvu/226]]==
BÉATITUDE INVOLONTAIRE
 
 
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O après-midi de ma vie! Un jour mon bonheur, lui aussi, est descendu dans la vallée pour y chercher un asile: alors il a trouvé ces âmes ouvertes et hospitalières.
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra.djvu/227]]==
 
O après-midi de ma vie! Que n'ai-je abandonné pour avoir une seule chose: cette vivante plantation de mes pensées et cette lumière matinale de mes plus hautes espérances!
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Là-bas, où les tempêtes se précipitent dans la mer, où le pied de la montagne est baigné par les flots, il faudra que chacun monte la garde de jour et de nuit, veillant pour faire son examen de conscience.
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra.djvu/228]]==
 
Il faut qu'il soit reconnu et éprouvé, pour que l'on sache s'il est de ma race et de mon origine, s'il est maître d'une longue volonté, silencieux, même quand il parle, et cédant de façon à prendre, lorsqu'il donne: -
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Déjà je désirais le froid et l'hiver: "O que le froid et l'hiver me fassent de nouveau grelotter et claquer des dents!" soupirai-je: - alors des brumes glaciales s'élevèrent de moi.
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra.djvu/229]]==
 
Mon passé brisa ses tombes, mainte douleur enterrée vivante se réveilla -: elle n'avait fait que dormir cachée sous les linceuls.
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L'heure de ma dernière lutte n'est pas encore venue, - ou bien me vient-elle en ce moment? En vérité, avec une beauté maligne, la mer et la vie qui m'entourent me regardent!
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra.djvu/230]]==
 
O après-midi de ma vie! O bonheur avant le soir! O rade en pleine mer! O paix dans l'incertitude! Comme je me méfie de vous tous!
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AVANT LE LEVER DU SOLEIL
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra.djvu/231]]==
 
 
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Nous ne nous parlons pas parce que nous savons trop de choses: - nous nous taisons et, par des sourires, nous nous communiquons notre savoir.
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra.djvu/232]]==
 
N'est-tu pas la lumière jaillie de mon foyer? n'est-tu pas l'âme-soeur de mon intelligence?
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Je préfère me cacher dans le tonneau sans voir le ciel ou m'enfouir dans l'abîme, que de te voir toi, ciel de lumière, terni par les nuages qui passent!
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra.djvu/233]]==
 
Et souvent j'ai eu envie de les fixer avec des éclairs dorés, et, pareil au tonnerre, de battre la timbale sur leur ventre de chaudron: - timbaler en colère, puisqu'ils me dérobent ton affirmation, ciel pur au-dessus de moi! ciel clair! abîme de lumière! - puisqu'ils te dérobent mon affirmation!
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Car toutes les choses sont baptisées à la source de l'éternité, par delà le bien et le mal; mais le bien et le mal ne sont eux-mêmes que des ombres fugitives, d'humides afflictions et des nuages passants.
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra.djvu/234]]==
 
En vérité, c'est une bénédiction et non une malédiction que d'enseigner: "Sur toutes choses, se trouve le ciel hasard, le ciel innocence, le ciel à peu près, le ciel pétulance."
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Mais tu rougis? Ai-je dit des choses inexprimables? Ai-je maudi en voulant te bénir?
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra.djvu/235]]==
 
Ou bien est-ce la honte d'être deux qui te fait rougir? - Me dis-tu de m'en aller et de me taire puisque maintenant - le jour vient?
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DE LA VERTU QUI RAPETISSE
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra.djvu/236]]==
 
 
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Je vois partout des portes plus basses: celui qui est de mon espèce peut encore y passer, mais - il faut qu'il se courbe!
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra.djvu/237]]==
 
Oh! quand retournerai-je dans ma patrie où je ne serai plus forcé de me courber - de me courber devant les petits!" - Et Zarathoustra soupira et regarda dans le lointain.
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Ils potinent entre eux: "Que nous veut ce sombre nuage? Veillons à ce qu'il ne nous amène pas une épidémie!"
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra.djvu/238]]==
 
Et dernièrement une femme tira contre elle son enfant qui voulait s'approcher de moi: "Éloignez les enfants! cria-t-elle; de tels yeux brûlent les âmes des enfants."
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Car ils ont aussi la modestie de leur vertu, - parce qu'ils veulent avoir leurs aises. Mais seule une vertu modeste se comporte avec les aises.
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra.djvu/239]]==
 
Ils apprennent aussi à marcher à leur manière et à marcher en avant: c'est ce que j'appelle aller clopin-clopant. - C'est ainsi qu'ils sont un obstacle pour tous ceux qui se hâtent.
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Tant il y a de bonté, tant il y a de faiblesse! Tant il y a de justice et de compassion, tant il y a de faiblesse!
 
Ils
Ils sont ronds, loyaux et bienveillants les uns envers les autres, comme les grains de sable sont ronds, loyaux et bienveillants envers les grains de sable.
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra.djvu/240]]==
sont ronds, loyaux et bienveillants les uns envers les autres, comme les grains de sable sont ronds, loyaux et bienveillants envers les grains de sable.
 
Embrasser modestement un petit bonheur, - c'est ce qu'ils appellent "résignation"! et du même coup ils louchent déjà modestement vers un nouveau petit bonheur.
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Je passe au milieu de ce peuple et je laisse tomber maintes paroles: mais ils ne savent ni prendre ni retenir.
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra.djvu/241]]==
 
Ils s'étonnent que je ne sois pas venu pour blâmer les débauches et les vices; et, en vérité, je ne suis pas venu non plus pour mettre en garde contre les pickpockets.
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Je suis Zarathoustra, l'impie: je fais bouillir dans ma marmite tout ce qui est hasard. Et ce n'est que lorsque le hasard est cuit à point que je lui souhaite la bienvenue pour en faire ma nourriture.
 
Et en vérité, maint hasard s'est approché de moi en maître: mais ma volonté lui parle d'une façon plus impérieuse
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra.djvu/242]]==
encore, - et aussitôt il se mettait à genoux devant moi en suppliant - me suppliant de lui donner asile et accueil cordial, et me parlant d'une manière flatteuse: "Vois donc, Zarathoustra, il n'y a qu'un ami pour venir ainsi chez un ami!"
 
Mais pourquoi parler, quand personne n'a mes oreilles! Ainsi je veux crier à tous les vents:
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"Cela ce donne" - telle est aussi une doctrine de la résignation. Mais moi je vous dis, à vous qui aimez vos aises: cela se prend, et cela prendra de vous toujours davantage!
 
Hélas, que ne vous défaites-vous de tous ces demi-
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra.djvu/243]]==
vouloirs, que ne vous décidez-vous pour la paresse comme pour l'action!
 
Hélas, que ne comprenez-vous ma parole: "Faites toujours ce que vous voudrez, - mais soyez d'abord de ceux qui peuvent vouloir!"
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SUR LE MONT DES OLIVIERS
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra.djvu/244]]==
 
 
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Il vau encore mieux claquer des dents que d'adorer les idoles! - telle est ma nature. Et j'en veux surtout à toutes les idoles du feu, qui sont ardentes, bouillonnantes et mornes.
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra.djvu/245]]==
 
Quand j'aime quelqu'un, je l'aime en hiver mieux qu'en été; je me moque mieux de mes ennemis, je m'en moque avec le plus de courage, depuis que l'hiver est dans la maison.
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Est-ce de lui que j'appris les longs silences illuminés? Ou bien est-ce de moi qu'il les a appris? Ou bien chacun de nous les a-t-il inventés lui-même?
 
Toutes les
Toutes les bonnes choses ont une origine multiple, - toutes les bonnes choses folâtres sautent de plaisir dans l'existence: comment ne feraient-elles cela qu'une seule fois!
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra.djvu/246]]==
bonnes choses ont une origine multiple, - toutes les bonnes choses folâtres sautent de plaisir dans l'existence: comment ne feraient-elles cela qu'une seule fois!
 
Le long silence, lui aussi, est une bonne chose folâtre. Et pareil à un ciel d'hiver, mon visage est limpide et le calme est dans mes yeux: - comme le ciel d'hiver je cache mon soleil et mon inflexible volonté de soleil: en vérité j'ai bien appris cet art et cette malice d'hiver!
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Cependant, ceux qui restent clairs, et braves, et transparents - sont ceux que leur silence trahit le moins: ils sont si profonds que l'eau la plus claire ne révèle pas ce qu'il y a au fond.
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra.djvu/247]]==
 
Silencieux ciel d'hiver à la barbe de neige, tête blanche aux yeux clairs au-dessus de moi! O divin symbole de mon âme et de la pétulance de mon âme!
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Comment sauraient-ils supporter mon bonheur si je ne mettais autour de mon bonheur des accidents et des misères hivernales, des toques de fourrure et des manteaux de neige? - si je n'avais moi-même pitié de leur apitoiement, l'apitoiement de ces tristes envieux? - si moi-même je ne soupirais et ne grelottais pas devant eux, en me laissant envelopper patiemment dans leur pitié?
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra.djvu/248]]==
 
Ceci est la sagesse folâtre et la bienveillance de mon âme, qu'elle ne cache point son hiver et ses vents glacés; elle ne cache pas même ses engelures.
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EN PASSANT
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra.djvu/249]]==
 
 
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Ici pourrissent tous les grandes sentiments: ici on ne laisse cliqueter que les petits sentiments desséchés!
 
Ne sens-tu pas déjà l'odeur des abattoirs et des gargotes de l'esprit? Les vapeurs des esprits abattus ne font-elles pas fumer cette ville?
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra.djvu/250]]==
Ne vois-tu pas les âmes suspendues comme des torchons mous et malpropres? - et ils se servent de ces torchons pour faire des journaux.
 
N'entends-tu pas ici l'esprit devenir jeu de mots? il se fait jeu en de repoussants calembours! - et c'est avec ces rinçures qu'ils font des journaux! Ils se provoquent et ne savent pas à quoi. Ils s'échauffent et ne savent pas pourquoi. Ils font tinter leur fer-blanc et sonner leur or.
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La lune a sa cour et la cour a ses satellites: mais le peuple mendiant et toutes les habiles vertus mendiantes élèvent des prières vers tout ce qui vient de la cour.
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra.djvu/251]]==
 
"Je sers, tu sers, nous servons" - ainsi prient vers le souverain toutes les vertus habiles: afin que l'étoile méritée s'accroche enfin à la poitrine étroite!
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"Te tairas-tu enfin! s'écria Zarathoustra, il y a longtemps que ta parole et ton allure me dégoûtent!
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra.djvu/252]]==
 
Pourquoi as-tu vécu si longtemps au bord du marécage, te voilà, toi aussi, devenu grenouille et crapaud!
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Ainsi parlait Zarathoustra, et, regardant la grande ville, il soupira et se tut longtemps. Enfin il dit ces mots:
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra.djvu/253]]==
 
Je suis dégoûté de cette grande ville moi aussi; il n'y a pas que ce fou qui me dégoûte. Tant ici que là il n'y a rien à améliorer, rien à rendre pire!
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DES TRANSFUGES
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra.djvu/254]]==
 
 
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Ils voltigeaient jadis autour de la lumière et de la liberté, comme font les moucherons et les jeunes poètes. Un peu plus vieux, un peu plus froids: et déjà ils sont assis derrière le poêle, comme des calotins et des cagots.
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra.djvu/255]]==
 
Ont-ils perdu courage parce que la solitude m'a englouti comme aurait fait une baleine? Ont-ils vainement prêté l'oreille, longtemps et pleins de désir, sans entendre mes trompettes et mes appels de héraut?
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-
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra.djvu/256]]==
2.
 
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Je l'entends et je le sens: l'heure est venue des chasses et des processions, non des chasses sauvages, mais des chasses douces et débiles, reniflant dans les coins, sans faire plus de bruit que le murmure des prières, - des chasses aux cagots, pleins d'âme: toutes les souricières des coeurs sont de nouveau braquées! Et partout où je soulève un rideau, une petite phalène se précipite dehors.
 
Était-
Était-elle blottie là avec une autre petite phalène? Car partout je sens de petites communautés cachées; et partout où il y a des réduits, il y a de nouveaux bigots avec l'odeur des bigots.
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra.djvu/257]]==
elle blottie là avec une autre petite phalène? Car partout je sens de petites communautés cachées; et partout où il y a des réduits, il y a de nouveaux bigots avec l'odeur des bigots.
 
Ils se mettent ensemble pendant des soirées entières et ils se disent: "Redevenons comme les petits enfants et invoquons le bon Dieu!" - Ils ont la bouche et l'estomac gâtés par les pieux confiseurs.
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Ou bien ils écoutent un vieux charlatan, musicien ambulant, à qui la tristesse du vent a enseigné la lamentation des tons; maintenant il siffle d'après le vent et il prêche la tristesse d'un ton triste.
 
Et quelques-uns d'entre eux se sont même faits veilleurs de nuit: ils savent maintenant souffler dans la corne,
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra.djvu/258]]==
circuler la nuit et réveiller de vieilles choses endormies depuis longtemps.
 
J'ai entendu hier dans la nuit, le long des vieux murs du jardin, cinq paroles à propos de ces vieilles choses: elles venaient de ces vieux veilleurs de nuit tristes et grêles.
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Le temps n'est-il pas depuis longtemps passé, même pour de pareils doutes? Qui aurait le droit de réveiller dans leur sommeil d'aussi vieilles choses ennemies de la lumière?
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra.djvu/259]]==
 
Il y a longtemps que c'en est fini des dieux anciens: - et, en vérité, ils ont eu une bonne et joyeuse fin divine!
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LE RETOUR
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra.djvu/260]]==
 
 
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"Mais ici tu es chez toi et dans ta demeure; ici tu peux tout dire et t'épancher tout entier, ici nul n'a honte des sentiments cachés et tenaces.
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra.djvu/261]]==
 
"Ici toutes choses s'approchent à ta parole, elles te cajolent et te prodiguent leurs caresses: car elles veulent monter sur ton dos. Monté sur tous les symboles tu chevauches ici vers toutes les vérités.
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O solitude! Toi ma patrie, solitude! Comme ta voix me parle, bienheureuse tendre!
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra.djvu/262]]==
 
Nous ne nous questionnons point, nous ne nous plaignons point l'un à l'autre, ouvertement nous passons ensemble les portes ouvertes.
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Chez eux tout parle, personne ne sait plus comprendre. Tout tombe à l'eau, rien ne tombe plus dans de profondes fontaines.
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra.djvu/263]]==
 
Chez eux tout parle, rien ne réussit et ne s'achève plus. Tout caquette, mais qui veut encore rester au nid à couver ses oeufs?
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moi-même, et me vengeant souvent sur moi-même de ce ménagement.
 
Piqué de mouches
Piqué de mouches venimeuses, et rongé comme la pierre, par les nombreuses gouttes de la méchanceté, ainsi j'étais parmi eux et je me disais encore: "Tout ce qui est petit est innocent de sa petitesse!"
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra.djvu/264]]==
venimeuses, et rongé comme la pierre, par les nombreuses gouttes de la méchanceté, ainsi j'étais parmi eux et je me disais encore: "Tout ce qui est petit est innocent de sa petitesse!"
 
C'est surtout ceux qui s'appelaient "les bons" que j'ai trouvés être les mouches les plus venimeuses: ils piquent en toute innocence; ils mentent en toute innocence; comment sauraient-ils être - justes envers moi!
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DES TROIS MAUX
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra.djvu/265]]==
 
 
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Ma sagesse lui aurait-elle parlé en secret, ma sagesse du jour, riante et éveillée, qui se moque de tous les "mondes infinis"? Car elle dit: "Où il y a de la force, le nombre finit par devenir maître, car c'est lui qui a le plus de force."
 
Avec quelle certitude mon rêve a regardé ce monde fini! Ce n'était de sa part ni curiosité, ni indiscrétion, ni crainte, ni prière: -
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra.djvu/266]]==
comme si une grosse pomme s'offrait à ma main, une pomme d'or, mûre, à pelure fraîche et veloutée - ainsi s'offrit à moi le monde: - comme si un arbre me faisait signe, un arbre à larges branches, ferme dans sa volonté, courbé et tordu en appui et en reposoir pour le voyageur fatigué: ainsi le monde était placé sur mon promontoire: - comme si des mains gracieuses portaient un coffret à ma rencontre, - un coffret ouvert pour le ravissement des yeux pudiques et vénérateurs: ainsi le monde se porte à ma rencontre: - pas assez énigme pour chasser l'amour des hommes, pas assez intelligible pour endormir la sagesse des hommes: - une chose humainement bonne, tel me fut aujourd'hui le monde que l'on calomnie tant!
 
Combien je suis reconnaissant à mon rêve du matin d'avoir ainsi pesé le monde à la première heure! Il est venu à moi comme une chose humainement bonne, ce rêve et ce consolateur de coeur!
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La volupté, le désir de domination, l'égoïsme: ces trois choses ont été les plus maudites et les plus calomniées jusqu'à présent, - ce sont ces trois choses que je veux peser humainement bien.
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra.djvu/267]]==
 
Eh bine! Voici mon promontoire et voilà la mer: elle roule vers moi, moutonneuse, caressante, cette vieille et fidèle chienne, ce monstre à cent têtes que j'aime.
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Volupté - c'est pour les coeurs libres quelque chose d'innocent et de libre, le bonheur du jardin de la terre, la débordante reconnaissance de l'avenir pour le présent.
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra.djvu/268]]==
 
Volupté - ce n'est un poison doucereux que pour les flétris, mais pour ceux qui ont la volonté du lion, c'est le plus grand cordial, le vin des vins, que l'on ménage religieusement.
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Désir de dominer - dont le regard fait ramper et se courber l'homme, qui l'asservit et l'abaisse au-dessous du serpent et du cochon: jusqu'à ce qu'enfin le grand mépris clame en lui.
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra.djvu/269]]==
 
Désir de dominer - c'est le terrible maître qui enseigne le grand mépris, qui prêche en face des villes et des empires: "Ote-toi!" - jusqu'à ce qu'enfin ils s'écrient eux-mêmes: "Que je m'ôte moi!"
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Et c'est alors qu'il arriva aussi - et, en vérité, ce fut pour la première fois! - que sa parole fit la louange de l'égoïsme, le bon et sain égoïsme qui jaillit de l'âme puissante: - de l'âme puissante, unie au corps élevé, au corps beau, victorieux et réconfortant, autour de qui toute chose devient miroir: - le corps souple qui persuade, le danseur dont le symbole et l'expression est l'âme joyeuse d'elle-même. La joie égoïste de tels corps, de telles âmes s'appelle elle-même: "vertu".
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra.djvu/270]]==
 
Avec ce qu'elle dit du bon et du mauvais, cette joie égoïste se protège elle-même, comme si elle s'entourait d'un bois sacré; avec les noms de son bonheur, elle bannit loin d'elle tout ce qui est méprisable.
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Que quelqu'un soit servile devant les dieux et les coups de pieds divins ou devant des hommes et de stupides opinions d'hommes: à toute servilité il crache au visage, ce bienheureux égoïsme!
 
Mauvais: - c'est ainsi qu'elle appelle tout ce qui est abaissé, cassé, chiche et servile, les yeux clignotants et soumis, les coeurs contrits, et ces créatures fausses et
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra.djvu/271]]==
fléchissantes qui embrassent avec de larges lèvres peureuses.
 
Et sagesse fausse: - c'est ainsi qu'elle appelle tous les bons mots des valets, des vieillards et des épuisés; et surtout l'absurde folie pédante des prêtres!
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DE L'ESPRIT DE LOURDEUR
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra.djvu/272]]==
 
 
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Et c'est surtout parce que je suis l'ennemi de l'esprit de lourdeur, que je suis comme un oiseau: ennemi à mort en vérité, ennemi juré, ennemi né! Où donc mon inimitié ne s'est-elle pas déjà envolée et égarée?
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra.djvu/273]]==
 
C'est là-dessus que je pourrais entonner un chant - et je veux l'entonner: quoique je sois seul dans une maison vide et qu'il faille que je chante à mes propres oreilles.
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Un tel vagabondage s'est donné le nom "d'amour du prochain": c'est par ce mot d'amour qu'on a le mieux menti et dissimulé, et ceux qui étaient à charge plus que tous les autres.
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra.djvu/274]]==
 
Et, en vérité, apprendre à s'aimer, ce n'est point là un commandement pour aujourd'hui et pour demain. C'est au contraire de tous les arts le plus subtil, le plus rusé, le dernier et le plus patient.
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Surtout l'homme vigoureux et patient, plein de vénération: il charge sur ses épaules trop de paroles et de valeurs étrangères et lourdes, - alors la vie lui semble un désert!
 
Et, en vérité! bien des choses qui vous sont propres sont aussi lourdes à porter! Et l'intérieur de l'homme ressemble beaucoup à l'huître, il est rebutant, flasque et difficile à saisir, -
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra.djvu/275]]==
en sorte qu'une noble écorce avec de nobles ornements se voit obligée d'intercéder pour le reste. Mais cet art aussi doit être appris: posséder de l'écorce, une belle apparence et un sage aveuglement!
 
Chez l'homme on est encore trompé sur plusieurs autres choses, puisqu'il y a bien des écorces qui sont pauvres et tristes, et qui sont trop de l'écorce. Il y a beaucoup de force et de bontés cachées qui ne sont jamais devinées; les mets les plus délicats ne trouvent pas d'amateurs.
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Mais tout mâcher et tout digérer - c'est faire comme les cochons! Dire toujours I-A, c'est ce qu'apprennent seuls l'âne et ceux qui sont de son espèce! -
 
C'
C'est le jaune profond et le rouge intense que mon goût désire, - il mêle du sang à toutes les couleurs. Mais celui qui crépit sa maison de blanc révèle par là qu'il a une âme crépie de blanc.
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra.djvu/276]]==
est le jaune profond et le rouge intense que mon goût désire, - il mêle du sang à toutes les couleurs. Mais celui qui crépit sa maison de blanc révèle par là qu'il a une âme crépie de blanc.
 
Les uns amoureux des momies, les autres des fantômes; et nous également ennemis de la chair et du sang - comme ils sont tous en contradiction avec mon goût! Car j'aime le sang.
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Car ceci est ma doctrine: qui veut apprendre à voler un jour doit d'abord apprendre à se tenir debout, à marcher, à courir, à sauter, à grimper et à danser: on n'apprend pas à voler du premier coup!
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra.djvu/277]]==
 
Avec des échelles de corde j'ai appris à escalader plus d'une fenêtre, avec des jambes agiles j'ai grimpé sur de hauts mâts: être assis sur des hauts mâts de la connaissance, quelle félicité! - flamber sur de hauts mâts comme de petites flammes: une petite lumière seulement, mais pourtant une grande consolation pour les vaisseaux échoués et les naufragés! -
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DES VIEILLES ET DES NOUVELLES TABLES
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra.djvu/278]]==
 
 
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Toute discussion sur la vertu leur semblait une chose vieille et fatiguée, et celui qui voulait bien dormir parlait encore du "bien" et du "mal" avant d'aller se coucher.
 
J'ai
J'ai secoué la torpeur de ce sommeil lorsque j'ai enseigné: Personne ne sait encore ce qui est bien et mal: - si ce n'est le créateur!
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra.djvu/279]]==
secoué la torpeur de ce sommeil lorsque j'ai enseigné: Personne ne sait encore ce qui est bien et mal: - si ce n'est le créateur!
 
Mais c'est le créateur qui crée le but des hommes et qui donne sons sens et son avenir à la terre: c'est lui seulement qui crée le bien et le mal de toutes choses.
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Mon sage désir jaillissait de moi avec des cris et des rires; comme une sagesse sauvage vraiment il est né sur les montagnes! - mon grand désir aux ailes bruissantes.
 
Et souvent il m'a emporté bien loin, au delà des monts, vers les hauteurs, au milieu du rire: alors il m'arrivait de voler en frémissant comme une flèche, à travers des extases ivres de soleil: -
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra.djvu/280]]==
au delà, dans les lointains avenir que nul rêve n'a vus, dans les midis plus chauds que jamais imagier n'en rêva: là-bas où les dieux dansants ont honte de tous les vêtements: - afin que je parle en paraboles, que je balbutie et que je boite comme les poètes; et, en vérité, j'ai honte d'être obligé d'être encore poête! -
 
Où tout devenir me semblait danses et malices divines, où le monde déchaîné et effréné se réfugiait vers lui-même: - comme une éternelle fuit de soi et une éternelle recherche de soi chez des dieux nombreux, comme un bienheureuse contradiction de soi, une répétition et un retour vers soi-même des dieux nombreux: - où tout temps me semblait une bienheureuse moquerie des instants, où le nécessité était la liberté même qui se jouait avec bonheur de l'aiguillon de la liberté: - où j'ai retrouvé aussi mon vieux démon et mon ennemi né, l'esprit de lourdeur et tout ce qu'il il a créé: la contrainte, la loi, la nécessité, la conséquence, le but, la volonté, le bien et le mal: - car ne faut-il pas qu'il y ait des choses sur lesquelles on puisse danser et passer? Ne faut-il pas qu'il y ait - à cause de ceux qui sont légers et les plus légers - des taupes et de lourds nains?
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C'est là aussi que j'ai ramassé sur ma route le mot de "Surhumain" et cette doctrine: l'homme est quelque chose qui doit être surmonté, - l'homme
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra.djvu/281]]==
est un pont et non un but: se disant bienheureux de son midi et de son soir, une voie vers de nouvelles aurores: - la parole de Zarathoustra sur le grand Midi et tout ce que j'ai suspendu au-dessus des hommes, semblable à un second couchant de pourpre.
 
En vérité, je leur fis voir aussi de nouvelles étoiles et de nouvelles nuits; et sur les nuages, le jour et la nuit, j'ai étendu le rire, comme une tente multicolore.
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Car encore une fois je veux retourner auprès des hommes: c'est parmi eux que je veux disparaître et, en mourant, je veux leur offrir le plus riche de mes dons!
 
C'est du soleil que j'ai appris cela, quand il se couche, du soleil trop riche: il répand alors dans la mer l'or de sa richesse inépuisable, - en
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra.djvu/282]]==
sorte que même les plus pauvres pêcheurs rament alors avec des rames dorées! Car c'est cela que j'ai vu jadis et, tandis que je regardais, mes larmes coulaient sans cesse. -
 
Pareil au soleil, Zarathoustra, lui aussi, veut disparaître: maintenant il est assis là a attendre, entouré de vieilles tables brisées et de nouvelles tables, - à demi-écrites.
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Celui qui ne peut pas se commander à soi-même doit obéir. Et il y en a qui savent se commander, mais il s'en faut encore de beaucoup qu'ils sachent aussi s'obéir!
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra.djvu/283]]==
 
 
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Ce qu'il y a de mieux en nous est encore jeune: c'est ce qui irrite les vieux gosiers. Notre chair est tendre, notre peau n'est qu'une peau d'agneau: - comment ne tenterions-nous pas de vieux prêtres idolâtres!
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra.djvu/284]]==
 
Il habite encore en nous-mêmes, le vieux prêtre idolâtre qui se prépare à faire un festin de ce qu'il y a de mieux en nous. Hélas! mes frères, comment des précurseurs ne seraient-ils pas sacrifiés!
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A côté de la mauvaise conscience, naquit jusqu'à présent toute science! Brisez, brisez-moi les vieilles tables, vous qui cherchez la connaissance!
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra.djvu/285]]==
 
 
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O mes frères! tout ne coule-t-il pas maintenant? Toutes les balustrades et toutes les passerelles ne sont-elles pas tombées à l'eau? Qui se tiendrait encore au "bien" et au "mal"?
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra.djvu/286]]==
 
"Malheur à nous! gloire à nous! le vent du dégel souffle!" - Prêchez ainsi, mes frères, à travers toutes les rues.
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N'y a-t-il pas dans la vie elle-même - le vol et l'assassinat? Et, en sanctifiant ces paroles, n'a-t-on pas assassiné la vérité elle-même?
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra.djvu/287]]==
 
Ou bien était-ce prêcher la mort que de sanctifier tout ce qui contredisait et déconseillait la vie? - O mes frères, brisez, brisez-moi les vieilles tables.
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Car il faut beaucoup de nobles pour qu'il y ait de la noblesse! Ou bien, comme j'ai dit jadis en parabole: "Ceci précisément est de la divinité, qu'il y ait beaucoup de dieux, mais pas de Dieu!"
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra.djvu/288]]==
 
 
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Et, en vérité, quel que soit le pays où ce "Saint-Esprit" ait conduit ses chevaliers, le cortège de ses chevaliers était toujours - précédé de chèvres, d'oies, de fous et de toqués! -
 
O
O mes frères! ce n'est pas en arrière que votre noblesse doit regarder, mais au dehors! Vous devez être des expulsés de toutes les patries et de tous les pays de vos ancêtres!
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra.djvu/289]]==
mes frères! ce n'est pas en arrière que votre noblesse doit regarder, mais au dehors! Vous devez être des expulsés de toutes les patries et de tous les pays de vos ancêtres!
 
Vous devez aimer le pays de vos enfants: que cet amour soit votre nouvelle noblesse, - le pays inexploré dans les mers lointaines, c'est lui que j'ordonne à vos voiles de chercher et de chercher encore!
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Ceux-là se mettent à table et n'apportent rien, pas même une bonne faim: - et maintenant ils blasphèment: "Tout est vain!"
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra.djvu/290]]==
 
Mais bien manger et bien boire, ô mes frêres, cela n'est en vérité pas un art vain! Brisez, brisez-moi les tables des éternellement mécontents!
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mes frères! il est sage qu'il y ait beaucoup de fange dans le monde! -
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra.djvu/291]]==
 
 
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Brisez, ô mes frères, brisez même cette nouvelle table! Les gens fatigués du monde l'ont suspendue, les prêtres de la mort et les estafiers: car voici, c'est aussi un appel à la servilité! -
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra.djvu/292]]==
 
Ils ont mal appris et ils n'ont pas appris les meilleures choses, tout trop tôt en tout trop vite: ils ont mal mangé, c'est ainsi qu'ils se sont gâté l'estomac, - car leur esprit est un estomac gâté: c'est lui qui conseille la mort! Car, en vérité, mes frères, l'esprit est un estomac!
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Et c'est aussi de moi seulement qu'il vous faut apprendre à apprendre, à bien apprendre! - Que celui qui a des oreilles entende.
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra.djvu/293]]==
 
 
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Il ne faut pas vouloir être le médecin des incurables: ainsi enseigne Zarathoustra: disparaissez donc!
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra.djvu/294]]==
 
Mais il faut plus de courage pour faire une fin, qu'un vers nouveau: c'est ce que savent tous les médecins et tous les poètes. -
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Laissez-le coucher jusqu'à ce qu'il se réveille de lui-même, - jusqu'à ce qu'il réfute de lui-même toute fatigue et tout ce qui en lui enseigne la fatigue!
 
Mais chassez loin de lui,
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra.djvu/295]]==
mes frères, les chiens, les paresseux sournois, et toute cette vermine grouillante: - toute la vermine grouillante des gens "cultivés" qui se nourrit de la sueur des héros! -
 
 
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Quelle est la plus haute espèce chez l'être et quelle est l'espèce la plus basse? Le parasite est la plus basse espèce, mais celui qui est la plus haute espèce nourrit le plus de parasites.
 
Car l'âme qui a la plus longue échelle et qui peut descendre le plus bas: comment ne porterait-elle pas sur elle le plus de parasites? -
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra.djvu/296]]==
l'âme la plus vaste qui peut courir, au milieu d'elle-même s'égarer et errer le plus loin, celle qui est la plus nécessaire, qui se précipite par plaisir dans le hasard: - l'âme qui est, qui plonge dans le devenir; l'âme qui possède, qui veut entrer dans le vouloir et dans le désir: - l'âme qui se fuit elle-même et qui se rejoint elle-même dans le plus large cercle; l'âme la plus sage que la folie invite le plus doucement: - l'âme qui s'aime le plus elle-même, en qui toutes choses ont leur montée et leur descente, leur flux et leur reflux: - ô comment la plus haute âme n'aurait-elle pas les pires parasites?
 
 
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Et s'il y a quelqu'un à qui vous n'appreniez pas à voler, apprenez-lui du moins - à tomber plus vite! -
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra.djvu/297]]==
 
 
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Regardez donc comme ces nations imitent maintenant elles-mêmes les épiciers: elles ramassent les plus petits avantages dans toutes les balayures!
 
Elles
Elles s'épient, elles s'imitent, - c'est ce qu'elles appellent "bon voisinage". O bienheureux temps, temps lointain où un peuple se disait: c'est sur d'autres peuples que je veux être - maître!"
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra.djvu/298]]==
s'épient, elles s'imitent, - c'est ce qu'elles appellent "bon voisinage". O bienheureux temps, temps lointain où un peuple se disait: c'est sur d'autres peuples que je veux être - maître!"
 
Car, ô mes frères, ce qu'il y a de meilleur doit régner, ce qu'il y a de meilleur veut aussi régner! Et où il y a une autre doctrine, ce qu'il a de meilleur - fait défaut.
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C'est ainsi que je veux l'homme et la femme: l'un apte à la guerre, l'autre apte à engendrer, mais tous deux aptes à danser avec la tête et les jambes.
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra.djvu/299]]==
 
Et que chaque jour où l'on n'a pas dansé une fois au moins soit perdu pour nous! Et que toute vérité qui n'amène pas au moins une hilarité nous semble fausse!
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Il ne faut pas seulement vous multiplier, mais vous élever - ô mes frères, que vous soyez aidés en cela par le jardin du mariage.
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra.djvu/300]]==
 
 
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La société humaine est une tentative, voilà ce que j'enseigne, - une longue recherche; mais elle cherche celui qui commande! - une tentative, ô mes frères! et non un "contrat"! Brisez, brisez-moi de telles paroles qui sont des paroles de coeurs lâches et des demi-mesures!
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra.djvu/301]]==
 
 
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C'est le créateur qu'ils haïssent le plus: celui qui brise des tables et de vieilles valeurs, le briseur, - c'est lui qu'ils appellent criminel.
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra.djvu/302]]==
 
Car les bons ne peuvent pas créer: ils sont toujours le commencement de la fin: - ils crucifient celui qui écrit des valeurs nouvelles sur des tables nouvelles, ils sacrifient l'avenir pour eux-mêmes, ils crucifient tout l'avenir des hommes!
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Les bons vous ont montré des côtes trompeuses et de fausses sécurités; vous étiez nés dans les mensonges des bons et vous vous y êtes abrités. Les bons ont faussé et dénaturé toutes choses jusqu'à la racine.
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra.djvu/303]]==
 
Mais celui qui découvrit le pays "homme", découvrit en même temps le pays "l'avenir des hommes". Maintenant vous devez être pour moi des matelots braves et patients!
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Et si votre dureté ne veut pas étinceler, et trancher, et inciser: comment pourriez-vous un jour créer avec moi?
 
Car les créateurs sont durs. Et cela doit vous sembler béatitude d'empreindre votre main en des siècles, comme en de la cire molle, -
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra.djvu/304]]==
béatitude d'écrire sur la volonté des millénaires, comme sur de l'airain, - plus dur que de l'airain, plus noble que l'airain. Le plus dur seul est le plus noble.
 
O mes frères, je place au-dessus de vous cette table nouvelle: DEVENEZ DURS!
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Et ta dernière grandeur, ma volonté, conserve-la pour la fin, - pour que tu sois implacable dans ta victoire! Hélas! qui ne succombe pas à sa victoire!
 
Hélas! quel oeil ne s'est pas obscurci dans cette ivresse de crépuscule? Hélas! quel pied n'a pas trébuché et n'a pas désappris la marche dans la victoire! - Pour qu'un jour je sois prêt det mûr lors du grand Midi: prêt et mûr comme l'airain chauffé a blanc, comme le nuage gros d'éclairs et le pis gonflé de lait: - prêt à moi-même et à ma volonté la plus cachée: un arc qui brûle de connaître sa flèche, une flèche qui brûle de connaître son étoile: - une étoile prête et mûre dans son midi, ardente et transpercée, bienheureuse de la flèche céleste qui la détruit: - soleil
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra.djvu/305]]==
elle-même et implacable volonté de soleil, prête à détruire dans la victoire!
 
O volonté! trêve de toute misère, toi ma nécessité! Réserve-moi pour une grande victoire! -
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LE CONVALESCENT
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra.djvu/306]]==
 
 
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Frotte tes yeux, afin d'en chasser le sommeil, toute myopie et tout aveuglement. Ecoute-moi aussi avec tes yeux: ma voix est un remède, même pour ceux qui sont nés aveugles.
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra.djvu/307]]==
 
Et quand une fois tu serras éveillé, tu le resteras à jamais. Ce n'est pas mon habitude de tirer de leur sommeil d'antiques aïeules, pour leur dire - de se rendormir!
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Mais à peine Zarathoustra avait-il dit ces mots qu'il s'effondra à terre tel un mort, et il resta longtemps comme mort. Lorsqu'il revint à lui, il était pâle et tremblant, et il resta couché et longtemps il ne voulut ni manger ni boire. Il reste en cet état pendant sept jours; ses animaux cependant ne le quittèrent ni le jour ni la nuit, si ce n'est que l'aigle prenait parfois son vol pour chercher de la nourriture. Et il déposait sur la couche de Zarathoustra tout ce qu'il ramenait dans ses serres: en sorte que Zarathoustra finit par être couché sur un lit de baies jaunes et rouges, de grappes, de pommes d'api, d'herbes odorantes et de pommes de pins. Mais à ses pieds, deux brebis que l'aigle avait dérobées à grand'peine à leurs bergers étaient étendues.
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra.djvu/308]]==
 
Enfin, après sept jours, Zarathoustra se redressa sur sa couche, prit une pomme d'api dans la main, se mit à la flairer et trouva son odeur agréable. Alors les animaux crurent que l'heure était venue de lui parler.
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C'est entre les choses les plus semblables que mentent les plus beaux mirages; car les abîmes les plus étroits sont plus les difficiles à franchir.
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra.djvu/309]]==
 
Pour moi - comment y aurait-il quelque chose en dehors de moi? Il n'y pas de non-moi! Mais tous les sons nous font oublier cela; comme il est doux que nous puissions l'oublier!
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- "O espiègles que vous êtes, ô serinettes! Répondit Zarathoustra en souriant de nouveau, comme vous saviez bien ce qui devait s'accomplir en sept jours: - et comme ce monstre s'est glissé au fond de ma gorge pour m'étouffer! Mais d'un coup de dent je lui ai coupé la tête et je l'ai crachée loin de moi.
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra.djvu/310]]==
 
Et vous, - vous en avez déjà fait une rengaine! Mais maintenant je suis couché là, fatigué d'avoir mordu et d'avoir craché, malade encore de ma propre délivrance.
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L'homme est envers lui-même l'animal le plus cruel; et, chez tous ceux qui s'appellent pécheurs", "porteurs de croix" et "pénitents", n'oubliez pas d'entendre la volupté qui se mêle à leurs plaintes et à leurs accusations!
 
Et moi-même - est-ce que je veux être par là l'accusateur de l'homme? Hélas! mes animaux, le plus grand mal est nécessaire pour le plus grand bien de l'homme, c'est la seule chose que j'ai apprise jusqu'à présent, -
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra.djvu/311]]==
le plus grand mal est la meilleure part de la force de l'homme, la pierre la plus dure pour le créateur suprême; il faut que l'homme devienne meilleur et plus méchant: -
 
Je n'ai pas été attaché à cette croix, qui est de savoir que l'homme est méchant, mais j'ai crié comme personne encore n'a crié:
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Je les ai vus nus jadis, le plus grand et le plus petit des hommes: trop semblables l'un à l'autre, - trop humains, même le plus grand!
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra.djvu/312]]==
 
Trop petit le plus grand! - Ce fut là ma lassitude de l'homme! Et l'éternel retour, même du plus petit! - Ce fut là ma lassitude de toute existence!
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Car vois donc, Zarathoustra! Pour tes chants nouveaux, il faut une lyre nouvelle.
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra.djvu/313]]==
 
Chante, ô Zarathoustra et que tes chants retentissent comme une tempête, guéris ton âme avec des chants nouveaux: afin que tu puisses porter ta grande destinée qui ne fut encore la destinée de personne!
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"Maintenant je meurs et je disparais, dirais-tu, et dans un instant je ne serai plus rien. Les âmes sont aussi mortelles que les corps.
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra.djvu/314]]==
 
Mais un jour reviendra le réseau des causes où je suis enserré, - il me recréera! Je fais moi-même partie des causes de l'éternel retour des choses.
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DU GRAND DÉSIR
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra.djvu/315]]==
DÉSIR
 
 
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O mon âme, je t'ai enseigné le mépris qui ne vient pas comme la vermoulure, le grand mépris aimant qui aime le plus où il méprise le plus.
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra.djvu/316]]==
 
O mon âme, je t'ai appris à persuader de telle sorte que les causes mêmes se rendent à ton avis: semblable au soleil qui persuade même la mer à monter à sa hauteur.
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O mon âme, il n'y a maintenant plus nulle part d'âme qui soit plus aimante, plus enveloppante et plus large! Où donc l'avenir et le passé seraient-ils plus près l'un de l'autre que chez toi?
 
O mon âme, je t'ai tout donné et toutes mes mains se sont dépouillées pour toi: - et maintenant! Maintenant tu me dis en souriant, pleine de mélancolie: "Qui de nous deux doit dire merci? -
==[[Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra.djvu/317]]==
n'est-ce pas au donateur de remercier celui qui a accepté d'avoir bien voulu prendre? N'est-ce pas un besoin de donner? N'est-ce pas - pitié de prendre?" -
 
O mon âme, je comprends le sourire de ta mélancolie: ton abondance tend maintenant elle-même las mains, pleines de désirs!
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"Toute larme n'est-elle pas une plainte? Et toute plainte une accusation?" C'est ainsi que tu te parles à toi-même et c'est pourquoi tu préfères sourire, ô mon âme, sourire que de répandre ta peine - répandre en des flots de larmes toute la peine que te cause ta plénitude et toute l'anxiété de la vigne qui la fait soupirer après le vigneron et la serpe du vigneron!
 
Mais si tu ne veux pas pleurer, pleurer jusqu'à l'épuisement ta mélancolie de pourpre, il faudra que tu chantes, ô mon âme! - Vois-tu, je souris moi-même, moi qui t'ai prédit cela: - chanter d'une voix mugissante, jusqu'à ce que toutes les mers deviennent silencieuses, pour ton grand désir, -
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jusqu'à ce que, sur les mers silencieuses et ardentes, plane la barque, la merveille dorée, dont l'or s'entoure du sautillement de toutes les choses bonnes, malignes et singulières: - et de beaucoup d'animaux, grands et petits, et de tout ce qui a des jambes légères et singulières, pour pouvoir courir sur des sentiers de violettes, - vers la merveille dorée, vers la barque volontaire et vers son maître: mais c'est lui qui est le vigneron qui attend avec sa serpe de diamant, - ton grand libérateur, ô mon âme, l'ineffable - pour qui seuls les chants de l'avenir sauront trouver des noms! Et, en vérité, déjà ton haleine a le parfum des chants de l'avenir, - déjà tu brûles et tu rêves, déjà ta soif boit à tous les puits consolateurs aux échos graves, déjà ta mélancolie se repose dans la béatitude des chants de l'avenir! -
 
O mon âme, je t'ai tout donné, et même ce qui était mon dernier bien, et toutes mes mains se sont dépouillées pour toi: - que je t'aie dit de chanter, voici, ce fut mon dernier don!
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L'AUTRE CHANT DE LA DANSE
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D'un bond je me suis reculé de toi et de tes serpents: tu te dressais déjà à demi détournée, les yeux pleins de désirs.
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Avec des regards louches - tu m'enseignes des voies détournées; sur des voies détournées mon pied apprend - des ruses!
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Quelle danse par monts et par vaux! je suis le chasseur: - veux-tu être mon chien ou mon chamois?
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A côté de moi maintenant! Et plus vite que cela, méchante sauteuse! Maintenant en haut! Et de l'autre côté! - Malheur à moi! En sautant je suis tombé moi-même!
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Tu dois danser et crier au rythme de mon fouet! Je n'ai pourtant pas oublié le fouet? - Non!" -
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Il s'en faut de beaucoup que tu ne m'aimes autant que tu le dis; je sais que tu songes à me quitter bientôt.
 
Il y a un vieux bourdon, lourd, très lourd: il sonne la nuit là-haut, jusque dans ta caverne: - quand tu entends cette cloche sonner les heures à minuit, tu songes à me quitter entre une heure et minuit: -
=== no match ===
tu y songes, ô Zarathoustra, je sais que tu veux bientôt m'abandonner!" -
 
"Oui, répondis-je en hésitant, mais tu le sais aussi -" Et je lui dis quelque chose à l'oreille, en plein dans ses touffes de cheveux embrouillées, dans ses touffes jaunes et folles.