« Littérature sanscrite » : différence entre les versions
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de l’homme aient jamais inspiré quelque chose de plus idéal et de plus pur que les hymnes religieux des Védas. L’homme n’est cependant pas oublié dans les autres productions de l’esprit religieux de l’Inde, et les grandes épopées qui retracent l’histoire héroïque des Brahmanes et de la caste guerrière nous le montrent au milieu d’une société qui allie aux raffinemens de la civilisation la plus avancée la naïveté des mœurs primitives. L’un de ces poèmes, le ''Râmâyana'', est maintenant en partie publié, et M. de Schlegel en donne en ce moment une édition complète avec une traduction latine. L’autre, le ''Mahâbhârata'', a fourni à M. Bopp de Berlin le sujet des plus intéressantes publications, entre lesquelles on donne la première place au charmant épisode de Nalus. Rangés parmi les monumens de la littérature sacrée, les grands poèmes du ''Râmâyana'' et du ''Mahâbhârata'' sont quelquefois placés au nombre des livres religieux et moraux appelés ''Pourânas'', avec lesquels ils ont peut-être quelques points de ressemblance, mais qu’ils surpassent de beaucoup sous le rapport du mérite poétique. Les Pourânas forment le dépôt de la mythologie populaire. S’appuyant sur les Védas dont on les prétend dérivés, ils chantent l’origine et les aventures des divinités plus matérielles, et j’oserais dire plus humaines que les dieux si simples des anciens livres. Ce sont des théogonies et des cosmogonies, à la suite desquelles est racontée l’histoire héroïque des deux dynasties glorieuses qui se sont partagé l’empire de l’Inde septentrionale, et que complète l’abrégé des devoirs religieux et moraux imposés à l’homme dans cette vie. Les Pourânas sont comme des encyclopédies des croyances et de la science de l’Inde ; et, ce qui est bien fait pour donner une idée de l’étendue et de la nouveauté de la littérature indienne, ces encyclopédies sont au nombre de dix-huit, et l’on en connaît à peine quelques fragmens.
Après les croyances, viennent les devoirs, ou plutôt, dans un pays où un principe religieux sert de fondement à la société, les devoirs ne se séparent pas des croyances, et la loi tire sa force de la religion. Le plus respecté des livres de la loi, celui de Manou, passe pour être révélé par Brahma, le créateur du monde et le dieu de la sagesse. Ce code prend l’homme au moment où il sort des mains de son auteur, et le conduit, à travers toutes les périodes de son
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existence terrestre, jusqu’au terme le plus élevé auquel il puisse parvenir, l’affranchissement suprême et le repos au sein de Dieu ; composition du plus haut intérêt, où rien de ce qui touche à la destinée de l’homme n’est omis, où tout est réglé, son avenir comme son état présent, parce que l’un est la conséquence de l’autre, et que, suivant les Brahmanes, l’homme gagne en ce monde, par ses actions, la place qu’il occupera un jour dans la série des êtres qui se succèdent sur la scène perpétuellement mobile de l’univers. A côté de la loi de Manou, les Indiens placent d’autres codes qui ne nous sont pas tous parvenus en entier, mais dont les fragmens prouvent avec quel soin les rapports des divers membres dont la société se compose avaient été fixés, et quelle importance le droit avait aux yeux des plus anciens sages ; car c’est à des Brahmanes, que la tradition révère comme les premiers instituteurs de la société fondée par eux, que sont attribués ces recueils ; et l’antiquité qu’on leur suppose n’est surpassée que par celle des Védas. Les ouvrages de droit ont donné naissance à une des branches les plus riches de la littérature sanscrite ; et d’habiles commentateurs se sont appliqués à l’interprétation de ces monumens vénérables, et à la solution des difficultés qui résultent de l’application qu’on en fait encore aujourd’hui à un état social, semblable dans son principe à celui pour lequel ces codes ont été rédigés, mais qui a dû cependant, par le laps de temps et les secousses de nombreuses et violentes révolutions, éprouver des modifications importantes.
Si nous quittons les croyances religieuses et la législation pour jeter un regard sur les produits plus libres de l’intelligence, la philosophie et la littérature proprement dite, nous rencontrerons des compositions non moins étendues, des questions non moins curieuses, et, malgré les admirables travaux des Colebrooke et des Wilson, non moins nouvelles. La philosophie ne se sépare pas, il est vrai, de la religion avec autant de franchise dans l’Inde que dans l’Occident. A quelques exceptions près, elle repose sur la révélation, et promet à la recherche de la vérité la même récompense que la religion fait espérer à la foi. Mais, quoique enchaînée aux deux termes de son développement, la philosophie n’en traite pas moins avec liberté toutes les questions qu’embrassait, dans ses recherches, la sagesse antique. Dans le passé, l’origine du monde ;
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dans le présent, les facultés et les passions de l’homme ; dans l’avenir, sa destinée, celle de l’univers, et par-dessus tout ses rapports avec l’Intelligence suprême d’où tout émane et où tout rentre : c’est là l’inépuisable sujet de ces profondes spéculations philosophiques, où les faits de toutes les sciences viennent se confondre, la physique et la psychologie, l’histoire naturelle et la métaphysique, mais où l’analyse moderne ne peut s’empêcher d’admirer la grandeur de la pensée et l’originalité de l’invention.
Ces habitudes méditatives, qui supposent, en même temps qu’elles développent les facultés les plus puissantes de l’intelligence, n’ont pas exclusivement occupé les sages de l’Inde, et, en les transportant dans la sphère idéale des abstractions, elles ne les ont pas laissés froids et insensibles à la vue des émotions de l’âme humaine, dont le spectacle éveille, chez tous les peuples, le sentiment de la poésie. Les Indiens ont été poètes autant que philosophes, peut-être même n’ont-ils été philosophes que parce qu’ils étaient poètes. Chez eux, toute idée s’anime des couleurs de la poésie, et tout discours y est presque un hymne. Un idiome abondant et flexible prête aux chants du poète un fonds inépuisable d’images et de formes. Dans l’expression l’éclat ou la simplicité, dans la pensée le naturel ou la grandeur, ce sont là quelques-uns des caractères de cette poésie si étincelante, dont on sent plus aisément qu’on n’en définit les beautés. Elle comprend les genres les plus variés, depuis l’expression des idées abstraites des Védas jusqu’à ces jeux d’esprit, qui auraient déjà par eux-mêmes bien peu de mérite, quand ils ne seraient pas encore la triste preuve de la décadence d’une littérature. L’épopée, le drame et l’ode y ont leur place ; et le génie qui a produit tant d’ouvrages, dont quelques-uns passeront aux yeux des nations les plus polies pour des chefs-
Au milieu de si nombreuses richesses, on éprouve un regret, c’est du ne pas y trouver l’histoire de la nation dont elles feront à jamais la gloire. Nous ignorons, en effet, à peu près complètement
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l’histoire politique de l’Inde ancienne, et c’est comme par un acte de foi que nous croyons qu’elle est ancienne ; car parmi tant d’ouvrages, fruit de l’imagination la plus poétique, des méditations les plus hardies, de la raison la plus exercée, on n’a pas encore rencontré de livres historiques, et l’on ne sait dans quelle période placer ces monumens de l’existence d’un peuple qui a gardé sur ses destinées un silence inexplicable. A ces preuves si variées et si frappantes d’une savante et longue culture, il manque la preuve même de leur ancienneté, l’indication de leur date. Le travail des siècles a pu seul accumuler l’une sur l’autre ces cosmogonies gigantesques, ces poèmes immenses, ces traités si approfondis de philosophie et de législation. Mais quand ce travail a-t-il commencé ? Et cette oeuvre, qui se perpétue jusque dans des temps si rapprochés de nous et presque sous nos yeux, est-elle d’hier, ou remonte-t-elle, comme le croient les Brahmanes, aux premiers âges du monde ? Quand on peut se faire de pareilles questions sur l’histoire d’un peuple, tous les doutes sont permis à la critique, mais on doit convenir aussi que sa hardiesse perd beaucoup de son mérite. Le scepticisme s’est cependant attaqué à la fabuleuse histoire de l’Inde, avec autant d’ardeur que les Brahmanes mettent de sang-froid à en affirmer la certitude ; et, comme leurs périodes mythologiques attribuaient à la civilisation indienne une ancienneté incroyable, on n’a pas voulu admettre qu’il y eût rien d’ancien chez eux. Parce que les Brahmanes avaient trop demandé à la crédulité facile des peuples auxquels ils ont donné des lois, la critique soupçonneuse de quelques Européens leur a tout refusé. Mais le bon sens qui fait justice des exagérations de l’esprit oriental, et qui sait y admirer encore la poésie et la hardiesse des conceptions, doit se garder des excès d’un scepticisme sans grandeur ; et parce qu’il est impossible de prouver que les Védas soient sortis de la bouche de Brahma lui-même, il n’est pas permis d’affirmer qu’ils sont une œuvre récente, dénuée d’authenticité et de valeur. Qui sait, si quand la masse entière de la littérature indienne sera devenue accessible aux recherches de l’érudition, il ne sera pas possible d’y découvrir des renseignemens historiques qui permettent d’en retrouver et d’en suivre le développement ? Jusqu’à cette époque, la réserve, qui en toute matière est un mérite, est ici au
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devoir ; et ce n’est pas beaucoup exiger de la critique que de lui demander d’apprendre avant que de juger.
Pour moi, messieurs, je pense, à l’honneur de l’érudition, que les travaux des hommes savans qui ont dévoué leur vie à l’étude de l’Inde, ne seront pas stériles pour l’histoire ancienne de ce pays. J’ai l’espérance que la réunion de tant d’efforts finira quelque jour par reconstruire la plus brillante et peut-être la plus riche histoire littéraire qu’un peuple puisse offrir à la curiosité et à l’admiration de l’Europe. Sans doute, ce que nous en savons est bien peu de chose en comparaison de ce que nous n’en savons pas ; mais, nous pouvons le dire avec une juste confiance, si nous ne savons pas tout encore, nous n’ignorons pas non plus absolument tout. Le but dont la possession devra récompenser nos peines se dérobe en partie à nos regards, mais nous avons la certitude qu’il n’est pas inaccessible ; et déjà même nous pouvons entrevoir par quelle route il nous sera possible d’y atteindre.
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que le langage, la religion, la philosophie, en un mot que la société dont les écrits des Brahmanes sont le produit et l’image, existait déjà, quatre siècles au moins avant notre ère, et, chose remarquable, que cette société ne devait pas différer beaucoup de celle que nous voyons encore de nos jours établie dans la totalité de l’Inde.
Au-delà de cette époque, les documens nationaux et étrangers laissent, il est vrai, l’historien dans une obscurité profonde. Mais ces ténèbres peuvent n’être pas tout-à-fait impénétrables à la lumière de la philologie et de la critique. Ainsi l’invasion d’Alexandre deviendrait le point fixe d’où il faudrait partir pour remonter dans les temps antérieurs, et chercher à y découvrir, sinon la date de la formation de la société brahmanique, au moins la preuve de son antique existence. Il faudrait se demander si un peuple, parvenu trois cents ans avant notre ère à un aussi haut point de culture, n’avait pas dû auparavant traverser bien des siècles de tentatives et d’efforts ; car, s’il est permis d’accorder à la vivacité du génie oriental le don de se produire presque spontanément, et de franchir d’un seul bond l’intervalle qui sépare l’enfance de l’âge mûr, on ne peut nier que les nations n’aient besoin, pour se réunir et se fonder, des longs essais de l’expérience, et que le développement matériel des sociétés ne soit soumis partout à des lois à peu près invariables, et dont l’action régulière laisse en quelque façon conjecturer le plus ou moins de durée. Il faudrait surtout interroger la langue, cette expression d’autant plus naïve de la pensée qu’elle est plus ancienne ; rechercher si ses formes apprennent quelque chose sur son âge, quelle place elle occupe dans la famille à laquelle elle appartient ; et alors la question, changeant de théâtre, devrait embrasser tous les dialectes alliés au sanscrit, et se transformer en un problème de philologie comparative et d’ethnographie. En dehors de l’Inde, un idiome ancien et encore peu connu, celui des livres de Zoroastre ; dans l’Inde, deux dialectes que l’on peut dire dérivés du sanscrit, le pali et le prakrit, deviendraient l’objet d’observations curieuses et de rapprochemens du plus grand intérêt. L’idiome ancien de la Bactriane, le zend, semblable dans sa structure au sanscrit et aux dialectes qui en dérivent, mais moins poli et plus rude, reporterait l’historien
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à la date la plus ancienne que l’on puisse saisir dans le développement de ces belles langues. L’analyse comparée du zend et du sanscrit le ferait assister aux premiers essais de leur formation, et lui en livrerait presque le secret. La ressemblance frappante de ces deux idiomes le conduirait à reconnaître que les peuples qui les ont parlés n’ont dû faire jadis qu’un seul et même peuple ; et ce fait capital, éclairant et réunissant en un faisceau des traditions éparses et imparfaitement comprises, donnerait un haut degré de vraisemblance à l’hypothèse qui fait descendre des contrées voisines de l’Oxus, et du versant occidental des montagnes où il prend sa source, la colonie qui vint, dans des temps sans doute très anciens, conquérir la partie septentrionale de l’Indoustan.
Ici, messieurs, voyez quel immense horizon s’ouvrirait aux regards de l’historien, et combien la question déjà si vaste de l’origine de la civilisation indienne s’agrandirait encore. Depuis les sommets de l’Himâlaya jusqu’à l’extrémité de la presqu’île, une race intelligente et forte a laissé les traces profondes de sa domination. Elle a, sur tous les points de cet heureux pays, fondé des villes et bâti des temples. Religion, art, science, tout est venu d’elle. Elle a vécu sur cette terre féconde qu’elle a civilisée, comme si elle y avait pris naissance. Et maintenant une hypothèse, à laquelle plus d’un fait donne quelque valeur, prétend qu’elle y est étrangère, et que le pays, théâtre de sa merveilleuse culture, ne lui a pas toujours appartenu ! Ce peuple privilégié a-t-il trouvé vacante la terre de l’Inde, ou l’a-t-il ravie à ses anciens possesseurs ? Et s’il ne s’y est établi que par la conquête, tout vestige des vaincus est-il donc complètement effacé ? Loin de là, messieurs, et l’hypothèse qui attribue la civilisation de l’Inde à des conquérans venus du nord-ouest trouve ici l’appui nouveau d’un fait. Sous l’unité apparente de la société indienne, l’observateur n’a pas de peine à reconnaître la variété des élémens qui la composent. L’unité est dans les institutions religieuses et civiles qu’une race éclairée a su faire prévaloir ; la variété est dans les tribus et presque les nations qui ont été forcées de s’y soumettre. Ces castes rejetées aux derniers rangs de la hiérarchie sociale, qu’est-ce autre chose que les débris d’un peuple vaincu ? La différence de leur teint, de leur langage, de leurs mœurs mêmes, qui les distingue d’une manière si
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Ces indications nous ont conduits jusqu’à la limite la plus reculée, à laquelle la critique puisse parvenir sans crainte de se perdre. En effet, si elle a le droit d’interroger les langues, quand l’histoire ne lui répond plus, elle doit renoncer à l’espoir de trouver chez un peuple quelque chose d’antérieur à la langue qu’il parle. Mais, pour atteindre à cette limite, que de recherches à faire et de questions à résoudre ? Explorer tous les monumens de la littérature sanscrite, les comparer entre eux, les classer autant que cela est possible ; puis, quand on aurait reconnu que ces monumens ne sont encore que ceux de la nation qui a donné à l’Inde ses croyances et ses lois, et que cette nation n’est pas la seule dont on retrouve les vestiges dans ce pays, étudier les idiomes populaires, examiner s’ils offrent quelque affinité avec d’autres langues étrangères au continent indien ; en un mot, joindre à la connaissance du sanscrit celle de quatre ou cinq autres dialectes, pour lesquels l’intelligence de l’idiome savant des Brahmanes n’est que d’un bien faible secours : telle est la suite des travaux auxquels il faudrait se livrer, pour composer une histoire littéraire et philosophique de l’Inde, qui méritât de prendre place parmi les grandes compositions historiques de notre époque. Quand même tous les détails de ce plan auraient été éclairés par deux siècles de recherches
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présenter le tableau des merveilles qu’il a créées, par l’assurance d’avoir contribué à vous mettre en état d’en tracer vous-mêmes quelques traits. Osons le dire cependant, si ce cours doit être consacré à la philologie, nous n’en bannirons pas pour cela l’étude des faits et des idées. Nous ne fermerons pas les yeux à la plus éclatante lumière qui soit jamais venue de l’Orient, et nous chercherons à comprendre le grand spectacle offert à nos regards. C’est l’Inde, avec sa philosophie et ses mythes, sa littérature et ses lois, que nous étudierons dans sa langue. C’est plus que l’Inde, messieurs, c’est une page des origines du monde, de l’histoire primitive de l’esprit humain, que nous essaierons de déchiffrer ensemble. Et ne croyez pas que nous promettions ce noble but à vos efforts dans le vain désir de demander pour nos travaux une popularité qu’ils ne peuvent avoir. C’est en nous une conviction profonde qu’autant l’étude des mots, s’il est possible de la faire sans celle des idées, est inutile et frivole, autant celle des mots, considérés comme les signes visibles de la pensée, est solide et féconde. Il n’y a pas de philologie véritable sans philosophie et sans histoire. L’analyse des procédés du langage est aussi une science d’observation ; et si ce n’est pas la science même de l’esprit humain, c’est au moins celle de la plus étonnante faculté à l’aide de laquelle il lui ait été donné de se produire.
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