« Poètes de l’Allemagne - Henri Heine/01 » : différence entre les versions

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Poètes allemands
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Ce caractère de conciliation dans la mort n’a jamais mieux paru que dans Goëthe. Voilà un homme qui enferme en lui toutes les incertitudes de l’homme moderne et qui n’en laisse rien paraître. Il n’attaque rien, il ne défend rien. Il traite toutes les croyances et tous les enthousiasmes comme ces momies qu’Aristote recevait d’Asie, et qu’il classait dans son académie. Lui aussi, dans son église, il classe tous les cultes et met tous ces morts face à face l’un de l’autre. L’infinité du doute se cache en lui sous l’infinité de la foi. C’est en apparence tout le contraire de Voltaire, le même mot au fond. Il n’exclut rien, lui. Il admet jusqu’au moindre fantôme ; et cette universalité de croyances est en même temps l’universalité du scepticisme, et cette
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scepticisme, et cette affirmation sans borne l’absolue négation. Voltaire était l’analyse ; lui, il est la synthèse du néant ; c’est le lieu où leur pensée se joint, et il valait bien la peine, vraiment, que ces deux noms et les deux peuples auxquels ils se rapportent se fissent si long-temps la guerre pour si bien s’entendre en cet endroit. Car Goëthe n’a pas appris seulement à l’Allemagne à se connaître elle-même. Il lui a fait connaître tout ce présent qui hurlait autour d’elle. Il l’a jetée, toute seule, sur le chemin des révolutions modernes. Il lui a révélé son doute, dont elle voulait douter encore. Il a divulgué le secret de sa foi chancelante, qu’elle aurait encore caché si bien aux autres dans sa retraite mystique. Comme le méchant esprit, il a dit tout haut dans l’église à cette Marguerite agenouillée, le jour du ''Dies irae'' : T’en souviens-tu, Marguerite, quand tu croyais ce que tes lèvres murmurent, et ce que ton cœur désire ? Quand ton Luther ne t’avait pas encore trompée, et que jeune et blonde comme ton espérance, et toute au Christ enfant, tu priais, soir et matin, en faisant ta cathédrale de Cologne ? C’est là ce qu’il lui a dit, lui, de mille façons, tant en prose qu’en vers, et ce que le monde a entendu. Depuis ce jour, elle est entrée dans la grande société des nations sceptiques. Elle est sortie de son pur cénacle, et la voilà à son tour dans la mêlée du siècle. Bien des voix, sans doute, se sont élevées pour réclamer contre le grand poète. Bien des efforts ont été faits par elle pour retourner en arrière dans son passé. Mais tout est inutile. Il faut avancer, n’importe vers quelle chute. Elle a mis le pied hors de ses croyances ; elle n’y rentrera pas. L’esprit moderne l’a saisie. Il l’entraîne là où nous nous poussons l’un l’autre. C’est le noir chevalier qui a enlevé sa Lénore. Terre ou ciel, triomphe ou ruine, ou vie ou mort, il faut à présent, jusqu’au bout et sans tourner la tête, qu’elle se laisse emporter parce froid génie du siècle vers l’endroit où nous la devançons.
 
Goëthe avait révélé à l’Allemagne le doute qu’elle voulait se cacher ; mais cette révélation n’eut long temps qu’un sens personnel. On s’obstinait à voir là l’état intérieur d’une ame et non la confession d’un peuple. On accusait le poète, on absolvait le pays. Il fallait bien du temps encore et de rudes secousses pour faire l’aveu que l’homme,- ici, c’était la nation tout entière. L’école critique