« Le Lys dans la vallée » : différence entre les versions

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A MONSIEUR J.B. NACQUART,
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— Vous êtes à bonne école, répondit-elle en montrant le comte de qui la bouche se contracta pour exprimer ce sourire de contentement que l’on nomme familièrement ’’ faire la bouche en cœur’’
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Deux mois après seulement, je sus qu’elle avait passé cette nuit en d’horrible anxiétés, elle avait craint que son fils n’eût le croup. Et moi, j’étais dans ce bateau, mollement bercé par des pensées d’amour, imaginant que de sa fenêtre, elle me verrait adorant la lueur de cette bougie qui éclairait alors son front labouré par de mortelles alarmes. Le croup régnait à Tours, et y faisait d’affreux ravages. Quand nous fûmes à la porte, le comte me dit d’une voix émue : — Madame de Mortsauf est un ange ! Ce mot me fit chanceler. Je ne connaissais encore que superficiellement cette famille, et le remords si naturel dont est saisie une âme jeune en pareille occasion, me cria : " De quel droit troublerais-tu cette paix profonde ? "
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, ’’ madame’’
! m’avait engagé à garder pour moi seul en mon cœur un amour irrésistible, à ne jamais abuser de l’amitié pour amener à petits pas cette femme dans l’amour. Tous les sentiments nobles réveillés faisaient entendre en moi-même leurs voix confuses. Avant de me retrouver à l’étroit dans une chambre, je voulus voluptueusement rester sous l’azur ensemencé d’étoiles entendre encore en moi-même ces chants de ramier blessé les tons simples de cette confidence ingénue rassembler dans l’air les effluves de cette âme qui toutes devaient venir à moi. Combien elle me parut grande, cette femme, avec son oubli profond du moi, sa religion pour les êtres blessés, faibles ou souffrants, avec son dévouement allégé des chaînes légales ! Elle était là, sereine sur son bûcher de sainte et de martyre ! J’admirais sa figure qui m’apparut au milieu des ténèbres, quand soudain je crus deviner un sens à ses paroles, une mystérieuse signifiance qui me la rendit complétement sublime. Peut-être voulait-elle que je fusse pour elle ce qu’elle était pour son petit monde ? Peut-être voulait-elle tirer de moi sa force et sa consolation, me mettant ainsi dans sa sphère, sur sa ligne ou plus haut ? Les astres, disent quelques hardis constructeurs des mondes, se communiquent ainsi le mouvement et la lumière. Cette pensée m’éleva soudain à des hauteurs éthérées. Je me retrouvai dans le ciel de mes anciens songes, et je m’expliquai les peines de mon enfance par le bonheur immense où je nageais.
 
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{{titre|Le Lys dans la vallée|[[Honoré de Balzac]]|3}}
 
 
 
Génies éteints dans les larmes, cœurs méconnus, saintes Clarisse Harlowe ignorées, enfants désavoués, proscrits innocents, vous tous qui êtes entrés dans la vie par ses déserts, vous qui partout avez trouvé les visages froids, les cœurs fermés, les oreilles closes, ne vous plaignez jamais ! vous seuls pouvez connaître l’infini de la joie au moment où pour vous un cœur s’ouvre, une oreille vous écoute, un regard vous répond. Un seul jour efface les mauvais jours. Les douleurs, les méditations, les désespoirs, les mélancolies passées et non pas oubliées sont autant de liens par lesquels l’âme s’attache à l’âme confidente. Belle de nos désirs réprimés, une femme hérite alors des soupirs et des amours perdus, elle nous restitue agrandies toutes les affections trompées, elle explique les chagrins antérieurs comme la soulte exigée par le destin pour les éternelles félicités qu’elle donne au jour des fiançailles de l’âme. Les anges seuls disent le nom nouveau dont il faudrait nommer ce saint amour, de même que vous seuls, chers martyrs, saurez bien ce que madame de Mortsauf était soudain devenue pour moi, pauvre, seul !
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— Qu’est-ce que c’est, dit-il, que votre monsieur impérieux ? ne suis-je pas le maître ? faut-il enfin vous l’apprendre ?
 
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Il s’avança sur elle en lui présentant sa tête de loup blanc devenue hideuse, car ses yeux jaunes eurent une expression qui le fit ressembler à une bête affamée sortant d’un bois. Henriette se coula de son fauteuil à terre pour recevoir le coup qui n’arriva pas ; elle s’était étendue sur le parquet en perdant connaissance, toute brisée. Le comte fut comme un meurtrier qui sent rejaillir à son visage le sang de sa victime, il resta tout hébété. Je pris la pauvre femme dans mes bras, le comte me la laissa prendre comme s’il se fût trouvé indigne de la porter ; mais il alla devant moi pour m’ouvrir la porte de la chambre contiguë au salon, chambre sacrée où je n’étais jamais entré. Je mis la comtesse debout, et la tins un moment dans un bras, en passant l’autre autour de sa taille, pendant que monsieur de Mortsauf ôtait la fausse couverture, l’édredon, l’appareil du lit ; puis, nous la soulevâmes et l’étendîmes tout habillée. En revenant à elle, Henriette nous pria par un geste de détacher sa ceinture ; monsieur de Mortsauf trouva des ciseaux et coupa tout, je lui fis respirer des sels, elle ouvrit les yeux. Le comte s’en alla, plus honteux que chagrin. Deux heures se passèrent en un silence profond. Henriette avait sa main dans la mienne et me la pressait sans pouvoir parler. De temps en temps elle levait les yeux pour me dire par un regard qu’elle voulait demeurer calme et sans bruit ; puis il y eut un moment de trêve où elle se releva sur son coude, et me dit à l’oreille : — Le malheureux ! si vous saviez...
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Elle me demanda des nouvelles de son père ; puis elle devina ma fatigue, et alla s’occuper de mon gîte ; tandis que le comte me faisait donner à manger, car je mourais de faim. Ma chambre fut celle qui se trouvait au-dessus, de la sienne, celle, de sa tante ; elle m’y fit conduire par le comte, après avoir mis pied sur la première marche de l’escalier en délibérant sans doute avec elle-même si elle m’y accompagnerait ; je me retournai, elle rougit, me souhaita un bon sommeil, et se retira précipitamment. Quand je descendit pour dîner, j’appris les désastres, de Waterloo, la fuite de Napoléon, la marche des alliés sur Paris, et le retour probable des Bourbons. Ces événements étaient tout pour le comte, ils ne furent rien pour nous. Savez-vous la plus grande nouvelle, après les enfants caressés, car je ne vous parle pas de mes alarmes en voyant la comtesse pâle et maigrie ; je connaissais le ravage que pouvait faire un geste d’étonnement, et n’exprimai que du plaisir en la voyant. La grande nouvelle pour nous fut : " — Vous aurez de la glace ! " Elle s’était souvent dépitée l’année dernière de ne pas avoir d’eau assez fraîche pour moi qui, n’ayant pas d’autre boisson, l’aimais glacée. Dieu sait au prix de combien d’importunités elle avait fait construire une glacière ! Vous savez mieux que personne qu’il suffit à l’amour, d’un mot, d’un regard, d’une inflexion de voix, d’une attention légère en apparence ; son plus beau privilége est de se prouver par lui-même. Hé ! bien, son mot, son regard, son plaisir me révélèrent l’étendue de ses sentiments, comme je lui avais naguère dit tous les miens par ma conduite au trictrac. Mais les naïfs témoignages de sa tendresse abondèrent : le septième jour après mon arrivée, elle redevint fraîche ; elle pétilla de santé, de joie et de jeunesse ; je retrouvai mon cher lys, embelli, mieux épanoui, de même que je trouvai mes trésors de cœur augmentés. N’est-ce pas seulement chez les petits esprits, ou dans les cœurs vulgaires, que l’absence amoindrit les sentiments, efface les traits de l’âme et diminue les beautés de la personne aimée ? Pour les imaginations ardentes, pour les êtres chez lesquels l’enthousiasme passe dans le sang, le teint d’une pourpre nouvelle, et chez qui la passion prend les formes de la constance, l’absence n’a-t-elle pas l’effet des supplices qui raffermissaient la foi des premiers chrétiens, et leur rendaient Dieu visible ? N’existe-t-il pas chez un cœur rempli d’amour des souhaits incessants qui donnent plus de prix aux formes désirées en les faisant entrevoir colorées par le feu des rêves ? n’éprouve-t-on pas des irritations qui communiquent le beau de l’idéal aux traits adorés en les chargeant de pensées ? Le passé, repris souvenir à souvenir, s’agrandit ; l’avenir se meuble d’espérances. Entre deux cœurs où surabondent ces nuages électriques, une première entrevue devint alors comme un bienfaisant orage qui ravive la terre et la féconde en y portant les subites lumières de la foudre. Combien de plaisirs suaves ne goûtai-je pas en voyant que chez nous ces pensées, ces ressentiments étaient réciproques ? De quel œil charmé je suivis les progrès du bonheur chez Henriette ! Une femme qui revit sous les regards de l’aimé donne peut être une plus grande preuve de sentiment que celle qui meurt tuée par un doute, ou séchée sur sa tige, faute de sève ; je ne sais qui des deux est la plus touchante. La renaissance de madame de Mortsauf fut naturelle, comme les effets du mois de mai sur les prairies, comme ceux du soleil et de l’onde sur les fleurs abattues. Comme notre vallée d’amour, Henriette avait eu son hiver, elle renaissait comme elle au printemps. Avant le dîner, nous descendîmes sur notre chère terrasse. Là, tout en caressant la tête de son pauvre enfant, devenu plus débile que je ne l’avais vu, qui marchait aux flancs de sa mère silencieux comme s’il couvait encore une maladie, elle me raconta ses nuits passées au chevet du malade. — Durant ces trois mois, elle avait, disait-elle, vécu d’une vie tout intérieure ; elle avait habité comme un palais sombre en craignant d’entrer en de somptueux appartements où brillaient des lumières, où se donnaient des fêtes à elle interdites, et à la porte desquels elle se tenait, un œil à son entant, l’autre sur une figure indistincte, une oreille pour écouter les douleurs, une autre pour entendre une voix. Elle disait des poésies suggérées par la solitude, comme aucun poète n’en a jamais inventé ; mais tout cela naïvement, sans savoir qu’il y eût le moindre vestige d’amour, ni trace de voluptueuse pensée, ni poésie orientalement suave, comme une rose du Frangistan. Quand le comte nous rejoignit, elle continua du même ton, en femme fière d’elle-même, qui peut jeter un regard d’orgueil à son mari, et mettre sans rougir un baiser sur le front de son fils. Elle avait beaucoup prié, elle avait tenu Jacques pendant des nuits entières sous ses mains jointes, ne voulant pas qu’il mourût.
 
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{{titre|Le Lys dans la vallée|[[Honoré de Balzac]]|5}}
 
 
 
— J’allais, disait-elle, jusqu’aux portes du sanctuaire demander sa vie à Dieu. Elle avait eu des visions, elle me les racontait ; mais au moment où elle prononça de sa voix d’ange ces paroles merveilleuses : — Quand je dormais, mon cœur veillait !
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— Ce qui est une plaisanterie dans la bouche du roi, répondit-elle, est un crime ici.
 
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{{titre|Le Lys dans la vallée|[[Honoré de Balzac]]|6}}
 
 
 
Malgré nos précautions, le comte nous avait suivis à la piste ; il nous atteignit tout en sueur sous un noyer où la comtesse s’était arrêtée pour me dire cette parole grave ; en le voyant, je me mis à parler vendange. Eut-il d’injustes soupçons ? je ne sais ; mais il resta sans mot dire à nous examiner, sans prendre garde à la fraîcheur que distillent les noyers. Après un moment employé par quelques paroles insignifiantes entrecoupées de pauses très-significatives, le comte dit avoir mal au cœur et à la tête, il se plaignit doucement, sans quêter notre pitié, sans nous peindre ses douleurs par des images exagérées. Nous n’y fîmes aucune attention. En rentrant, il se sentit plus mal encore, parla de se mettre au lit, et s’y mit sans cérémonie, avec un naturel qui ne lui était pas ordinaire. Nous profitâmes de l’armistice que nous donnait son humeur hypocondriaque, et nous descendîmes à notre chère terrasse, accompagnés de Madeleine.
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" Quand toute ma force enveloppait mes enfants, m’écrivait-elle ; pouvais-je l’employer contre monsieur de Mortsauf et pouvais-je me défendre de ses agressions en me défendant contre la mort ? En marchant aujourd’hui, seule et affaiblie, entre les deux jeunes mélancolies qui m’accompagnent, je suis atteinte par un invincible dégoût de la vie. Quel coup puis-je sentir, à quelle affection puis-je répondre, quand je vois sur la terrasse Jacques immobile dont la vie ne m’est plus attestée que par ses deux beaux yeux agrandis de maigreur, caves comme ceux d’un vieillard, et dont, fatal pronostic ! l’intelligence avancée contraste avec sa débilité corporelle ? Quand je vois à mes côtés cette jolie Madeleine, si vive, si caressante, si colorée, maintenant blanche comme une morte, ses cheveux et ses yeux me semblent avoir pâli, elle tourne sur moi des regards languissants comme si elle voulait me faire ses adieux ; aucun mets ne la tente, ou si elle désire quelque nourriture, elle m’effraie par l’étrangeté de ses goûts ; la candide créature, quoique élevée dans mon cœur, rougit en me les confiant. Malgré mes efforts, je ne puis amuser mes enfants ; chacun d’eux me sourit, mais ce sourire leur est arraché par mes coquetteries, et ne rient pas d’eux ; ils pleurent de ne pouvoir répondre à mes caresses. La souffrance a tout détendu dans leur âme, même les liens qui nous attachent. Ainsi vous comprenez combien Clochegourde est triste : monsieur de Mortsauf y règne sans obstacle. O mon ami, vous ma gloire ! m’écrivait-elle plus loin, vous devez bien m’aimer pour m’aimer encore, pour m’aimer inerte, ingrate, et pétrifiée par la douleur.
 
En ce moment, où jamais je ne me sentis plus vivement atteint dans mes entrailles, et où je ne vivais que dans cette âme, sur laquelle je tâchais d’envoyer la brise lumineuse des matins et l’espérance des soirs empourprés, je rencontrai dans les salons de l’Elysée-Bourbon l’une de ces illustres ladies qui sont à demi souveraines. D’immenses richesses, la naissance dans une famille qui depuis la conquête était pure de toute mésalliance, un mariage avec l’un des vieillards les plus distingués de la pairie anglaise, tous ces avantages n’étaient que des accessoires qui rehaussaient la beauté de cette personne, ses grâces, ses manières, son esprit, je ne sais quel brillant qui éblouissait avant de fasciner. Elle fut l’idole du jour, et régna d’autant mieux sur la société parisienne, qu’elle eut les qualités nécessaires à ses succès, la main de fer sous un gant de velours dont parlait Bernadotte. Vous connaissez la singulière personnalité des Anglais, cette orgueilleuse Manche infranchissable, ce froid canal Saint Georges qu’ils mettent entre eus et les gens qui ne leur sont point présentés ; l’humanité semble être une fourmilière sur laquelle ils marchent ; ils ne connaissent de leur espèce que les gens admis par eux ; les autres, ils n’en entendent pas le langage ; c’est bien des lèvres qui se remuent et des yeux qui voient, mais ni le son ni le regard ne les atteignent ; pour eux, ces gens sont comme s’ils n’étaient point. Les Anglais offrent ainsi comme une image de leur île où la loi régit tout, où tout est uniforme dans chaque sphère, où l’exercice des vertus semble être le jeu nécessaire de rouages qui marchent à heure fixe. Les fortifications d’acier poli élevées autour d’une femme anglaise, encagée dans son ménage par des fils d’or, mais où sa mangeoire et son abreuvoir, où ses bâtons et sa pâture sont des merveilles, lui prêtent d’irrésistibles attraits. Jamais un peuple n’a mieux préparé l’hypocrisie de la femme mariée en la mettant à tout propos entre la mort et la vie sociale ; pour elle, aucun intervalle entre la honte et l’honneur : ou la faute est complète, ou elle n’est pas ; c’est tout ou rien, le ’’ to be’’, ’’ or not to be ’’ d’Hamlet. Cette alternative, jointe au dédain constant auquel les mœurs l’habituent, fait d’une femme anglaise un être à part dans le monde. C’est une pauvre créature, vertueuse par force et prête à se dépraver, condamnée à de continuels mensonges enfouis en son cœur, mais délicieuse par la forme, parce que ce peuple a tout mis dans la forme. De là les beautés particulières aux femmes de ce pays : cette exaltation d’une tendresse où pour elles se résume nécessairement la vie, l’exagération de leurs soins pour elles-mêmes, la délicatesse de leur amour si gracieusement peinte dans la fameuse scène de Roméo et de Juliette où le génie de Shakspeare a d’un trait exprimé la femme anglaise. A vous qui leur enviez tant de choses, que vous dirai-je que vous ne sachiez de ces blanches sirènes, impénétrables en apparence et sitôt connues, qui croient que l’amour suffit à l’amour, et qui importent le spleen dans les jouissances en ne les variant pas, dont l’âme n’a qu’une note, dont la voix n’a qu’une syllabe, océan d’amour, ou qui n’a pas nagé ignorera toujours quelque chose de la poésie des sens, comme celui qui n’a pas vu la mer aura des cordes de moins à sa lyre. Vous connaissez le pourquoi de ces paroles. Mon aventure avec la marquise Dudley eut une fatale célébrité. Dans un âge où les sens ont tant d’empire sur nos déterminations, chez un jeune homme où leurs ardeurs avaient été si violemment comprimées, l’image de la sainte qui souffrait son lent martyre à Clochegourde rayonna si fortement que je pus résister aux séductions. Cette fidélité fut le lustre qui me valut l’attention de lady Arabelle. Ma résistance aiguisa sa passion. Ce qu’elle désirait, comme le désirent beaucoup d’Anglaises, était l’éclat, l’extraordinaire. Elle voulait du poivre, du piment pour la pâture du cœur, de même que les Anglais veulent des condiments enflammés pour réveiller leur goût. L’atonie que mettent dans l’existence de ces femmes une perfection constante dans les choses, une régularité méthodique dans les habitudes, les conduit à l’adoration du romanesque et du difficile. Je ne sus pas juger ce caractère. Plus je me renfermais dans un froid dédain, plus lady Dudley se passionnait. Cette lutte, dont elle se faisait gloire, excita la curiosité de quelques salons, ce fut pour elle un premier bonheur qui lui faisait une obligation du triomphe. Ah ! j’eusse été sauvé, si quelque ami m’avait répété le mot atroce qui lui échappa sur madame de Mortsauf et sur moi.
 
, ’’ or not to be ’’
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d’Hamlet. Cette alternative, jointe au dédain constant auquel les mœurs l’habituent, fait d’une femme anglaise un être à part dans le monde. C’est une pauvre créature, vertueuse par force et prête à se dépraver, condamnée à de continuels mensonges enfouis en son cœur, mais délicieuse par la forme, parce que ce peuple a tout mis dans la forme. De là les beautés particulières aux femmes de ce pays : cette exaltation d’une tendresse où pour elles se résume nécessairement la vie, l’exagération de leurs soins pour elles-mêmes, la délicatesse de leur amour si gracieusement peinte dans la fameuse scène de Roméo et de Juliette où le génie de Shakspeare a d’un trait exprimé la femme anglaise. A vous qui leur enviez tant de choses, que vous dirai-je que vous ne sachiez de ces blanches sirènes, impénétrables en apparence et sitôt connues, qui croient que l’amour suffit à l’amour, et qui importent le spleen dans les jouissances en ne les variant pas, dont l’âme n’a qu’une note, dont la voix n’a qu’une syllabe, océan d’amour, ou qui n’a pas nagé ignorera toujours quelque chose de la poésie des sens, comme celui qui n’a pas vu la mer aura des cordes de moins à sa lyre. Vous connaissez le pourquoi de ces paroles. Mon aventure avec la marquise Dudley eut une fatale célébrité. Dans un âge où les sens ont tant d’empire sur nos déterminations, chez un jeune homme où leurs ardeurs avaient été si violemment comprimées, l’image de la sainte qui souffrait son lent martyre à Clochegourde rayonna si fortement que je pus résister aux séductions. Cette fidélité fut le lustre qui me valut l’attention de lady Arabelle. Ma résistance aiguisa sa passion. Ce qu’elle désirait, comme le désirent beaucoup d’Anglaises, était l’éclat, l’extraordinaire. Elle voulait du poivre, du piment pour la pâture du cœur, de même que les Anglais veulent des condiments enflammés pour réveiller leur goût. L’atonie que mettent dans l’existence de ces femmes une perfection constante dans les choses, une régularité méthodique dans les habitudes, les conduit à l’adoration du romanesque et du difficile. Je ne sus pas juger ce caractère. Plus je me renfermais dans un froid dédain, plus lady Dudley se passionnait. Cette lutte, dont elle se faisait gloire, excita la curiosité de quelques salons, ce fut pour elle un premier bonheur qui lui faisait une obligation du triomphe. Ah ! j’eusse été sauvé, si quelque ami m’avait répété le mot atroce qui lui échappa sur madame de Mortsauf et sur moi.
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— Je suis, dit-elle, ennuyée de ces soupirs de tourterelle !
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a raison, ’’ elle’’
! reprit madame de Mortsauf.
 
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Ainsi son dernier combat suivit sa dernière volupté. Quand le comte vint, elle se plaignit, elle qui ne se plaignait jamais ; je la conjurai de me préciser ses souffrances, mais elle refusa de s’expliquer, et s’alla coucher en me laissant en proie à des remords qui naissaient les uns des autres. Madeleine accompagna sa mère ; et le lendemain je sus par elle que la comtesse avait été prise de vomissements causés, dit-elle par les violentes émotions de cette journée. Ainsi, moi qui souhaitais donner ma vie pour elle, je la tuais.
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— Elle s’en va seule, reprit Henriette d’un ton qui me prouva que les femmes se croient solidaires en amour et ne s’abandonnent jamais.
 
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{{titre|Le Lys dans la vallée|[[Honoré de Balzac]]|9}}
 
 
 
Au moment où nous entrions dans l’avenue de Clochegourde, le chien d’Arabelle jappa d’une façon joyeuse en accourant au-devant de la calèche.
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— Une fantaisie de malade, répondit l’abbé. Madame la comtesse ne veut pas recevoir monsieur le vicomte dans l’état où elle est ; elle parle de toilette, pourquoi la contrarier ?
 
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{{titre|Le Lys dans la vallée|[[Honoré de Balzac]]|10}}
 
 
 
Manette alla chercher Madeleine, et nous vîmes Madeleine sortant quelques moments après être entrée chez sa mère. Puis en nous promenant tous les cinq, Jacques et son père, les deux abbés et moi, tous silencieux le long de la façade sur le boulingrin, nous dépassâmes la maison. Je contemplai tour à tour Montbazon et Azay, regardant la vallée jaunie dont le deuil répondait alors comme en toute occasion aux sentiments qui m’agitaient. Tout à coup j’aperçus la chère mignonne courant après les fleurs d’automne et les cueillant sans doute pour composer des bouquets. En pensant à tout ce que signifiait cette réplique de mes soins amoureux, il se fit en moi je ne sais quel mouvement d’entrailles, je chancelai, ma vue s’obscurcit, et les deux abbés entre lesquels je me trouvais me portèrent sur la margelle d’une terrasse où je demeurai pendant un moment comme brisé, mais sans perdre entièrement connaissance.