« Souvenirs d’une actrice » : différence entre les versions

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Saint-Georges et Lamothe étaient Oreste et Pylade; on ne les voyait jamais l'un sans l'autre. Lamothe, célèbre cor de chasse de cette époque, eût été aussi le premier tireur d'armes, disait-on, s'il n'y avait pas eu un Saint-Georges. La supériorité de Saint-Georges au tir, au patin, à cheval, à la danse, dans tous les arts enfin, lui avait assuré cette brillante réputation dont il a toujours joui depuis son arrivée en France. Il était un modèle pour tous les jeunes gens d'alors, qui lui formaient une cour; on ne le voyait jamais qu'entouré de leur cortège. Saint-Georges donnait souvent des concerts publics ou de souscription ; on y chantait plusieurs morceaux dont il avait composé les paroles et la musique ; c'étaient surtout ses romances qui étaient en vogue. Celle que je vais citer, est une des plus faibles dont j'ai conservé la mémoire, il me la fit chanter dans une de ses soirées chez la marquise de Chambonas.
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L'autre jour sous l'ombrage<br/>
Un jeune et beau pasteur<br/>
Soupirait ainsi sa douleur<br/>
À l'écho plaintif du bocage.<br/>
Bonheur d'être aimé tendrement,<br/>
Que de chagrins vont à ta suite.<br/>
Pourquoi viens tu si lentement<br/>
Et t'en retournes-tu si vite ?<br/><br/>
Ma maîtresse m'oublie,<br/>
Amour fais-moi mourir<br/>
Quand on cesse de nous chérir,<br/>
Quel cruel tourment que la vie.<br/>
Bonheur d'être aimé tendrement, etc.<br/><br/>
 
Saint-Georges possédait le sentiment musical au plus haut degré, et l'expression de son exécution était son principal mérite. Un morceau qui lui valut de grands succès sur le violon, c'était _les"Les Amours et la mort du pauvre oiseau_oiseau". La première partie de cette petite pastorale s'annonçait par un chant brillant, plein de légèreté et de fioritures; le gazouillement de l'oiseau exprimait son bonheur de revoir le printemps, il le célébrait par ses accents joyeux.
L'autre jour sous l'ombrage
Un jeune et beau pasteur
Soupirait ainsi sa douleur
À l'écho plaintif du bocage.
Bonheur d'être aimé tendrement,
Que de chagrins vont à ta suite.
Pourquoi viens tu si lentement
Et t'en retournes-tu si vite ?
 
Ma maîtresse m'oublie,
Amour fais-moi mourir
Quand on cesse de nous chérir,
Quel cruel tourment que la vie.
Bonheur d'être aimé tendrement, etc.
 
Saint-Georges possédait le sentiment musical au plus haut degré, et l'expression de son exécution était son principal mérite. Un morceau qui lui valut de grands succès sur le violon, c'était _les Amours et la mort du pauvre oiseau_. La première partie de cette petite pastorale s'annonçait par un chant brillant, plein de légèreté et de fioritures; le gazouillement de l'oiseau exprimait son bonheur de revoir le printemps, il le célébrait par ses accents joyeux.
 
Mais bientôt après venait la seconde partie où il roucoulait ses amours. C'était un chant rempli d'âme et de séduction. On croyait le voir voltiger de branche en branche, poursuivre la cruelle qui déjà avait fait un autre choix et s'enfuyait à tire d'ailes.
 
Le troisième motif était la mort du pauvre oiseau, ses chants plaintifs, ses regrets, ses souvenirs où se trouvaient parfois quelques réminiscences de ses notes joyeuses. Puis sa voix s'affaiblissait graduellement, et finissait par s'éteindre. Il tombait de sa branche solitaire ; sa vie s'exhalait par quelques notes vibrantes. C'était le dernier chant de l'oiseau, son dernier soupir[40].
 
Je fis un nouvel engagement avec Saint-Georges et Lamothe pour des concerts, à Lille, en 1791. Lorsqu'ils furent terminés, Saint-Georges comptait les renouveler à Tournay. Cette ville était alors le rendez-vous des émigrés[41]. Ils ne voulurent point y admettre le créole. On lui conseilla même de n'y pas faire un plus long séjour.
 
Ce fut à son retour à Paris que Saint-Georges forma un régiment de mulâtres dont on le nomma colonel ; il revint à Lille au moment du siège, et son régiment se battit contre les Autrichiens. J'appris depuis que Saint-Georges et Lamothe étaient partis pour Saint-Domingue qui était en pleine révolution; on répandit même le bruit qu'ils avaient été pendus dans une émeute. Depuis assez longtemps je les croyais donc morts, et je leur avais donné tous mes regrets, lorsqu'un jour que j'étais assise au Palais-Royal avec une de mes amies, et que notre attention était fixée à la lecture d'une gazette, je ne remarquai pas tout de suite deux personnes qui s'étaient placées devant moi. En levant les yeux, je les reconnus, et je jetai un cri comme si j'eusse envisagé deux fantômes ; c'étaient Lamothe et Saint-Georges, qui me chanta :
 
À la fin vous voilà! Je vous croyais pendus.