« L’Allemagne depuis 1830 » : différence entre les versions

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{{journal|L'Allemagne depuis 1830|[[Auteur:Louis de Carné|Louis de Carné]]|[[Revue des Deux Mondes]] T.14, 1838}}
 
 
 
De toutes les contrées de l'Europe, l'Allemagne est peut-être celle où l'influence française s'est exercée avec le plus de suite depuis un demi-siècle. L'ordre civil et, sous beaucoup de rapports, l'ordre politique, y ont été modifiés d'une manière profonde, sans que ces progrès, dus à l'action de nos idées autant qu'à celle de nos armes, y aient été achetés au prix terrible qu'ils nous ont coûté.
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Disons-le ici, non pas pour exprimer quelque regret d'un immense service rendu à la paix du monde, mais pour que la France ne méconnaisse pas sa force, et que l'Europe lui sache au moins quelque gré de sa modération; disons-le pour qu'on honore notre sagesse, au lieu d'affecter pour notre impuissance des dédains qui n'ont rien de sincère : un drapeau tricolore aurait passé le Rhin dans ce redoutable moment, que l'Allemagne, recommençant sa guerre de trente ans, aurait vu s'ouvrir pour elle un avenir rempli des plus terribles perplexités.
 
La courageuse persévérance du gouvernement français en face des factions sut épargner au monde une telle épreuve, dans laquelle ce gouvernement courait peut-être la chance de disparaître, mais avec celle beaucoup plus assurée de faire tomber aussi tous les autres. L'attitude prise par le ministère du 13 mars sauva l'Allemagne monarchique. D'un autre côté, le mouvement remuant d'abord la jeunesse et les masses populaires, au lieu d'avoir pour centre et pour règle l'opposition des corps légalement constitués, dut tourner vite au jacobinisme, et les intérêts alarmés firent taire des sympathies d'abord unanimes. Lorsqu'aux fêtes de Weinheim, de Koenigstein et de Hambach, on vit les passions démocratiques se produire sous les expressions les plus ardentes, et que sur des ruines contemporaines des Hauhenstaufen, on entendit l'hymne enflammé de la ''Marseillaise'', répété en chœur par vingt mille hommes, lorsque la ''Tribune allemande'' provoquait ouvertement à la chute de tous les trônes, et que des publicistes, solennellement absous par le jury, confessaient en plein tribunal l'intimité de leurs rapports avec les sociétés républicaines <ref> «Mes principes sont ceux que j'ai exposés à Hambach ; mon but est d'éclairer les peuples sur leurs droits, et de leur prouver de la manière la plus évidente que les trônes sont fondés sur l'usurpation… Je reconnais que les peuples ne sont pas encore suffisamment éclairés pour renverser cette usurpation ; mais une fois que le moment sera venu, je n'hésiterai pas un instant à les y provoquer de la manière la plus formelle et la plus positive, en leur criant : ''Aux armes! aux armes! Marchons au renversement des rois et à la destruction des trônes''! » (1Le docteur Wirth, Discours à la cour de Landau, 25 juillet 1832.)</ref>, alors une réaction ne put manquer de s'opérer dans l'opinion de ces contrées, réaction dont les gouvernemens surent profiter avec autant d'à-propos que de décision. Lorsqu'elle commença, la Pologne d'ailleurs avait succombé, et l'on avait cessé de compter sur la France. De plus, celle-ci se présentait alors sous un aspect peu propre à encourager l'esprit novateur : d'une part, elle avait soulevé contre elle la conscience des populations religieuses, par le sac du plus vieux temple de sa capitale et ses insultes au signe vénéré de la foi et de la liberté du monde; de l'autre, elle n'avait point encore acquis, en compensation de la force inhérente à tout élément indompté, cette autre force d'opinion et de crédit qui s'attache aux situations régulières et solidement assises; on ne croyait plus à sa verve révolutionnaire, et l'on doutait encore de sa puissance légale.
 
Ce fut le moment choisi par la diète de Francfort. Alors parurent ces ordonnances mémorables, qu'on peut appeler avec justice les ordonnances de juillet d'outre-Rhin, mesures qui devaient changer radicalement l'état politique de l'Allemagne, et revêtir la diète d'attributions auxquelles n'avaient jamais pensé, à coup sûr, les rédacteurs des traités de 1815, mais qu'on put avec fondement appuyer sur les principes énoncés d'une manière générale dans l'acte final de 1820 (2)<ref> Cette affaire est assez importante pour qu'il soit à propos de bien fixer le point de droit public qu'elle soulève. <br/>
<small>L'acte pour la constitution fédérative de l'Allemagne, du 8 juin 1815, porte, article 13 : « Il y aura des ''assemblées d'états'' (landstandische verfassungen'') dans tous les pays de la confédération. » <br/small>
<small>Pendant cinq années, ce texte fut la seule base des discussions de la presse, la seule règle des gouvernemens germaniques. Enfin, le 15 mai 1820, fut publié l'acte final (''schluss-acte'') pour compléter l'organisation de la confédération germanique. Ce document s'exprime sur les questions politiques avec plus de développemens; on sent qu'il émane d'une époque où les cabinets se trouvent en présence de dangers plus sérieux. Il consacre implicitement, quoique dans un sens moins étendu, les droits dont s'est prévalue la diète de Francfort en 1832. L'article 56 porte, il est vrai, que les constitutions d'états existantes ne peuvent être changées que par les voies constitutionnelles (''nur auf verfassungsrnassigem wege''); mais immédiatement après viennent les dispositions suivantes : <br/small>
<small>« La confédération germanique étant, à l'exception des villes libres, formée par des princes souverains, le principe fondamental de cette union exige que tous les pouvoirs de la souveraineté restent réunis dans le chef suprême du gouvernement, et que, par la constitution des états, le souverain ne puisse être tenu d'admettre leur coopération (''mitwirkung'') que dans l'exercice de droits spécialement déterminés. 57. <br/small>
<small>« Aucune constitution particulière ne peut ni arrêter, ni restreindre les princes souverains confédérés dans l'exécution des devoirs que leur impose l'union fédérative. 58. <br/small>
<small>« Dans les pays où la publicité des délibérations est reconnue par la constitution, il doit être pourvu par un règlement d'ordre (''durch die Geschaftsordnung'' à ce que ni dans les discussions même, ni lors de leur publication par la voie de l'impression, les bornes légales de la liberté des opinions ne soient outrepassées de manière à mettre en péril la tranquillité du pays ou celle de l'Allemagne entière. 59. » <br/small>
<small>Enfin le droit d'intervention, pour les cas où une révolte intérieure menacerait la sûreté des autres états de la confédération, est formellement reconnu par les articles 15 et 56 (''Nouveau Recueil des Traités de Paix'', par Martens, tome V). <br/small>
<small>On voit donc que les décrets de Francfort sont fondés en droit; mais qu'ils excèdent évidemment la pensée première des négociateurs. Il est manifeste, par exemple, que l'article 59 ne comporte nullement les suppressions arbitraires de journaux et écrits politiques, sur simple notification de la diète; il présuppose, au contraire, que le règlement d'ordre, destiné à prévenir les abus de la presse, sera fait par chaque état, selon les formes constitutionnelles. <br/small>
<small>En résumé, les ordonnances de Francfort sont légales dans le sens où l'étaient les ordonnances de juillet, car l'acte final de 1820 est basé tout entier sur l'existence d'un article 14.</smallref>.
 
Ces décisions eurent un double effet : si d'un côté elles en finirent avec l'émeute et rétablirent sur ses bases la société violemment ébranlée, de l'autre, on vit se développer, à l'ombre de cette sécurité même, un esprit constitutionnel et légal qui, jusqu'alors, n'avait guère pu se produire. Ces idées ont été vaincues sans doute autant que des idées peuvent l'être, et en cela la diète fédérale doit être considérée comme ayant atteint son but. Toutefois, dans cette lutte, plutôt suspendue que finie, l'Allemagne s'est montrée sous un aspect nouveau; c'est celui-là qu'il faut embrasser sans trop tenir compte du succès d'un jour, accident sans importance dans la vie des peuples, et qui n'engage pas leur avenir. Pour bien comprendre les résistances de l'opinion publique dans les états méridionaux, rappelons d'abord l'esprit et les dispositions principales des ordonnances de Francfort.
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Jusqu'à ce que l'histoire soit en mesure de rapporter avec certitude ce que du reste tout esprit politique peut deviner, en attendant qu'elle fasse à chaque chancellerie la part qui lui revient dans ces résolutions décisives, il suffira de s'en tenir à ces pièces officielles qu'on dédaignerait moins si l'on savait combien il est difficile d'avoir des idées pour soi, à part celles qu'on est obligé d'avoir pour le public. Or, en lisant le protocole de cette importante séance du 28 juin 1832, tel qu'il nous est donné dans ''l'Annuaire historique'' pour cette année, l'on y trouve de graves paroles.
 
Le ministre d'Autriche, président de la diète, fait observer d'abord que des évènemens survenus hors de la sphère d'influence des gouvernemens de l'Allemagne, ont amené un état de choses qui constate ''l'approche d'une révolution inévitable'', si la confédération ne tente les efforts les plus énergiques pour résister à un danger aussi redoutable qu'imminent <ref> « Tant que la situation des esprits s'est bornée à cette agitation, qui est toujours une suite immédiate de grands évènemens qui ont lieu d'une manière inattendue dans des états voisins, sa majesté a cru pouvoir espérer avec confiance que cet état maladif de l'opinion publique céderait à l'influence que l'expérience du temps et la prépondérance de la majorité calme et bien pensante étaient appelées à exercer sur l'Allemagne. Mais la fermentation ayant atteint, dans plusieurs contrées, un degré tel qu'elle menaçait même l'existence de toute la confédération, le contact permanent où se trouvent les états d'Allemagne, l'immense quantité de feuilles et d'écrits révolutionnaires qui inondent ce pays, l'abus de la parole au sein même des chambres des états, les travaux journaliers d'une propagande qui maintenant ne rougit pas de se montrer au grand jour, et les tentatives infructueuses que faisait chaque gouvernement en particulier pour sévir contre les désordres, ont donné à sa majesté impériale la triste conviction que la révolution, en Allemagne, approche à grands pas de sa maturité, et qu'elle n'a besoin, pour éclater, que d'être tolérée plus long-temps par la diète. » (3Prot. de la 22e séance de la diète germanique, 28 juin 1831.)</ref>. Dans une telle situation, ce ministre et celui de Prusse déclarent qu'aux yeux de leurs cours l'expérience a prouvé que la diète manque son but principal, le maintien de la sûreté intérieure des états, et qu'on ne peut expliquer que par l'imperfection d'une législation incomplète l'état maladif de l'opinion publique qui se produisait sous une forme aussi menaçante.
 
Ces ministres annoncent en conséquence que dans leur opinion l'article 57 de l'acte final de Vienne, consacrant le principe de la souveraineté incommutable dans la personne des princes, alors même qu'ils auraient cru devoir revêtir leur gouvernement de formes représentatives, autorisait surabondamment la diète à prendre les mesures les plus énergiques pour protéger cette souveraineté menacée par des chambres factieuses. Ils proposent donc d'étendre les attributions politiques de la diète en consacrant les principes suivans.
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Enfin les deux ministres demandent que la diète se proclame compétente pour prononcer sur toute interprétation du pacte fédéral et de l'acte final, et ils terminent en lui garantissant, au nom de leurs cours, que l'une et l'autre ont pris les mesures militaires nécessaires pour qu'à la moindre réclamation les secours dont on pourrait avoir besoin se rendent aux points désignés avec toute la célérité possible.
 
Ces importantes propositions furent immédiatement converties en résolutions formelles, sauf quelques observations de détail, et avec des réserves très vagues faites par les ministres des principaux états constitutionnels de l'Allemagne méridionale, réserves dont les circonstances étaient seules de nature à fixer le sens et la portée (4)<ref> Le ministre de Saxe s'exprimait ainsi, par exemple : « Le gouvernement royal de Saxe accède aux propositions qui ont pour objet la sûreté de la diète et le maintien de sa dignité, propositions fondées sur les lois fédérales existantes, d'autant plus que les droits constitutionnels des assemblées d'états, et nommément les droits accordés aux états de Saxe par le § 97 de la constitution, relativement à l'examen, au consentement et à la perception des moyens jugés nécessaires pour le gouvernement intérieur, ne seront pas restreints, et que, d'ailleurs, il est supposé partout que tous les moyens constitutionnels de conciliation devront être d'abord épuisés. »</ref>.
 
Enfin des décisions postérieures (<ref> Résolutions du 5) juillet 4532.</ref> complétèrent l'ensemble de ces mesures répressives. La diète se reconnut le droit de prononcer souverainement en matière de presse; elle supprima toutes les associations d'une tendance dangereuse, modifia profondément l'organisation des universités et leurs vieilles prérogatives, consacra le principe de l'extradition en matière politique, en même temps qu'elle confirmait celui d'une assistance immédiate et mutuelle pour toutes ces décisions, aussi bien que pour celles qui pourraient être prises à l'avenir dans l'intérêt du maintien de la tranquillité en Allemagne.
 
Nous n'aurions pas épuisé tout ce qui se rapporte au nouveau droit public fédéral et à l'établissement de cette haute tutelle exercée par deux puissances sur trente-six autres, si nous ne mentionnions tout de suite l'établissement d'une institution complémentaire décrétée plus tard par l'assemblée de Francfort, institution au moins étrange dans sa forme, et qui ne paraît pas destinée à exercer d'influence sérieuse sur l'avenir politique de ce pays.
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Maintenant que nous connaissons l'ensemble de ces mesures, rappelons sommairement les résistances qu'elles ont soulevées, et recherchons en quoi celles-ci ont dû rester inefficaces.
 
Après le mouvement démocratique et révolutionnaire de la fin de 1830 aux premiers mois de 1832, on voit éclater un mouvement constitutionnel sur le caractère légal duquel l'opinion sembla rester incertaine, à raison de cette simultanéité même. Quelque succincte analyse que nous présentions de cette crise parlementaire, elle suffira pour révéler tout ce qu'il y a dans ce pays d'étincelles de vie politique. On verra si l'Allemagne méridionale n'incline pas de toute sa puissance intellectuelle vers les idées françaises, et l'on verra jusqu'à quel point peut être fondée la singulière espérance de la voir accepter jamais le patronage du cabinet de Saint-Pétersbourg pour protéger son unité naissante contre les influences rivales de Berlin et de Vienne <ref> Dépêche d'un agent diplomatique russe en Allemagne sur l'état et l'avenir de la confédération germanique. (6Portofolio, n° 2).<br/>
<small>Nous attachons peu d'importance à la valeur politique de ce recueil. Si l'on cite ici l'une des pièces originales qui y sont contenues, c'est qu'elle a tous les caractères de l'authenticité.</smallref>.
 
Avant la publication des décrets de Francfort, la Bavière avait assisté à une grande lutte politique où elle avait comme épuisé ses forces. Le retrait des ordonnances de censure, la sortie du ministère de M. de Shenck, qui les avait contresignées, furent un éclatant mais dernier hommage payé aux principes constitutionnels. La vive discussion de la loi sur la presse, la longue collision entre les deux chambres, les transactions auxquelles on dut se prêter de part et d'autre, attestèrent également et les tendances libérales et la modération de l'opinion, qui semblait comprendre et embrasser comme chose sérieuse le mécanisme du gouvernement représentatif.
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En Wurtemberg, l'opposition affecta des allures plus vives et plus menaçantes.
 
Sur la proposition formelle d'un de ses membres (7)<ref> M. Pfizer, 13 février 1833.</ref>, la chambre des députés déclara les résolutions de Francfort attentatoires à l'indépendance des états germaniques et aux droits que le Wurtemberg tenait de sa constitution. Elle insista énergiquement pour contraindre le roi à expliquer dans un sens constitutionnel l'assentiment qu'il leur avait donné par l'organe de son ministre près la diète. Le gouvernement wurtembergeois, ne pouvant accepter un pareil vote, qui l'aurait placé dans une situation fort grave en face de la confédération, se détermina à dissoudre la chambre. Mais en vain s'attachât-il par tous les moyens à rassurer les esprits et à calmer l'opinion, en vain le ministère prononça-t-il dans le principe, pour expliquer l'adhésion du monarque aux décrets de Francfort, des paroles qui manquaient assurément ou de courage ou de sincérité <ref> « En portant ces décrets à la connaissance générale, et pour remédier aux malentendus que l'on répand sur leur signification, nous déclarons au nom de sa majesté le roi qu'on n'entend nullement menacer l'existence de la constitution du pays, et que tel n'en a pu être le dessein, puisque l'acte final de Vienne établit formellement que les constitutions d'états, ayant une existence reconnue, ne peuvent plus être modifiées que par la voie constitution nette. Il n'y a donc, sous aucun rapport, de motif de craindre qu'il soit fait de ces décrets de la diète un usage quelconque qui ne serait pas en harmonie avec la constitution, et le gouvernement continuera, comme jusqu'ici, à maintenir la constitution avec une consciencieuse fidélité, et dans toutes ses stipulations, soit qu'elles concernent le droit des états à concourir à la législation et à voter les impôts, ou bien qu'elles soient relatives à tout autre droit assuré aux citoyens wurtembergeois. » (8Déclaration ministérielle, 28 juillet 1832.) : tout fut inutile en Wurtemberg à cette époque, comme tout l'aurait été en France aux premiers mois de 1830. Les électeurs renvoyèrent une chambre non moins vive, qui débuta par une proposition d'abolir la censure, admise malgré les efforts du gouvernement à une majorité plus considérable qu'aucune des motions précédentes. Ailleurs qu'en Wurtemberg, un tel conflit se serait vidé par une révolution; mais les Allemands ont le bon esprit de comprendre qu'une telle issue est dangereuse, et d'ailleurs, avant de la commencer, ils voudraient, en gens prudens, être sûrs au moins de la finir. Or, étonnez-vous que le Wurtemberg ne fît pas une révolution tout seul, en face de l'invasion imminente de la Prusse et de l'Autriche !
 
Dans le grand-duché de Bade, les idées libérales, favorisées par l'accord du grand-duc et des états, avaient fait d'importantes conquêtes. La censure abolie fut remplacée par le régime, assurément peu prudent, de la liberté absolue de la presse. Les résolutions de Francfort vinrent abolir une conquête que cette partie de l'Allemagne rhénane avait saluée de bruyans applaudissemens. Les ordres de suppression de feuilles, les poursuites contre les écrivains désignés, toutes les injonctions, enfin, de la diète, durent être d'autant plus sévèrement exécutées par le gouvernement badoins, qu'il inspirait moins de confiance, et que le grand-duché était l'objet d'une surveillance plus directe.
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M. de Rotteck réclama la nomination d'une commission d'enquête chargée de proposer tous les moyens qu'appelait la gravité des circonstances. Une telle motion consacrait implicitement la prétention de la chambre à modifier la décision prise par le grand-duc, comme membre de la confédération germanique; elle le plaçait, devant celle-ci, dans une situation que la diète n'aurait jamais acceptée, en admettant que ce prince s'y fût prêté lui-même. Le gouvernement fit comprendre, non sans peine, à la chambre la gravité qu'aurait un tel vote, et l'on vit une transaction, dans laquelle on fit la part de la prudence en réservant celle des principes, sortir, après ces longs débats, de cette lutte, l'une des plus vives qu'ait suivie la jeune Allemagne constitutionnelle.
 
Mais ce fut surtout dans les deux Hesses que les résistances se produisirent avec une exaltation, et chose plus remarquable, avec une persévérance qui, à l'issue près, ne le cédaient pas à l'élan unanime de l'opinion libérale en France aux dernières années de la restauration. A Darmstadt comme à Cassel, les chambres sont deux fois brisées et deux fois renvoyées en masse avec des mandats impératifs, malgré l'intervention la plus active de l'autorité dans les élections; un ministre est décrété d'accusation (9)<ref> M. Hassempflug, ministre de l'intérieur de Hesse-Cassel.</ref>, le budget est rejeté, les lois les plus libérales sont votées, malgré le pouvoir, et contre lui, signes précurseurs d'une tempête, s'il avait été donné à la tempête d'éclater!
 
Dira-t-on que ce feu de paille n'a brillé qu'un jour, que les décrets de Francfort ont été acceptés, les écrivains muselés, les universités réformées ou dissoutes, et que dès la fin de 1834, l'Allemagne commençait à rentrer dans son repos ? et de ce qu'aujourd'hui les états, de concert avec les gouvernemens, s'occupent beaucoup de chemins de fer, et moins de politique, serait-on admis à conclure, avec certains publicistes, que le mouvement constitutionnel de 1832 était sans portée, que ce pays cédait à un entraînement factice, et que les intérêts nouveaux n'y ont pas acquis les développemens qu'il nous convient de leur supposer? Étrange conclusion que celle-là, vraiment! Eh! que vouliez-vous donc que fissent les petits états en face des forces fédérales prêtes à marcher? Le désir non équivoque des deux grandes puissances militaires n'était-il pas, et qui l'ignorait ? d'intervenir à main armée, en appuyant sur une violation des obligations fédérales la suppression des institutions représentatives ? Quelle résistance était possible dans un moment où la France se considérait comme dégagée de tout intérêt dans les affaires d'Allemagne? La seule résistance vraiment sérieuse, du moment où il ne pouvait y avoir de concours à attendre de notre gouvernement, impliquait, d'ailleurs, l'emploi de moyens purement révolutionnaires, et le propre de l'opinion bourgeoise, en pareille alternative, n'est-il pas de se résigner même au despotisme ? Entre un nouvel essai de république démagogique et une nouvelle dictature impériale, l'opinion constitutionnelle n'eût-elle pas embrassé le dernier parti, même en France ?Est-ce donc à dire que cette opinion y soit sans racines et sans force propre?
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En cas de guerre, la France agirait sur l'Allemagne par ses idées, sur l'Italie par son génie même, par l'autorité du gouvernement représentatif au-delà du Rhin, par l'attractive puissance de ses mœurs au-delà des Alpes.
 
Si l'Italie est la plus vulnérable, ce n'est pas, on le sait, la seule partie faible de cet empire que les rivalités politiques s'attachent, au sein même de la confédération, à présenter comme une puissance moins allemande que slave. En Hongrie, le cabinet de Vienne doit lutter à la fois, et contre le libéralisme moderne, et contre l'esprit féodal associé dans une opposition nationale. Les états de Transylvanie, dissous après une session de huit mois (10)<ref> 6 février 1835.</ref>, signalée par des résistances violentes, pour ne pas dire séditieuses, ont révélé toute une situation qu'il est plus facile de cacher à l'Europe que de dissimuler à soi-même.
 
Des habitudes paternelles et des traditions persévérantes prêtent, sans nul doute, une grande force de résistance à cette monarchie si admirablement construite et si habilement conservée au milieu de tant d'orages; et lorsqu'on a vu s'opérer sans aucun changement ni dans la pensée dirigeante, ni dans ses instrumens, la succession d'un règne à l'autre, les états constitutionnels ont pu envier peut-être ce calme profond dans une transition qui, depuis si longtemps, préoccupait le monde politique.
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Il est, en effet, un intérêt contre lequel l'intérêt purement social n'aurait pas le droit de prévaloir, à supposer qu'il en eût la puissance. Il y a en ce monde autre chose que de la politique; et pour être des esprits éminens, Machiavel, Charles-Quint, Richelieu et Napoléon ne sont pas la plus haute expression de l'intelligence humaine. Cette expression suprême de la dignité de notre nature, c'est la religion, qui relie les ames comme la politique associe les intérêts. Les concilier toutes deux est une admirable chose; subordonner l'une à l'autre est un pauvre calcul qui ne saurait conduire qu'à l'abaissement de l'homme et à la dégradation morale de la société.
 
L'idée de confondre dans une unité nouvelle, d'embrasser dans un rituel national les deux cultes réformés, fut la préoccupation dominante d'un roi patriote et pieux. Calviniste sincère, Frédéric-Guillaume III fit à ce plan de toute sa vie quelques sacrifices théologiques, et ''l'église évangélique'' fut fondée sur des bases, sinon durables, du moins assez généralement acceptées (11)<ref> Cette institution fut organisée en 1817, lors de la troisième fête séculaire de la réforme.</ref> . Cette église est arrivée, en prenant soin de s'occuper beaucoup moins du dogme que de la liturgie extérieure, à fonctionner assez régulièrement, à la manière de toutes les institutions officielles réglementées et salariées; établissement royal parfaitement inoffensif du reste, qui est à une autre église de même origine ce qu'un bon mari morganatique est au terrible époux d'Anna Boleyn.
 
Mais cette tâche n'était pas la plus ardue; une autre restait entière, et c'est ici que se sont rencontrées des résistances dont il est encore difficile d'assigner le terme, et qui projettent un jour nouveau sur la situation de ce pays. Les cinq sixièmes des populations adjugées à la Prusse par le congrès de Vienne professaient le catholicisme, et cette croyance dominait surtout presque sans exception toutes les populations rhénanes, qu'il s'agissait de pénétrer de cet esprit anti-français, jugé nécessaire pour consolider l'œuvre de 1815 (12).<ref> Voici, d'après un journal allemand, la proportion des différens cultes dans les provinces méridionales :<br/>
<small>Gouvernement d'Aix-la-Chapelle: 345,000 catholiques, 12,000 protestans. <br/small>
<small>Gouvernement de Munster: 300,000 catholiques, 40,000 protestans. <br/small>
<small>Gouvernement de Trèves: même proportion. <br/small>
<small>Dans ceux de Coblentz et de Dusseldorff, les catholiques sont aussi en très grande majo¬ritémajorité, quoique la disproportion soit moindre.</smallref>.
 
A-t-il existé un plan parfaitement arrêté à Berlin pour protestantiser les provinces rhénanes et westphaliennes? nous ne le croyons pas. Assurément une telle idée ne s'est présentée ni à Frédéric-Guillaume ni à Guillaume de Nassau, comme pouvant comporter une exécution immédiate. Ce sont là de ces parties trop hasardeuses pour les jouer de sang-froid et cartes sur table. Dans ce cas, on procède bien plutôt par tendances que par entreprises avouées.
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L'action incessante du gouvernement prussien depuis 1815 s'est en effet exercée en ce sens par l'administration, par l'enseignement, par la presse, par les innombrables moyens d'influence dont dispose un pouvoir fort sur des mœurs faibles et sur des intérêts trop facilement excités.
 
Le concordat conclu en 1821 avec le saint-siège a donné au gouvernement prussien, sur l'administration de l'église catholique, des droits qui n'ont rien de plus exorbitant, il est vrai, que ceux reconnus au gouvernement français d'après les lois organiques et les décrets impériaux. Mais à Berlin l'application de ces dispositions se fait par des ministres et des présidens de province, tous étrangers au catholicisme, souvent en état de méfiance, si ce n'est d'irritation, contre lui. Les fidèles de cette religion, totalement exclus de la haute administration aussi bien que des grades supérieurs de la hiérarchie militaire (13),<ref> sontSi dansl'on unen étatcroit dl'inférioritéouvrage évidente,''Sur quil'état impose des sacrifices difficiles àde l'ambition,Eglise péniblesen àAllemagne l'amourau dix-propre.neuvième Lsiècle'armée et l'enseignement, universitaireauquel sontnous deuxempruntons moyensces puissansdétails, dontil disposen'y leaurait gouvernementpas pourdans agirl'armée etprussienne surun leseul peupleofficier-général, etpas surmême lesun classesseul éclairéescolonel catholique. <br/>
<small>Ce livre, imprimé à Augsbourg sous le titre de ''Beittrage zur Kirchengeschichte des XIXe jahrhunderts in Deutschland'', a été saisi par la Bavière sur les réclamations du cabinet de Berlin. Ce n'est point une raison de douter de ses assertions, confirmées par des renseignemens nombreux.</smallref>, sont dans un état d'infériorité évidente, qui impose des sacrifices difficiles à l'ambition, pénibles à l'amour-propre. L'armée et l'enseignement universitaire sont deux moyens puissans dont dispose le gouvernement pour agir et sur le peuple et sur les classes éclairées.
 
L'organisation religieuse de l'armée est exclusivement protestante, du moins en temps de paix; l'assistance au service divin et à la prédication est obligée. Le Westphalien, le Silésien, l'habitant des provinces polonaises ou rhénanes, confondus avec les luthériens de la vieille Prusse, compris, malgré leur croyance, dans la juridiction spirituelle d'un pasteur de division, d'après ''l'ordonnance ecclésiastique'' de 1832, vivent ainsi plusieurs années dans une atmosphère où la foi de leur enfance ne peut manquer de s'obscurcir.
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Par l'enseignement universitaire, le gouvernement domine le clergé catholique, s'attachant à favoriser, dans l'intérêt d'un vague ecclectisme religieux, ces tendances rationalistes qui se développent de plus en plus en Allemagne. Il n'y a aucune université catholique pour plus de cinq millions de sujets professant cette religion. Deux universités seulement sont mixtes, celles de Bonn et de Breslau; les autres restent exclusivement protestantes. Encore à Bonn comme à Breslau, le commissaire royal est-il protestant, et les évêques sont-ils sans influence directe sur le choix des professeurs de théologie catholique, contre l'orthodoxie desquels ils sont seulement admis à présenter des objections au ministre.
 
Il est résulté de l'ensemble de ces causes, qu'en Silésie surtout, le catholicisme dogmatique est descendu à l'état le plus déplorable. L'interprétation libre du symbole y bouleverse chaque jour davantage les bases mêmes de la doctrine chrétienne. Aux bords du Rhin, l'enseignement du docteur Hermès avançait également cette œuvre de décomposition, déjà trop favorisée par le relâchement des mœurs et la faiblesse de la discipline. Aussi le gouvernement prussien n'avait-il pas vu sans vif déplaisir un bref pontifical frapper la doctrine hermésienne, « en ce qu'elle établissait le doute positif comme base de tout enseignement théologique, et qu'elle posait en principe que la raison est l'unique moyen pour arriver à la connaissance des vérités de l'ordre surnaturel (14)<ref> Bref du 26 septembre 1835.</ref>. »
 
Un écrit, émané d'une source officielle, a récemment dénoncé cette condamnation comme « le premier pas décisif du chef de l'église pour arrêter le développement de la science catholique en Allemagne (15)<ref> ''Exposé de la conduite du gouvernement prussien envers l'archevêque de Cologne'', Paris, Jules Renouard, 1838.</ref>.» On ne s'étonnera pas, dès-lors, que la publication de ce bref fût interdite dans toutes les provinces de la monarchie. Mais, lorsque des feuilles étrangères l'eurent porté à la connaissance des catholiques, une scission profonde éclata dans le clergé, la majorité adhérant à la décision de Rome, une autre partie se refusant à reconnaître un bref qui n'avait pas été officiellement publié ''cum placito regis''.
 
Mais une affaire bien autrement importante allait bientôt engager le gouvernement prussien dans une série de mesures dont il lui serait en ce moment bien difficile de déterminer la limite.
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L'église n'a jamais autorisé la pratique du mariage mixte qu'avec répugnance, et sous la condition étroitement imposée à l'époux catholique, de faire tous ses efforts pour élever dans l'orthodoxie religieuse tous les enfans à naître de son mariage. Ce n'est pas qu'elle conteste en rien la validité de ces unions, mais parce qu'il est dans l'esprit de son dogme fondamental de refuser ses bénédictions dans une circonstance où semblent si gravement compris et la foi d'un des deux conjoints et l'avenir religieux des générations dont ce mariage doit être la source.
 
Consulté par les évêques de la Prusse catholique sur les embarras chaque jour plus graves où les plaçait l'ordre royal de 1825, le pape Pie VIII n'hésita pas à rappeler, de la manière la moins équivoque, la règle invariable de l'église; il l'imposa de nouveau à la conscience des prélats, tout en concédant au gouvernement prussien des facilités, depuis long-temps réclamées, pour les dispenses et autres points de discipline ecclésiastique. Le bref déclarait valides les mariages mixtes contractés sans empêchement canonique, mais n'autorisait que ''l'assistance purement passive'' du prêtre, lorsque ces mariages ne seraient pas célébrés avec les garanties réclamées par l'église pour l'éducation des enfans, garanties dont le pape déclarait n'avoir pas plus la volonté que le pouvoir de dispenser (16)<ref> Bref du 25 mars 1830 à l'archevêque de Cologne et aux évêques de Trèves, Paderborn et Munster. - Instruction conforme du cardinal Albani, 27 mars.</ref>.
 
Ce n'est pas au point de vue purement politique qu'il faut juger de telles questions. Le premier devoir de l'homme d'état est, assurément, de rallier les intérêts divisés, en suggérant un esprit de concessions mutuelles; mais la religion se règle par d'autres maximes, parce qu'elle se rapporte à un ordre d'idées très différent. Altérer l'intégrité du dogme ou de la discipline, c'est s'exposer à enfanter, non la paix qui entretient la charité, mais l'indifférence dans laquelle toute croyance s'éteint.
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Il peut être fâcheux, sans doute, de modifier une loi politique; mais la foi est pour l'humanité, même sous le simple rapport social, chose plus importante que l'unité de législation.
 
La cour de Prusse, peu satisfaite des concessions restreintes du bref pontifical, s'abstint de lui donner aucune publicité, non plus qu'à l'instruction plus explicite du cardinal Albani. Mais l'existence de cette pièce était connue; il fut impossible de ne pas paraître en tenir compte : c'est ce qu'on essaya de faire en négociant secrètement, à Berlin, avec l'archevêque de Cologne, comte de Spiegel, l'un des prélats complètement conquis à la pensée du cabinet, une convention prétendue explicative du bref de 1830, destinée à servir de règle dans la pratique. Cette convention, signée par l'archevêque Spiegel et M. Bunsen, ministre prussien près le Saint-Siège, alors à Berlin (17)<ref> 19 juin 1834.</ref>, n'allait à rien moins qu'à autoriser, en matière de mariage mixte, précisément ce que Rome persistait à refuser de la manière la plus formelle.
 
Lorsque le siège de Cologne devint vacant, le premier soin du ministre des cultes fut de réclamer du baron de Droste, que le roi venait d'y élever, l'exécution de la convention passée avec son prédécesseur ''en conformité'', disait-on, du bref de Pie VIII.
 
Les difficultés déjà si graves de sa situation étaient encore augmentées pour le nouvel archevêque, par l'usage ou l'abus qu'on prétendait faire contre lui d'une adhésion qu'il aurait donnée à cette convention, comme condition de son élévation au siége de Cologne. M. de Droste, en effet, informé de l'existence d'un acte secret conclu ''conformément'' au bref du pape, avait déclaré ''apprendre'' avec joie l'existence d'un tel accord, et s'était engagé à l'exécuter, ''dans l'esprit de paix où il avait été conçu'' (18)<ref> ''Exposé de la conduite du gouvernement prussien'', etc., pag. 122.</ref>.
 
De cette promesse donnée en termes généraux avant sa nomination, le cabinet de Berlin paraît induire que l'archevêque connaissait la substance même de la convention secrète, alors que celui-ci, sur son honneur d'homme et sa conscience de prêtre, atteste qu'il croyait, en 1835, adhérer à un acte conforme, et non pas diamétralement contraire aux prescriptions pontificales.
 
Quoique cet incident ait compliqué l'affaire si parfaitement simple de Cologne, il ne touche pas, du reste, au fond même de la question. L'archevêque aurait eu le tort grave d'adhérer à des dispositions contre lesquelles le soin de ses devoirs l'aurait excité plus tard à revenir, que cette faiblesse ne lui créerait pas une situation plus fausse assurément que celle d'un agent diplomatique, amené, par les difficultés de son rôle, à nier en avril 1836, dans une note officielle, l'existence d'une convention signée par lui-même en juin 1834 (19)<ref> Note de M. Bunsen au cardinal Lambruschini. - Annexe n° VI de la publication faite par la chancellerie romaine: ''Espositione di fatto documentata su quanto ha preceduto e seguito la deportazione di monsignor Droste, arcivescovo di Colonia''. Roma. 1838.</ref> !
 
On sait les mesures auxquelles s'est trouvé entraîné un cabinet dont la prudence et la modération ont fondé le crédit en Allemagne et en Europe; tristes nécessités dont l'expérience de M. Ancillon aurait probablement détourné, quelles que fussent ses sympathies religieuses, et qui, commençant dans les provinces rhénanes, se produisent aujourd'hui à l'autre extrémité du royaume, au sein des catholiques provinces polonaises (20)<ref> Lettre pastorale de l'archevêque de Gnesen et Posen, 17 février 1838.</ref>.
 
La Prusse s'est gratuitement engagée dans des voies incertaines et périlleuses. Si elle persiste dans l'exécution de l'ordonnance de 1825, près de la moitié de ses sujets se regarderont comme atteints à la source même de leur foi; et la seule autorité religieuse qui soit aujourd'hui dans le monde, est venue sanctionner leurs plaintes et rompre un silence dont les pouvoirs politiques semblaient se croire assurés pour toujours. L'adhésion de la masse du clergé, dont les membres devançaient déjà le jugement de Rome au grand jour où cessent toutes les complaisances humaines <ref> « Nunc morbo dolorosissimo correptus, in vitae discrimine versans, divinâ gratiâ illustratus ex acitis illis ecclesiae mala gravissima oritura, et ecclesiae catholicae canones et principia iisdem laesa esse perspectum habeo ; ideoque quantum hac in re summi momenti erravi, poenitentia ductus liberâmente et proprio motu retracto.” (21Lettre de l’évêque de Trèves au lit de mort, ''Espositione di fatto'', etc., annexe VI).</ref>, l'agitation des provinces rhénanes qui ont désormais à faire valoir des griefs mieux compris que les griefs exclusivement politiques, tout constate que, dans cette affaire, il faudra reculer devant la conscience des peuples; si l'on ne veut courir des chances incalculables.
 
Rome hésite long-temps, et c'est un devoir, lorsqu'il faut attaquer les pouvoirs publics, et s'associer en quelque chose aux résistances qu'ils rencontrent. Mais il fallait ici préserver l'avenir et peut-être réparer quelque chose dans le passé. Avec les plaintes de la Prusse catholique, les douleurs de la Pologne pourraient bien monter aussi jusqu'au pied du Vatican, trop long-temps inaccessible. Alors la politique européenne rencontrerait des complications inattendues, et que le monde ne pénètre pas encore.
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Rome a été bercée au vent de toutes les fortunes : selon le cours des idées et des siècles, selon ces nécessités temporaires, que subit, en les dominant, toute pensée immortelle, elle a navigué, tantôt avec les puissances, tantôt avec les peuples; ainsi triomphante au sein du calme, ou le front souvent caché sous l'écume des flots, s'avance vers ses mystérieuses destinées, cette église dont la barque du pêcheur est le naïf et sacré symbole.
 
La Prusse a entrepris un duel que la prudence semblait commander d'éviter. Le champ clos, d'ailleurs, est bien rapproché de la Belgique où flottent enlacés les drapeaux de la liberté civile et religieuse; pays que ses souvenirs, ses mœurs, ses intérêts, lient d'une manière si étroite aux provinces rhénanes, et dont il nous est arrivé d'écrire dans ce recueil même, bien avant les complications actuelles : « Dans vingt-cinq ans la Belgique aura obtenu le pays entre Meuse et Rhin, ou elle sera réunie à la France (22)<ref> ''De la Nationalité belge'', n° du 1er juin 1836.</ref>
 
Les affaires religieuses de la Prusse sont trop graves pour que nous n'en tenions pas compte, en appréciant notre véritable position en Europe.
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Les nôtres sont grandes, qui en doute? Mais qu'en face de cette monarchie parlementaire, dont l'Europe se complaît à tracer de si sombres tableaux dans ses journaux et jusque dans les nôtres, elle ne se pose pas trop fièrement comme un corps compacte et homogène. Nous étalons nos maux, l'Europe cache les siens, voilà la principale différence; et si la modestie va bien aujourd'hui, comme je le crois, à la France constitutionnelle, l'Europe peut, à coup sûr, en prendre aussi sa part. Il ne siérait à aucun gouvernement d'imiter les gens qui chantent parce qu'ils ont peur.
 
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<small>(1) «Mes principes sont ceux que j'ai exposés à Hambach ; mon but est d'éclairer les peuples sur leurs droits, et de leur prouver de la manière la plus évidente que les trônes sont fondés sur l'usurpation… Je reconnais que les peuples ne sont pas encore suffisamment éclairés pour renverser cette usurpation ; mais une fois que le moment sera venu, je n'hésiterai pas un instant à les y provoquer de la manière la plus formelle et la plus positive, en leur criant : ''Aux armes! aux armes! Marchons au renversement des rois et à la destruction des trônes''! » (Le docteur Wirth, Discours à la cour de Landau, 25 juillet 1832.)</small>
 
<small>(2) Cette affaire est assez importante pour qu'il soit à propos de bien fixer le point de droit public qu'elle soulève.</small>
 
<small>L'acte pour la constitution fédérative de l'Allemagne, du 8 juin 1815, porte, article 13 : « Il y aura des ''assemblées d'états'' (landstandische verfassungen'') dans tous les pays de la confédération. »</small>
 
<small>Pendant cinq années, ce texte fut la seule base des discussions de la presse, la seule règle des gouvernemens germaniques. Enfin, le 15 mai 1820, fut publié l'acte final (''schluss-acte'') pour compléter l'organisation de la confédération germanique. Ce document s'exprime sur les questions politiques avec plus de développemens; on sent qu'il émane d'une époque où les cabinets se trouvent en présence de dangers plus sérieux. Il consacre implicitement, quoique dans un sens moins étendu, les droits dont s'est prévalue la diète de Francfort en 1832. L'article 56 porte, il est vrai, que les constitutions d'états existantes ne peuvent être changées que par les voies constitutionnelles (''nur auf verfassungsrnassigem wege''); mais immédiatement après viennent les dispositions suivantes :</small>
 
<small>« La confédération germanique étant, à l'exception des villes libres, formée par des princes souverains, le principe fondamental de cette union exige que tous les pouvoirs de la souveraineté restent réunis dans le chef suprême du gouvernement, et que, par la constitution des états, le souverain ne puisse être tenu d'admettre leur coopération (''mitwirkung'') que dans l'exercice de droits spécialement déterminés. 57.</small>
 
<small>« Aucune constitution particulière ne peut ni arrêter, ni restreindre les princes souverains confédérés dans l'exécution des devoirs que leur impose l'union fédérative. 58.</small>
 
<small>« Dans les pays où la publicité des délibérations est reconnue par la constitution, il doit être pourvu par un règlement d'ordre (''durch die Geschaftsordnung'' à ce que ni dans les discussions même, ni lors de leur publication par la voie de l'impression, les bornes légales de la liberté des opinions ne soient outrepassées de manière à mettre en péril la tranquillité du pays ou celle de l'Allemagne entière. 59. »</small>
 
<small>Enfin le droit d'intervention, pour les cas où une révolte intérieure menacerait la sûreté des autres états de la confédération, est formellement reconnu par les articles 15 et 56 (''Nouveau Recueil des Traités de Paix'', par Martens, tome V).</small>
 
<small>On voit donc que les décrets de Francfort sont fondés en droit; mais qu'ils excèdent évidemment la pensée première des négociateurs. Il est manifeste, par exemple, que l'article 59 ne comporte nullement les suppressions arbitraires de journaux et écrits politiques, sur simple notification de la diète; il présuppose, au contraire, que le règlement d'ordre, destiné à prévenir les abus de la presse, sera fait par chaque état, selon les formes constitutionnelles.</small>
 
<small>En résumé, les ordonnances de Francfort sont légales dans le sens où l'étaient les ordonnances de juillet, car l'acte final de 1820 est basé tout entier sur l'existence d'un article 14.</small>
 
<small>(3) « Tant que la situation des esprits s'est bornée à cette agitation, qui est toujours une suite immédiate de grands évènemens qui ont lieu d'une manière inattendue dans des états voisins, sa majesté a cru pouvoir espérer avec confiance que cet état maladif de l'opinion publique céderait à l'influence que l'expérience du temps et la prépondérance de la majorité calme et bien pensante étaient appelées à exercer sur l'Allemagne. Mais la fermentation ayant atteint, dans plusieurs contrées, un degré tel qu'elle menaçait même l'existence de toute la confédération, le contact permanent où se trouvent les états d'Allemagne, l'immense quantité de feuilles et d'écrits révolutionnaires qui inondent ce pays, l'abus de la parole au sein même des chambres des états, les travaux journaliers d'une propagande qui maintenant ne rougit pas de se montrer au grand jour, et les tentatives infructueuses que faisait chaque gouvernement en particulier pour sévir contre les désordres, ont donné à sa majesté impériale la triste conviction que la révolution, en Allemagne, approche à grands pas de sa maturité, et qu'elle n'a besoin, pour éclater, que d'être tolérée plus long-temps par la diète. » (Prot. de la 22e séance de la diète germanique, 28 juin 1831.)</small>
 
<small>(4) Le ministre de Saxe s'exprimait ainsi, par exemple : « Le gouvernement royal de Saxe accède aux propositions qui ont pour objet la sûreté de la diète et le maintien de sa dignité, propositions fondées sur les lois fédérales existantes, d'autant plus que les droits constitutionnels des assemblées d'états, et nommément les droits accordés aux états de Saxe par le § 97 de la constitution, relativement à l'examen, au consentement et à la perception des moyens jugés nécessaires pour le gouvernement intérieur, ne seront pas restreints, et que, d'ailleurs, il est supposé partout que tous les moyens constitutionnels de conciliation devront être d'abord épuisés. »</small>
 
<small>(5) Résolutions du 5 juillet 4532.</small>
 
<small>(6) Dépêche d'un agent diplomatique russe en Allemagne sur l'état et l'avenir de la confédération germanique. (Portofolio, n° 2).</small>
 
<small>Nous attachons peu d'importance à la valeur politique de ce recueil. Si l'on cite ici l'une des pièces originales qui y sont contenues, c'est qu'elle a tous les caractères de l'authenticité.</small>
 
<small>(7) M. Pfizer, 13 février 1833.</small>
(8) « En portant ces décrets à la connaissance générale, et pour remédier aux malentendus que l'on répand sur leur signification, nous déclarons au nom de sa majesté le roi qu'on n'entend nullement menacer l'existence de la constitution du pays, et que tel n'en a pu être le dessein, puisque l'acte final de Vienne établit formellement que les constitutions d'états, ayant une existence reconnue, ne peuvent plus être modifiées que par la voie constitution nette. Il n'y a donc, sous aucun rapport, de motif de craindre qu'il soit fait de ces décrets de la diète un usage quelconque qui ne serait pas en harmonie avec la constitution, et le gouvernement continuera, comme jusqu'ici, à maintenir la constitution avec une consciencieuse fidélité, et dans toutes ses stipulations, soit qu'elles concernent le droit des états à concourir à la législation et à voter les impôts, ou bien qu'elles soient relatives à tout autre droit assuré aux citoyens wurtembergeois. » (Déclaration ministérielle, 28 juillet 1832.)
 
<small>(9) M. Hassempflug, ministre de l'intérieur de Hesse-Cassel.</small>
 
<small>(10) 6 février 1835.</small>
 
<small>(11) Cette institution fut organisée en 1817, lors de la troisième fête séculaire de la réforme.</small>
 
<small>(12) Voici, d'après un journal allemand, la proportion des différens cultes dans les provinces méridionales :</small>
 
<small>Gouvernement d'Aix-la-Chapelle: 345,000 catholiques, 12,000 protestans.</small>
 
<small>Gouvernement de Munster: 300,000 catholiques, 40,000 protestans.</small>
 
<small>Gouvernement de Trèves: même proportion.</small>
 
<small>Dans ceux de Coblentz et de Dusseldorff, les catholiques sont aussi en très grande majo¬rité, quoique la disproportion soit moindre.</small>
 
<small>(13) Si l'on en croit l'ouvrage ''Sur l'état de l'Eglise en Allemagne au dix-neuvième siècle'', auquel nous empruntons ces détails, il n'y aurait pas dans l'armée prussienne un seul officier-général, pas même un seul colonel catholique.</small>
 
<small>Ce livre, imprimé à Augsbourg sous le titre de ''Beittrage zur Kirchengeschichte des XIXe jahrhunderts in Deutschland'', a été saisi par la Bavière sur les réclamations du cabinet de Berlin. Ce n'est point une raison de douter de ses assertions, confirmées par des renseignemens nombreux.</small>
 
<small>(14) Bref du 26 septembre 1835.</small>
 
<small>(15) ''Exposé de la conduite du gouvernement prussien envers l'archevêque de Cologne'', Paris, Jules Renouard, 1838.</small>
 
<small>(16) Bref du 25 mars 1830 à l'archevêque de Cologne et aux évêques de Trèves, Paderborn et Munster. - Instruction conforme du cardinal Albani, 27 mars.</small>
 
<small>(17) 19 juin 1834.</small>
 
<small>(18) ''Exposé de la conduite du gouvernement prussien'', etc., pag. 122.</small>
 
<small>(19) Note de M. Bunsen au cardinal Lambruschini. - Annexe n° VI de la publication faite par la chancellerie romaine: ''Espositione di fatto documentata su quanto ha preceduto e seguito la deportazione di monsignor Droste, arcivescovo di Colonia''. Roma. 1838.</small>
 
<small>(20) Lettre pastorale de l'archevêque de Gnesen et Posen, 17 février 1838.</small>
 
<small>(21) « Nunc morbo dolorosissimo correptus, in vitae discrimine versans, divinâ gratiâ illustratus ex acitis illis ecclesiae mala gravissima oritura, et ecclesiae catholicae canones et principia iisdem laesa esse perspectum habeo ; ideoque quantum hac in re summi momenti erravi, poenitentia ductus liberâmente et proprio motu retracto.” (Lettre de l’évêque de Trèves au lit de mort, ''Espositione di fatto'', etc., annexe VI).</small>
 
<small>(22) ''De la Nationalité belge'', n° du 1er juin 1836.</small>
 
 
LOUIS DE CARNE.
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