« Page:Hugo - Les Misérables Tome III (1890).djvu/166 » : différence entre les versions

Luciliou (discussion | contributions)
(Aucune différence)

Version du 28 juillet 2010 à 12:31

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

― Monsieur, je suis mortifié...

― Avant tout, interrompit Laigle, je demande à embaumer Blondeau dans quelques phrases d’éloge senti. Je le suppose mort. Il n’y aurait pas grand’chose à changer à sa maigreur, à sa pâleur, à sa froideur, à sa roideur et à son odeur. Et je dis : Erudimini qui judicatis terram. Ci-gît Blondeau, Blondeau le Nez, Blondeau Nasica, le bœuf de la discipline, bos disciplinœ, le molosse de la consigne, l’ange de l’appel, qui fut droit, carré, exact, rigide, honnête et hideux. Dieu le raya comme il m’a rayé.

Marius reprit :

― Je suis désolé...

― Jeune homme, dit Laigle de Meaux, que ceci vous serve de leçon. A l’avenir, soyez exact.

― Je vous fais vraiment mille excuses.

― Ne vous exposez plus à faire rayer votre prochain.

— Je suis désespéré...

Laigle éclata de rire.

― Et moi, ravi. J’étais sur la pente d’être avocat. Cette rature me sauve. Je renonce aux triomphes du barreau. Je ne défendrai point la veuve et je n’attaquerai point l’orphelin. Plus de toge, plus de stage. Voilà ma radiation obtenue. C’est à vous que je la dois, monsieur Pontmercy. J’entends vous faire solennellement une visite de remercîments. Où demeurez-vous ?

― Dans ce cabriolet, dit Marius.

― Signe d’opulence, repartit Laigle avec calme. Je vous félicite. Vous avez là un loyer de neuf mille francs par an.