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{{journal|Le sort des classes souffrantes|[[Auteur:André Cochut|A. Cochut]]|[[Revue des Deux Mondes]] T.19, 1839}}
 
:I.- De la bienfaisance publique, par M. de Gérando. - II.- Du progrès social, au profit des classes populaires non indigentes, par M. Félix de la Farelle.
 
II.- Du progrès social, au profit des classes populaires non indigentes, par M. Félix de la Farelle.
 
La tâche du publiciste est trop souvent ingrate et pénible. Il faut qu'il suive d'un oeil vigilant toutes les agitations qui se manifestent, et que, semblable à ces chevaliers qui ne quittaient pas la cuirasse tant que durait leur entreprise, il vive toujours armé de passion, toujours prêt à se jeter dans la mêlée des partis ; ou bien encore, dans une région inférieure, il est réduit à dénoncer au jour le jour les aberrations de l'esprit, à tourmenter des vanités malades, à flageller l'impudence : tristes nécessités qui éternisent la lutte, et avec elle la fatigue et l'aigreur. Par une rare autant que bonne fortune, une sorte de trêve nous est offerte aujourd'hui : des œuvres de la nature de celles que nous avons à signaler, ne peuvent que susciter une vive sympathie, que semer pour l'avenir des germes d'espoir.
 
Sous ce titre : ''De la Bienfaisance publique'' (1)<ref> 4 vol. in-8°, chez Renouard, rue de Tournon, 6.</ref>, M. de Gérando vient de publier un très remarquable ouvrage qui embrasse tout ce qui concerne le régime des classes pauvres. Une méthode rigoureuse, à laquelle on reconnaît un esprit habitué d'ancienne date aux investigations philosophiques, l'abondance des faits recueillis, la possession parfaite de son sujet, que l'auteur a doublement conquise par l'étude des théories antérieures et par les expériences qui résument sa longue carrière administrative, ne tarderont pas à placer le beau travail de M. de Gérando au premier rang des traités sans nombre consacrés au plus épineux problème de la science sociale. Ce n'est pas qu'il ait eu à produire un nouveau système, et nous l'en félicitons : peu de solutions lui appartiennent à titre de découvertes, mais les résultats qu'il s'approprie par une lumineuse discussion, sont enchaînés de telle sorte qu'ils se présentent avec l'importance et l'autorité d'un corps de doctrine. On pourrait même ajouter que le ton calme et pénétré de l'écrivain, la sincérité de son dévouement à l'infortune, ravissent l'adhésion du lecteur, et qu'on éprouve quelque embarras à n'être pas toujours de son avis. Telle a été du moins notre impression, quand parfois nous avons été conduit à produire dans le détail des opinions en désaccord avec les siennes. Un autre traité de M. Félix de La Farelle, de Nîmes, intitulé : ''Du Progrès social au profit des Classes populaires non indigentes'' (<ref> 2) vol. in-8°, chez Maison, quai des Augustins, 29.</ref>, se rattache au cœur même de notre sujet, et nous l'avons lu avec fruit. Concentrer ses études sur les classes intermédiaires qui confinent d'une part à l'indigence et de l'autre à la bourgeoisie, sur le prolétariat qui forme la base aujourd'hui ébranlée et mal assise des sociétés, c'est faire preuve de sagacité prévoyante. Les souffrances de ces classes, non moins grandes en réalité qu'à aucune autre époque, mais fort irritantes encore, surtout dans les jours de crise, sont la seule arme de ceux qui rêvent des bouleversemens; mais cette arme est terrible et d'immense portée. M. de La Farelle croit, avec tous les esprits mûris par l'étude et par l'expérience, que les règles sociales en vigueur aujourd'hui permettent les améliorations désirables, ou, pour mieux dire, qu'elles sont une des plus sûres garanties de progrès. Les considérations qu'il présente à ce sujet viennent souvent à l'appui des idées émises par M. de Gérando dans l'importante section de son livre consacrée à la ''charité préventive'', c'est-à-dire aux moyens d'améliorer le sort des classes laborieuses, parmi lesquelles se recrute l'indigence proprement dite.
 
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<small>(1) 4 vol. in-8°, chez Renouard, rue de Tournon, 6.</small><br />
<small>(2) 2 vol. in-8°, chez Maison, quai des Augustins, 29.</small><br />
 
 
 
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Un long cri de douleur qui s'éleva alors au milieu des plus effrayantes convulsions, présagea l'enfantement d'une société nouvelle. L'éveil fut ainsi donné aux esprits puissans et finement trempés dont ce siècle se trouva mieux pourvu qu'aucun autre. Les principes du gouvernement civil, les règles de la législation, eurent à subir, comme les dogmes religieux, l'épreuve d'une rigoureuse controverse, et la science politique, bientôt constituée dans ses généralités, déroula un vaste programme aux études de détail. C'est alors que, reconnaissant dans l'indigence un vice inhérent à la nature des sociétés modernes, on se demanda si on ne devait pas l'étudier dans ses causes, afin de l'atténuer dans ses effets. La charité, surtout celle qui est exercée au nom de l'état, fut éclairée par l'observation et la théorie. Commencé au seizième siècle, ce développement scientifique ne s'est pas un instant ralenti, et c'est à son appréciation que M. de Gérando a consacré les préliminaires de son livre.
 
La polémique s'établit dès 1545, sur la terre promise de la mendicité. Deux moines espagnols soulèvent, relativement aux maisons de travail forcé pour les pauvres, des questions qui sont encore à l'ordre du jour. En Angleterre, la suppression des maisons religieuses qui alimentaient les basses classes engendre subitement la lèpre incurable du paupérisme. Les châtimens les plus cruels prononcés contre les mendians valides, la marque au front, la mutilation des oreilles, le fouet jusqu'au sang, la mort même, n'empêchent pas des gens affamés de tendre la main; et la reine Élisabeth, souvent attristée par le spectacle de la misère, en est réduite à s'écrier dans les accès de sa sensibilité pédantesque : ''Pauper ubique jacet!'' A partir de cette époque, l'accroissement du nombre des pauvres devient la préoccupation constante des hommes d'état et des philosophes anglais. En tête de la liste que M. de Gérando en a dressée, rayonne le nom de Shakspeare. Semblable au peintre qui étudie l'anatomie pour mieux traduire sur la toile la nature vivante, le peintre d'Othello et de Jules César apprenait, à dix-sept ans, le grand art de faire vivre les hommes sur la scène, en suivant jusque dans les entrailles de la société toutes les fibres de la passion. Dans un écrit publié en 1581 et réimprimé depuis (1)<ref> Cet écrit a pour titre : ''Examen des réclamations faites par quelques-uns des compatriotes de nos jours'', et il a été cité par Thomas Ruggles, dans son ''Histoire des Pauvres'', lettre 18. - Notre Racine a fini comme avait commencé Shakspeare, par un mémoire fort remarquable, dit la tradition, mais malheureusement perdu, sur les causes et le remède de la misère du peuple.</ref>, Shakspeare réclame une organisation du travail favorable aux classes souffrantes. Dans la foule des écrivains qui le suivent, nous remarquons Bacon, Locke, l'auteur de ''Robinson Crusoé'' et celui de ''Tom Jones''. Vers la fin du dernier siècle, les travaux purement économiques de Smith et de son école, les recherches spéciales de sir Morton Eden, de Thomas Ruggles, de Malthus et de Chalmers sur la condition et les habitudes des pauvres; les explorations entreprises par les philanthropes, à l'exemple du vénérable Howard, et surtout les enquêtes et discussions sans nombre qui ont occupé le parlement jusqu'à celles qui déterminèrent, en 1834, la refonte générale du système, ont produit une telle accumulation de matériaux, qu'elle est devenue pour le publiciste un sujet d'effroi. L'Allemagne, la Suisse et les Pays-Bas sont bien loin d'être restés dans l'indifférence sur ces mêmes matières. Dans les contrées catholiques, l'exercice de la charité est toujours resté une des fonctions du pouvoir religieux, naturellement ennemi des innovations et des théories; les écrits spéciaux sur la dispensation des secours publics y sont rares, et ce n'est guère que par accident que la question a été traitée par les économistes de l'école italienne. Pour la France enfin, M. de Gérando cite parmi les plus anciens écrits ceux que l'abbé de Saint-Pierre a publiés, en 1721, sur la mendicité. Nous croyons toutefois que bien antérieurement nos hommes d'état s'étaient préoccupés des moyens de soulager le peuple. Mais sous le régime purement monarchique, on était plus frappé des inconvéniens de la publicité que de ses avantages. On trouvait dangereux que les docteurs délibérassent tout haut en présence du malade, et les consultations manuscrites, après avoir passé seulement par des mains prudentes, allaient grossir les archives, où on en trouverait plusieurs encore. Vers la fin du XVIIIe siècle, la sensibilité un peu théâtrale des philosophes se répandit dans une foule d'ouvrages sur les établissemens d'humanité. Un concours sur l'extinction de la mendicité, ouvert en 1777 par l'académie de Châlons-sur-Marne, donna lieu à plus de cent mémoires dont l'analyse a été publiée, et qu'on lirait encore avec fruit. Peu après, la polémique qui s'éleva sur l'utilité et le régime des hôpitaux nous valut des ouvrages qui, comme ceux de Tenon et de Cabanis, ont conservé de la célébrité. Vint enfin l'assemblée constituante, qui, voulant donner à l'exercice de la bienveillance nationale cette unité, ce caractère de grandeur qu'elle imprimait à toutes nos institutions, forma dans son sein un comité chargé de présenter un système de secours publics, digne d'elle-même aussi bien que du peuple qu'elle représentait. A la suite d'une enquête solennelle, le rapporteur de ce comité, le duc de La Rochefoucaud-Liancourt, développa un large plan appuyé sur ce principe que le soulagement de l'infortune est un devoir de la société, et que ce devoir est rigoureux, absolu. - « Tel qu'il avait été conçu, dit avec justesse M. de Gérando, ce plan était à peu près inexécutable, en raison de sa grandeur même, ainsi que l'expérience l'a trop bien prouvé. Il n’en constitua pas moins le monument le plus majestueux que le patriotisme, la philanthropie et les lumières aient élevé parmi nous à la science qui préside aux établissemens de charité. » - L'élan fut ainsi donné. Depuis un demi-siècle, les études spéculatives ont été si persévérantes, et, ce qui vaut mieux encore, les essais de réalisation si fréquens, que la plus sèche énumération nous jetterait hors des limites de notre cadre. D'ailleurs les noms qui ont acquis de l'autorité viendront d'eux-mêmes se placer dans le cours de notre analyse.
 
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<small>(1) Cet écrit a pour titre : ''Examen des réclamations faites par quelques-uns des compatriotes de nos jours'', et il a été cité par Thomas Ruggles, dans son ''Histoire des Pauvres'', lettre 18. - Notre Racine a fini comme avait commencé Shakspeare, par un mémoire fort remarquable, dit la tradition, mais malheureusement perdu, sur les causes et le remède de la misère du peuple.</small><br />
 
 
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En 1789, le duc de La Rochefoucauld-Liancourt déclarait, à l'assemblée nationale, qu'un dixième de la population française végétait dans le dénuement. Si ce n'est pas là une de ces exagérations de sensibilité, que la mode autorisait alors, il faut reconnaître que les choses se sont beaucoup améliorées depuis, et saluer notre révolution comme un bienfait. Un rapport ministériel, publié en 1837, nous apprend que 589,302 personnes ont été admises, en 1833, dans les hôpitaux et hospices, et que 695,932 ont été secourues à domicile. Or, il faut remarquer que beaucoup de malheureux, après avoir fait séjour dans les maisons de traitement, ont pris part aux distributions des bureaux de bienfaisance, et figurent ainsi dans les deux états. On peut donc réduire approximativement le nombre des assistés à un million, ou 1 sur 33. La répartition entre les diverses localités est d'ailleurs fort inégale : les deux termes extrêmes sont 1 sur 6 dans le département du Nord, et 1 sur 388 dans la Dordogne. A Paris, un quinzième de la population reçoit des secours; à Lille, c'est la moitié, ou peu s'en faut, qui est réduite à cette extrémité.
 
Un cri d'alarme, poussé d'abord en Angleterre, et qui depuis a trouvé partout des échos, a signalé le paupérisme comme un monstre qui grossit sans cesse, au point de devenir menaçant pour la civilisation européenne. En effet, dans ces tableaux que les gouvernemens ne craignent plus de livrer à la publicité, la progression du nombre des indigens et du montant des taxes est presque générale et constante. M. de Gérando fait à ce sujet de consolantes réflexions. Selon lui, le système des secours tendant à se régulariser dans chaque pays, et les ressources de la charité publique devenant plus abondantes, une foule plus nombreuse est admise naturellement à y prendre part. Le mal ne naît pas pour cela, il se découvre (1)<ref> La question de l'extension du paupérisme a été agitée récemment dans un concours ouvert par l'académie des sciences d'Erfürt. La plupart des concurrens, et notamment M. Franz Baur, de Mayence, qui a remporté le prix, ont conclu dans le même sens que M. de Gérando.</ref>. Il n'y a pas plus de gens qui souffrent, mais plus de gens qui reçoivent, parce qu'on est en mesure de donner plus. « D'ailleurs, ajoute-t-il, par le seul effet des progrès de la civilisation, les conditions jugées nécessaires au bien-être s'étendent, les besoins se multiplient. Celui qui jadis était seulement pauvre, devient nécessiteux, parce qu'il y a pour lui des nécessités nouvelles. Loin que cet effet atteste une augmentation dans la masse de la misère, il résulte, au contraire, d'une augmentation dans la prospérité sociale.» La taxe anglaise, dit-il encore, est moins une aumône qu'une subvention pour compenser l'insuffisance des salaires; et, pour dernier argument, l'abaissement progressif et général de la mortalité, la prolongation de la vie commune, l'accroissement de la population européenne, qui coïncide, en France surtout, avec une diminution dans le nombre des naissances, démontrent que l'aisance tend généralement à se répandre, et que les basses classes sont enfin prémunies contre ces fléaux que la misère engendrait autrefois pour les dévorer. »
 
Il y aurait peut-être quelque danger à admettre cette opinion sans correctif. En général, malgré la haute raison de l'auteur, nous avons cru découvrir en lui un penchant à l'optimisme, contre lequel nous nous tenons en garde. Il est indubitable que la masse de la misère, mesurée d'une manière absolue, est moindre que jamais. Le pauvre est moins pauvre matériellement qu'à aucune autre époque. Oui, cette indigence qui s'attache aux entrailles a disparu, mais il y a plus de misère morale; et, si le philanthrope, qui ne considère que les souffrances individuelles, a lieu de s'applaudir, l'homme d'état doit prendre l'alarme à ces symptômes de malaise, à ces sombres tristesses, à ces secousses maladives et de plus en plus fréquentes qui tiennent dans un douloureux éveil nos vieilles sociétés, si désireuses du repos. Nous savons bien que les causes de ce phénomène sont diverses, et qu'elles tiennent en partie à un état passager des esprits; mais il en est qui sont permanentes, et que nous allons tâcher de découvrir, en prenant toujours M. de Gérando pour guide principal.
 
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<small>(1) La question de l'extension du paupérisme a été agitée récemment dans un concours ouvert par l'académie des sciences d'Erfürt. La plupart des concurrens, et notamment M. Franz Baur, de Mayence, qui a remporté le prix, ont conclu dans le même sens que M. de Gérando.</small><br />
 
 
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Hâtons-nous d'ajouter, pour ne pas laisser prise aux farouches apôtres d'une égalité chimérique, que si la trop grande disproportion des fortunes engendre la misère, un partage trop égal serait un acheminement vers le même abîme. Si la somme des profits réalisés par une société se distribuait de telle sorte que chacun eût à peu près les mêmes élémens de bien-être, tout principe d'émulation s'amortirait, et de l'équilibre des forces sociales résulterait bientôt l'immobilité du néant. L'inégalité des ressources, l'excitation du besoin, le désir d'améliorer le présent, d'assurer l'avenir, de constituer une famille afin de revivre honorablement dans les siens, sont autant de ressorts qui doivent agir sans relâche pour entretenir le mouvement. Quelle est la loi de ces oscillations? dans quel rayon doivent-elles s'opérer? Grandes questions que l'économie politique a laissées indécises, et qu'il ne faut pas espérer de résoudre d'une manière absolue. Le mal commence, selon nous, quand viennent à manquer, pour une partie de la société, les occasions ou les instrumens du travail, et que la certitude d'élargir sa condition à force d'énergie ne soutient plus l'homme pauvre dans la rude tâche que la fatalité lui commande.
 
Quant à l'industrie, M. de Gérando paraît beaucoup plus préoccupé d'en faire l'apologie, que de rechercher pourquoi les germes de misère se développent de préférence dans les foyers de fabrication. Le langage des faits a une énergie à laquelle il faut se rendre : il est constaté que, dans les districts manufacturiers, l'affaiblissement corporel est plus général et la mortalité plus grande que dans les régions agricoles. Si les salaires sont plus élevés pour les artisans, leur agglomération autour d'un même centre élève proportionnellement le prix des denrées. Leur sort est aussi plus précaire. La concurrence effrénée, l'engorgement des magasins, les balancemens du crédit, l'introduction des procédés nouveaux, déterminent périodiquement des crises qu'ils ne traversent pas sans souffrances. Nous savons que les machines, en rendant plus favorables les conditions de vente, augmentent, en dernier résultat, le nombre des travailleurs : mais il n'est pas moins vrai que la transition fait des victimes dont la charité publique doit prévenir le désespoir. Un autre effet de l'emploi des forces mécaniques qui neutralisent les forces humaines est de substituer des enfans qu'on épuise aux adultes, et de condamner prématurément ceux-ci à l'inutilité (<ref> Sur 1),600 ouvriers des manufactures de Reufrew et de Lanark, 10 seulement étaient arrivés à quarante-cinq ans, et encore n'étaient-ils conservés que par une indulgence spéciale. - Dans une autre fabrique, à Deanston, sur 800 ouvriers, un inspecteur a compté 442 enfans. - M. de Gérando cite plusieurs faits analogues d'après les documens officiels émis par le parlement anglais.</ref>. L'auteur du traité ''de la Bienfaisance publique'' accepte ces difficultés avec une résignation trop héroïque. Il s'écrie : « Le navire qui s'élance hors du port en déployant ses voiles, qui traverse l'océan pour aller conquérir des richesses inconnues, ne peut-il pas être arrêté par le calme, assailli par la tempête, brisé contre un écueil, frappé de la foudre? Et comment l'industrie, dans son vol audacieux, ne rencontrerait-elle pas aussi des périls? » Pour qui observe de si haut les choses de ce monde, les convulsions de quelques victimes isolées cessent d'être perceptibles. On ne distingue plus que les mouvemens d'ensemble, et comme, en dernier résultat, ils tournent toujours au profit de l'humanité, on se repose aisément dans cette conviction, que du mal de quelques-uns doit sortir le bien du plus grand nombre. La charité doit craindre de s'égarer dans les nuages de la théorie; sa place est sur terre, et sa tâche est particulièrement de contrebalancer l'effet des fatalités sociales. Encourageons le génie industriel, et rendons hommage à son action bienfaisante mais ne nous étourdissons pas ainsi sur quelques-unes de ses conséquences, qui sont déplorables. Ne nous lassons pas de demander si les services qu'on en reçoit ne pourraient pas coûter moins cher, surtout à la classe malheureuse, qui en profite le moins.
 
M. de Gérando conserve la même sécurité, relativement au développement excessif des populations. Il s'en tient aux théories de Smith et de Say, pour qui tout individu est à la fois producteur et consommateur; de sorte que la somme des besoins qui sollicitent, finirait toujours par se balancer avec celle des moyens de satisfaction. Les axiomes de ce genre sont plus ingénieux que solides. Ils ont déjà fléchi dans la discussion, et succomberont tôt ou tard sous la réfutation brutale de l'expérience. Assurément, l'équilibre s'établit, pour quelques instans du moins, mais c'est à force de secousses violentes, qui laissent froissés un grand nombre d'individus. Ce sont de pareilles secousses qui déterminent la misère, et que tout gouvernement doit s'efforcer de prévenir. S'il était exact de dire que les accroissemens de la population, en augmentant le nombre des travailleurs, multiplient dans une proportion croissante la somme commune du bien-être, le remède à tous les maux serait trouvé, et d'une application facile. Il n'y aurait qu'à favoriser cette fécondité dont tant d'économistes s'effraient, et à surexciter la fièvre industrielle. Pour qu'il en fût ainsi, il faudrait que l'industrie elle-même eût un puissant régulateur. Tout au contraire, le monde où règne aujourd'hui la spéculation, est le plus exposé de tous aux crises et aux déchiremens qui en sont la suite.
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Ce n'est pas seulement la prudence qui commande aux sociétés d'épier le fléau, et d'en prévenir autant que possible la redoutable explosion. La justice, la loyauté, la pudeur publique exigent avec non moins d'autorité qu'on s'occupe des classes souffrantes. En effet, si la distribution des richesses conquises par le travail ne doit s'opérer que d'une façon inégale; si l'industrie, en accélérant son mouvement producteur pour multiplier les jouissances communes, use et rejette les machines humaines qu'elle a mises en jeu ; si la tâche de l'avenir qu'une nation ne doit jamais interrompre, ne se peut faire qu'en sacrifiant quelque chose du présent; pour tout dire, enfin, si la civilisation fait inévitablement des victimes, n'est-il pas de toute justice qu'elle s'applique à les dédommager? La réponse ne serait pas douteuse, si l'on cédait au premier entraînement; mais la science qui se nourrit de doute et d'objections, est de son naturel défiante et rétive : elle a observé, supputé, analysé, disserté, si bien qu'aujourd'hui les docteurs, à peine d'accord sur le principe, sont en plein dissentiment quant aux moyens d'exécution.
 
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<small>(1) Sur 1,600 ouvriers des manufactures de Reufrew et de Lanark, 10 seulement étaient arrivés à quarante-cinq ans, et encore n'étaient-ils conservés que par une indulgence spéciale. - Dans une autre fabrique, à Deanston, sur 800 ouvriers, un inspecteur a compté 442 enfans. - M. de Gérando cite plusieurs faits analogues d'après les documens officiels émis par le parlement anglais.</small><br />
 
 
===IV. – Principes de la bienfaisance publique.===
 
Le christianisme a fait entrer si profondément dans nos instincts le sentiment de la commisération, et la croyance d'une pieuse solidarité entre les hommes, que le soulagement de l'indigence a été considéré par les nations modernes comme l'acquit d'une dette sacrée. Les premiers maîtres de la science politique, Grotius, Bossuet, Montesquieu, n'ont pas même élevé un doute à ce sujet. L'auteur de ''l'Esprit des Lois'' pose en axiome que « l'état doit à tous les citoyens une subsistance assurée, la nourriture, un vêtement convenable et un genre de vie qui ne soit pas contraire à la santé. » Ce principe, accepté par nos premières assemblées législatives, comme tout ce qui avait un relief généreux, est soutenu aujourd'hui encore par les théoriciens qui prétendent fonder une école ''chrétienne'' sur le terrain de l'économie politique. Son principal organe est chez nous M. de Villeneuve-Bargemont. Les conséquences pratiques de ce principe varient suivant les institutions avec lesquelles il se combine. Dans les pays purement catholiques, la tutelle des pauvres est restée une des attributions du pouvoir religieux. Une multitude d'établissemens charitables, qu'aucun lien ne rattache les uns aux autres, dispersent au hasard et sans préoccupation systématique le revenu des anciennes fondations et le produit des aumônes journalières. Dans les pays où les biens ecclésiastiques ont été confisqués, les indigens sont retombés lourdement à la charge du public. En France, la dette contractée envers eux n'est que facultative. En Angleterre elle est reconnue légalement (1)<ref> C'est là ce que les économistes appellent le système de la charité légale. M. de Gérando blâme cette dénomination, et la monstrueuse alliance de deux mots qui se repoussent. N'est-ce pas destituer la charité de son plus beau caractère, de sa spontanéité touchante, que d'accorder son nom à cet impôt que la loi demande au riche, et que la violence doit quelquefois arracher ?</ref>. Tout individu, par le seul fait de son indigence, devient, en quelque sorte, créancier de l'état, et est admis à faire valoir devant les tribunaux son droit à l'assistance.
 
Dans la dernière année du dix-huitième siècle, un politique chagrin, et si bien cuirassé de logique qu'il n'était pas possible de le toucher au cœur, vint se placer en face des moralistes qui prêchaient la compassion, et leur jeta pour défi une doctrine impitoyable. « Un homme qui naît dans un monde déjà occupé, osa dire Malthus, si sa famille n'a pas le moyen de le nourrir, et si la société n'a pas besoin de son travail, n'a pas le moindre droit à réclamer une part de nourriture : il est réellement de trop sur la terre; la nature lui commande de s'en aller, et elle ne tarde pas à mettre cet ordre à exécution.» Cette cruelle sentence souleva une telle réprobation, qu'elle fut rayée par l'auteur dans les éditions suivantes de son livre; mais l'esprit qui l'avait dictée subsista, et règne encore avec quelques adoucissemens dans une école aujourd'hui fameuse. Aux yeux de Malthus, la misère étant la conséquence plus ou moins éloignée du désordre des mœurs, ou tout au moins d'une coupable imprévoyance, devient moins un malheur qu'une faute dont les privations et l'avilissement sont la punition nécessaire. Faire contribuer le riche, c'est-à-dire l'homme qui a acquis par l'ordre et le travail, pour nourrir l'indigent, c'est-à-dire l'homme qui s'est laissé déchoir, c'est commettre une erreur dangereuse en politique, et répréhensible en morale. Les institutions secourables, surtout celles qui ont l'appui des gouvernemens et une existence légale, n'ont pas d'autre effet que de dispenser les natures indolentes ou viciées de l'énergie, de la prévoyance et des vertus qu'on doit exiger de tous les citoyens, et, en dernier résultat, elles font beaucoup plus de malheureux qu'elles n'en soulagent. L'homme qui s'est marié sans probabilité de nourrir sa famille, est un coupable qui doit subir la peine prononcée par la nature, et cette peine est la mort au milieu des angoisses de la misère !
 
Le sinistre retentissement de cette doctrine appela l'attention des hommes d'état sur des phénomènes trop long-temps négligés. Il fallut bien reconnaître qu'en effet toutes les taxes prélevées en faveur des pauvres tendaient incessamment à s'accroître, et que la foule de ceux que l'état voulait bien accepter pour créanciers grossissait en raison des sacrifices qu'on s'imposait pour les satisfaire. Il fut également constaté qu'un refuge spécialement ouvert à quelqu'une des infirmités sociales semblait multiplier le nombre de ceux qui en étaient atteints (2)<ref> On a cité pour exemple la population toujours croissante des hospices d'enfans trouvés. M. de Gérando, répondant à cet ordre d'objections, dit que les hospices spéciaux mettent en évidence toutes les misères inaperçues, et que l'augmentation est plus apparente que réelle. Il fait remarquer qu'avant les fondations faites en faveur des sourds-muets, on ne se doutait pas qu'il y eût vingt mille de ces malheureux en France.</ref>. De ces observations, plusieurs économistes, disciples apprivoisés de Malthus, conclurent que tout gouvernement doit s'interdire les œuvres de bienfaisance; qu'il ne doit agir que préventivement, c'est-à-dire neutraliser autant que possible les germes du mal, mais en même temps fermer les yeux sur le mal qui s'est produit, et en abandonner le soulagement aux hasards de la charité individuelle. Un des apôtres de cette opinion, qui domine en Angleterre, est le docteur Chalmers. En France, l'institut sembla avouer son hésitation, en couronnant, en 1829, deux ouvrages où ces principes étaient professés avec un talent remarquable et une conviction éclairée, ceux de MM. Duchâtel et Naville, et en appelant au partage du prix un adversaire, l'auteur du livre qui nous occupe.
 
M. de Gérando prétend prendre le milieu entre les économistes qui proclament que la société ''doit'' des secours aux indigens qu'elle renferme et ceux qui, niant formellement cette obligation, condamnent toute intervention bienfaisante de l'autorité. Il établit une distinction, fort subtile il est vrai, entre le droit civil et ''légal'' qu'il refuse au pauvre, et un certain droit ''moral'' qu'il lui attribue. La société, ou plutôt le pouvoir qui la représente, n'abdique pas dans son système la faculté de refuser, et, quand il donne, c'est avec discernement et liberté. Les adversaires de la bienfaisance publique ne manqueront pas de dire que cet amendement c'est qu'une évolution de mots, et ne change rien au fond des choses; que dans aucun pays, même en Angleterre, l'aumône n'est accordée sans discernement, et que si les demandes y sont déférées au juge de paix, c'est afin que ce magistrat se prononce sur leur légitimité, comme ferait chez nous un administrateur charitable. Le droit moral accepté par M. de Gérando, dira-t-on encore, aurait autant d'autorité que le droit civil, et malheureusement les mêmes effets. Il suffit de la perspective d'un refuge toujours ouvert à l'infortune pour entretenir le pauvre dans une sécurité coupable, tandis qu'il importe de l'effrayer sur les suites de son apathie ou de ses désordres; tandis que la perspective d'un terrible supplice, d'une misère sans secours pour lui et pour les siens, doit éveiller en lui une énergie désespérée qui le relève de son abjection.
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Persuadons-nous bien, au surplus, qu'il n'y a pas de règle générale en pareille matière; que telle mesure, utile en certains pays, serait déplorable en beaucoup d'autres, que ce qui a échoué en un temps pourrait réussir plus tard. Ils poursuivent la pierre philosophale, ces économistes qui cherchent, comme couronnement de leur science, la loi de la distribution des richesses, c'est-à-dire le moyen de bannir l'indigence et d'assurer le repos public par un équitable partage des acquisitions sociales. La tendance des forces morales ne peut pas se déterminer par une formule absolue comme celle des forces inertes. Il y a, dans l'imprévu des passions, dans le jeu de la liberté humaine, des puissances inconnues, incalculables, qui renverseront toujours l'échafaudage dressé à l'avance par la théorie. Ce n'est donc pas en combinant un système tout d'une pièce qu'on peut espérer de prévenir la misère : c'est en étudiant au jour le jour les besoins qui se révèlent, en appropriant le remède à l'état moral de chaque localité, en se faisant la loi de ne pas réaliser un seul acte administratif de quelque genre qu'il soit, avant de s'être demandé quel en pourra être l'effet direct, ou même le contre-coup éloigné dans les régions les plus inférieures. Une société comme la nôtre, qui, après avoir égalisé tous les droits et follement dissipé les sentimens d'abnégation et de devoir dans l'intérêt commun, n'a conservé d'autre ressort que la pondération des intérêts matériels, exige des hommes d'état qu'elle emploie, une grande vigilance, un diagnostic des plus sûrs. Dans toutes les affaires qui surgissent, ils doivent se constituer d'office les défenseurs des classes qui naissent dans les conditions les moins favorables, et contrebalancer, autant que la légalité le permet, l'action entraînante de la richesse. Il est juste de dire que, sinon toujours par sympathie, au moins par prudence, les pouvoirs qui se sont succédé depuis le commencement de ce siècle, ont rarement méconnu cette règle; et, dans les rangs populaires, on s'étonnerait des conquêtes déjà faites, si on énumérait tous les petits avantages obtenus partiellement. Mais le temps, malgré sa toute-puissance, n'amène les améliorations que bien lentement au gré de ceux qui souffrent ; il y a encore beaucoup à faire, et malheureusement les difficultés sont si grandes, que ceux qui ne les ont pas gravement mesurées ne peuvent même s'en faire une idée. Nous allons voir du moins que les secours ne manquent pas aux maux qu'on ne sait pas encore prévenir.
 
<small></small><br />
<small>(1) C'est là ce que les économistes appellent le système de la charité légale. M. de Gérando blâme cette dénomination, et la monstrueuse alliance de deux mots qui se repoussent. N'est-ce pas destituer la charité de son plus beau caractère, de sa spontanéité touchante, que d'accorder son nom à cet impôt que la loi demande au riche, et que la violence doit quelquefois arracher ?</small><br />
<small>(2) On a cité pour exemple la population toujours croissante des hospices d'enfans trouvés. M. de Gérando, répondant à cet ordre d'objections, dit que les hospices spéciaux mettent en évidence toutes les misères inaperçues, et que l'augmentation est plus apparente que réelle. Il fait remarquer qu'avant les fondations faites en faveur des sourds-muets, on ne se doutait pas qu'il y eût vingt mille de ces malheureux en France.</small><br />
 
 
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La charité suit le pauvre durant toute son existence, elle se préoccupe de lui avant même que ses yeux aient vu le jour. Approchez, pauvres mères, et calmez-vous! Que les angoisses de l'inquiétude, que les privations et les fatigues ne compriment pas dans votre sein le triste fruit que vous portez. Approchez, et si vous avez perdu le mari qui devait être votre soutien, si une famille, trop nombreuse déjà, est une charge au-dessus de vos forces, une main secourable vous sera tendue. Vers la fin du dernier siècle, s'est formée à Paris, sous le patronage de la reine Marie-Antoinette, une ''Société de charité maternelle'', heureuse idée qui a dû naître dans le cœur d'une femme, et que des femmes ont depuis réalisée dans trente-six de nos villes les plus importantes. La pauvre mère qui se présente dans le dernier mois de sa grossesse, après avoir justifié de son mariage, de sa bonne conduite et pris l'engagement d'allaiter son enfant, reçoit une subvention pour les frais de couches, une layette pour l'enfant, une petite indemnité qui lui est conservée pendant quatorze mois, et des secours spéciaux dans les cas imprévus. La mère vient-elle à mourir pendant l'allaitement, la société conserve ses soins à l'enfant jusqu'à ce qu'il puisse être transmis en d'autres mains bienfaisantes. En 1837, la société de Paris a étendu sa protection sur 787 mères et sur 718 enfans qu'elles ont mis au jour. Celle de Lyon, pendant la même année, a secouru 285 mères et même nombre environ d'enfans. En calculant d'après ces données la part des trente-quatre autres villes, on peut admettre que pour toute la France l'association favorise annuellement plus de deux mille naissances. Ses ressources sont cependant très bornées : l'état ne contribue que pour 100,000 fr.; c'est à peine le tiers de la dépense totale; mais c'est peu pour la charité de combler le déficit. Une association pieusement rivale s'est formée à Paris en 1836, sous le nom d’''Association des mères de famille''. Les dames qui la composent distribuent des layettes ou des objets de vêture qui sont presque toujours l'ouvrage de leurs mains. Dans les deux premières années de son existence, cette société est venue en aide à 486 ménages. Le choix et la surveillance des nourrices seraient encore une cause d'embarras pour les nécessiteux dont le travail journalier est l'unique ressource; l'administration parisienne veille sur les entreprises qui se chargent du placement des nouveau-nés, et elle offre aux nourrices que l'indigence des parens pourrait effrayer, une garantie qui lui coûte annuellement une vingtaine de mille francs. Depuis quelque temps, les malheureuses qui vont expier dans un hospice la faute qui les a rendues mères, reçoivent un secours qui leur permet d'allaiter leur enfant, ou de le mettre en nourrice. Le double effet de cette libéralité est de préserver de l'abandon de pauvres petites créatures, et de relever des ames abattues en les exerçant au devoir maternel.
 
La première enfance exige de grands soins : elle décide très souvent du reste de la vie. Mais le travail de la mère tient sa place dans le budget d'un pauvre ménage : si elle le néglige pour veiller sur son enfant, pour lui apprendre ce qui est mal et ce qui est bien par un front sévère ou par un sourire, elle se prive du revenu de ses doigts, et condamne à la gêne le reste de la famille. Si elle ne peut sacrifier son salaire, fera-t-elle de sa chambre une prison pour le pauvre enfant (1)<ref> On a constaté à Londres que plus de cent enfans, enfermés par leurs parens dans des chambres à feu, ont péri brûlés pendant l'hiver de 1835.</ref>? ou bien l'abandonnera-t-elle aux hasards de la rue et aux dangers des mauvaises rencontres? La difficulté paraîtrait insoluble, si le génie de la bienfaisance ne l'avait récemment tranchée. Au siècle dernier, le pasteur Oberlin, touché de l'abandon des petits enfans pendant les heures de travail, eut l'idée de les rassembler autour du presbytère et de les confier à la surveillance de sa femme et de sa servante, Louise Scheppler, qui ne soupçonnait guère que la célébrité dût un jour s'attacher à son nom. Cette bonne œuvre, accomplie naïvement sur l'un des sommets des Vosges, resta long-temps ignorée. Un essai fut seulement tenté au commencement de notre siècle, par Mme la marquise de Pastoret, qui réunit à Paris, au faubourg Saint-Honoré, un certain nombre de petits enfans sous la surveillance de quelques religieuses. Plusieurs villes de l'Europe s'approprièrent la même idée sans en comprendre d'abord toute la portée. Ce fut le pays qui doit désirer le plus la régénération des classes ouvrières, ce fut l'Angleterre qui la première supputa ce que la société pouvait gagner à ouvrir des asiles pour les enfans. Leur moindre utilité est de rendre l'aisance aux ménages, en les affranchissant d'une surveillance onéreuse. Que ne doit-on pas espérer d'une institution qui, remplaçant, depuis le terme du sevrage jusqu'à l'âge de l'école, la vigilance éclairée de la plus tendre mère, dirige les premiers développemens physiques, substitue au dévergondage des enfans délaissés des habitudes d'ordre et de décence, les prépare par des exercices qui ne sont qu'un jeu, aux fatigues de l'étude, et par de bonnes impressions morales aux épreuves du devoir !
 
Les premières réalisations de ce vaste plan furent essayées à Londres vers 1820. Une dame (2)<ref> Mme Millet, aujourd'hui inspectrices des salles d'asile, qui fut secondée par les publications de Mme Nau de Champlouis et Julie Mallet. Il y a aujourd'hui une littérature complète à l'usage des salles d'asile, journaux et livres de toutes sortes. Un des plus utiles et des plus estimables est ''le Médecin des salles d'asile'', par le docteur Cerise.</ref> fit connaître chez nous le plan, le mécanisme et les magnifiques promesses des ''écoles enfantines'', et dès 1826, des souscriptions particulières permirent un essai dont une émulation générale a constaté l'heureuse réussite. Pendant dix ans, l'institution s'est propagée et soutenue dans toute la France par des sacrifices volontaires. En 1837, le gouvernement en a réclamé la direction suprême et l'a rattachée, par une loi, à notre système d'éducation élémentaire. Aux termes de cette loi, « les salles d'asile ou écoles du premier âge sont des établissemens charitables où les enfans des deux sexes peuvent être admis jusqu'à l'âge de six ans accomplis, pour recevoir les soins de surveillance maternelle et de première éducation que leur âge réclame. Il y aura, dans les salles d'asile, des exercices qui comprendront nécessairement les premiers principes de l'instruction religieuse et les notions élémentaires de la lecture, de l'écriture et du calcul verbal. On pourra y joindre des chants instructifs et moraux, des travaux d'aiguille et tous les ouvrages de main. Aujourd'hui, 350 asiles reçoivent en France plus de 30,000 enfans. Le département de la Seine en recueille plus de 4,000 dans 27 maisons, et s'impose pour chacun d'eux une dépense annuelle de 20 francs. Une vingtaine de départemens retardataires suivront bientôt l'exemple des autres, et on peut espérer que la France ne sera pas moins généreuse que la Grande-Bretagne, qui compte déjà plus de 1,000 ''écoles enfantines'', et qui, à Londres seulement, reçoit 20,000 enfans dans plus de 100 maisons.
 
En France, l'admission aux asiles n'est pas nécessairement gratuite. Une faible rétribution d'un franc par mois est exigée des familles dont les ressources sont notoires. Cette mesure a les plus heureuses conséquences. Les enfans, comprimés par la misère, ont tout à gagner à la société de ceux qui ont puisé au sein de l'aisance des habitudes plus douces et plus cultivées. On s'applique à ce qu'une fois réunis, toute distinction apparente cesse entre eux. On ne veut pas qu'un vague pressentiment du malheur contrarie le premier épanouissement des ames. Pas de rougeur sur ces jeunes fronts, si ce n'est celle de la joie naïve. Mais que la bienfaisance est ingénieuse et prévoyante! Dans certaines maisons, on a soin de séparer, à l'heure des repas, ceux dont le petit panier est ordinairement bien pourvu, afin de ne pas développer chez les autres le sentiment de l'envie. Ailleurs on fait mieux encore. Des alimens, préparés dans l'établissement même, sont délivrés à chacun sur la présentation d'une ''carte''. Aux familles aisées, on vend cette carte à prix modéré; à celles qu'on sait dans le besoin, la carte est donnée secrètement : l'égalité est ainsi rétablie; l'école n'est plus qu'une famille où tout devient commun. Dans plusieurs villes, des dons volontaires en argent et en nature forment un fonds de secours qu'on emploie en linge, vêtemens, chaussures, afin de remplacer les haillons qui corrompent l'air et attristent les yeux. Enfin, le croira-t-on? On les exerce à la science de l'aumône, de la seule aumône qu'ils puissent faire, ces pauvres enfans dont le cœur est l'unique trésor. Dans quelques établissemens, chaque élève est placé sous la tutelle d'un autre plus âgé qui devient son frère ou sa sœur d'adoption, qui lui sert de guide et de modèle. L'échappé du maillot qui bégaie encore, trouve ainsi pour soutien un des ''vieillards'' de ce petit monde, un mentor de cinq à six ans, qui le couvre gravement de son expérience, qui lui tend la main quand il trébuche, qui, au besoin, le gronde en jouant.
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Les orphelins ont toujours été l'objet d'une sollicitude instinctive. Les fondations en leur faveur furent très nombreuses au moyen-âge. Présentement, ils sont recueillis par les hospices de nos grandes villes, placés à la campagne ou élevés intérieurement, lorsque leur santé exige des soins particuliers : on les prépare à un état, pour les lancer enfin dans le monde à l'âge de douze ans accomplis, avec la sauve-garde d'un bienveillant patronage, munis d'un trousseau, et quelquefois même d'un petit pécule, quand on a pu les exercer à un travail productif. Le grand établissement de Paris compte aujourd'hui de 1,300 à 1,400 enfans d'adoption. Les hospices les plus chargés sont celui de Marseille, qui reçoit annuellement 100 orphelins et en entretient 200, et la belle fondation du roi Stanislas à Nancy, qui conserve les garçons jusqu'à quatorze ans et les filles jusqu'à dix-huit. Les administrations publiques, enchaînées par la lettre des règlemens, laissent beaucoup de bien à faire; mais leur œuvre est complétée par des associations libres. On compte à Paris quatre sociétés charitables en faveur des garçons sans familles, et une dizaine de refuges pour les pauvres filles. Une de ces sociétés, composée d'ouvriers, a pour but de procurer le placement et de diriger l'apprentissage des orphelins. En 1837, elle a recueilli, de 586 souscripteurs, une somme de 2,620 francs : qui sait ce que cette modique offrande a coûté de privations! Les sociétés de ce genre sont sans nombre. Quoi de plus touchant que l'exemple donné par les jeunes demoiselles de plusieurs villes, particulièrement d'Avignon et de Rennes, qui se chargent de l'éducation des pauvres orphelines, et facilitent leur mariage, en leur assurant une petite dot? Faut-il rappeler qu'après les ravages du choléra, Paris compta 423 orphelins de plus, et qu'aussitôt des donations et des souscriptions volontaires ont assuré un secours annuel d'environ 100,000 fr. qu'il faudra continuer jusqu'à ce que tous les infortunés aient trouvé leur place dans le monde, dix ans au moins?
 
L'instinct de la bienfaisance est si prononcé, qu'une charge véritablement accablante ne le peut ébranler, et que, malgré le cri d'alarme poussé de concert par les hommes d'état et par les moralistes, on aura peine à modérer une générosité qui va jusqu'à l'imprudence. Une classe trop nombreuse déjà, et qui malheureusement menace de s'accroître encore, est l'objet d'une protection si active, que sa disgrâce lui confère une sorte de privilège. On le peut dire sans exagération, puisque dans l'état présent de la société, l'alimentation assurée pendant le premier âge de la vie, la possession d'un métier, un bienveillant patronage, sont des garanties d'avenir qui manquent à la majorité des prolétaires. Tel est le sort qui est fait aujourd'hui aux enfans trouvés. Or, ils forment chez nous une population de 130,000 individus âgés de moins de douze ans, dont l'entretien pèse sur 271 hospices, et on évalue à près d'un million le nombre de ceux qui, appartenant à cette classe par leur origine, ont été élevés successivement aux frais de la société. La dépense annuelle, allégée récemment par des mesures économiques, atteint à peu près la somme de dix millions de francs, fournis en grande partie par le budget et complétés par les cotisations communales, les revenus affectés aux hospices et autres ressources éventuelles.. Mais la plus précieuse libéralité qu'on puisse faire au pauvre délaissé est celle des tendres soins, des sentimens affectueux; et ce genre de bienfait, il le reçoit souvent de la famille pauvre dans laquelle il est placé. Quand il atteint l'âge où la modique subvention est supprimée, la bonne femme qui lui a prêté son sein, le nourricier qui l'a fait sautiller dans ses bras, ne savent plus le distinguer de leurs autres enfans. L'adoption de l'orphelin en ce cas est très ordinaire; qu'on ne pense pas qu'elle se fait en vue seulement des services qu'il peut rendre. En 1834, plusieurs départemens se concertèrent pour un échange de leurs enfans trouvés, prévoyant bien que beaucoup de mères se décideraient à les retirer de peur d'en perdre la trace. Dans 31 départemens qui appliquèrent cette mesure, plus d'un tiers des nourriciers renoncèrent à la pension plutôt que de se séparer du petit malheureux. Ainsi, par un commun mouvement, onze à douze mille familles des plus pauvres et, comme de coutume, des plus chargées d'enfans, se donnèrent chacune un enfant de plus (3)<ref>Le sort des enfans trouvés, l'opportunité ou le danger des asiles que la charité leur assigne, les règles que l'administration doit suivre pour leur adoption, sont des problèmes dont la difficulté égale l'importance. M. de Gérando leur a consacré la plus grande partie de son second volume, c'est-à-dire une place qui excède l'étendue des autres ouvrages spéciaux. L'examen des nombreuses publications auxquelles les enfans trouvés ont donné lieu depuis deux ans, nous ramènera bientôt sur ce second volume de M. de Gérando. Nous nous contenterons de dire aujourd'hui que sa modération consciencieuse ne l'abandonne pas sur ce terrain, et qu'il s'y place, avec MM. Terme et Monfalcon, entre deux extrémités. Il se prononce pour la suppression des tours, l'admission des enfans à bureau ouvert, avec secret relativement au public, mais droit d'enquête pour les administrateurs. Il réprouve aussi l'impitoyable manœuvre du ''déplacement''.</ref>.
 
Il y a des abandonnés plus à plaindre encore que ceux qui n'ont aucun lien de parenté : ce sont ceux qui ne pourraient respirer dans leur famille qu'un air vicié, ou ceux qu'une insouciance coupable livre aux hasards du vagabondage. L'Allemagne leur a donné le nom expressif d’''orphelins moraux''. A défaut de la prévoyance publique, la charité volontaire veille sur ces malheureux. Des sociétés, sous le nom de ''Providence'', se sont formées dans presque toutes nos provinces; celles de Lyon et de Grenoble acceptent chacune la charge de plus de 600 enfans. Une classe que son isolement au milieu des grandes villes, et la pénible industrie qu'elle exerce, exposent à des dangers de plus d'un genre, a trouvé enfin de généreux protecteurs. Il s'agit des ''petits Savoyards'', nom traditionnel qui ne s'applique plus guère aujourd'hui qu'à des enfans de l'Auvergne. Ceux de Paris, au nombre de plus de 700, reçoivent d'une institution spéciale, non seulement du pain et des vêtemens, mais les premiers élémens de l'éducation, et les moyens d'oublier au plus tôt, dans un métier moins rude, les fatigues de leur premier âge. Un intérêt tout particulier a dû s'attacher aux jeunes filles ''moralement orphelines''. Des associations qu'il serait trop long de désigner ici, les arrachent pieusement au vice qui ne manquerait pas d'en faire sa proie. Étrange siècle que le nôtre! époque de paradoxe et de contradiction ! Les sociétés dites ''secrètes'' courent les rues à main armée; leur organisation et leur but sont connus de chacun; mais les autres sociétés qui ne conspirent que le soulagement de l'humanité, qui s'en occupe? Qui connaît celle des ''Jeunes Économes''? Son but est d'offrir un appui aux jeunes filles pauvres, de leur procurer un état, et, s'il se peut, un mariage convenable. Formée à Lyon parmi les jeunes demoiselles de la classe riche, cette association n'a pas tardé à se propager dans les autres villes. Aujourd'hui elle compte à Paris environ 4,000 demoiselles qui ont adopté 233 jeunes filles de huit à dix huit ans, et qui fournissent à une dépense annuelle de 200 francs par tête, sans compter les lits et les trousseaux.
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Aujourd'hui le pauvre n'a d'autre garantie à offrir que celle des effets mobiliers qu'il possède. Il ne peut donc emprunter que sur nantissement. Cette triste nécessité est la justification des Monts-de-Piété, institution qu'on a décriée avec une légèreté qui va jusqu'à l'injustice. On en compte en France 32. L'intérêt exigé varie de 4 à 18 pour 100, différence énorme, qui provient de ce qu'en certaines localités l'établissement prête sur ses propres fonds, tandis qu'ailleurs il est obligé d'emprunter à des conditions plus ou moins onéreuses. Il faut remarquer toutefois que la somme demandée à l'emprunteur est moins le loyer du capital que le remboursement des frais inévitables de régie. Or, ces frais, qui consistent en prisées, emmagasinage, comptabilité, reventes, etc., sont les mêmes pour un objet de la plus mince valeur que pour un diamant précieux; et comme la retenue n'est calculée que sur le total de la somme prêtée, lorsque le prêt est minime, et c'est l'ordinaire, cette administration, qu'on accuse de spéculer sur les besoins du pauvre, subit réellement une perte. Un aperçu des opérations du Mont-de-Piété de Paris fera mieux comprendre cette assertion. Chaque fois que l'administration accepte un nantissement, elle débourse pour frais de régie une somme de 73 centimes, et souvent la rétribution exigée de l'emprunteur, quoique de trois quarts pour 100 par mois, ou de 9 pour 100 par an, reste inférieure à cette somme. Par exemple, en 1836, sur un total de 1,210,669 engagemens, près des trois quarts, ou 879,795 objets, estimés de 3 à 12 francs, et sur lesquels l'administration a prêté 4,882,876 francs, ont produit en intérêts, pour sept mois et vingt jours, terme moyen des dépôts, la somme de 283,870 francs. Or, les frais de régie, à raison de73 centimes par article, ont exigé une dépense de 642,243 fr: l'administration a donc fait une perte réelle, un véritable don aux emprunteurs les plus pauvres, de 358,372 fr. C'est seulement sur les prêts qui de 12 fr. s'élèvent quelquefois jusqu'à 12,000, que l'établissement se dédommage, parce qu'alors il place à 9 pour 100 l'argent qu'il obtient à 3, et sans autres déboursés pour frais de régie que 73 c., comme pour le plus modeste dépôt. Une contribution est donc ainsi frappée sur les objets de luxe pour affranchir autant que possible ceux du pauvre. A Reims, des dons volontaires, ajoutés aux fonds du Mont-de-Piété, permettent à l'établissement de prêter au plus modique intérêt. A Toulouse, une société de prêt charitable et gratuit, fondée en 1828, prête une faible somme, relativement à la valeur du nantissement, mais sans aucune retenue, m°me pour ses déboursés. La quotité de ses prêts varie de 3 fr. à 150, et la moyenne est de 50 à 60 francs. Mille individus reçoivent annuellement ses services. Le capital est fourni par des donateurs généreux et par des actionnaires qui s'engagent à verser pendant dix ans 500 francs par année, et sans en tirer intérêt. Une maison de prêt désintéressé existe aussi à Montpellier.
 
Nous l'avons dit, la charité préventive, fût-elle aussi clairvoyante qu'énergique, disposât-elle des plus abondantes ressources, ne parviendrait pas à étouffer complètement la misère. Il y aura toujours et partout une classe indigente et réduite à l'impuissance de se suffire, soit par suite d'un désastre public, soit par des infirmités morales ou physiques. Jusqu'à ce qu'on ait adopté la recette souveraine de Malthus, qu'on laisse les malades se tordre sur leur grabat, et les affamés tomber d'inanition dans la rue, il faudra bien que les gouvernemens maintiennent, pour l'indigence proprement dite, une administration spéciale de secours. Cette administration se divise, chez nous, en deux branches : secours à domicile pour les valides, et hospitalité passagère ou permanente pour les invalides. Le premier service est exercé par les bureaux de bienfaisance, au nombre de 6,275 pour toute la France. Leur dotation, formée par les produits de leurs biens patrimoniaux, par des dons volontaires, par la taxe prélevée sur les spectacles et autres divertissemens, par une portion dans les amendes de police, et au besoin par une subvention prise sur les revenus communaux, a fourni, en 1833, un total de 10,315,745 francs. Les secours qui consistent en fournitures alimentaires, vêtemens, combustible et argent, ont atteint la somme de 7,399,156 francs, auxquels il faut ajouter l'énorme somme d'environ 1,800,000 francs pour frais de gestion. 695,632 pauvres ont participé aux distributions. La moyenne de la subvention obtenue par chacun d'eux a donc été de 10 fr. 64 cent., et pour l'ensemble des dépenses de plus de 13 fr. A Paris, le secours est en général plus fort. Le recensement des indigens s'y fait tous les trois ans (<ref> Il est à remarquer qu'en trois ans, de 1835 à 1838, la population de Paris s'est accrue de 129,027 individus, et qu'au contraire le chiffre des indigens s'est affaibli de 4),039. Ce résultat est dû sans doute à la vigilance qu'on déploie pour repousser la fausse indigence. On ne peut toutefois y méconnaître un symptôme favorable pour la classe ouvrière.</ref>. En 1838, il s'en est trouvé 58,500, ou 1 sur 15 habitans.
 
S'il est vrai, comme l'a dit sir Arthur Young, que les hôpitaux, affranchissant le peuple de la prévoyance, sont d'autant plus nuisibles qu'ils sont plus riches et mieux administrés, notre pays est fort à plaindre; car chaque année voit s'ouvrir de nouveaux refuges à ceux qui souffrent. Depuis un demi-siècle, le nombre des établissemens hospitaliers a presque doublé en France, et leurs revenus se sont accrus dans une proportion beaucoup plus forte que celle des malades. Les derniers documens officiels datent de 1833; on comptait à cette époque 1329 hôpitaux et hospices. Au 1er janvier de cette même année, ils servaient d'asile à 154,253 individus, et, jusqu'à l'année suivante, 425,049 personnes y furent admises. Le budget de leurs recettes montait alors à 51,222,063 francs, c'est-à-dire au vingtième environ du budget que réclame l'état pour acquitter la dette publique, assurer la défense du territoire, rémunérer tous les services, entretenir, en un mot, la vie sociale. En 1837, Paris seulement pouvait offrir 4,464 lits pour les malades, et 10,129 places pour les vieillards, les incurables et les enfans. De nouvelles fondations, qui ne sont pas encore réalisées, ne tarderont pas à porter le nombre des lits disponibles à plus de 17,000. Non-seulement le nombre des personnes admises au traitement gratuit augmente, mais les soins sont en général plus empressés et plus intelligens, et aucun sacrifice ne coûte assez pour empêcher une amélioration désirable. Il est vrai que l'inépuisable charité vient en aide au zèle qui dirige. Chaque année, les donations volontaires ajoutent en propriétés foncières, meubles, rentes ou argent, une valeur de quelques millions au patrimoine des institutions secourables. De 1814 à 1835, en vingt-deux ans, le capital donné, tant aux hospices qu'aux bureaux de bienfaisance, s'est élevé à 75,070,464 f.; encore ce chiffre est-il seulement le total des sommes données par acte public, et dont l'acceptation doit être délibérée en conseil d'état, et il serait beaucoup grossi par l'adjonction des petites sommes qui peuvent être reçues sans autorisation.
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Nous le répétons, si les classes populaires ont encore beaucoup à désirer, c'est que le secret des grandes améliorations, des réformes fondamentales, appartient encore à l'avenir. S'il n'y a pas des secours pour toutes les détresses, un baume pour chaque douleur, c'est que le dévouement, si ingénieux qu'il soit à se multipliera ne peut suffire à combler l'abîme; c'est que manquent les moyens matériels, et non le zèle inspiré, non la pieuse énergie.
 
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<small>(1) On a constaté à Londres que plus de cent enfans, enfermés par leurs parens dans des chambres à feu, ont péri brûlés pendant l'hiver de 1835.</small><br />
<small>(2) Mme Millet, aujourd'hui inspectrices des salles d'asile, qui fut secondée par les publications de Mme Nau de Champlouis et Julie Mallet. Il y a aujourd'hui une littérature complète à l'usage des salles d'asile, journaux et livres de toutes sortes. Un des plus utiles et des plus estimables est ''le Médecin des salles d'asile'', par le docteur Cerise.</small><br />
<small>(3) Le sort des enfans trouvés, l'opportunité ou le danger des asiles que la charité leur assigne, les règles que l'administration doit suivre pour leur adoption, sont des problèmes dont la difficulté égale l'importance. M. de Gérando leur a consacré la plus grande partie de son second volume, c'est-à-dire une place qui excède l'étendue des autres ouvrages spéciaux. L'examen des nombreuses publications auxquelles les enfans trouvés ont donné lieu depuis deux ans, nous ramènera bientôt sur ce second volume de M. de Gérando. Nous nous contenterons de dire aujourd'hui que sa modération consciencieuse ne l'abandonne pas sur ce terrain, et qu'il s'y place, avec MM. Terme et Monfalcon, entre deux extrémités. Il se prononce pour la suppression des tours, l'admission des enfans à bureau ouvert, avec secret relativement au public, mais droit d'enquête pour les administrateurs. Il réprouve aussi l'impitoyable manœuvre du ''déplacement''.</small><br />
<small>(4) Il est à remarquer qu'en trois ans, de 1835 à 1838, la population de Paris s'est accrue de 129,027 individus, et qu'au contraire le chiffre des indigens s'est affaibli de 4,039. Ce résultat est dû sans doute à la vigilance qu'on déploie pour repousser la fausse indigence. On ne peut toutefois y méconnaître un symptôme favorable pour la classe ouvrière.</small><br />
 
 
A. COCHUT.
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